Ellroy est grand

Quand James Ellroy présente ses textes, on l’écoute, on rit (jaune), on crie et on applaudit. Récit d’une soirée en compagnie du maître du polar américain.

USA“Bonsoir voyeurs, rôdeurs, pédérastes, renifleurs de petites culottes, punks et maquereaux !” Le ton est donné. Dès son arrivée sur la scène de la salle Renaud-Barrat du théâtre du Rond-Point lundi 11 janvier, accueilli par une salve d’applaudissements et par son hôte du soir, Jean-Michel Ribes, James Ellroy avance sa grande carcasse, se baisse, fait bouger ses jambes dans une imitation comique de tremblements et se poste derrière un pupitre.

Il ouvre son exemplaire de Blood’s a rover [PDF], dernier tome de sa trilogie Underworld USA (dont la version française a gardé le nom pour ce livre publié le 6 janvier aux éditions Rivages) et le spectacle commence. “America ! hurle l’écrivain, avant d’annoncer que “les pages qui vont suivrent vous contraindront à succomber. Je vais tout vous raconter.” Durant près de 45 minutes, l’auteur se démène sur scène, bataillant avec son texte comme un matador dans l’arène.

ellroyLes 800 spectateurs présents n’assistent pas à une lecture classique. Ellroy ne lit pas, il joue, il incarne ses personnages, les imite, renifle, mime les scènes, s’agite, bouge les bras, vocifère, ronfle. Ce bonhomme au crâne rasé de près de 2 mètres, qui ne sait pas quoi faire de ses grandes guiboles quand il est assis, avec son noeud papillon noir, sa chemise blanche, son blazer, son pantalon clair et ses lunettes rondes est un génie. Ou un fou. Ou les deux à la fois. Jambes écartées derrière son pupitre, il ressemble à un cow-boy près à dégainer à tout instant. Ne lui manque que le chapeau. Car pour ce qui est du reste, ses mots sifflent par moment comme des balles de .38 mm, parfois comme une rafale d’AK47, selon le débit qu’il veut bien imprimer à son récit. Un spectacle si intense que Ribes s’est même déclaré prêt à embaucher Ellroy pour le faire jouer sur la scène de son théâtre. “Je connaissais et admirais l’auteur, je viens de découvir l’acteur. Vous êtes un grand comédien, revenez quand vous voulez.”

Une fois la lecture terminée, the show must go on. Ellroy s’est prêté volontiers au jeu des questions du public et a continué à faire des siennes. Blagues salaces sur son éditeur, François Guérif, présent à ses côtés, provocations politiques, délire imaginatif et drôle à propos de Barack Obama (“vous voulez parler du chimpanzé de la Maison Blanche ?”, ironise-t-il faisant référence à la sortie pour le moins douteuse de Silvio Berlusconi), tout y est passé. “John F. Kennedy n’a eu que ce qu’il méritait, affirme-t-il. Cet épisade [son assassinat] est sans doute l’évènement poltique le plus médiatisé et instrumentalisé de l’histoire américaine. En réalité, il a fait le con avec des hommes d’affaires cubains exilés, il n’a eu que ce qu’il méritait.”

Mais la soirée ne se résume pas uniquement à des propos tonitruants. Elle a également été l’occasion de parler sérieusement littérature, du style d’écriture d’Ellroy, de sa manière de travailler. Car ce dernier volume, Underworld USA, est un excellent roman, un grand Ellroy. Huit ans après le décevant American Death Trip, le livre démarre au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King pour se terminer en 1972, au moment où Nixon devient président, deux ans avant le Watergate. Plus facile à lire, dans un style plus travaillé et moins télégraphique que le précédent, il est servit par une traduction impeccable de Jean-Paul Gratias, à qui l’auteur lui-même a rendu hommage. Le lecteur se laisse embarquer par l’inventivité des mots, la fluidité des phrases, leur sonorité. Autant de qualité qui prennent tout leur sens quand on écoute Ellroy clamer son texte. Plus qu’un roman chorale, Ellroy nous livre ici une épopée politico-historique musicale, l’un de ses meilleurs manuscrits.

Et un livre aussi plus féministe que les précédents tant la place des femmes y est importante. Ellroy: 

«Trois femmes constituent la base de ce roman. Mon ex-femme Helen Knode, également auteur chez Rivages, qui m’a dit un jour, arrête d’écrire des trucs aussi stylistiquement poussés et chiants à lire, écrit avec ton coeur, et elle a demandé le divorce. Puis j’ai rencontré Jude. Elle est de gauche, je suis à droite, elle est juif, je suis catholique, elle est bisexuelle, je suis hétéro. Bref, on a vécu de bons moments puis elle m’a mis dehors à coups de pieds au cul. Puis j’ai déménagé pour m’installer à l’endroit où je retourne à chaque fois qu’on me quitte, Los Angeles, où j’ai rencontré une femme, Karen, mariée. Elle n’allait jamais quitter son mari, mais nous avons eu une histoire et j’ai décidé de l’intégrer dans le livre. Voilà les trois femmes qui constituent la base d’Underworld USA, qui est, je vous le confirme bien, mon oeuvre féministe

Avant d’expliquer, à sa manière, sa méthode de travail.

«Pas d’Internet, pas de téléphone, pas de télé, moi , seul avec moi-même, pour ne pas être pollué par des évènements extérieurs. Je paie quelques gars pour qu’ils me ramènent ma documentation et après, je m’enferme. Quand j’écris, chaque syllabe, chaque mot, doit sonner parfaitement à mes oreilles. J’ai besoin de calme car si je gesticulais comme je viens de le faire, je n’arriverais jamais à écrire. Mais j’ai beaucoup de voix qui s’agitent dans ma tête

Ellroy annonce enfin qu’il n’écrira plus de romans historiques. “C’est terminé, je reviens aux fondamentaux du roman noir, annonce-t-il. Je n’écrirai jamais sur l’Amérique d’aujourd’hui, ça ne m’intéresse pas.”

La soirée se termine par une longue séance de dédicaces. “Je suis là pour enrichir mon éditeur”, conclut l’auteur, qui signe pendant près d’une heure sans interruption, telle une star du rock à la sortie d’un concert. Son prochain roman devrait être publié en novembre prochain par les éditions Rivages. En attendant, Underworld USA est bel et bien l’évènement littéraire de ce début d’année.

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