L’agence d’informations sportives Opta vient d’ouvrir un bureau à Paris. Déjà utilisées par tout le monde outre-Manche, les statistiques arrivent en France, où le tout neuf marché des paris en ligne et la révolution culturelle des clubs offrent de nouvelles opportunités.
Même L’Equipe s’y est mis. Chaque jour ou presque, le quotidien sportif produit désormais des analyses de performances dites “objectives” grâce aux informations que lui fournit Opta, l’un des leaders du secteur. Le 30 septembre, une infographie mettait ainsi en valeur le bon début de saison de Stéphane Ruffier, dans les cages de l’AS Monaco: meilleur gardien de Ligue 1 sur les arrêts et coleader du même classement sur les sorties aériennes (moins bon sur le jeu au pied). Suffisant pour titiller Hugo Lloris.
Opta [avec qui Plat du Pied a travaillé pendant la Coupe du Monde, sur Slate], mais aussi Amisco, Prozone… Que des agences installées en Angleterre, où l’utilisation d’informations statistiques est depuis longtemps la routine, de même qu’en Espagne, en Italie (les Etats-Unis restant les pionniers internationaux). “Notre chiffre d’affaires en Europe est supérieur à 10 millions d’euros désormais, précise David Collet, le directeur commercial d’Opta. Mais c’est en France que le développement récent est le plus important. On a mulitplié par 10 le nombre de clients et le chiffre d’affaires ces deux dernières années.” Le bon vieux temps de la palette à Doudouce a vécu. Fini l’époque où un journaliste à grosses lunettes faisaient des flèches jaunes sur son écran. Désormais, le job est sous-traité à des geeks-footeux, des agités de la souris, qui notent tout en temps réel.
Les médias sont les clients les plus visibles des agences. Sur leurs sites, elles égrènent leurs “références” comme des trophées: Yahoo, MSN, le Daily Telegraph, Orange, Eurosport, ESPN, Mediaset pour Opta, Canal pour Amisco, etc. Autant de clients demandeurs de statistiques d’avant-match (“Arles-Avignon n’a jamais marqué de buts de la tête entre la 12e et 15e minute d’un match se jouant par une température inférieure à 23°C”), de données en temps réel (“c’est le 16e penalty provoqué par Abidal dans sa carrière en position de défenseur central”) et d’informations issues du match lui-même (“Valbuena a couru 14km en 63 minutes de jeu, mais a perdu 84% des ballons qu’il a touchés”).
Dans le même registre, les opérateurs de paris en ligne utilisent ces infos pour conseiller les joueurs à faire leurs choix et pour établir les cotes. “On travaille en back office avec les opérateurs et en front office pour les parieurs, raconte David Collet. Pour les sites, donner de l’information statistique, c’est un plus, ça permet de fidéliser les clients.” Fidéliser, le défi principal pour chacun des opérateurs, qui se livrent une concurrence sanglante. Plus basiquement, ils recourent au service des agences pour le principe même de leur business. Organiser des paris sur le nombre de corners pendant un match (ce qui arrive pour l’instant surtout en Angleterre), c’est facile, mais il faut quand même quelqu’un pour noter chaque coup de pied de coin. C’est le job d’Opta, pas de PMU.fr.
La révolution culturelle des clubs français
Si le chiffre d’affaires des agences a tant augmenté en France ces deux dernières années, c’est aussi parce que les clubs s’y mettent, suivant ainsi l’exemple des clubs étrangers. Opta bosse entre autres pour Liverpool, Chelsea, Man City, Hull, la Roma, Wolfsburg, Prozone pour la Ligue anglaise, Amisco pour l’Inter, le Bayern, etc. En France, on compte encore les utilisateurs sur les doigts d’une main (Saint-Etienne, Lyon, Marseille, Rennes), mais la tendance progresse. On aurait parié que Jean-Michel Aulas et l’OL seraient en pointe sur le sujet. Pas du tout. Le précurseur hexagonal est Saint-Étienne (en deal avec Opta et Amisco). Normal, le directeur sportif de l’ASSE, Damien Comolli, était auparavant en poste à Tottenham, en Angleterre.
