Hier soir, j’étais au concert de U2.
Très engagé, U2… On en oublierait presque qu’on vient pour la musique. L’IRA, le HIV, l’EI, durant tout le concert des vidéos ont défilé sur un écran géant au dessus de la scène et il faut reconnaître que c’est très beau, très efficace. Parce qu’avec Bono, il n’y a pas UN sujet, il y a DES sujets. C’est pour cette raison que ce qui est arrivé à Paris le 13 novembre, ça le concerne. Et on le comprend. Friday Bloody Friday. I can’t believe the news today.
Petit rappel des faits : le lendemain des attentats de Paris, U2 , qui devait jouer à Bercy (pardon, à l’Accor Hôtels Arèna…) annulait son concert ; son leader, Bono, se rendait devant le Bataclan pour rendre hommage aux victimes et dans les jours qui suivirent, multipliait les annonces dans les médias pour dénoncer toute forme d’atteinte aux libertés et lancer des messages de paix. Un mois après ce séisme d’amplitude mondiale, Bono décidait d’inviter le groupe californien Eagles of Death Metal , encore traumatisé, à le rejoindre sur scène à Paris. C’était hier soir.
Alors ce matin, tout le monde m’a dit : “ Han ! Ca devait être SUPER ÉMOUVANT ”
Et bien non, ça n’était pas émouvant.
Pendant les rappels, l’impressionnante passerelle de résille sur laquelle avaient été projetées les vidéos a soudain affiché un drapeau français où ont défilé tous les noms des victimes des attentats, tandis que Bono interprétait, à genoux et non sans efforts de prononciation, un couplet de “Ne me quitte pas”. Bel hommage, pourtant sans émotion, sans doute trop préparé.
Après avoir repris quelques tubes, Bono a alors annoncé que le nom des Eagles of Death Metal était à jamais associé à l’histoire de Paris et l’on a vu débarquer sur scène Jesse Hugues, gominé et tout de blanc vêtu, suivi de ses musiciens. Après quelques embrassades et effusions (entre powerful rockers) U2 a déclaré “vouloir rendre aux Eagles une scène, puisqu’on leur avait volé la leur il y a un mois”.
C’est à ce moment là que ce qui aurait du se passer ne s’est pas passé. Peut-être qu’on s’attendait à un mot du groupe californien, juste un mot, pas une déclaration… Sauf qu’on a vu Jesse Hugues, survolté, se mettre à traverser le gigantesque podium en sautillant à pieds joints, haranguant la foule dans son micro – façon chauffeur de salle – pour être certain que tout le monde “avait bien enviiiiiie de s’amuser !!!”.
Envie de s’amuser ? Oh oh. Je ne pense pas que c’était la première chose qu’avaient à l’esprit les 20.000 personnes présentes.
Sur un plan vibratoire, en tous cas dans l’invisible, la foule dégageait tout autre chose que l’envie de s’amuser… avec Jesse Hugues.
Public endeuillé ? Public inconsolable ? Je ne sais pas à quoi pensaient ces 20.000 personnes mais moi, quand j’ai vu arriver les Eagles, j’ai pensé à plein de trucs.
J’ai d’abord pensé à ce que fait ce type quand il descend de la scène et qu’il ne chante plus : il milite. Pour les armes à feu, contre l’avortement et pour soutenir Donald Trump (lire l’article sur Slate.fr ). Aïe.
J’ai pensé à ce qui c’était passé il y a un mois. Aux victimes. A toutes ces personnes dont on connaît maintenant les prénoms et qui étaient comme moi devant ce rockeur vibrionnant il y a quatre week-ends, à le regarder faire son show.
J’ai pensé au café “A la bonne bière” qui a réouvert en bas de la rue du Faubourg du Temple, et devant lequel j’étais passée le matin même. Un très beau message sur une grande ardoise a été installé devant l’entrée, pour remercier tous ceux qui les ont aidés le 13 au soir – les pompiers, le SAMU, les voisins – et pour nous dire, aussi, que la vie en terrasse reprend.
J’ai pensé à tous ces messages d’espoir, de résistance, de paix ou de soutien, qui jalonnent les rues autour de la Bonne Bière, du Carillon et des autres lieux, sur les murs, sur les vitrines des commercants, sur les poteaux des parcs-mètres, sous formes de graffitis, d’autocollants ou d’images photocopiées simplement scotchées sur des portes cochères.
J’ai pensé à ces enfants que je suis allée rencontrer dans leur école 8 jours après les attentats, pour un atelier d’écriture, parce qu’ils en avaient gros sur le coeur et que c’était bien de pouvoir l’écrire. J’ai pensé à toutes ces lettres magnifiques qu’ils ont produites ce matin là au C.D.I. de leur école, visages fermés, sourcils fronçés et leurs stylos qui ne lâchaient plus la feuille. J’ai pensé à cette jeune fille , d’origine tunisienne, dont l’élan patriotique m’a bouleversé. J’ai pensé à ce jeune garçon qui a raconté dans sa lettre que sa maman était au Bataclan et qu’il aurait aimé être à sa place parce que, depuis, elle et la France “avaient changé”. J’ai pensé à ce qui, en effet, ne serait plus jamais pareil.
Et j’ai trouvé la prestation des Eagles of Death Metal hier soir bien indécente.
Et l’idée de U2, un brin marketée.
Je sais, je sais ! Show must go on, mais tout de même…
SB