Bernard Arnault invente la délocalisation financière

USA/La holding qui contrôle le groupe LVMH a décidé de se placer sous la tutelle des autorités financières belge et luxembourgeoise. Désormais, quand la Financière Agache mène une opération financière, elle n’a plus de compte à rendre à l’AMF, mais à la CBFA de Bruxelles.

LVMH et Christian Dior sont-il des entreprises françaises? Pour le savoir-faire? Oui. Pour l’emploi? Oui, essentiellement. Pour les capitaux? Encore, oui. Pour la règlementation financière? Elles sont devenues belges, un peu. La Financière Agache, qui détient 70% de Christian Dior et qui elle-même contrôle Chritian Dior Couture et LVMH, a choisi de se soumettre au droit belge en ce qui concerne «les obligations qui s’imposent aux émetteurs d’instruments financiers». En clair, Financière Agache ne dépend plus de l’Autorité des marchés financiers (AMF), mais de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) de Bruxelles, comme le met en évidence une note d’OFG Recherche que nous avons pu consulter.

La délocalisation règlementaire date du 1er janvier 2008. Financière Agache a en effet décidé de choisir la Belgique comme «Etat membre d’origine» comme l’y autorisait une directive européenne de 2004 (2004/109/CE, dite «Transparence»). Si le siège social de la société reste en France, elle doit maintenant respecter les lois et la règlementation belges pour toutes les opérations financières. Première illustration de cette situation un tantinet baroque: l’émission d’obligation que la Financière Agache vient de réaliser en Belgique et au Grand Duché du Luxembourg, sous le contrôle de la CBFA. Il s’agit d’une émission obligataire d’un montant de 200 millions d’euros (à 5 ans, avec un rendement annuel de 4,7%), coté à la Bourse de Luxembourg. Un dernier détail, l’opération est menée par BNP Fortis. La BNP est en effet devenue franco-belge avec la reprise de Fortis et se trouve elle-même à cheval sur la frontière.

Pourquoi lever 200 millions d’euros et pourquoi le faire en Belgique? Nous avons contacté un porte-parole de Bernard Arnault par téléphone et par mail, sans obtenir de réponse de sa part. Le fait est que si la frontière a disparu entre la France et la Belgique pour la circulation des hommes et des marchandises, il n’en va pas de même pour les produits financiers. Comme le souligne le prospectus d’information attaché à l’émission d’obligations:

«Les Nouvelles Obligations (celles émises en Belgique et au Luxembourg) n’ont pas été, et ne seront pas, offertes ou vendues, directement ou indirectement, au public en France et seuls des investisseurs qualifiés, (…)  agissant pour leur compte propre, peuvent acquérir les Nouvelles Obligations. Ni ce Prospectus de Cotation, ni les informations qui y sont contenues, ni aucun autre document relatif aux Nouvelles Obligations n’est destiné à être publié, transmis ou distribué au public en France ou utilisé dans le cadre d’une offre publique de souscription ou de vente des Nouvelles Obligations en France.»

Voilà, une barricade, un mur, une muraille étrange.

Reste à comprendre le pourquoi de l’opération. Elle semble motivée par la situation délicate dans laquelle le groupe de Bernard Arnault se retrouve à la suite de l’investissement dans Carrefour. En février 2007, l’homme d’affaires décide d’investir dans le groupe de distribution au côté de Sébastien Bazin, le patron de Colony Capital. L’affaire promet d’être belle. L’action Carrefour vaut 45€ au début du mois de février quand la décision d’entrer dans le capital de Carrefour est arrêtée, puis 55€ à la mi-mars et près de 60€ fin avril… Ensuite, c’est la dégringolade quasi ininterrompue et aujourd’hui avec 13% du capital à 38€ l’action, Bernard Arnault et Sébastien Bazin se trouvent dans une impasse puisque l’assaut a été financé en s’endettant. En principe, le coup est imparable.

