Il faut tuer le messager qui apporte une mauvaise nouvelle. Cette fois c’est au tour des agences de notations. Elles sont trois trois Standard and Poor’, Fitch Ratings et Moody’s et leur rôle est d’évaluer les pays, les entreprises ou les organismes qui se présentent sur les marchés financiers pour emprunter. Moins la note attribuée à un créancier est bonne et plus le coût du crédit sera élevé. A l’inverse plus la note est élevée, moins le risque de défaillance est haut et moins le coût du crédit sera élevé. Elles sont aujourd’hui accusée de plonger la Grèce dans une crise plus profonde encore en amenant ses créanciers à lui imposer des taux d’intérêt de plus en plus élevés. C’est oublier trop rapidement qu’il n’y a besoin d’attendre le résultat des agences de notation pour comprendre que la Grèce, le Portugal, ou l’Irlande se sont placés dans une situation compliquée et laissant se creuser leurs déficits publics sans se soucier d’une dépréciation de leur monnaie puisqu’ils avaient adopté l’Euro. Nous re-publions cet article qui permet à chacun d’évaluer le risque que représente ce que l’on appelle aujourd’hui l’existence d’une bulle souveraine.
Plaçons nous une minute à la place d’un trader spécialiste des monnaies. Il doit préserver les fonds qui lui ont été confiés et choisir, tous les jours, s’il fait confiance au yen, au dollar ou à l’euro. Il n’est pas seul au monde et doit donc suivre ce que les autres traders vont faire. Comme il ne peut avoir raison contre le reste du monde, il suit le mouvement: c’est l’effet mouton de Panurge. Depuis plusieurs jours, on lui dit de regarder un critère et un seul: la dette publique en pourcentage du PIB. Que voit-il? Pas grand-chose de clair en vérité.
La confiance se paye.
Il faut aller un peu plus loin pour mesurer la confiance dont dispose une monnaie. Le taux d’intérêt à long terme des obligations d’État (2011) est un bon indicateur de ce point de vue. Plus il est élevé et plus le prêteur estime que le risque de voir la monnaie perdre de sa valeur est important. Et plus la prime de risque monte.
Premier point, mettons-nous d’accord sur le thermomètre. Optons pour l’OCDE dont la base de données permet de mixer des séries différentes. Seul le taux d’épargne des ménages échappe à la vigilance de l’OCDE.
Les pays de notre échantillon sont classés en fonction de leur niveau d’endettement public comparé à leur PIB. Leur vulnérabilité tient compte des trois critères retenus: taux d’endettement public, taux d’épargne des ménages (s’il est négatif, cela signifie que les particuliers ont plus de dettes que d’épargne) et le taux d’intérêt à long terme des obligations d’Etat. Nous classerons leur vulnérabilité de @@@@@ très fragile, @@@@ cible potentielle, @@@ cible possible, @@ à l’abri, à @ intouchable. La Chine est absente de notre échantillon faute de données fiables et comparables avec celles des pays occidentaux.
Les données de la quadrature financière
Japon (Yen): @@
Dette publique/PIB: 189% en 2009, 197% en 2010, 204% en 2011.
Taux d’intérêt: 1,78% en 2010, 2,5% projection 2011.
Taux d’épargne des ménages: 3%*
Islande (Couronne): @@@@@
Dette publique/PIB: 118% en 2009, 143% en 2010, 146% en 2011.
Taux d’intérêt: 7,7% en 2010, 7,3% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: inconnu.
Italie (Euro): @@@@
Dette publique/PIB: 124%% en 2009 et 127% en 2010, 130% en 2011.
Taux d’intérêt: 4,3% en 2010, 4,9% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 11%.
Grèce (Euro): @@@@@
Dette publique/PIB: 115% en 2009, 123% en 2010, 130% en 2011.
Taux d’intérêt: 5,5% en 2010, 6,1% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 1% en 2006.
Etats-Unis (US Dollar): @@
Dette publique/PIB: 84% en 2009 et 92% en 2010, 100% en 2011.
Taux d’intérêt: 4% en 2010, 4,7% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 4%.
France (Euro): @@@
Dette publique/PIB: 85% en 2009, 92% en 2010, 99,1% en 2011.
