Continuer d’écrire, continuer de dessiner, continuer de créer. Voici la plus foudroyante des ripostes à lancer contre ceux qui veulent nous en empêcher. Une riposte de papier, une riposte de couleurs, une riposte qui reste pacifique et qui permet aux enfants d’exprimer ce qu’ils ressentent. Car le plus important n’est pas ce que les enfants disent mais ce qu’ils taisent…
Merci à tous les enseignants qui, aujourd’hui, ont laissé à leurs élèves un espace et du temps pour lâcher ce qu’ils avaient sur le coeur. Les émotions ont plus que jamais leur place à l’école, elles aident à se construire, tout autant que les mathématiques.
Dessin de Fuchsia, classe de 5ème.
Paris, 16 novembre 2015.
SB
lire le billetLucie a 17 ans. Comme elle s’amuse à le dire elle-même, elle est “rousse, myope, alsacienne et fille unique”. Mais Lucie est bien plus que ça. Elle est l’une des septs lauréates du Prix Clara et elle est particulièrement talentueuse. Sa nouvelle intitulée « Héritage » raconte la visite en prison de Blanche à son père, condamné à perpétuité pour meurtre, et qu’elle ne connaît pas. Une écriture redoutable, à tous les sens du terme. Lisez cette interview, et retenez bien ce nom, Lucie Heiligenstein : à coup sûr, vous le retrouverez sans tarder couché sur une couverture. Il y a au fond de cette jeune fille une urgence à écrire, alors, comme le dit la chanson, ” Lucie, ne t’arrête pas…”
Lucie Heiligenstein. Photo : G.Cambon
Qu’est ce qui t’a inspiré cette nouvelle ?
Ce sont deux romans d’Amélie Nothomb qui m’ont influencée pour écrire « Héritage » : il s’agit de Métaphysique des tubes et des Catilinaires. Du premier j’ai tiré le thème du dégoût, fruit de la rencontre entre Blanche et son père et l’un des éléments les plus importants dans mon histoire. Dans Métaphysique des tubes, ce dégoût est présent dans la scène de l’étang, passage dans lequel la jeune Amélie se voit attribuer la mission de nourrir les carpes japonaises qu’elle a reçues en cadeau ; jour après jour, elle subit ce moment comme une torture, jusqu’à ce que les gueules immenses sortant de l’eau et lui exposant leur tube digestif sans aucune retenue ne lui donnent des envies de suicide tant elles la répugnent. Dans Les Catilinaires, j’ai été touchée par le personnage d’Émile qui ne semble pas se connaître lui-même et ai repris cette caractéristique pour mon héroïne ; comme lui, ce n’est qu’à la chute du récit que Blanche ne comprend véritablement ce qui se cache en elle. J’ai repris la dernière phrase du roman, « Je ne sais plus rien de moi », et l’ai transformée en « Plus jamais elle ne serait Blanche ».
Que t’apporte l’écriture ?
On voit parfois l’écriture comme un espace de liberté totale, dans lequel on décide du destin de chacun des protagonistes ; mais généralement, le maître n’est pas celui qui rédige. J’ai souvent l’étrange impression qu’après avoir été écrites, les idées évoluent et suivent leur cours de manière indépendante. L’écriture m’apporte donc la rencontre avec des personnages, des lieux, des événements, dont je ne connais pas l’origine exacte, et qui, pourtant, ont d’abord pris forme en moi.
Où écris-tu ?
J’écris presque toujours en deux phases : la phase de recherche et celle de rédaction. Durant la première, j’écris dans un carnet (j’en suis déjà à mon septième…) : je cherche des idées, je n’hésite pas à coucher sur le papier absolument tout ce qui me vient, même les choses les plus farfelues (c’est d’ailleurs généralement celles qui me plaisent le plus !), je sélectionne, je construis un plan. Durant cette phase, je peux écrire dans mon lit, au CDI, dans le train ; en fait, presque n’importe où, tant que personne ne fait attention à moi. La phase de rédaction est assez explicite ; c’est celle où mon plan manuscrit se transforme en phrases tapées sur le clavier de mon magnifique ordinateur portable au clavier rose reçu à Noël dernier. Là, je préfère être tranquille chez moi ; mais le TGV (surtout les trajets interminables de cinq heures) me convient aussi ; la seule condition essentielle pour que je puisse écrire est d’avoir de la musique dans les oreilles.
As-tu un rêve d’écrivain, lequel ?
