Noël, The Graët One.

Ce papier a été publié la première fois en octobre 2009, à l’occasion d’un improbable France-Iles Féroé à Guingamp, la ville de Noël Le Graët. A l’époque, on pensait que c’était un peu un cadeau de remerciement au Breton pour l’ensemble de son œuvre. Samedi, il est devenu président de la FFF.

Samedi soir, les Iles Féroé reçoivent la France. Où ça ? Au stade du Roudourou, à Guingamp, Côtes d’Armor A l’évidence, il n’existe aucun stade hexagonal où les amateurs vikings puissent se sentir à la maison comme à Guingamp, dans le crachin et la gadoue bretonne.

La Fédé aurait pu les mettre à Cannes, Istres ou Montpellier. Elle a choisi Guingamp. Après Sochaux en 2008, on espère que le tourisme français n’attend pas trop de visiteurs féringiens dans les années à venir. Si le public de cette gentille sous-préfecture de 7.700 habitants aura le plaisir d’assister à l’écrasement des Féroés 1-0 (but d’Anelka à la 90e+4), il le doit à l’inévitable Noël Le Graët.

Pour Guingamp, Le Graët c’est le père Noël. Trop facile peut-être, mais il est peu de dire que la ville, le club et l’homme sont indissociables depuis 1972.

A cette époque, l’En Avant Guingamp vivote en District, dans les tréfonds du foot amateur. Le Graët, 29 ans, prend la présidence. Le petit club commence à faire parler de lui en sortant 4 clubs de D2 en coupe de France 1973. Le Guigamp de Le Graët inspire le film Coup de Tête de Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dewaere. D’accord, ils jouent en bleu et le tournage a eu lieu à Auxerre, mais le club de clampins s’appelle Trincamp…

Noël Le Graët, pater familias à la sauce bretonne

Comme tout président de club de province qui se respecte, Noël Le Graët est patron de PME. A la tête de son entreprise de surgelés il emploie 200 personnes et brasse 155 millions de chiffre d’affaires.

Passionné mais pas philanthrope, Le Graët n’a pas fait de l’En Avant sa danseuse. Bon père de famille, il a construit méticuleusement son club jusqu’à l’accession en D1 en 1995. Sur le terrain, 11 joueurs de biniou s’époumonent derrière l’OM et obtiennent la montée. Wikipédia  qualifie désormais d’ « exceptionnelle » cette génération, celle de Coco Michel, Lionel Rouxel, Nicolas Laspalles, Stéphane Carnot , Christophe Le Roux et du futur champion du monde Stéphane Guivarc’h…

C’est aussi lui qui fait venir Charles-Edouard Coridon, un des leaders techniques de l’équipe, de Martinique. «Quand il est arrivé, se souvient Stéphane Guivarc’h, Charly était en tongs, c’est le président Le Graët qui s’est occupé de tout». Coridon finira par se perdre au PSG mais restera dans les annales du club et de youtube.

Et même si Noël laisse un temps la présidence et les rênes du club à Bertrand Salomon, en 1991, tout le monde sait qui est le boss. Le Graët continue de prendre les décisions importantes, ce que confirme Stéphane Guivarc’h, l’Alan Shearer breton, guingampais de 91 à 95 puis en 2001-2002 : « on savait qu’il était toujours présent, quand on demandait quelque chose au président Salomon, il fallait toujours attendre la réponse ». Le temps de demander à Santa Claus.

Cette gestion saine et équilibrée est une marque de fabrique de Noël Le Graët: «le club ne fait pas beaucoup de bénéfices, mais il ne perd jamais un euro, et c’est déjà pas mal » dit-il. Pour cela, il a tissé une incroyable toile autour de son bijou: plus de 80 entreprises locales sont aujourd’hui propriétaires d’En Avant et contribuent à son budget de 17 milions d’euros, un des plus élevés de L2.

Breton de naissance et de cœur, Noël Le Graët est un homme de réseaux. Dès 1991, il accède aux plus hautes responsabilités, comme patron de la Ligue. C’est à ce moment qu’il laisse la présidence officielle de son club. Il sera acteur et témoin des deux plus grandes dérégulations de l’histoire du football français : l’arrêt Bosman, qui supprime en Europe les contingents de joueurs étrangers, et l’affaire VA-OM qui met fin à la domination sans partage de Marseille sur le championnat de France.

