Les agents n’agissent pas dans l’intérêt des joueurs

VieiriGazzaAvatarRibéry ira-t-il au Real? Govou restera-t-il à Lyon? On l’ignore, mais en cette période de mercato, essayons de mieux comprendre le rôle des agents grâce aux éclairages de Jean-François Brocard, doctorant au centre de droit et d’économie du sport (CDES) et seul économiste européen à réaliser une thèse sur le sujet.

Cela commence par un paradoxe. Les agents travaillent pour les joueurs mais sont payés par les clubs. “En théorie l’agent est payé par le joueur sur un pourcentage (inférieur à 10%) du contrat qu’il lui fait signer, explique notre spécialiste. Mais la pratique veut que ce montant soit négocié lors du transfert et soit payé directement par le club.” A partir de là, les ennuis commencent. Les clubs ont tendance à payer des extras aux agents. Ainsi les agents anglais ont touché plus de 70 millions de livres de la part des clubs de Premier League en 2008/2009 dont des primes de “facilitation” des transactions. “Si un agent cherche à maximiser ses revenus, il va favoriser le club qui lui propose le plus de primes lors du transfert plutôt que le meilleur club pour le joueur“, souligne l’économiste Jean-François Brocard.

Plus de transferts, plus chers

D’accord, le mythe des dessous de table et du “tous-pourris”. Mais pas seulement. “Les agents ont un réel pouvoir de marché, continue Jean-François. Vu leur mode de rémunération ils ont intérêt à augmenter le nombre des transferts afin de renégocier le salaire du joueur à la hausse“. Parlez-en à l’attaquant Mickaël Antoine-Curier. Son exemple est assez emblématique. L’agent n’a pas qu’un rôle de négociateur et de représentation pour un joueur. Il gère aussi le conseil juridique, les liens avec les sponsors, la carrière et souvent le patrimoine du joueur. Tout cela sans jamais être payé par celui-ci! Jean-François Brocard explique. “Aux Etats-Unis, les joueurs sont mieux organisés et les relations avec les agents plus claires. Les fonctions de représentation et de négociation sont rémunérées par un pourcentage sur les contrats signés et les autres fonctions font l’objet d’une négociation différente entre le joueur et l’agent.” En France les agents sont exclusivement payés par les clubs lors de la signature des contrats, alors le plan de carrière d’un joueur peut vite passer au second plan. C’est ainsi qu’on peut retrouver un Mavuba sur le banc à Villareal…
Si les joueurs risquent d’être mal accompagnés, pourquoi supportent-ils ce système? Ribéry aime-t-il jouer à la girouette à chaque mercato? Aucun joueur n’est diplômé de droit et bien que leurs entrainements ne les occupent pas 35h/semaine, ils n’ont pas vraiment envie de se plonger dans les clauses de bas de page de leur contrat.  Et ils sont très tôt démarchés (harcelés) par leurs futurs représentants. Pas moins de 220 agents sont référencés en France et tous ne sévissent pas en L1. Ils guettent les futurs prodiges sur les bords des terrains de jeunes et font tourner la tête de certains adolescents à grand renforts d’argent facile et de rêve d’étranger. Quand un Sinama-Pongolle et un Le Tallec partent à Liverpool peu après leur majorité, ce choix bénéficie rarement à leur carrière. Leur agent, lui, y voit un intérêt immédiat.

Personne pour encadrer

Bon OK, les joueurs envoyant plus de messages à des actrices de films pornos qu’à leur syndicat, certaines instances ont donc pris les choses en main, en ordre dispersé bien sûr. “En France, en Grèce et au Portugal, il existe une régulation d’Etat, ailleurs ce sont uniquement les fédérations qui gèrent“, détaille notre consultant. Et les fédés gèrent sous l’égide de l’UEFA, en parallèle du règlement FIFA… Oui c’est le bordel.
Jusqu’à présent les dirigeants partaient du principe que les transactions étaient impossibles à contrôler. C’est pas faux, avec des finances de clubs aussi opaques qu’un pastis sur le vieux port et aussi peu d’agents de contrôle que de cheveux sur le crane de Cris… La régulation porte donc sur l’accès à la profession d’agent. La France, avant tout le monde, et l’UEFA ensuite, ont mis en place une licence d’agent. Chez nous un agent doit signer un code d’honneur (hum), ne pas avoir de casier judiciaire, effectuer un dépôt d’argent et réussir un examen afin d’avoir sa licence. Tout ça est bien beau mais sans personne pour contrôler. L’ancien condamné de VA-OM, Jean-Pierre Bernès, a une licence tout comme il faut et les histoires de fraudes ou de non respect des règles ne sortent que lorsqu’une des parties se sent lésée et porte plainte, comme pour le cas Ribéry.
La Fifa va donc prendre le problème de front. “Elle ne veut plus réguler l’entrée sur le marché mais bien la transaction” précise Jeff. Comment? En numérisant les transferts. Jusqu’à présent tout se faisait à la main, mais grâce au Certificat International de Transfert, les informations de tous les transferts seront centralisées sur un serveur de la Fifa. De belles intentions mais un lancement raté. Malgré un communiqué de la fifa sur le premier transfert électronique réalisé récemment entre Glagow et Toulouse, le service de presse du TFC dément l’information “nous n’avons pas encore expérimenté le certificat électronique de transfert“. Si ce CIT peut être un outil de régulation, avec une organisation aussi infaillible pour le mettre en place, il pourrait vite ressembler à la lutte contre le dopage dans le cyclisme…

Des agents… économiques

La régulation étant difficile, pourquoi ne pas se passer de ces intermédiaires obscurs? Personne ne va négocier pour vous votre prochain contrat avec votre employeur et vous vous débrouillez bien tout seul pour trouver des annonces quand vous changez de boulot, non? Les joueurs sont assez grands pour renégocier leurs contrats et les clubs paient des armées de recruteurs pour trouver des perles rares, ils ne vont pas en plus payer des agents! Et pourtant… Parole à l’économiste: “Les agents sont importants dans le foot pour rééquilibrer l’asymétrie de l’information sur ce marché.” En clair, le marché étant mondial, il y a tellement de joueurs disponibles et de clubs demandeurs qu’il est impossible pour l’une ou l’autre des parties de connaître l’offre globale.  Les agents font le boulot de mise en contact des joueurs et des clubs. Les agents sont donc utiles.
Et même si leur part du travail intéresse plus les joueurs que le club, ces derniers trouvent un avantage à entretenir des relations cordiales avec ces intermédiaires afin de toujours se voir proposer leurs meilleurs clients. La profession a encore de beaux jours devant elle.

Olivier Monod

Photomontage : “Vieiri, Grand Voyageur”, DR

3 commentaires pour “Les agents n’agissent pas dans l’intérêt des joueurs”

  1. […] Malgré cette gestion stricte, l’OL n’arrive toujours pas à rivaliser avec les grands d’Europe. JMA plaide donc avec force pour un fair play financier européen, une régularisation du nombre des joueurs pros dans les clubs et un encadrement du salaire des intermédiaires. En ça, nous ne lui donnerons pas tort. […]

  2. […] comme Claude Puel ne connaît pas…” Les autres déçus du système sont les agents de joueurs, en tout cas ceux qui se voient plus comme des gestionnaires de joueurs que de carrières. […]

  3. […] et de trop se reposer sur ses frères. La réponse aurait pu être simple. Pourquoi engraisser des agents inconnus qui ne penseront certainement pas à son bien être alors que ses frangins peuvent faire le taf? […]

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