100 millions d’euros par an à trouver

Mettez-vous un instant à la place de l’homme le plus riche de France.  Vous (Bernard Arnault) empruntez  2 milliards (un chiffre ni confirmé ni démenti) et vous choisissez «une belle assoupie». Vous secouez un peu le management et vous faites rectifier la stratégie. En général, l’action remonte. Colony Capital est un spécialiste des plus values sur l’immobilier et dans Carrefour, de l’immobilier, il y en a par dizaine de milliers de mètres carrés. Si cela ne fonctionne pas (à cause entre autres de l’effondrement du marché immobilier américain) vous pesez sur la direction de l’entreprise (Bernard Arnault et son partenaire détiennent 20% des droits de vote) pour l’inciter à céder des actifs. En général, le titre remonte et vous pouvez compter sur des dividendes exceptionnels liés aux cessions exceptionnelles. Vous pouvez ensuite vous retirer fortune faite.

Le schéma n’a pas fonctionné exactement comme les deux assaillants l’avaient espéré. Au contraire, ils ont vu l’action décrocher et Lars Olofsson, administrateur directeur général de Carrefour, a refusé de céder les filiales chinoise et brésilienne. Tout juste a-t-il accepté une retraite de Russie où le groupe venait d’ouvrir deux magasins et envisagerait aujourd’hui de quitter le Portugal. Pas de quoi renvoyer l’action vers les 50€ payés en 2007. Il faut donc supporter l’ardoise. Et 2 milliards empruntés vous coûte aujourd’hui entre 140 et 150 millions d’euros par an! Les dividendes versés par Carrefour rapportent entre 45 millions d’euros, mais il reste à trouver une centaine de millions d’euros par an! La dette (3,4 milliards d’euros) de Financière Agache devient un problème. D’où un certain nombre de cessions. Durant l’été 2009, la holding a ainsi cédé sa participation dans Château Cheval Blanc, l’un des plus prestigieux crus classés de Saint Emilion, à LVMH pour 238 millions d’euros (cf. Document de référence LVMH, p. 125). Dans quelques semaines, Go Voyages, dont la Financière Agache et Albert Frère, le très fidèle compère de Bernard Arnault, détiennent 62% du capital devrait passer sur le contrôle d’AXA Private Equity (lire Reuters). Cela fera rentrer du cash et allègera la dette.

Philippe Douroux

Photo: un sac Vuitton, 2008. REUTERS/Fred Prouser



5 commentaires pour “Bernard Arnault invente la délocalisation financière”

  1. […] Original post by Philippe Douroux […]

  2. […] Original post by Philippe Douroux […]

  3. C’est intéressant… ou pas.
    Car, ce que vous dîtes pas, c’est que la fameuse Financière Agache, tout comme LVMH, ça fait partie du Groupe Arnault, bref, c’est toujours le même patron. On a pas vraiment affaire à de la délocalisation financière ici, mais c’est plutôt comme si, ayant des comptes bancaires dans plusieurs pays, on décide de renflouer le compte belge avec le compte français…
    Et puis, on sait tous que le Luxembourg est notre petit paradis fiscal européen, alors pourquoi pas la Belgique ? (elle est bien mise ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradis_fiscal#Les_quatre_crit.C3.A8res_de_l.27OCDE même à côté de la France ! Comme quoi…)

  4. Ce qui est intéressant en l’occurrence n’est pas d’aller chercher de l’argent en Belgique ou au Luxembourg. Cela se fait depuis toujours.
    Non, la nouveauté réside dans le fait de dire: mon autorité de tutelle en matière financière est la Belgique et le Luxembourg. Cela c’est nouveau surtout quand c’est pratiqué par un groupe emblématique comme celui de Bernard Arnault.
    PhDx

  5. Si en plus Lars Olofsson refuse une partie des demandes de Colony et LVMH, c’est dur. Est-ce que Carrefour va garder son siège social en France ??

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