Si par « rêve d’écrivain », vous me demandez quel genre d’écrivain je rêve d’être, j’ai bien du mal à répondre. Je viens à peine de commencer mon premier roman, je ne suis donc qu’au tout début de ma possible carrière. Pour l’instant, je me plonge dans la science-fiction ; mais comme pour mes lectures, presque tous les genres littéraires m’attirent. Devenir un auteur touche-à-tout, mélangeant tous les styles qu’il apprécie pour créer son propre univers, tout à fait unique, serait certainement quelque chose d’extraordinaire.
Quel livre t’a le plus marquée dans ton enfance ?
Comme beaucoup de jeunes de ma génération, mon enfance a été profondément marquée par la saga Harry Potter. J’ai découvert le premier tome lorsque j’avais dix ans et, même si j’avais déjà lu de nombreux livres, c’est l’œuvre littéraire qui m’a le plus secouée. C’est extrêmement rare qu’un livre vous fasse en même temps franchement rire, frémir de peur, et vous donne des crises de larmes durant des heures entières, ce qui m’est arrivée durant la lecture de la série. J’admire énormément J.K. Rowling et son univers si riche, même lorsque l’on se détache de l’histoire des personnages principaux ; comme J.R.R Tolkien, elle a réussi à créer un monde en entier, dans lequel les sorciers vont à Poudlard, se promènent à Pré-au-Lard, font leurs achats sur le Chemin de Traverse et collectionnent les Chocogrenouilles. J’ai bien-sûr rêvé, comme des milliers d’enfants, de m’exercer un jour au Quidditch en montant un balai magique ; et, évidemment, j’ai déjà essayé de fixer mon stylo en lançant un énergique « Wingardium Leviosa ! », même si ce dernier a obstinément refusé de léviter.
Qu’écris-tu en ce moment ?
En ce moment, comme ce sera sans doute le cas durant plusieurs mois, je travaille sur deux projets à la fois. Le premier est le plus vaste que j’ai jamais entrepris ; j’ai enfin commencé l’écriture d’un roman de science-fiction, dont j’ai inventés les personnages lorsque j’étais en Seconde. Je sais que ce sera un travail d’endurance et, pour ne pas me décourager, je continue à rédiger des nouvelles pour des concours entre deux chapitres. La prochaine sera sur le thème de la lumière.
Propos recueillis par SB
lire le billetEn 2006, Clara, une jeune écrivaine en herbe de 13 ans, décède brutalement d’une malformation cardiaque de naissance qu’elle ignorait. Depuis, chaque année, un concours de nouvelles est organisé à sa mémoire. Il retient des textes écrits par des adolescents de toute la France qui ne doivent répondre qu’à une seule condition : avoir moins de 18 ans. Les nouvelles, une fois retenues, sont publiées par les éditions Héloïse d’Ormesson dans un recueil couronné du désormais très prestigieux “Prix Clara”. Prestigieux, parce que le jury est présidé par le joyeux Erik Orsenna qui a rassemblé autour de lui onze personnalités du monde des lettres et de l’édition : Romain Sardou, Christine Albanel, Bernard Lehut, Anne Goscinny, Bernard Spitz, Héloïse d’Ormesson, Alexandre Wickham, Camilla Antonini, Gilles Cohen-Solal, Isabelle Lebret et François Dufour.
Le Prix Clara 2015 a été remis cette semaine à l’Hôtel de Ville de Paris à sept lauréates, sept adolescentes talentueuses dont les nouvelles font résonance avec l’actualité autour de plusieurs thèmes : l’homophobie, la condition des femmes dans le monde, le virus Ebola, la vie après la mort,…
Ces jeunes filles sont originaires d’île de France, de l’Ain, de Montpellier, de Rennes et de Strasbourg. Si elles aiment écrire et confient poser des mots sur le papier depuis plusieurs années, c’est la première fois que leurs écrits sont publiés. Leurs textes, forts, émouvants, audacieux et d’une grande qualité littéraire ont tout pour donner des complexes à des écrivains nettement plus confirmés. Et à les lire, on en oublie très vite leur âge pour ne retenir que leur imagination et leur inspiration. La plus jeune des auteurs, Chimère Vanbremeersch, qui vit à Malakoff, a (des Doc Martens rose fuchsia) et seulement 13 ans…
Mais le plus important dans toute cette histoire est la vocation caritative du Prix Clara. Les bénéfices des ventes de ce recueil de nouvelles sont en effet versés à l’Association pour la recherche en cardiologie du foetus à l’adulte (ARCFA) de l’Hôpital Necker-Enfants malades. Acheter ce livre, c’est faire un geste utile pour la recherche. C’est aussi une manière de se souvenir de Clara…
Un seul regret à noter pour cette version du Prix 2015 : parmi les lauréats, pas un seul garçon! Si la maire de Paris Anne Hidalgo a pu paraître un peu féministe en soulignant qu’elle constate que les filles sont en général plus volontaires que les garçons (dans leur volonté de “faire”) , le discours du Professeur Damien Bonnet qui co-dirige l’unité médico-chirurgicale de cardiologie pédiatrique à Necker, s’est voulu plus subtil. Il arrivait de Necker où il avait eu la réunion d’acceuil des nouveaux arrivants médecins de son unité et a confié s’être aperçu qu’ils étaient 13 à cette réunion, lui et …douze jeunes femmes.
