Débat: Rooney est un traître. Vraiment?

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SteveSavidanAvatar1PippoAvatar copyAprès le faux départ de l’attaquant anglais vers Manchester City et la vraie prolongation de son contrat avec Manchester United, la question divise la rédaction de Plat du Pied. Quentin Girard préfère vilipender le système qui fait des joueurs des Kleenex, quand Jérôme Lefilliâtre crie haro sur le monstre.

NON. Ce n’est pas à Rooney qu’il faut en vouloir, c’est au fonctionnement du football.

Par Quentin Girard.

Oubliés la Ligue des Champions et les différents championnats, ce qui comptait vraiment la semaine dernière c’était Rooney. Allait-il rester à Manchester United ou signer pour l’ennemi intime, Manchester City? Finalement, tout s’est bien terminé, il a resigné pour 5 ans et une jolie augmentation salariale. Mais on n’est pas passé loin d’une catastrophe nationale pour les supporters des Reds. Ferguson a eu très peur, et les supporters l’ont vivement critiqué. De manière tout à fait élégante d’ailleurs, avec un joli “Si tu rejoins City, tu es mort” à rendre jaloux Carlos Tevez.

Pourtant, les supporters se trompent de cible. Ce n’est pas Rooney qu’il faut critiquer, s’il y a matière à critiquer. Ce sont les clubs de foot et le système actuel. Il est de bon ton de fustiger aujourd’hui les joueurs mercenaires qui n’aimeraient plus leur club, qui n’auraient plus d’attachement au maillot, mais juste à l’argent. C’est alors qu’on prend en exemple ce qui serait de “vrais joueurs”, en gros des mecs qui jouaient déjà au foot avant la fin de la Guerre Froide, Giggs, Scholes, Maldini, et qui n’ont connu qu’un club ou à peine plus.

Les clubs de foot ne seraient que des victimes de ces joueurs sans foi ni loi. Sauf que pour quelques joueurs excellents qui restent toute leur vie dans le même club, combien sont jetés chaque année à l’intersaison parce que leurs performances ne sont pas satisfaisantes? Souvenez-vous, Fernando Hierro, 89 sélections avec la Roja, défenseur historique du Real Madrid, 14 ans au club! Jeté comme une vieille chaussette à la poubelle sans passer par la case linge sale par Florentino Perez. Et, en période de crise, tous ces joueurs qui se retrouvent  chaque année dans ce qu’on appelle les “lofts”, à Marseille, Paris, Nantes… Des mecs qui veulent s’entraîner avec tout le monde, mais parce qu’ils ont été déclarés “indésirables”, se retrouvent avec la CFA. Début octobre, Rothen a ainsi dû envoyer un huissier au Camp des Loges pour faire constater son traitement de défaveur. Rothen, qui a préféré Paris, par amour, à Chelsea: six ans au club et une vulgaire rupture “à l’amiable”.

Là est toute l’hypocrisie de système actuel. Tant qu’un joueur est performant, il doit être amoureux de son maillot et c’est un traître s’il veut partir. S’il est en baisse de régime, il ne vaut plus rien et son départ sera vivement souhaité. Peu importe qu’il ait passé de longues années au club, qu’il ait toujours proclamé son amour du maillot, tout cela n’a alors plus aucune importance.

Manchester crie au traître quand Rooney veut partir mais ne s’est jamais gêné pour renvoyer Beckham ou Forlan comme de vulgaires Eric Djemba-Djemba ou David Bellion. D’un côté, les clubs de foot font appel à la solidarité pour garder leurs meilleurs joueurs, de l’autre ils font tout pour arracher les meilleurs joueurs des petits clubs, les dépouiller, en proposant de fortes augmentations de salaires, quitte à créer une bulle qui va faire exploser le système (et Portsmouth). Regardez Arsène Wenger qui chaque année pille les clubs de leurs jeunes qui biberonnent encore et qui en même temps se bat pour garder Fabregas. Pour un pari réussi, combien de Jérémie Aliadière, de Mourad Meghni ou d’Anthony Le Tallec détruits, cramés, avant même que leur carrière ait débuté?

