Petits arrangements entre amis

Le 0-0 entre l’Algérie et l’Angola n’est pas fair play, mais ainsi est fait le football.

SOCCER-NATIONS/

LucarelliAvatarParodie de football lundi soir, à Luanda. Pendant toute une mi-temps, les sélections algérienne et angolaise ont livré un non match, sans engagement, sans folie et, évidemment, sans but. Ma rigueur journalistique m’a poussé à suivre jusqu’au bout ce pensum, mais c’était très franchement pénible. La raison? C’est assez simple. Au début de cette troisième et dernière journée du groupe D, l’Angola avait 4 points (nul contre le Mali, victoire contre le Malawi), l’Algérie et le Malawi 3 points (une victoire et une défaite chacun, l’Algérie ayant battu le Mali après avoir perdu contre le Malawi, lui même défait par l’Angola) et le Mali un point. Pour l’Algérie et l’Angola, un nul suffisait à se qualifier si le Mali gagnait contre le Malawi. En effet dans ce scénario, l’Angola termine à 5 points, l’Algérie et le Mali à 4, mais comme l’Algérie a battu le Mali, c’est elle qui se qualifie.

Bien sûr, on a beau faire jouer Angola-Algérie et Mali-Malawi au même moment, pour le suspense, c’est peanuts à l’ère de l’information instantanée. Donc quand le Mali mène 2-0 après 5 minutes de jeu, les petits copains de l’autre match comprennent très vite où peut être leur intérêt : faire nul. Il y a à peine eu l’ombre d’un doute quand le Malawi est revenu à 2-1, mais le Mali en a très rapidement mis un troisième. Du coup, à Luanda, on a terminé sur un bon vieux 0-0 des familles. Quitte à sacrifier le spectacle, le fair play et les vuvuzelas de la renommée.

Bien sûr, le Mali crie au scandale. Et tout le monde de crier avec eux, ça semble normal. Mais qu’on le rappelle une bonne fois pour toute, le mauvais esprit fait partie intégrante du foot. La FIFA n’a-t’elle pas abandonné l’idée de sanctionner Henry pour sa main? Alors quand tout le monde soutient le Mali, avec une certaine mauvaise foi, j’ai envie de l’accabler. Est-ce qu’ils ne l’ont pas un peu mérité, finalement? Après tout, le scénario était prévisible. Le seul moyen de s’en sortir, c’était de faire peser l’incertitude jusqu’au bout, pour pousser l’Angola ou l’Algérie à craquer et à aller briser leur (non)gentleman agreement. En plantant deux buts dans les 5 premières minutes, c’était mal barré pour l’incertitude.

De fait, la situation de lundi soir rejoint un cas d’école bien connu des économistes: le dilemme du prisonnier. Imaginez deux prisonniers, dans des cellules séparées où ils ne peuvent pas communiquer.  On leur propose le deal suivant: si un des deux prisonniers dénonce l’autre, il est remis en liberté alors que le second prend 10 ans de taule, si les deux se dénoncent entre eux, ils seront condamnés à une peine de 5 ans, si les deux refusent de dénoncer, la peine sera minimale (6 mois), faute d’éléments au dossier. La nature humaine étant ainsi faite, on cherche à maximiser son profit et  chacun des prisonniers choisit de balancer l’autre alors qu’ils gagneraient à coopérer et ne rien dire. Au coeur de ce dilemme: la non-possibilité de communiquer. Or, comme dit plus haut, aujourd’hui, on sait en temps réel ce qui se passe sur un terrain de football distant de plusieurs centaines de kilomètres…

Il y a déjà eu des précédents. Le plus fameux, c’est le RFA-Autriche de 1982, gagné 1-0 par les Allemands et qui a vu un non-match de près de 80 minutes parce que ce résultat arrangeait les deux équipes. Le “match de la honte”, qui se fit au détriment… de l’Algérie. C’est d’ailleurs à la suite de ce match que la FIFA décida de faire jouer les derniers matches de poule de ses compétitions au même moment. Une précaution dont on voit les limites aujourd’hui. Les Italiens vous parleront aussi du Danemark-Suède de 2004 (tiens donc, encore des nations voisines) qui s’est terminé sur un providentiel 2-2. Mais bon, comme c’est les Italiens, on peut se moquer. Avec cette scène mythique de Cassano qui marque le but qu’il croit libérateur contre la Bulgarie au moment même où s’achève le match entre les Scandinaves.

Je me rappelerais toujours du coup de fil enthousiaste de mon ami Italien qui n’avait pas les matches en duplex. Ce fut un régal de lui annoncer la mauvaise nouvelle en direct! Ne serait-ce que pour ce genre de plaisirs, je suis prêt à vivre encore des petits arrangements entre amis comme lundi à Luanda.

Lilian Murati

2 commentaires pour “Petits arrangements entre amis”

  1. Magnifique conclusion!

  2. Haha, tres bon article. J’aime beaucoup le ton

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