En savoir plus :
Comment participer au Prix Clara ? Blog sympa : le blog animé par les anciens lauréats
SB
L’INTERVIEW DE CHIMÈNE VANBREMEERSCH, 13 ANS
Auteur de la nouvelle “Pour l’amour d’un robot”
Depuis quel âge écris-tu ?
Je ne sais pas spécialement à quel âge. J’ai toujours adoré m’inventer des histoires, mais je les gardais souvent dans ma tête. J’ai tout de même le souvenir d’avoir écrit plusieurs livres en papier, entre 6 et 8 ans environ.
Est-ce qu’il est important que les histoires que tu écris délivrent un message ?
Non, mes histoires ne délivrent pas de message spécialement. J’écris ce qui me passe par la tête !
Où écris-tu ?
J’aime bien écrire par terre, sur mon coussin. J’écris d’abord dans un cahier bloc-notes avant de tout taper à l’ordinateur, puis de corriger certaines fautes et passages de l’histoire.
As-tu un rêve d’écrivain ?
Mon rêve d’écrivain serait d’avoir tout les livres possibles à ma disposition. Ce serait plus un rêve de lecteur, d’ailleurs !
Le livre qui t’a le plus marqué dans ton enfance ?
Le premier livre que j’ai vraiment aimé est Tobie Lolness, de Timothée de Fombelle. J’ai adoré et j’adore toujours la série Percy Jackson de Rick Riordan et sa suite Héros de l’Olympe. Je ne lis presque que du fantastique.
En combien de temps as-tu écris “Pour l’amour d’un robot” ?
J’ai écris ma nouvelle très très vite. J’avais mon idée en tête et je ne voulais pas la laisser s’envoler. 45 minutes au brouillon, une demie heure à taper sur l’ordinateur, puis environ une heure de corrections et de vérifications.
Parle-moi de tes Doc Martens…
Pourquoi cette couleur ? Tout simplement car il n’y avait plus que cette couleur ainsi que du noir dans le magasin. J’ai toujours adoré les couleurs, et trouvais le noir trop triste pour entrer dans l’hiver!
SB
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J’aimerais parler d’autres auteurs qu’Elise Fontenaille, mais il y a peu de romans comme les siens qui, lorsqu’on les ouvre, vous mettent dans cette incapacité de les refermer, tant l’on est abasourdis par la force de l’histoire racontée, comme par l’intensité des mots pour la dire. Dans “La révolte d’Éva”, Elise Fontenaille raconte un fait divers peu imaginable tant il est épouvantable. Un père, fan d’Hitler, bat ses trois filles avec une violence qui n’a d’égale que la récurrence avec laquelle il s’y applique. La mère, par faiblesse, par peur, par lâcheté, par bêtise, ferme les yeux et… tricote.
Éva, notre jeune narratrice est, parmi les trois soeurs, celle qui prend le plus de coups. Son père lui dit l’aimer, oh oui ! pourtant ce qu’il aime le plus, c’est la taper. Les échappées de la petite sont rares, elles les organisent dans la forêt ou dans sa tête. Dans les deux cas, il y en un sur lequel elle peut compter, c’est son chien. Elle l’aime tant, lui au moins. Jusqu’à ce que son père l’abatte. Comme un chien.
Les mots sont justes, coupants, sans violence ajoutée, sans violence inutile. La cruauté est situationnelle, elle exprime l’horreur brute d’une enfance vissée autour de la souffrance.
Difficile de conseiller cette lecture à des enfants, et pourtant il s’agit là de vraie littérature, celle qui permet d’entendre TOUT ce qui s’est passé. L’erreur serait vraiment de vouloir donner à cet ouvrage vocation de documentaire ou de plaidoyer. Parce que non, ce livre là est bien plus encore. Sa résonance doit sa puissance à sa qualité littéraire. C’est un cri magnifique dans un silence assourdissant, un texte d’une grande émotion, une lecture d’adulte à n’en pas douter, mais d’adolescents ?… Ce sera à vous de juger.
SB
La révolte d’Éva, d’Élise Fontenaille
Editions Le Rouergue, 8,30€
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