La Société Générale rejette les accusations venues de New York

La procédure (1), la Seconde plainte amendée pour violation des lois boursières fédérales, engagée devant le Tribunal fédéral de New York (district sud) contre la Société Générale est entrée dans une phase active et publique. Aux Etats-Unis, l’instruction se fait en effet par un échange de documents mis à la disposition de tout un chacun via un site internet (Pacer). Déposée en janvier, la plainte a été  jugée recevable et confiée au juge Richard M. Berman, elle va suivre d’ici à l’été un calendrier précis. La banque et ses dirigeants (2) ont remis les réponses aux accusations dans un document de 40 pages.

Les forgerons américains contre la Société Générale

Les plaignants, emmenés par le Fonds de retraite des enseignants du Vermont, devront à leur tour répondre par un texte de 40 pages également, avant le 28 mai. Ce sera ensuite à la banque et à ses dirigeants de fournir leurs éléments de réponse en 20 pages pour le 26 juin. Le dernier rendez-vous est fixé au 20 juillet avec la réponse à la réponse, de 20 pages également. Le juge Berman pourra alors dire stop ou encore. Si les avocats des plaignants se sont montrés convaincants, ils obtiendront la constitution d’un jury populaire, si, à l’inverse, leurs adversaires emportent l’adhésion du juge, l’affaire s’arrêtera là.

Pour les enseignants du Vermont, épaulés par le Fonds de pension national des chaudronniers et les forgerons ou les ouvriers de l’agroalimentaire et de la distribution de l’union locale UFCW 880 de Cleveland (Ohio), la Société Générale et ses dirigeants ont dissimulé, jusqu’au 24 janvier 2008, l’impact réel de la crise de l’immobilier sur leurs comptes, il ont laissé faire Jérôme Kerviel et ont bénéficié d’informations non publiques (délit d’initié) pour réaliser des plus values alors même que le cours de l’action s’effondrait.

A tous ces griefs, les avocats du cabinet Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom répondent que rien  n’est établi avec suffisamment de sérieux pour que la plainte soit examinée par une cour. La Société Générale n’a pas dissimulé la situation du marché immobilier aux Etats-Unis, elle aurait, au contraire, été l’une des premières banques à en tirer les conséquences au troisième trimestre de 2007. La banque avait alors estimé que, si la crise des subprimes devait coûter 200 milliards d’euros, une hypothèse très pessimiste à l’époque, la Société Générale devrait faire face à une perte de 200 millions d’euros. Problème: cette évaluation allait être avancée jusqu’en décembre 2009, un mois avant l’affichage public d’une provision de 2 milliards d’euros, liée entre autre à l’effondrement de l’immobilier aux Etats-Unis.

Dévoiler ses forces, ne pas gâcher ses munitions

A propos de Jérôme Kerviel, la défense estime que les six niveaux hiérarchiques qui séparaient le trader des dirigeants protégeaient ses derniers qui n’avaient aucune connaissance des agissements du trader. Il est dès lors impossible de faire peser la responsabilité de ce qui va devenir l’affaire Kerviel sur Daniel Bouton ou son état-major. D’ailleurs, pour ses avocats américains, la Commission bancaire, dans son rapport d’enquête de juillet 2008, exonère le management. Peut-être ne sont-ils pas allé jusqu’à la conclusion du rapport qui dénonçait l’insuffisance des contrôles à Delta One, le desk de Jérôme Kerviel, avant d’infliger une amende de 4 millions d’euros à la Société Générale.

Tout au long des 40 pages, les défenseurs de la banque s’attachent en fait à mettre en évidence les insuffisances des plaignants contre les personnes visées. De ce point de vue, les prochaines semaines peuvent se révéler passionnantes. Le jeu, pour les deux parties, consiste en effet à dévoiler ses forces sans utiliser trop rapidement ses munitions. Les attaquants utilisent dans leur plaidoyer six «Confidential witness», désignés par un numéro allant de 1 à 6.  CW-1, CW-2… Chacun étant défini par leur place dans la hiérarchie, leur lieu de travail, leur date d’embauche et de départ du groupe, mais pas leur nom. Les avocats de Skadden doutent ouvertement de la force de leurs témoignages quand il faudra avancer des faits précis pour établir un lien direct entre Jérôme Kerviel et Daniel Bouton.