La Ligue est partie civile au procès et c’est même Le Graët lui-même qui achèvera l’OM en envoyant le club pendant deux ans en D2. Tout ça à cause de la coupe de cheveux de Jacques Glassman.

L’affaire lui causera l’une des rares inimitiés qu’on lui connait, celle de José Anigo. En mai 2004, l’OM s’impose 2-1 au Roudourou et renvoie Guingamp en Ligue 2. José déclare :

«Ce qui me ravit ce soir, c’est un retour à l’envoyeur. Je suis désolé pour l’entraîneur et les joueurs de Guingamp, qui méritaient de se sauver. Mais pas pour le président, qui n’a pas tenu compte un jour que l’OM était un grand club. Et le grand club que nous sommes a expédié le sien en D2. »

Le super VRP des Bleus

Le Graët quitte la Ligue en 2000 pour devenir vice-président de la fédération, pit-bull des contrats de partenariat pour Simonet puis Escalettes.

L’ancien fonctionnaire des impôts sait percevoir. C’est lui qui, début 2008, négocie le passage des Bleus chez Nike pour 42,6 millions d’euros par an à partir de 2011 et jusqu’en 2018. 42 millions pour une attaque Loic Rémy- Yanis Tafer. Une belle escroquerie pour Nike, qui raque quatre fois plus qu’Adidas. « C’est un dur en affaires, confie Christophe Le Roux, il ne lâche jamais rien, il est incroyablement pointu et rigoureux».

Noël Le Graët a désormais 68 ans et mérite bien sa légion d’honneur, un grand merci des costards de la fédé. On lui a donc offert un match des Bleus au Roudourou comme récompense pour le devoir accompli, les heures passées les mains dans le cambouis et les matchs de Ligue 2 à supporter toute l’année.

Une sorte de jubilé avant l’heure pour cet homme qui jouit d’une belle côte d’amour dans les Côtes d’Armor. La chance d’une vie comme il l’expliquait lui-même à Ouest France le 6 octobre.

« On ne peut pas faire de ce match le match de Noël Le Graët ! Avec le recul et la candidature française à l’Euro 2016 qui prévoit neuf grands stades, la chance d’une telle opportunité ne se reproduira plus. C’était le match idéal. Au moment où j’ai formulé cette demande, disons qu’il aurait été difficile de refuser cela à Guingamp… ».

Et en plus, il mordrait presque le Noël, quand on manque de respect à son club, comme lorsque Gaël Clichy déclare préférer le grand terrain du Stade de France:

«On n’est pas des ploucs. Il est homologué par l’UEFA et la FIFA, mesure 105 mètres sur 68 mètres, les mêmes dimensions qu’au Parc, qu’à Marseille ou qu’au Stade de France…».

Les 18.000 spectateurs du Roudourou ronronneront donc des « Le Graët, Le Graët » pendant qu’ils s’endormiront devant les passes en profondeur de Jérémy Toulalan.

Le Graët-Domenech, axe gauche du football français

Le football et la politique font bon ménage – demandez aux Nord-coréens. Entre les deux,  il n’ y a qu’un pas, que Noël Le Graët a sauté de 1995 à 2008, comme maire de Guingamp. Avec l’étiquette socialiste s’il vous plait.

Deux mandats et puis s’en va, comme promis, avec entre-temps un retour à la tête du club en 2002.

« Il avait atteint ses objectifs je crois, confie Annie Le Houerou, qui lui a succédé à la Mairie. Il ne voulait pas s’éparpiller, il avait eu des soucis de santé. Il a passé la main pour se focaliser sur ses entreprises et sa passion, le foot »

Une passion qui en fait une éminence grise de la sélection depuis 15 ans. En 2008, il fut l’un des plus ardents défenseurs de la reconduction de Raymond Domenech, qu’il défend contre vents, marées et matchs nuls 0-0.

