Vieux fossiles cherchent nouvelles énergies

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TeddyBertinAvatarGravesenAvatarEn accordant l’organisation des Coupes du monde de foot 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar, la Fifa a définitivement enfoncé le clou. Le foot est un produit à vendre, et pour conquérir des nouveaux marchés, rien de tel qu’un bon Mondial.

Que la Fédération internationale soit devenue le VRP du foot business, cela n’a rien d’étonnant. Les Mondiaux 1994 (Etats-Unis) et 2002 (Corée du Sud-Japon) répondaient déjà à cette stratégie d’expansion du football, objet de consommation global. Mais en accordant l’organisation des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar, les barons de Zurich sont entrés dans une autre dimension. Si on considère que la Chine est le principal favori pour accueillir le Mondial 2026, cela fait un certain nombre de “nouveaux horizons” défrichés en trois compétitions successives.

Est-ce de l’aigreur de vieil européen, déçu de l’échec des candidatures belgo-néerlandaise, ibéro-portugaise, et anglaise au Mondial 2018? Même pas. Personne n’est dupe du gouffre économique qu’est la Premier League, basée sur un endettement colossal des clubs. Ni même des machines à cash que sont les grands clubs espagnols. Quant au Mondial 2022, aucun des candidats à l’organisation n’était issu du Vieux Continent. Non, le plus ennuyeux, c’est cette impression d’arnaque sur tous les fronts.

1/ La victoire du lobbying, et des soupçons qui vont avec

Pour paraphraser Patrice Evra, on a eu l’impression de voir des enfants (les Anglais) sur un terrain – celui du lobbying et des relations publiques – trop grand pour eux. Les Brits, qui avaient pourtant fait preuve de leurs capacités en la matière en 2005, quand Londres avait supplanté Paris pour les Jeux de 2012, ont pris très cher. La technique “bonnes manières-paravent historique-gros chèque pour finir” ne s’est pas révélée payante. En 2010, le gros chèque suffit.

Les Anglais avaient pourtant dépêché hier leur Premier ministre à face de cire, David Cameron, et leur futur Roi, le prince William. Les Russes, eux, s’étaient contentés d’envoyer Roman Abramovitch, milliardaire russe et président de Chelsea. Cruelle ironie que les tabloïds britanniques ont relayé avec le sens de la mesure, à l’image de Terry Venables, ancien coach des Three Lions et éditorialiste du Sun: “Après tout, la FIFA et le KGB sont juste les deux dernières organisations secrètes de la planète”. On fera remarquer, pour un rapide brit trashing, que le KGB n’existe plus, remplacé par le FSB depuis une bonne quinzaine d’années, mais passons.

Le vainqueur, c’est donc Vladimir Poutine. Le mâle dominant de toutes les Russies a esquissé un sourire, paisiblement installé dans son fauteuil pendant l’annonce des résultats. De retour à la présidence en 2012, il sera donc grand maître des cérémonies en 2018. Prends ça Leonid Brejnev !

Le Qatar avait lui aussi fait les choses en grand, avec ambassadeurs de renom et gros cheikhs pas en bois. Zinédine Zidane et Pep Guardiola se sont faits des bons émirs sur le coup, et la presse australienne, qui l’a mauvaise, évoque 15 millions de dollars de com’ pour notre Zizou national. La charité est la valeur la mieux partagée de ce monde. Les Qataris avaient tout prévu, négociant par avance un échange de voix avec les hispano-portugais, le tout avec la bénédiction de Joseph Blatter.

2/ Des Mondiaux qui sentent le gaz… et le pétrole

Selon les estimations du quotidien des affaires Vedomosti, l’organisation du Mondial “va coûter à la Russie, selon les estimations les plus basses, plus de 50 milliards de dollars”. Il faut en effet construire ou reconstruire près de 8000 kilomètres de routes, plus de 2000 kilomètres de voies ferrées, bâtir des hôtels, refaire les pistes d’aéroports, construire de nouveaux terminaux…

“Le prix à payer n’est-il pas trop élevé ?”, s’interroge le journal. 50 milliards d’euros minimum donc, avec les dessous de table qui vont avec, pas étonnant que les cours de bourse des grandes entreprises russes aient explosé ce matin. La Russie, avec son économie industrielle basée sur les exportations de gaz et de pétrole, propose d’organiser une compétition à la manière du 20ème siècle. Avec oligarques en tribune et arrosage systématique des fossiles de la Fifa. Même topo pour le Qatar, qui tire ⅔ de ses recettes du pétrole et qui est assis sur les troisièmes réserves mondiales de gaz.

