Pourquoi je déteste le public du Stade de France

On a beau dire de la sélection, mais ce qu’on a de pire en France, c’est sûrement le public.

La France est finalement qualifiée pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud. C’est donc la fin d’une longue et laborieuse campagne de qualification, qui s’est terminée en véritable marathon puisque les Bleus ont joué pas moins de six matches depuis septembre. J’ai pu aller au Stade de France pour assister aux trois derniers qui y étaient disputés : contre la Roumanie (1-1), l’Autriche (3-1) et l’Irlande (1-1). Et s’il n’y avait qu’un seul enseignement à retenir de mes soirées dyonisiennes, il ne vient pas du terrain mais des tribunes: la France dispose d’un des publics les plus merdiques qui soient. La complainte est certes déjà entendue depuis longtemps, mais je me devais d’apporter moi aussi mon petit caillou à la lapidation de la horde bienheureuse qui peuple les travées du SDF. C’est comme la main d’Henry: c’est moche, c’est bas mais ça soulage.


Toute la lose qui habite les supporters de l’équipe de France semble résumée dans ce “Allez les Bleus” qu’on scande jusqu’à plus soif. A chaque match, on n’entend que lui, et en soi, le fait de n’avoir pas grand chose d’autre à proposer sent déjà bien la défaite. Mais pourquoi “Allez les Bleus”? Parce qu’au-delà de quatre syllabes, le public n’y arriverait pas ? C’est vrai que les octosyllabes façon “Et 1, et 2, et 3-0”, on ne les sort que pour les grands soirs. Plus sérieusement, l’absence d’autres vrais slogans qui pourraient alterner avec celui-là, par trop entendu, est tout simplement le fait qu’il n’y a pas de vrai leader d’ambiance au Stade de France. Et s’il n’y a personne avec un mégaphone en train d’haranguer une foule d’ultras prêts à allumer toutes les mèches reprises ensuite en coeur par le stade entier, c’est parce qu’il n’y a pas vraiment d’ultras quand il s’agit de l’Equipe de France. Et qu’on ne me parle pas du triste Club des Supporters de l’Equipe de France, qui n’atteindra jamais la ferveur d’un kop de club. Clément d’Antibes, tu peux pas test Santos Mirasierra!

Je suis dur, il n’y a (hélas) pas que le “Allez les Bleus”, pas super élaboré mais encore à peu près convenable, qui résonne au Stade de France. Non, il y a aussi “Po po po po po po”, comprendre “La partie guitare du refrain de Seven Nation Army des White Stripes beuglée par une foule qui, manifestement, n’est pas forcément passée par le conservatoire”. Celui-là, il est vraiment insupportable, ne serait-ce  que parce qu’il n’a juste aucune espèce de sens. Reliquat de la téléréalité (c’est je ne sais plus quel avatar du Loft d’il y a trois ou quatre ans qui l’a popularisé ici, les candidats le reprenant à la moindre occasion), c’est surtout un truc que les Italiens faisaient bien avant nous et qu’on aurait mieux fait de leur laisser. Après tout, en matière de goût musical, on sait qu’ils ne sont pas franchement champions. Plus sporadiquement, on peut entendre un “Allez les Bleus, les supporters sont là” ou “Qui ne saute pas n’est pas Français”, qui ajoutent un peu de variété mais ne sont pas non plus transcendants.

Quand il ne chante pas (ce qui, soulignons le encore, est déjà pas non plus super fréquent), le public du SDF s’agite. Et comme il y a le quasi-slogan unique avec “Allez les Bleus”, il y a la ola. Historiquement, ça peut se comprendre: la vogue de la vague coïncide avec l’achèvement du Stade de France, 1998, la Coupe du Monde en France, les bons souvenirs quoi.

Ainsi, le Stade de France, c’est un peu le temple de la ola. Qu’on persiste à faire un truc qui ne se fait plus nulle part, on mettra ça sur le compte de la nostalgie. Par contre, qu’on se mette à faire une ola parce que l’équipe mène d’un but au bout de 30 minutes de jeu, comme c’était le cas contre l’Autriche c’est pas possible. La ola, si tant est qu’elle devait avoir un intérêt, devrait être réservée pour la 75ème minute et pour les 3-0. Mais de toutes façons, la ola c’est vraiment le symptôme d’un public qui globalement est peu connaisseur/intéressé au football, et qui préfère bêtement se regarder faire le spectacle en tribunes que de regarder le rectangle vert. Evidemment, je souris de plaisir quand le stade siffle parce que la tribune dans laquelle je me trouve met fin à la ola, ce qui n’arrive pas si souvent.

Plus globalement, ce qui est fou au Stade de France, c’est l’infantilisation des supporters. Mention spéciale pour le “chauffeur d’ambiance” officiel, créature qui a du être conçue dans les laboratoires secrets de Téléfoot. Il dégouline le foot à papa, bon enfant tout plein, en réalité beauf au possible. Mais regardons aussi la distribution de matériel de supporting à chaque match. Les supporters des tribunes basses reçoivent des drapeaux, plus haut c’est des cartons à tifo que l’on peut aussi battre contre sa main quand ils sont pliés pour faire un bruit incroyablement relou. Tout ceci est un aveu de faiblesse complet : si on leur donne pas de quoi supporter, les spectateurs ne supportent pas. Dans n’importe quel autre pays, celà va de soit de venir avec à tout le moins un maillot de l’équipe sur le dos. En France, les joueurs sont régulièrement obligés d’appeler à “voir du bleu” au Stade de France, et ce dès 1998. Allez voir comment les stades hollandais sont oranges pour les matches de la sélection, pour rire.