Grâce à leurs agents, parfois nounous, parfois escrocs, les joueurs savent qu’ils ont une valeur. Ils savent aussi qu’elle déclinera, et qu’à ce moment-là, les clubs ne leur feront pas de cadeaux. Pourquoi devraient-ils en faire? Le foot est ainsi fait aujourd’hui, tout comme la société. Avant, on entrait dans une entreprise, et on y restait pour sa vie; aujourd’hui, on en connaîtra de nombreuses, par choix ou par obligation. Le paternalisme n’existe plus, ni à l’usine ni au centre d’entraînement.

Si les supporters veulent que leurs joueurs restent fidèles à un maillot, manifester devant leurs maisons en proférant des menaces de mort n’est pas la solution. Ils doivent manifester tous les jours devant le siège de la FIFA, des clubs de foot, et s’ils ont le temps, du FMI, des Nations Unies et de la Banque Mondiale…

Qu’on le veuille ou non, nous vivons dans un système d’économie libérale, et la plus ou moins libre circulation des travailleurs en est une des règles de base. Daniel Niculae préfère sûrement Bosman à Besson. Sans lui, il plafonnerait au Rapid Bucarest au lieu de se dorer la pilule à Monaco. Les supporters ne peuvent pas en même temps se réjouir de voir d’excellents joueurs arriver chez eux, et râler quand un autre part pour une destination plus huppée ou rémunératrice. Alors, oui, certains joueurs en abusent. Les velléités de départ de Rooney, avec ce qu’il gagne, pouvaient paraître choquantes. Il a même été dit qu’il s’agissait de chantage pour devenir le joueur le mieux payé du monde, et satisfaire son démon du jeu. Mais, oubliez un instant les sommes affolantes, pensez juste au contexte: vous êtes dans une entreprise depuis longtemps, que vous aimez beaucoup, mais elle est légèrement en perte de vitesse, et a contrario, on vous propose un nouveau poste dans une entreprise concurrente. Elle est en pleine progression et vous propose de doubler votre salaire. Est-ce qu’un instant vous hésiteriez à changer? Et est-ce qu’on vous le reprocherait? Pas du tout, car tout le monde sait que votre entreprise n’aurait pas eu pitié de vous si elle avait eu besoin de vous virer.

Rooney, Ribéry et compagnie poussent juste la logique capitaliste jusqu’au bout. Du coup, ils ressemblent pour le commun des mortels à des petits monstres des temps modernes. Mais à qui faut-il en vouloir, au monstre ou à son créateur Frankenstein? Le titre complet de l’ouvrage de la britannique Mary Shelley n’est pas tout le temps connu, c’est Frankenstein or The Modern Prometheus (Frankenstein ou Le Prométhée moderne). Dans la mythologie, Prométhée est celui qui aurait créé les hommes à partir d’une motte d’argile. Victor Frankenstein, dans les dernières lignes du bouquin, s’exprime ainsi:

«But it is true that I am a wretch. I have murdered the lovely and the helpless; I have strangled the innocent as they slept, and grasped to death his throat who never injured me or any other living thing. (…) There he lies, white and cold in death. You hate me; but your abhorrence cannot equal that with which I regard myself. I look on the hands which executed the deed; I think on the heart in which the imagination of it was conceived, and long for the moment when these hands will meet my eyes, when that imagination will haunt my thoughts no more.»

Que Ferguson et les propriétaires de Manchester United lisent et relisent ces dernières lignes.


OUI. Rooney mérite d’être pendu. Et Quentin Girard aussi.

Par Jérôme Lefilliâtre.

Entre le joueur et le système, mon compère Quentin Girard défend le joueur, victime selon lui d’un système qui le dépasse. Le système est pourri, évidemment. Le football anglais est devenu l’illustration parfaite d’une époque amputée de toute autre valeur que celle de l’argent. Tous les arguments développés ci-dessus peuvent être vrais (même si, sans rentrer dans le détail, ils me semblent ne pas l’être), mais l’analyse est complètement faussée. Elle oublie qu’entre le club et le joueur existent ceux qui seuls leur donnent du sens: les supporters.