“C’est l’auteur américain Michael Lewis, un ami personnel, qui m’a fait découvrir la puissance de l’utilisation statistique”, raconte Damien Comolli. A l’origine journaliste financier, Lewis s’est penché en 2003 sur le succès des Oakland Athletics, un club de base-ball sans le sou qui arrivait malgré tout à faire de bons résultats. De cette enquête, le journaliste a publié un livre, Moneyball, dans lequel il attribue le succès du club à un judicieux usage des données statistiques. “L’idée, selon Damien Comolli, c’est d’arriver grâce aux stats à trouver des joueurs sous-évalués sur le marché, ce qui implique des indemnités de transfert et des salaires inférieurs, alors qu’ils ont statistiquement beaucoup de potentiel. C’est un processus qui vient de la finance, de la bourse. C’est exactement ce que font les traders [trouver des valeurs sous-évaluées à fort potentiel], appliqué au sport.” D’un coup, la mystérieuse ascension de Dimitri Payet devient rationnelle.
Fournir de l’information pour le recrutement est le coeur de l’activité d’Opta pour les clubs, confirme David Collet. “On leur procure une analyse extrêmement profonde de toutes les compétitions importantes en Europe, en Russie et bientôt en Amérique du Sud. Les clubs cherchent un profil de joueur, et nous utilisent pour prédétecter l’individu. Ou alors ils viennent vers nous pour conforter un pressentiment, sur le mode “un agent m’a parlé de tel joueur, je voudrais vérifier ses possibilités réelles. Pour le club, c’est une économie d’argent, inutile de se déplacer, surtout qu’on peut leur fournir des vidéos de 5 minutes avec les plus belles actions du joueur.” Ou la fin du recrutement sur cassette VHS transmise au coach par l’agent véreux. A Saint-Etienne, Damien Comolli a étendu l’usage des statistiques au-delà du moment des transferts. Ils sont devenus un outil de gestion de l’effectif. “On utilise aussi les données individuelles pour motiver les prolongations de contrat ou les augmentations de salaires.”
Hors de la sphère budgétaire, les statistiques changent également le rapport au jeu, par les informations individuelles qu’elles apportent. “Qui est performant dans le long terme, dans le court terme? Ce sont des choses qu’on regarde sur la base d’indices techniques, tactiques et physiques”, explique le directeur sportif de l’ASSE. Utile pour faire l’équipe, surtout compte tenu des forces et faiblesses des adversaires, qui sont répertoriées de la même façon. “Tout le monde a accepté le système, l’entraîneur, le préparateur physique et même les joueurs, qui se rendent compte ainsi de la réalité de leurs performances. Ca apporte un élément tangible, scientifique, dans un domaine -le sport de haut niveau- où beaucoup de choses se font au pif.”
Les statistiques seront-elles à l’origine d’une mathématisation du football, comme on a mathématisé le réel après Descartes et l’économie après Keynes? Ni David Collet ni Damien Comolli ne semblent y croire, puisqu’ils qualifient naturellement l’’information statistique d’“outil”, rappelant sans cesse qu’il faut savoir les “interpréter”. Que signifie en effet une perte de balle individuelle si l’on ne tient pas compte du mouvement commun des adversaires et des partenaires? Le foot n’est pas une science. Heureusement.
Jérôme Lefilliâtre
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Crédit photo: REUTERS/Robert Pratta. Dimitri Payet, après son but contre l’OL le 25 septembre 2010, à Gerland.
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Les statisitques sont avant tout une passion !
Ceux de l’équipe de France de football sur http://selectiona.free.fr
Au cas où vous seriez les derniers au courant, cela fait un certain temps déjà que les entraineurs virtuels que nous sommes pratiquent déjà ces statistiques avec des simulations-jeux comme Football Manager…
Intérressant,
Les clubs anglais recrutent aussi grace à FootBall Manager, véritable mine de données en la matière.
Bref, Le football s’industrialise.