Dennis Lehane, maître des ténèbres

Alors que sort sur les écrans l’adaptation de son roman, Shutter Island, il était temps de rendre hommage à l’un des maîtres du nouveau roman noir américain.

Lehane Dennis

Il n’a pas vraiment la gueule de l’emploi, Dennis Lehane. Pas le visage burriné par les milliers d’heures à arpenter le bitume ni marqué par d’innombrables nuits blanches à tâter de la bouteille de whysky (irlandais de préférence), pas de cernes, pas de barbe de plusieurs jours, pas la voix éraillée par les cigarettes consommées les unes derrière les autres. Non, Dennis Lehane ne ressemble en fait à rien. Ou plutôt si, à Monsieur-tout-le-monde. Seule particularité (et encore), il s’habille souvent en noir, jean’s, baskets, pull, blouson de cuir. A part ça, rien de spécial à signaler. Le portrait-robot est d’une banalité affligeante.

Pourtant, derrière ces airs de type normal se cache l’un des auteurs de romans noirs américains les plus doués de sa génération. Ses romans, parmi lesquels Gone Baby Gone, Ténèbres, prenez-moi la main ou le désormais mythique Mystic River, adapté au cinéma par Clint Eastwood, sont d’une qualité rare, tant dans l’écriture, incisive, que dans la construction de l’intrigue, le sens du rebondissement et la psychologie de ses personnages. Autant d’atouts qui lui valent désormais le surnom de Master of the new noir, Maître du nouveau [roman] noir. Et c’est mérité. Shutter Island adapté par Martin Scorcese (sur les écrans le 24 février), est sans doute l’un de ses meilleurs livres. François Guérif, son éditeur chez Rivages, affirme que ce roman commence à la Edgar Allan Poe pour finir en thriller moderne après avoir passé en revue tout le spectre des genres de la littérature noire.

Après des études à Boston et en Floride, Dennis Lehane, né le 4 août 1965 à Dorchester (Massachussets), d’origine irlandaise, se destine à l’enseignement. De retour à Boston, sa ville, là où il a grandi, c’est une tout autre vie qui l’attend. Une vie faite de petits boulots qui s’enchaînent sans véritable logique : disc-jockey, gardien de parking, chauffeur de limousine, éducateur dans un centre pour enfants maltraités, etc. Puis il décide de se consacrer à l’écriture. Merci Dennis, une décision que tes (nombreux) lecteurs approuvent à 100 % ! En à peine quinze ans, le quadragénaire, père de l’un des couple de détectives les plus célèbres de la littérature policière moderne, Patrick Kenzie et Angela Gennaro, est passé de l’ombre à la lumière, des galères à une vie confortable.

Outre ses qualités d’écriture, Leahne est avant tout l’écrivain d’une ville, Boston, où il situe quasiment toutes ses intrigues. Même Shutter Island se déroule dans une île située au large de Boston. Tout comme son dernier roman paru en France, Un pays à l’aube. Cette fois, il délaisse le noir pour plonger le lecteur dans une fresque historique et découvrir le Boston d’après-guerre et l’Amérique des années 1920. De son enfance passée dans un quartier jouxtant une prison, qu’il qualifie de “violent et drôle”, il garde un bon souvenir et de nombreux amis. Drôle. Le mot n’est pas habituel dans la bouche d’un auteur de polars. Pourtant, l’humour fait partie intégrante de l’oeuvre de Lehane. Il dit lui-même qu’il tente de s’amuser des choses les plus insupportables. Pas étonnant d’ailleurs de trouver dans ses réponses à l’éternelle question des auteurs qui l’ont influencé, Donald Westlake et Elmore Leonard, deux immenses écrivains du genre qui savaient faire rire leurs lecteurs malgré des histoires parfois très sombres.

Si le succès est au rendez-vous aujourd’hui, l’auteur le doit aussi en partie au cinéma. Pourtant, ses relations avec Hollywood avaient mal démarré. Après le refus par les studios de deux de ses scripts, il était si en colère qu’il demanda à son agent de refuser toute demande d’adaptation. Il avait fait sienne la formule de Westlake sur les adaptations cinématographiques de romans : “l’écrivain est comme Dieu, le scénariste comme le tailleur de Dieu. Ne me demandez pas pourquoi le tailleur est mieux payé que Dieu !” Heureusement, la persévérance de Clint Eastwood a porté ses fruits. Devant l’assurance du réalisateur de respecter son livre au plus près, Lehane accepta qu’il en fasse un film, à condition de suivre de près l’affaire : choix du scnéariste, scénario, tournage et même montage, il était impliqué à chaque grande décision. Résultat, un beau film et un auteur satisfait.

La réussite s’accompagne aussi de quelques mauvaises critiques. Au New York Times, deux journalistes sont en charge des polars et s’écharpent continuellement sur le cas Dennis Lehane. Pour l’un, c’est un génie, pour l’autre, ce qui est arrivé de pire à la littérature depuis l’invention de la télévision. Pour nous, c’est un maître.

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