Taux d’intérêt: 4% en 2010, 4,7% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 14%.
Portugal (Euro): @@@@
Dette publique/PIB: 84%% en 2009, 91% en 2010, 97% en 2011.
Taux d’intérêt: 4,2% en 2010, 4,7% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: -0,6%.
Royaume Uni (Livre Sterling): @@@@
Dette publique/PIB: 71% en 2009, 83% en 2010, 94% en 2011.
Taux d’intérêt: 4% en 2010, 4,8% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 5%.
Zone Euro: @@@
Dette publique/PIB: 82% en 2009, 88% en 2010, 93% en 2011
Taux d’intérêt: 4% en 2010, 4,7% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages UE: 8%.
Irlande (Euro): @@@@
Dette publique/PIB: 66% en 2009, 81% en 2010, 93% en 2011.
Taux d’intérêt: 4,7% en 2010, 4,9% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 3%.
Allemagne (Euro): @@
Dette publique/PIB: 77% en 2009, 82% en 2010, 85.4% en 2011.
Taux d’intérêt: 3,7% en 2010, 4,4% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 12%.
Espagne (Euro): @@@
Dette publique/PIB: 59%% en 2009, 67% en 2010, 74,3% en 2011.
Taux d’intérêt: 4,2% en 2010, 4,7% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 3%.
Suisse (Franc Suisse): @
Dette publique/PIB: 44% en 2009, 45% en 2010, 45% en 2011.
Taux d’intérêt: 2,6% en 2010, 3,3% proj. 2011.
Taux d’épargne des ménages: 13%.
Le Japon devrait être la première cible avec un taux d’endettement public hors norme de 200%. Mais la quasi totalité de sa dette est détenue par des acteurs japonais en dépit de ce que le faible taux d’épargne des ménages peut laisser penser. Le Japon vit en circuit fermé, là comme dans d’autres domaines. Cela offre au système un solidité à toute épreuve. Ajoutons à cela une constante dépréciation du yen pour doper les exportations. Bref, tout le monde regarde le yen glisser sans s’en émouvoir.
L’Islande a déjà supporté toutes les attaques possibles et imaginables depuis 1 an. Quand l’Etat islandais se présente pour emprunter, il doit proposer un taux d’intérêt de 7,7%, soit une prime de risque de 5,1% par rapport à la Suisse en 2010. L’affaire paraît entendue. D’ailleurs, l’Islande est le seul pays de notre échantillon a avoir devant lui une baisse des taux en 2011.
Le Portugal et la Grèce, avec des taux d’épargne des ménages négatifs ou proche de 1%, sont des cibles idéales. Lisbonne et Athènes n’ont pas les moyens de se défendre. Dans pareille situation un pays peut décider de laisser filer la valeur de sa monnaie. Une solution inapplicable pour les deux pays qui font partis de la zone euro.
Le Royaume-Uni, dont le taux d’endettement est comparable à celui du Portugal, a laissé chuter la livre face à l’euro et doit offrir des taux d’intérêt supérieurs à ceux du Portugal pour se financer: 4,8% contre 4,2%.
L’Espagne est fragilisée par la faible part du revenu des ménages consacrée à l’épargne (3%), même si la dette publique reste dans des proportions supportables. Madrid va rapidement devoir se tourner vers l’Union européenne pour trouver de l’aide. La fièvre espagnole est montée quand le très influent blogueur du New York Times (et prix Nobel d’économie) Paul Krugman a écrit que le vrai problème n’était pas la petite Grèce, mais la grande Espagne.
L’Italie fait partie des PIIGS (pigs signifie cochons en anglais), l’aimable acronyme conçu par les anglo-saxons pour désigner les «mauvais élèves» qui comprend le Portugal, l’Italie, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne (Spain) à cause d’un endettement public qui va dépasser les 130% en 2011. Le taux d’épargne des ménages et sa présence dans la zone euro explique des taux d’intérêt très proche de ceux pratiqués à l’égard de Washington ou de Paris.
