Vis ma vie de narco

Osito

Une grande partie de la cocaïne importée en Europe entre 1999 et 2003, c’est lui. Osito, l’Ourson en espagnol, aujourd’hui retiré des affaires, raconte le quotidien d’un narcotrafiquant dans un livre choc*. Rencontre avec un homme pas ordinaire.

Rendez-vous est pris quelque part dans Paris par une journée pluvieuse de novembre. Les SMS s’échangent à la vitesse de l’éclair.

– Il est où ce bar, je ne le vois pas ?

– Non, on se voit plutôt directement au bureau.

– J’arrive dans 20 minutes, je préfère qu’on se retrouve dans un endroit plus discret.

Si Osito n’est officiellement plus en activité, les vieilles habitudes ne se perdent pas. Il n’aime pas la foule et les endroits trop publics. La discrétion est la règle quand on transporte de la drogue et qu’on blanchit de l’argent. Ou quand on organise un trafic de voiture de luxe. Ou qu’on a été spécialiste des faux papiers. Autant de cordes à son arc, doublé d’un cursus à Dauphine, faculté émérite en sciences économiques, font de l’aujourd’hui trentenaire, une figure à part du milieu. L’histoire de l’Ourson, un surnom donné par ses associés colombiens, démarre à Moscou en 1974. Il est né là puis passe une partie de son enfance en France. Un garçon intelligent, un père absent. « Il y avait un décalage entre moi et les mômes de mon âge », affirme-t-il. De faussaire au trafic de cocaïne en passant par l’organisation de « go fast » (transport de cannabis entre l’Espagne et la France en voiture), il raconte son parcours semé d’embûches dans un livre témoignage écrit comme il parle. Un récit coup de poing, haletant. Champagne et calibre. Sexe, drogue et… prison. Les villas, les yachts, les filles, mais aussi la face cachée de ce métier, bien moins reluisante, violente, presque inhumaine, les bordels, les putes, les transactions dans des endroits glauques. « J’ai voulu embarquer le lecteur avec moi, qu’il voit à travers mes yeux ce que je voyais de ce milieu. » D’où un style brut, parfois gênant, et de nombreuses interpellations directes au lecteur.

Ce livre est dédié à sa fille. Comme un déclencheur, une thérapie. « J’avais besoin d’évacuer certaines images sombres de ma tête, des cauchemars. Mais aussi de me responsabiliser par rapport à mes enfants. » D’accord, mais on n’écrit pas un tel récit, très détaillé, sans prendre des risques. « Je le répète souvent, je suis un survivant, pas un repenti. J’ai demandé l’autorisation à certaines personnes d’écrire ce bouquin, elles ont accepté. » Traduction : le cartel colombien avec qui Osito a travaillé lui a permis de publier son histoire. Des noms ont été modifiés, pas tous, mais tout ce qu’il donne à voir est vrai.

Outre le témoignage inédit, tout l’intérêt du livre réside dans le recul et l’analyse de celui qui fut l’un des plus importants importateur de cocaïne de la fin des années 90. Lucide Osito, critique aussi avec les nouveaux maîtres du trafic. « Dans les années 90, le calibre était le dernier recours, explique-t-il. On faisait tout pour ne pas avoir à s’en servir. On négociait avant de dégainer. Aujourd’hui, les choses ont changé. » D’accord, mais tout n’était pas rose non plus et, des morts, il y en a eu et il y en a dans son livre. Les balles ont fusé. C’est d’ailleurs au cours d’une fusillade qu’Osito est devenu Osito. « Un coup de chance. » Avec son équipe, il sauve la vie d’Alex, un Colombien dont la transaction avec des Turcs a mal tourné. Pour le remercier, « tu es mon petit frère maintenant », le narco lui offre 20 kilos de coke et une entrée au sein du cartel pour lequel il travaille. Alex est arrivé au bon moment, Osito commençait à en avoir marre des go fast. « C’est fatiguant la route. » Il passe du cannabis à la poudre, une marche de plus dans le milieu.

« J’étais un chien fou, mais je ne regrette rien. Nous avons vécu, aussi, une véritable aventure humaine, nous fonctionnions comme une fratrie. » Adrénaline, grosses cylindrées et… produit de qualité. La nouvelle marotte d’Osito, surprenante. « Quand tu es dans ce milieu, tu apprends à connaître parfaitement le produit que tu vends. De nos jours, les conditions sanitaires se sont détériorées. » Entendez par là que la poudre est coupée avec n’importe quoi, les produits sont de plus en plus synthétiques. « Si l’Etat ne fait rien, les conditions vont encore se dégrader. » Légaliser ? « C’est une possibilité. Regarde le Portugal, ils ont autorisé la consommation et fait chuter le nombre de toxicos par la même occasion. » Un narco qui milite pour la légalisation des drogues et qui s’inquiète publiquement des consommateurs… Osito est décidément un ex trafiquant pas comme les autres.

Aujourd’hui, il vit en Espagne. Après avoir divorcé, il s’occupe de ses enfants et travaille légalement dans le conseil financier. « Tu sais, c’est quasiment identique à ce que je faisais avant. Nous utilisions le même vocabulaire que le business legal. Il n’y a pas de grande différences… Un narco est un patron avec une clientèle et des parts de marché. » Et d’ajouter, non sans un certain humour : « la différence c’est que, parfois, le service recouvrement prend la forme d’hommes de main ou de tueurs à gages. » S’il réussit dans la légalité aussi bien que dans le trafic de drogue, Osito a un bel avenir devant lui.

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* Osito. De l’Europe à l’Amérique du sud. Confessions d’un narcotrafiquant, éditions Florent Massot, 416 pages, 19,50 €

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