Article paru sur Slate.fr
Prenons les dossiers dans l’ordre. Combien gagne Henri Proglio? Beaucoup. Mais encore? Avant jeudi soir, l’addition de ses salaires comme PDG d’EDF et en tant que président du conseil d’administration de Veolia Environnement s’élevait à 2,05 millions d’euros. 1,6 millions comme électricien, 450.000 euros pour l’eau et les déchets. Et voilà qu’il renonce aux 450.000 euros.
Cela dit, il faut garder son calme. Le salaire d’un patron n’est qu’une partie de sa rémunération. Ainsi, en 2008, Henri Proglio a-t-il empoché 992.000 euros de salaire fixe, 1,4 million pour la partie variable de son salaire, 83.600 euros pour sa présence dans différents conseil d’administration et 3,6 millions au titre de l’exercice de stock-options. Soit au total un peu plus de 6 millions d’euros. L’année précédente, en 2007, ses stock-options lui avaient permis de gagner 10 millions d’euros quand son salaire, fixe et variable, atteignait 2,4 millions d’euros. Encore un détail, à ces sommes s’ajoutent 3.050 euros d’avantages en nature. En clair, il s’agit la plupart du temps d’une indemnisation pour une voiture de fonction. Ça paraît mesquin et ça l’est. Son départ aurait également un coût faramineux. En effet, si Proglio reste chez Veolia jusqu’à sa retraite, et seulement à cette condition, il touchera 13,1 millions d’euros. C’est écrit en toute lettre à la page 130 du Document de référence 2008 de Veolia Environnement (pdf).
Alors un patron gagne-t-il trop? Oui, évidemment a-t-on envie de dire. En 2008, selon le cabinet Proxinvest, Bernard Arnault a gagné 16,8 millions d’euros, Arnaud Lagardère 13,3 millions d’euros et Henri de Castries 7,4 millions d’euros. En moyenne les patrons du CAC40 ont gagné 3,6 millions d’euros contre 4,7 millions un an plus tôt. Est-ce trop? Pas assez? Si l’on élargit un peu le panel, les présidents des grandes entreprises françaises ne viennent qu’au sixième rang du classement européen, avec 2,3 millions d’euros.
Comment peut-on évaluer si un patron gagne trop ou pas assez? Le plus simple est de regarder la valeur de l’entreprise qu’il dirige depuis l’instant où il en a pris les rênes. Cela évite la démagogie. Prenons donc le cas d’Henri Proglio. Quand notre capitaine d’industrie a pris son indépendance vis-à-vis de Vivendi, il a eu une bonne inspiration. Jean-Marie Messier se lançait à l’a tête de l’ancienne Générale des eaux à la conquête du monde des paillettes et des images. Avec Canal+, ou l’Olympia en France, Universal Studio et Universal Music aux Etats-Unis, il a l’idée de vouloir remplir avec des contenus les tuyaux d’Internet et de la télévision numérique. Alors forcément, les eaux usées et les poubelles rentraient moyennement dans son plan à 10 ans.
Qu’à cela ne tienne, Henri Proglio connaît le job et introduit en Bourse l’ancienne Générale des eaux et la renomme Veolia Environnement. Prenez le classement de Challenges, réalisé avec la Coface Services, spécialisée dans la notation des entreprises. Chaque année sont analysées les performances d’une trentaine de patrons du CAC40. Et bien, Henri Proglio termine cette année 27e sur 30. Au moins, il n’est pas dernier.
Les actionnaires de Veolia ont-ils de quoi se réjouir en dépit de cette performance médiocre? Sûrement pas. La performance boursière (annualisée sur 3 ans, 2006-2007-2008) a vu un recul de la valeur des titres de 16,8%. Son prédécesseur chez EDF, Pierre Gadonneix, termine 21e du même classement et a fait progresser la valeur de l’entreprise de 9,2% par an. C’est mieux pour revendiquer deux casquettes. Il n’y donc pas là de quoi justifier un salaire de 2 millions d’euros et un revenu de 6 ou 10 millions. Peut-être même pas de 450.000 euros…
Cette performance nous amène à la seconde question. Henri Proglio peut-il diriger deux entreprises plutôt qu’une? Du point de vue de la performance, cela n’a pas de sens. Comment peut-on justifier que Henri Proglio devienne le patron d’EDF et conserve la présidence de Veolia? L’homme est est un proche de Nicolas Sarkozy, très proche. Le président de la République devrait d’ailleurs revoir ses critères quand il choisit ses amis patrons. Arnaud Lagardère, le «frère» du président est avant-dernier du classement de Challenges. Autre héritier, Martin Bouygues fait mieux avec la 18e place.
Peut-on diriger deux entreprises du CAC40? Evidemment pas. EDF et Veolia peuvent être en concurrence, avoir des intérêts divergents, comment le président de l’une peut-il décider contre l’autre? On évoque des rapprochements stratégiques. Mais le patron d’EDF peut-il négocier avec celui de Veolia quand il est une et même personne? Comment résoudre ces questions que Christine Lagarde connaît par cœur?
L’ancienne présidente Baker & McKenzie, un grand cabinet d’avocats de Chicago, avait demandé à ce que le président de Veolia devienne «non exécutif» déléguant l’essentiel de ses pouvoirs à un directeur général. Le président non executif n’apparaît plus dans la gestion courante des affaires et se contente de présider le conseil d’administration. Henri Proglio a bien nommé un directeur général, Antoine Frérot, mais en prenant soin de ne pas le faire entrer au conseil d’administration de Veolia. Pour que les choses soient claires, il a même fait entrer en décembre un nouvel administrateur, une femme, Esther Koplowitz. Le patron c’est lui, et Antoine Frérot connaît sa place. En n’étant pas membre du conseil d’administration il est un peu comme un Premier ministre qui n’assisterait pas au Conseil des ministre. Un Premier ministre qui serait le collaborateur du président de la République, comme l’expliquait Nicolas Sarkozy de François Fillon. C’était il y a longtemps, c’était l’année dernière, quand le locataire de l’Elysée pensait que son fils pouvait légitimement devenir président de l’Epad.
PhDx