La France semble relativement à l’abri des attaques, malgré un ration dette publique/PIB de 100% en 2011, grâce un taux d’épargne des ménages de 14%. La France et les Etats-Unis sont dans un touchant pas de deux. Si la première est protégée par l’euro et ne paye pas de surprime pour emprunter (4,7%), les seconds disposent aujourd’hui d’une protection planétaire. Tout le monde possède des avoirs en dollars, et personne ne va parier sur la baisse du billet vert quand l’euro est menacé. Hier, le dollar était attaqué pour son hégémonie. La Chine et les pays producteurs de pétrole voulaient alors réduire leur dépendance, ils espéraient devenir moins «US dollar addict». Aujourd’hui, le poids du dollar protège le dollar alors que le ration dette publique/PIB va atteindre 100% et que le taux d’épargne des ménages est faible (4%). Sa fragilité devient une force. Personne n’a intérêt aujourd’hui à voir le dollar chuter.
La Suisse peut revendiquer sans contestation possible le titre de championne du monde de l’orthodoxie budgétaire. Un ration dette publique/PIB de 45%, un taux d’épargne des ménages de 13% explique un coût de l’argent à long terme pour Berne de 2,6%. Tout le monde est disposé à prêter à la Confédération helvétique et personne ne viendra s’attaquer à elle. Là comme ailleurs, la Suisse ne veut compter que sur ses propres forces et applique une politique économico-monétaire emprunt d’une infinie prudence.
Au bout du compte, il est possible de construire un indice du pauvre de vulnérabilité : je multiplie le taux d’endettement par la coût du crédit et je divise le résultat par le taux d’épargne.
Cela donne un classement objectif à manier avec circonspection tant il est contestable pour de rigoureux économètres. Si des indices sérieux sont disponibles je suis preneur, mais le plus simple est parfois le plus efficace.
L’indice de vulnérabilité brut et indice 100 la Suisse:
Suisse: 11 points, indice 100
Allemagne: 31 points, indice 282
France: 34 points, indice 309
Italie: 58 points, indice 527
Royaume-Uni: 90 points, indice 818
Etats-Unis: 100 points, indice 909
Espagne: 116 points, indice 1.055
Japon: 170 points, indice 1.545
Portugal: 752 points, indice 6.836
Grèce: 793 points, indice 7.209
PhDx
*Les taux d’épargne sont purement indicatifs. Ils proviennent en général de l’OCDE, mais nous n’avons pas pu trouver une source unique, fiable et homogène.
Je crois que je n’ai pas compris l’indice de vulnérabilité à la fin…
Pourquoi la France a 34 et les Etats-Unis 100. (Si jamais les Etats-Unis sont la base 100, pourquoi la France est trois fois moins vulnérable alors que vous lui mettez un @ de plus )
Merci
Je prends très simplement le taux d’endettement que je multiplie par le coût des emprunts et je divise le tout par le taux d’épargne. Cela semble spectaculaire. Pour les @, il s’agit d’une appréciation plus personnelle et plus conjoncturelle. A l’heure actuelle, la faiblesse du taux d’épargne des ménages est très largement compensée par le fait que c’est l’Euro qui est la cible des traders. Cela dit il s’agit encore une fois d’une appréciation discutable.
Philippe Douroux
Monsieur Douroux,
Pouvez-vous intégrer la nationalité des traders et la masse monétaire qu’ils brassent dans votre estimation ?
Vous comprenez bien que les traders anglo-saxons vont plutôt s’attaquer aux pays latins.
Personnellement, je ne pense pas que ce sentiment pèse d’une manière quelconque.
L’origine de la crise n’est pas initialement dans les déficits publics mais dans les excès des pratiques des grand établissements financiers de la planète que les 3 agences de notations n’ont pas vu venir ou ou bien voulu délibérément cacher et qui ont toujours aveuglement ( pour de conflits d’intérêt évidement) attribué des notes remarquables à ces établissements financiers. Dommage de ne pas l’évoquer dans un article de cette nature.
Précisément, l’objet de ce papier est de montrer que l’on ne peut pas se cacher derrière les notes données par les agences. Les difficultés de pays comme la Grèce, l’Islande ou le Portugal se lisent dans des chiffres qui sont publics. L’origine de la crise est bien dans le comportement irresponsable des gouvernements islandais, grecs ou portugais. Malheureusement.