Quant à la défense de la Société Générale elle-même, elle est plus rapide et moins factuelle. Comme nous le laissions entendre (Lire: “Nous accusons la Société Générale de violation des lois fédérales”) elle se fonde sur le fait que «la plainte n’a pas à être déposée devant une cour américaine et que l’on ne peut opposer les lois fédérales à une entreprise et à des citoyens français qui résident en France, pour des actions négociées à Paris, des informations divulguées en France et dont la culpabilité devrait être établie au regard du droit français». Tout ce serait passé loin des Etats-Unis et rien ne permettrait donc à un juré populaire américain de se prononcer sur la culpabilité de Daniel Bouton. Si, d’aventure, le juge Berman décidait de poursuivre la procédure aux Etats-Unis, le document souligne que différentes cours ont déjà rejeté des plaintes liées à l’effondrement du marché de l’immobilier américain.

La crise était bénigne… à l’époque

L’argumentation sur la frontière et la nationalité des prévenus paraît assez fragile à partir du moment où des caisses de retraite de salariés américains ont placé leurs fonds et leur confiance dans des ADR (American Depositary Receipt), des quasi-actions de la Société Générale. Par ailleurs, le document d’accusation souligne le décalage entre les déclaration faites par le directeur financier de l’époque, Frédéric Oudea, à New York, devant des investisseurs américains, au cours de l’automne 2007. Celui qui est devenu président directeur général du groupe Société Générale soulignait à l’époque que la crise était bénigne et n’affecterait pas les comptes de la banque.

Nous avons souhaité donné la parole aux différentes parties mises en cause en sollicitant la Société Générale. Nous n’avons pas reçu de réponse. Nous avions sollicité un porte-parole de Robert Day, Josh Pekarsky, dans le cadre de la procédure engagée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour «manquement d’initié». Il nous a fait parvenir la réponse suivante : «A aucun moment Robert Day ne s’est fondé sur des informations non publiques pour réaliser des opérations. Les cessions d’actions réalisées en décembre 2007 et janvier 2008 ont été réalisées au cours de périodes expressément autorisée par le règlement du conseil d’administration. Après avoir réalisé ces ventes, M. Day a conservé la moitié de ces titres et est demeuré l’un des premiers actionnaires individuels de la Société Générale.» (3) Robert Day a cédé pour 140 millions d’euros d’actions Société Générale entre le 9 et le 18 janvier 2008 juste avant que ne soit rendu publiques les pertes liées aux opération réalisées par Jérôme Kerviel (4,9 milliards d’euros) et celles attachées à la crise des subprimes (1,1 milliard).

PhDx

(1) In re Societe Generale Securities Litigation. 1:2008-cv-02495

(2) Daniel Bouton, PDG, Philippe Citerne, Didier Alix, tous deux directeur général délégué, Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint et Robert Day, administrateur. Tous ont aujourd’hui quitté l’entreprise.

(3) Voici la réponse intégrale de Robert Day, transmise par Josh Pekarsky, son porte parole : “At no time did Robert Day trade on inside information in SocGen shares. Mr. Day’s share sales in December 2007 and January 2008 were made during an open window period set and approved by SocGen for director share sales. After these trades, Mr. Day maintained over half of his shares in the company and remained one of the largest individual shareholders of SocGen. We are confident that these civil proceedings will be put to rest once the matter has been reviewed by the entire AMF.  The AMF has not raised any concerns regarding the previous reports related to the Kerviel matter or disclosures made to the SocGen Board in January 2008 regarding SocGen’s potential subprime exposure. Rather, the new grievance is based on the illogical suggestion that information provided to the SocGen board in September 2007 was not inside information then, but somehow became inside information at the end of 2007. Mr. Day vehemently denies this false grievance, and will be seeking dismissal of these allegations. Mr. Day cooperated completely with the AMF’s inquiry”

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