« C’est mon ami. Il n’y a aucun problème. Je trouve qu’il est bon et il est à son bon poste. J’espère qu’il va se qualifier. »

Nous aussi, ça tombe bien. Le Graët et Domenech s’aiment beaucoup. Peut-être parce qu’ils sont parmi les rares personnalités du foot à se déclarer de gauche.

Pas révolutionnaires non plus. Si on voit bien le théâtral Domenech en nihiliste contrarié, Noël Le Graët est de cette gauche bretonne pragmatique et attachée à des valeurs fondamentales. Selon Annie Le Houerou,  « il est optimiste par nature, très déterminé, pragmatique il se fixe des objectifs et fait tout pour les atteindre. C’est quelqu’un qui est un fin psychologue: il sait analyser ses interlocuteurs pour mieux les convaincre. Mais surtout, c’est quelqu’un de très familial. »

Des valeurs familiales que Noël Le Graët a su insuffler à son club. Christophe Le Roux, grand bourlingueur du foot breton (il a joué à Rennes, Lorient, Nantes et Vannes), a passé au total 8 saisons à Guingamp. Homme de base de l’équipe aux débuts des 90’s, il n’a pas hésité à revenir 3ans en fin de carrière. Comme les Guivarc’h, Carnot ou Laspalles. Happé par les candies du Père Noël.

« C’est le président qui m’a le plus marqué.  Il est franc et honnête. S’il s’estime trahi, il n’hésite pas à descendre gueuler dans le vestiaire. Il a beaucoup de considération pour ses joueurs: en 2004, j’avais 34 ans et j’étais en fin de contrat quand ma fille est tombée gravement malade, il m’a prolongé d’office pour me soutenir».

Le Graët n’a officiellement aucun ennemi. « Je ne connais personne qui dise du mal de lui» reprend Le Roux, « il est très respectueux et donc très respecté» ajoute Guivarc’h, pas rancunier malgré son départ du club après 5 mois mi-figue mi-raisin comme directeur sportif.

Ce qui en fait peut-être le meilleur ambassadeur d’une région qui devrait sinon s’appuyer sur Paul Le Guen, Vincent Guérin, Patrick Le Lay et Bécassine.

En 2009, c’est Noël tous les jours pour Le Graët qui, en plus du match des bleus a remporté la coupe de France au mois de mai, et retrouvé l’Europe pour une bonne branlée face à Hambourg (8-2 sur l’ensemble des deux matchs).

François Mazet

PS1: A mon grand dépit, Noël Le Graët n’a pas souhaité me contacter malgré les promesses de son assistante.

PS2: J’ignore si Noël Le Graët était au stade ce jour là, mais quand on voit Fabrice Fiorèse marquer en retourné, on se dit qu’ils foutent des produits dans leur chouchen à Guingamp.

6 commentaires pour “Noël, The Graët One.”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Plat du Pied et François Mazet. François Mazet a dit: C'est déjà Noël pour Le Graët http://bit.ly/23B54p […]

  2. La satire est bien illustrée et bien documentée, mais bon, tout même, il serait également judicieux de respecter l’homme. C’est dommage de tirer dans les pattes d’une des rares personnalités respectables qui gravite autour du foot par passion. Car il y en a d’autres ….. Une passion qu’il fait profiter à sa région. Un abus peut être, mais au moins les spectateurs sauront appréciés. Et pis 1-0 au roudourou ou au stadium municipal, aprés tout ça ne changera pas grand chose.

  3. Je suis stupéfait par les propos assez injurieux envers la Bretagne et les Bretons, que de clichés Parisiens.
    Crachin, Gadoue Bretonne, Joueurs de binious, tout ça utilisé de manière péjoratives..
    On deviendrait autonomiste après vous avoir lu !!

  4. Je tiens à rassurer le lecteur: l’emploi des clichés pour parler de la Bretagne et des bretons relève tout simplement de l’ironie et d’humour vache de second degré. Que les bretons, et M. Le Graët, soient assurés de mon profond respect.!

  5. […] du football se livre au feu des questions de la rédaction. Premier à passer sur le gril : Noël Le Graët. Il en a pris plein la gueule, Noël. Extraits […]

  6. […] par un tour de passe-passe fédéral à la tête des Bleus, Raymond fourbit ses plus belles armes, se fait foudre de guerre. La France […]

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