3/ La promotion des discriminations, du racisme et de l’esclavagisme

Le sport à des fins de marketing politique, cela n’a rien de nouveau. La Russie comme le Qatar ont mis le paquet depuis quelques années pour accueillir des événements sportifs en tous genres (tennis, moto, F1, jeux asiatiques). Et l’argent, contribuant au bonheur, a relégué très loin les idéaux de l’olympisme, de la fraternité et du respect.

Comme toujours, les libertés individuelles, ce sont les journaux britanniques qui en parlent le mieux. “La Russie, un Etat mafieux pourri jusqu’à la moelle par la corruption; le Qatar, un royaume médiéval sans liberté d’expression; les deux nagent dans l’argent du pétrole”, affirme le Daily Mirror en première page.

La liste est longue des reproches que l’on peut faire à ces deux régimes: assassinats de journalistes, emprisonnement des opposants politiques, discriminations et violences à l’égard des femmes, des étrangers, des homosexuels, peine de mort au Qatar et une culture de l’esclavagisme des travailleurs étrangers, principalement pakistanais ou philippins. Tout ce qu’on a envie de saluer à l’occasion d’une Coupe du monde.

Avec en plus, pour le dossier qatari, une violation fondamentale des libertés du fan de foot, celle de boire de la bière n’importe quand, n’importe comment, et de vomir dans la rue si besoin est. Le comité d’organisation aurait tout de même promis des zones où les visiteurs pourront boire à loisir. La question risque d’être cruciale pour les relations entre le royaume et l’Allemagne.

4/ Au bonheur des bâtisseurs et des télés

Ils sont Iraniens, Pakistanais, Indiens, Népalais… Venus chercher du boulot dans l’eldorado pétrolier, ils ont de quoi suer pour la décennie qui vient. Le royaume de Hamad bin Khalifa Al Thani a promis de mettre sur la table au moins 40 milliards d’euros pour financer les infrastructures. Un investissement qui comprend la construction de neuf stades et d’un aéroport. Pourtant, l’adage “Quand le bâtiment va, tout va” ne justifie pas tout.

On assiste sur les dernières Coupes du monde à une envolée des coûts d’organisation par rapport à la richesse du pays. Le Mondial allemand de 2006 avait coûté environ 0,3% du PIB du pays. En 2010, l’Afrique du Sud a dépensé 4,2 milliards d’euros pour organiser la compétition, soit 3% de son PIB. Pour le Mondial qatari, on part déjà sur une facture de 40 milliards d’euros, soit 53% de la richesse produite annuellement par le royaume pétrolier ! Avec la tendance traditionnelle des comités à sous-estimer les coûts des compétitions, on peut déjà assurer que le Mondial coûtera beaucoup plus, London style.

Comme les gérontes de Zurich ont une haute idée de leur valeur, ils ont aussi pris soin des télévisions européennes, leur poule aux oeufs d’or. Avec un décalage horaire d’une heure avec Paris en été, le positionnement géographique du Qatar est idéal pour abreuver les téléspectateurs du vieux continent en Nouvelle-Zélande-Paraguay et autres Serbie-Japon. L’édition 2010 a rapporté 2,5 milliards d’euros (1,5 à 2 milliards pour les droits TV, 800 millions de droits commerciaux) à la Fifa, un chiffre en hausse de 25% par rapport à 2006. En comparaison, la billetterie n’a engendré “que” 330 millions d’euros pour l’organisateur sud-af…

5/ Le public, pour quoi faire ?

Le Qatar, c’est la Gironde (même superficie, même nombre d’habitants). Soit environ 2 millions d’habitants sur une superficie de 11.000 km², dont seulement 10% de nationaux. Le royaume est l’eldorado des expatriés de Total, Chevron et BP, des cadres européens, et d’une main d’oeuvre moyenne-orientale et asiatique pas chère. Sans oublier une flopée de petites mains et personnels de maison chargés d’encadrer l’aristocratie dorée de ce petit royaume en plein boom économique.