Pas besoin de tomber dans l’incantation la plus mièvre –”Manchester United n’appartient qu’à ses supporters”– pour défendre ce point de vue. L’idée est économiquement fondée. Sans supporters, pas de spectacle à vendre. Sans spectacle à vendre, pas de recettes publicitaires ni de droits TV, et encore moins de salaires indécents. C’est dire que, même guidé par une cupidité extrême, sans aucune considération morale, le footballeur doté d’un minimum d’intelligence devrait sacraliser la chose qui, en dernière analyse, lui permet d’amasser les billets: le supporter. Apparemment, Rooney n’a pas une telle conséquence logique.

Le vilain a piétiné ses supporters en laissant fuiter qu’il pourrait passer du rouge au bleu, en rejoignant City, l’éternel rival, le voisin honni. Au pays de Shakespeare, cette trahison est pire encore que celle racontée dans Hamlet. Rooney aurait pu ébruiter l’imminence d’un départ au Real ou à l’Inter, chantage classique qui lui aurait sans doute permis de prolonger son contrat, avec une belle augmentation à la signature. Mais “Roo” en voulait plus. Il ne souhaitait pas seulement signer un plus gros contrat, il voulait signer le plus gros contrat de l’histoire du club. Reconnaissons l’habileté de la stratégie: en faisant rentrer City dans le marchandage, le numéro 10 des Red Devils a obligé son club à lui offrir un pont d’or. Car United ne pouvait pas, comme l’explique parfaitement Arsène Wenger, laisser filer son joyau à l’ennemi. C’était se mettre à dos ses millions de supporters. Et le conseil d’administration du club sait bien que tout son modèle économique repose sur le soutien infaillible de ses fans (d’autant plus qu’une partie d’entre eux a déjà déserté).

Rooney, en revanche, n’a pas hésité à briser l’ultime tabou. A dire aux supporters qu’il se foutait ouvertement d’eux, malgré l’adoration dont il était l’objet depuis un an. Que leur détestation congénitale de City n’était rien à côté de son désir immense d’argent. Quelle image que ces ultras faisant le pied de grue devant la maison de la star, protégée par un haut mur de briques, menaçant leur ancienne idole d’une banderole “Signe à City et tu es mort”! L’attaquant aurait mérité que sa bâtisse de châtelain, symbole d’une fortune acquise grâce à l’unique engouement des fans, soit détruite par ceux-là-mêmes qu’il a humiliés.

Plat du Pied

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Crédit photo: REUTERS/Darren Staples

3 commentaires pour “Débat: Rooney est un traître. Vraiment?”

  1. En fait, la question est beaucoup plus simple que ça : il me semble que l’enjeu n’est même pas de savoir avec quel club il a réalisé son chantage ; c’est tout simplement ridicule de manigancer pour gagner encore plus d’argent, sans changer de club, quand on en ramasse déjà autant. Et pas de “système du foot” qui tienne. Le “Système” tout court, à la rigueur – mais à ce moment on ne dit plus rien.
    Rooney n’a rien à reprocher ni au challenges sportifs qui lui sont proposés, ni aux conditions de jeu qui lui sont offertes. Il a vraiment joué au con. Même lui est devenu un putain de mercenaire.

  2. Le problème c’est que y’a pas de limite.
    Aux USA, même si ils sont ultra capitaliste, ils ont compris qu’il fallait mettre un salary cap (la limitation de la masse salarial).
    Ils ont quelques joueurs chèrement payé et le reste normalement payé.
    De plus, le problème c’est que dans un club, combien de joueurs jouent? Il faudrait pour cela instaurer plus de turn-over au niveau des effectifs.
    Privilégier aussi le jeu d’équipe que les exploits individuels.
    Parce que le football crée du rêve mais rêver que tous les joueurs soit des pelés, maradona c’est une illusion.
    C’est par le jeu, la science tactique, le placement, le don de soi et l’intelligence de jeu allié avec les talents individuels que l’on a du bon football.

  3. En fait la citation tirée de frankenstein n’est pas de victor frankenstein mais de la créature, alors que’lle contemple le cadavre de son créateur…

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