Enfin, dans l’infantilisation,  j’ai pu découvrir contre l’Irlande la dernière “bonne idée” du Stade de France. Régulièrement pendant le match, quand il y a un coup de pied arrêté intéressant par exemple, une “mascotte animée” ridicule, genre Razmoket sous acide, apparaît sur les écrans géants du stade et gigote bêtement.

En dessous, un “Allez les Bleus” dont les mots s’illuminent successivement, comme pour un karaoké. Evidemment, le public reprend en coeur, tout heureux de se faire prendre par la main pour supporter son équipe. Bien entendu, il n’y a rien d’autre qu'”Allez les Bleus” qui apparaît, puisque c’est LE slogan autorisé par les bienveillantes autorités. L’encadrement infantilisant, à grand renforts de slogans niais tels que “Avec Coca-Cola, on parle tous football”, est effrayant. Tout est trop bien huilé. J’en viens à me réjouir des Marseillaises sifflées ou des (rares) entrées de streakers sur le terrain.

Alors forcément, dans un stade comme ça, je fais un peu tâche dans le public. Par exemple contre l’Irlande, sur le pénalty non sifflé sur Anelka, alors que j’invitais l’arbitre à se manger les testicules et que j’insultais sa famille sur au moins trois générations, une douzaine d’abrutis tentaient de lancer une ola derrière moi. Au comble de la tension, après l’égalisation, j’ai bien tenté un de lancer un “Irlande, Irlande, on t’encule”, mais ça n’a pas pris. Oui, je peux être très vulgaire devant un match de foot. Mais dans un stade on est vulgaire, parce que ça fait partie du foot. Un match c’est ce moment cathartique, comme les pièces de théâtre antique ou un bon concert de rock, où l’on peut laisser libre cours à ses sentiments, où l’hybris peut se déchaîner (ouaip, deux mots grecs dans une seule phrase…) . Bien sûr il faut que tout celà soit contrôlé, et je ne me réjouis pas des débordements qui peuvent accompagner les matches, mais de là à annihiler toute manifestation des sentiments dans un vague consensus niais de “fête du football”…

Au final, les 15 000 Irlandais présents mercredi soir avaient dix fois plus la classe que les 65 000 bienheureux en face. Parce qu’ils vivent une ferveur authentique, qui n’a pas besoin d’être encadrée pour s’exprimer, parce qu’à Croke Park ils sifflaient pour nous mettre la pression et à Saint-Denis ils supportaient leurs joueurs sans retenue. Le Stade de France a tout à apprendre des Irlandais. Allez, tout n’est pas perdu: ce soir c’est Marseille-PSG!

Lilian Murati

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8 commentaires pour “Pourquoi je déteste le public du Stade de France”

  1. Sans oublier les champions qui huent et sifflent les Irlandais quand ceux-ci chantent trop fort à leur goût.

  2. Le problème, c’est qu’il faut qu’on arrête de se mentir, la France n’est pas un grand pays de football, au sens populaire du terme, on est pas britanniques, ni irlandais, ni espagnols, ni sudaméricains, alors la FFF nous resort les grosses ficelles que Max Guazzini a inventé au Stade français (drapeaux) pour donner aux bourgeois de banlieue ouest l’impression d’être dans un mouvement populaire et collectif. J’aime les Bleus quand ils jouent bien, mais le foot de club, à Lens, à Marseille, à Sainté, c’est quand même autre chose, et que les bien pensants (Attali et Thomas Legrand) aille au stade le week-end, ils verront à quoi ça ressemble, et ils veront aussi des fautes d’arbitrage

  3. Je partage l’analogie de RFM sur les trucs de Guazzini et ce que fait la FFF au Stade de France. Et puis, il y a un aspect que je n’ai pas développé, mais qui est aussi présent dans ce commentaire qui oppose les “bourgeois de banlieue ouest” à “Lens, à Marseille, à Sainté”, c’est la sociologie des stades. Un match où les billets à 20€ sont partis en moins d’une heure, et où la majorité a du raquer au moins 40€, comme celui entre la France et l’Irlande, ça n’est pas pareil qu’un match de club où il y a plein d’abonnés, etc.

  4. […] de Rohff Et si nous assumions que nous ne sommes pas une nation de foot? Que notre Stade de France ne ressemble à rien et que notre équipe nationale n’a jamais déclenché aucune ferveur? “Turbo Diesel […]

  5. […] du constat que nous sommes sans doute le pire public au monde, et qu’on a déjà trop entendu de « Allez les bleus » résonner dans les travées du […]

  6. […] SDF, c’est ce stade bon enfant qui accueille les matches bon enfant du Stade Français et le public bon enfant de l’Equipe de France de football. Et où Christophe Barbier rêverait de voir évoluer un PSG bon-enfant. Tout l’inverse de ce […]

  7. Bon article, qui résume très bien les pensées qui me traversent et l’agacement que je peux avoir quand je vais dans ce stade en plastique qu’est le SDF.
    D’ailleurs, personnellement, quand je vais voir un match au stade, c’est peut être à 40% pour le public, l’ambiance, c’est pour ça que j’aime le PSG et que je préfère aller au Parc voir un 0-0 contre Istres qu’au SDF voir un France-Allemagne.

  8. […] c’est la sortie des Footix. Et nous, franchement, les “Allez les Bleus” pleins de mièvrerie, on n’en peut plus. Comme lors du désastreux […]

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