Pour Aristote, une monnaie stable permet de fonder une communauté

Les dirigeant grecs devraient peut-être relire Aristote qui décrivait l’utilité de la monnaie dont la valeur stable et reconnue par tous permet de créer une communauté d’échanges et une communauté tout court.

Aristote “Sur la justice. Ethique à Nicomaque”.

“On peut figurer la réciprocité proportionnelle par la combinaison ou le rapprochement des termes, dans le sens de la diagonale: soit A l’architecte, B le cordonnier, C la maison, et D la chaussure (19). Sans doute faut-il que l’architecte reçoive du cordonnier l’espèce de travail que celui-ci est capable de produire, et que, de son côté, il le fasse profiter du produit de son propre travail. Si donc on commence par établir l’égalité proportionnelle, et qu’il en résulte la réciprocité de services, ce sera ce que je veux dire; autrement, il n’y aura ni égalité ni stabilité. Comme il est très possible que le travail de l’un ait plus de valeur que celui de l’autre: il faut établir l’égalité entre eux. C’est ce qui a lieu aussi dans les autres arts; car ils cesseraient d’exister si l’action et le résultat qu’elle produit n’étaient pas l’une et l’autre déterminées ou appréciées sous le rapport de la quantité, aussi bien que sous celui de la qualité.

Et , dans le fait, il ne peut pas y avoir de commerce entre deux médecins, mais bien entre un médecin et un laboureur, et, en général, entre des hommes de professions diverses, et qui ne soient pas égales; mais il y faut rétablir l’égalité.

Voilà pourquoi toutes les choses échangeables doivent, jusqu’à un certain point, pouvoir être comparées entre elles; et c’est ce qui a donné lieu à l’établissement de la monnaie, qui est comme une mesure commune, puisqu’elle sert à tout évaluer, et, par conséquent, le défaut aussi bien que l’excès: par exemple, quelle quantité de chaussures peut être égale à la valeur d’une maison, ou d’une quantité donnée d’aliments. Il faut donc qu’il y ait entre l’architecte [ou le laboureur] et le cordonnier [ou plutôt entre les profits de l’un et des autres], le même rapport qu’il y a entre une maison, ou une quantité d’aliments, et une quantité déterminée de chaussures; car, sans cela, il n’y aura ni commerce ni échange; et cela ne saurait se faire, si l’on n’établit pas, jusqu’à un certain point, l’égalité [entre les produits].

Il doit donc y avoir pour tout, comme on vient de le dire, une commune mesure; et, dans le vrai, c’est le besoin qui est le lien commun de la société: car, si les hommes n’avaient aucuns besoins, ou s’ils n’avaient pas tous des besoins semblables, il n’y aurait point d’échange, ou, du moins, il ne se ferait pas de la même manière. Par l’effet des conventions, la monnaie a été, pour ainsi dire, substituée à ce besoin; et voilà pourquoi on lui a donné le nom de νόμισμα [nomisma] parce qu’elle doit son existence à la loi, νόμῳ, [nomo], et non pas à la nature, et qu’il dépend de nous de la changer, et de lui ôter son utilité.

Or il y aura réciprocité de services, toutes les fois que l’égalité sera rétablie, en sorte que le laboureur se trouvera avec le cordonnier dans le même rapport que le travail du cordonnier avec celui du laboureur.

[1133b] C’est lorsqu’ils viennent à échanger leurs produits que ce rapport doit s’établir sous la forme de proportion : autrement, l’un des extrêmes pécherait par un double excès (20). Mais quand chacun d’eux obtient ce qui lui appartient, alors il y a égalité, et il peut y avoir commerce entre eux, parce qu’il dépend d’eux que cette égalité puisse s’établir. Soit A le laboureur, C la quantité d’aliments, B le cordonnier, D la quantité de son travail égale à la quantité d’aliments;[ il faudra que B soit à A, comme D est à C]; au lieu que, s’il n’était pas possible de régler ainsi la réciprocité, le commerce ne pourrait pas avoir lieu.

Ce qui prouve que le besoin est comme le lien unique qui maintient la société, c’est que, quand deux hommes n’ont aucun besoin l’un de l’autre, ou au moins l’un des deux, ils ne font point d’échange ; il en est de même lorsque l’un ne manque pas de ce que l’autre possède, par exemple, de vin, ce qui donnerait la possibilité à l’autre de proposer son blé. Il faut donc qu’il s’établisse une sorte d’égalité, [entre les besoins comme entre les produits]. Mais en supposant qu’aucun besoin ne se fasse sentir actuellement, l’argent est pour nous comme un garant que l’échange pourra se faire à l’avenir, si l’on est dans le cas d’y avoir recours: car il est permis à celui qui le donne, de prendre ce dont il a besoin. Au reste , l’argent lui-même est sujet aux mêmes vicissitudes [que la denrée]; car il n’a pas toujours une égale valeur: cependant il en conserve ordinairement une plus uniforme. Voilà pourquoi il convient que toutes les choses aient un prix déterminé : car de cette manière les échanges pourront toujours avoir lieu ; et ce n’est que dans ce cas qu’il y a commerce et société.

La monnaie, étant donc comme une mesure qui établit un rapport appréciable entre les choses,  les rend égales. car il n’y aurait point de société sans échange; point d’échange, sans égalité; point d’égalité, sans une commune mesure. A la vérité, il est impossible de rendre commensurables des objets entièrement différents; mais on y réussit assez exactement pour les besoins de la pratique. Il faut donc qu’il existe quelque mesure commune ; mais elle ne l’est que par supposition ou convention. Voilà pourquoi on donne à la monnaie le nom de νόμισμα [νόμος, usage, convention] ; c’est elle qui rend tous les objets commensurable puisqu’ils peuvent être évalués en monnaie.

Soit A une maison , B une somme de dix mines , C un lit : il est évident que A sera la moitié de B, si la maison est du prix de cinq mines, ou égale à ce prix. Supposons que le lit , ou C , soit la dixième partie de B ; on voit dès-lors combien de lits feront une valeur égale à celle de la maison, c’est-à-dire qu’il en faudra cinq. Il est même facile de voir que c’est ainsi que se faisaient les échanges , avant que la monnaie existât; car il importe peu qu’on échange les cinq lits contre la maison , ou contre toute autre chose qui aura la même valeur que cinq lits.”

Aristote

in “L’antiquité grecque et latine du Moyen âge” de Philippe Remacle, Philippe Renault, François-Dominique Fournier, J. P. Murcia,  Thierry Vebr, Caroline Carrat


Un commentaire pour “Pour Aristote, une monnaie stable permet de fonder une communauté”

  1. Merci pour cet article qui rappelle que le moyen est moderne mais la sage pensée est passée. Il faudrait donc effectivement revenir à ce passé pour retrouver le sens qui manque à notre monnaie aussi moderne qu’elle soit dans sa forme.

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