Polardeux et écrivains de France et de Navarre, réjouissez-vous. Après l’audience à la 17e chambre correctionnelle de Paris hier, il semblerait que vous pourrez continuer à écrire des polars. Retour sur une affaire rocambolesque dont le dénouement n’a pas encore eu lieu, mais qui commence à sentir bon pour la principale intéressée, l’auteure Lalie Walker.
“Un grand moment de surréalisme juridico-littéraire.” Voilà ce que déclarait l’avocat Emmanuel Pierrat à la veille de l’audience. Il ne croyait pas si bien dire… C’est vendredi 15 octobre en début d’après-midi qu’a effectivement eu lieu l’une des audiences pour “injures et diffamation” les plus étranges qu’il soit. Rappelez-vous, j’en avait parlé ici, Lalie Walker, romancière, était poursuivi par les patrons du Marché Saint-Pierre, le célèbre magasin de tissus de Montmartre, car elle avait eu l’idée (saugrenue ;-)) de faire évoluer ses personnages dans ce lieu. Pas du goût de Salomon Elbaz et Robert Gabbay, les deux plaignants. Ces deux-là, ne doutant de rien, réclamaient ni plus ni moins que le retrait du livre et 2 millions d’euros de dommages et intérêts. Ben voyons. Comme si les monuments historiques attaquaient Dan Brown pour avoir fait assassiner le conservateur du musée du Louvre dans le Da Vinci Code ou comme si l’Etat Egyptien portait plainte contre Agatha Christie, coupable d’avoir écrit Meurtre sur le Nil…
Au-delà de l’ironie, cette attaque, valable juridiquement, et surtout le jugement qui pourrait en découler, pose la question de la liberté de création. Si Lalie Walker venait à être condamnée, c’en est fini des romans ancrés dans le réel. Et donc, plus que d’autres types de littératures, c’est la mort annoncée du polar. C’est sans doute la raison pour laquelle plusieurs écrivains étaient présents dans la salle du tribunal hier, au premier rang desquels Jean-Bernard Pouy, papa du Poulpe (et auteur d’un succulent Spinoza encule Hegel, gare à toi JB, tu vas avoir des problèmes).
Heureusement, la justice de notre pays a, parfois, des instants de lucidité. Et Lalie Walker était bien défendue par un Me Pierrat en pleine forme, provoquant plusieurs fois les rires dans le prétoir, surtout quand il a commencé à énumérer les titres de polars se déroulant dans des lieux connus (Meurtre dans le TGV et Panique à la Banque du sperme ont connu un franc succès). Même la procureure et le président n’ont pu s’empêcher de relever l’ironie de la situation.
“Ce n’est plus un polar, c’est de la science-fiction. Deux millions d’euros de dommages et intérets, c’est un demi-siècle de bénéfices de Parigramme [l’éditeur].”
Mais que fait Jérôme Kerviel ? Vite, il faut sauver Lalie, et hop, une ou deux opérations ni vu ni connu et… Pas de panique, la relaxe a été plaidée et la proc en personne a reconnu l’absence de faits précis pouvant constituer une attaque diffamatoire. Malgré la prestation, elle aussi remarquée, de l’avocate des plaignants (absents), dénonçant “une mise en scène grand-guignolesque ayant pour finalité la chute annoncée du Marché St Pierre.” Heu… un poil exagéré non ?
Rassurée, Lalie Walker n’en demeure pas moins marquée par cette attaque. “J’ai tout de même été citée à comparaître en correctionnelle, ce n’est pas rien”, déclarait-elle à la sortie de l’audience. Le jugement sera rendu le 19 novembre. D’ici là, n’hésitez pas à acheter son roman qui, on l’oublie à cause de cette affaire, est un très bon polar.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Angele Paoli, corsicapolar.eu. corsicapolar.eu a dit: Je lis https://blog.slate.fr/mauvais-genre/2010/10/16/relaxe-lalie/ […]