Concrètement, tout le monde là-bas se tape du foot. Avec 16 clubs et seulement 6650 licenciés, les chiffres prouvent le désintérêt de la population. Les émirs, eux, préfèrent jouer à Football Manager en vrai avec leurs clubs. Têtes d’affiche de la Qatar Stars League, Al Rayyan, Al Gharrafa, Al-Arab sont surtout connus grâce à la page transferts de l’Equipe, comme maisons de retraite pour vieilles gloires européennes ou demi-stars de L1 (cf Pascal Feindouno).

Si le championnat qatari dépasse à peine le niveau du National français, l’équipe nationale n’est pas plus fringante. Coincée entre la République centrafricaine et la Thaïlande au classement Fifa, à la 113ème place, elle fait peine à voir. Pire, elle joue même de plus en plus mal: son “âge d’or” se situait plutôt au milieu des 90’s. On se demande donc bien ce que la Coupe du monde va faire là-bas, et comment les organisateurs comptent remplir leurs nouveaux stades.

6 / CO2 quezaco ?

Même Nicolas Hulot s’en étranglerait. Le Qatar a inventé, pour son Mondial, le principe des stades climatisés. Bah oui, pas bête, vu qu’il peut faire jusqu’à 50°C dans la région à cette époque de l’année. Une technique de réfrigération devrait limiter la température au sol à un maximum de 27°C, tout en laissant les toits des enceintes ouverts. Le comité d’organisation promet même de soigner les supporters, réfléchissant à “une climatisation à plus large échelle, incluant non seulement les stades, mais aussi des espaces ouverts autour des stades”.

Les qataris ont beau jurer que ces stades seront éco-responsables et que l’énergie solaire leur permettra d’atteindre l’auto-suffisance, notre coeur vert est déjà tout meurtri. Et même si cela fonctionnait, quid de l’utilité sociale de pareil investissement? Le Qatar ne se pose même pas la question. Pas de risque d’une prolifération des “éléphants blancs”, ces enceintes surdimensionnées, vides après la compétition, et qui coûtent une blinde à entretenir. La monarchie a généreusement décidé d’offrir ses stades en kit à des pays en développement une fois la compétition terminée.

7/ Le Mondial de la sécurité

Selon le Site, le centre américain de surveillance des sites islamistes, des islamistes ont déjà joué la carte de la provocation en assurant sur le forum en ligne Shumukh-al-Islam qu’“en 2022, il n’y aura plus de pays appelé Qatar, plus de province appelée Koweït et plus d’Arabie saoudite. A la place, il y aura un émirat appelé l’Etat islamique”. Bon, on peut rigoler cinq minutes des provocations verbales de nos amis islamistes, on ne peut pas oublier que le Qatar ne se trouve qu’à un jet de pierre du Yémen, qu’Al-Qaida compte transformer tant que possible en camp d’entrainement pour ses actions dans le Golfe, avec l’avantage d’être à deux pas de la Somalie, le pays le plus dangereux du monde. En plus, nos sympathiques salafistes ont dans le viseur toutes les monarchies du quartier, accusées de manger dans la main des occidentaux. On peut donc s’attendre à un Mondial bouclé à triple tour.

Le Qatar pourra d’ailleurs prendre exemple sur la Russie, qui jouera à domicile quatre ans plus tôt. Avec Poutine au Kremlin, et le FSB dans les rues, attention aux écarts de conduite: les hools allemands, anglais, polonais ou hollandais sont prévenus, en Russie, on tape et on questionne après. Demandez aux Tchétchènes. D’ailleurs, le pouvoir aura jusque là pour faire taire définitivement tout islamiste caucasien, à buter jusque dans les chiottes”.

François Mazet et Sydney Maréval

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Crédit photo: Reuters/Christian Hartmann

5 commentaires pour “Vieux fossiles cherchent nouvelles énergies”

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  3. Je trouve cet article honteux et scandaleux!

  4. Bonjour Jean,

    Pourriez-vous préciser votre pensée? Merci d’avance,

    Sydney

  5. […] (…). Le foot appartient à tout le monde.” Mission réussie, puisque le royaume pétrolier a été désigné par la Fifa pour accueillir la deuxième plus grande compétition mondiale après les JO. Pour ses bons […]

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