Il serait évidemment plus simple d’écrire dans cet article qu’Enjoy Phoenix c’est de la merde. Que ce n’est pas de la littérature ; que ce n’est même pas un livre ; et surtout que ce n’est pas le genre de lecture qu’on a envie de mettre entre les mains de nos ados. Parce que “ ça ne fait que prolonger le lien que nous, ô parents bienveillants, essayons de couper avec l’addiction à ces vidéos débiles qui rongent les neurones encore frais de nos gosses”. Pourtant, ce serait commettre une erreur. Une erreur de parent, une erreur de jugement. Ce serait passer à côté d’un véritable phénomène de société, juste reflet de l’évolution de la consommation des médias par nos enfants. Un peu comme si nos parents nous avaient méprisés lorsque nous nous sommes mis à utiliser un Bi-bop pour appeler nos copains depuis une borne dans la rue, au lieu d’utiliser le téléphone orange France Télécom du salon, avec écouteur à fil. Essayons plutôt d’être d’avant-garde au lieu d’appartenir à celle de l’arrière… Enjoy Phoenix est une Youtubeuse. Répéter après moi : ioutioubeuze. C’est à dire une fille qui a monté sa chaîne de télé You Tube, sur laquelle elle poste des vidéos qu’elle tourne elle-même, dans sa chambre, avec une web’cam, pour donner des conseils sur la façon dont elle se coiffe, se maquille, tous ses secrets de beauté quoi. On est loin de Daech. Un jour, cette gamine s’est mise devant sa caméra. Elle avait 16 ans et des choses à dire, c’était il y a quatre ans. Elle a fait ça comme il faut, comme une pro. Rien à redire. Alors les internautes sont arrivés et ils sont restés… Rapidement, ils sont passés du statut d’internaute à celui de fan. Ils sont aujourd’hui 1,6 millions à la suivre régulièrement sur sa chaîne ioutioub. Inouï. De quoi faire rêver n’importe quel homme politique ! Alors la notoriété, voilà son crime. En France, on aime pas beaucoup le succès, faut dire… Et puis elle est blonde, jolie, avec un nom d’ange texan, une image gérée à l’américaine, des partenariats de “product placement” qui tombent et un modèle économique qui se profile, successful.
Ca va, ce qu’elle fait, n’importe quelle gamine peut le faire, entend-on. Ah ouais ouais, mais il fallait avoir l’idée la première !!! Alors, quand une éditrice avec du flair comprend qu’Enjoy Phoenix va devenir quelqu’un d’indispensable dans le paysage adolescent, elle lui propose de raconter son incroyable parcours. Cela donne un récit, celui de Marie Lopez, jeune fille normale, avec des problèmes d’adolescente (harcèlement, mal être, …) devenue une star sur internet et un modèle pour des milliers de jeunes filles, lesquelles se reconnaissent dans son histoire ou, tout simplement, écoutent ses conseils beauté. Un vrai livre pour ado, qui raconte une histoire vraie. Pas une fiction, pour une fois. Alors la force du témoignage d’Enjoy Phoenix ne se juge pas au crédit que l’on accorde à ses choix de khôl. Non. Il faut accueillir ce livre comme ses vidéos. Avec la même curiosité que l’on met à les regarder par dessus l’épaule de nos enfants. Curiosité qui se transforme vite, avouons-le, en admiration parce que le succès de cette Enjoy Phoenix impressionne…! Et il vaut mieux s’attacher à comprendre ce qui se passe quand ça se passe, qu’à refuser de voir le monde changer.
Alors, son livre ? Et bien c’est un témoignage. A prendre comme un témoignage. Peu importe qu’il s’agisse de grande ou petite littérature. Laissons ça aux vautours de la critique. Seule compte l’envie de lire un livre. Il serait aujourd’hui injuste de faire à Marie Lopez, son auteur, un procès d’intention littéraire. La sienne fut de se raconter. Le pari est réussi. D’ailleurs, le livre n’est pas signé de son nom de scène… “Enjoy Phoenix”, elle, a réussi un tout autre exploit. Après ses vidéos, elle a fait venir à la lecture des milliers de jeunes adolescentes. Et si sa balade littéraire les a fait aller au bout de 216 pages, alors on peut se réjouir, oui, de cet autre phénomène qui est en train de naître : celui de donner envie de lire le livre… d’un film qu’on a déjà vu.
#EnjoyMarie, de Marie Lopez. Ed. Anne Carrière.
SB