La visite de Jennifer Preston, la «social media editor» du New York Times, à Columbia était aussi intéressante que frustrante: à la fin de sa présentation ET d’une session de questions/réponses, je n’avais toujours aucune idée précise de ce qu’elle faisait à son poste et de ce qu’était un «social media editor».
Depuis, je vois un peu partout naître des «social media editors», des «engagement editors», des «social media managers» et des «community editors». Bien décidée à comprendre ce que tous ces longs titres signifiaient réellement, j’ai interviewé plusieurs d’entre eux à des postes très différents: une «social media editor» qui ne s’occupe que d’une rubrique dans un grand journal, une «social media desk assistant» pour une émission de la télévision publique américaine et son boss, le «Directeur de la communication digitale» au siège de cette télé, et le «manager des médias sociaux et partenariats digitaux» dans l’équipe marketing d’un autre journal national.
Premier constat, s’il y a autant de termes pour définir ces postes en charge des médias sociaux dans les médias, c’est que, contrairement aux rédacteurs en chef et autres reporters, les médias sociaux ne sont pas encore assez installés dans les rédactions américaines pour avoir créé des normes dans leurs organigrammes. Si la compagnie est très impliquée dans les médias sociaux, on pourrait y trouver des «community managers», des «engagement managers» et un «social media editor» en charge de la stratégie à plus long terme par exemple. Mais si le média commence tout juste à s’intéresser officiellement aux médias sociaux, il peut n’y avoir qu’un seule «social media manager».
L’exemple PBS
Prenez PBS, le réseau de télévisions public à but non lucratif. La chaîne a une quarantaine d’émissions syndiquées et plus de 350 stations locales dans tous les Etats-Unis, mais Kate Gardiner est la première, et pour l’instant la seule, journaliste à s’occuper uniquement des médias sociaux pour une émission. Depuis février 2010, elle est «social media desk assistant» pour PBS Newshour, un magazine d’actualité qui existe depuis 1975.
En décembre 2009, le show a décidé de former une rédaction intégrée, fusionnant son équipe digitale et son équipe télé. «L’équipe télé n’avait pas le temps de s’occuper des médias sociaux, et l’équipe qui s’occupait des partenariats en ligne n’avait pas le temps de réfléchir à des façons d’amener le public à regarder ce qu’on faisait sur notre site», explique Kate Gardiner.
Quand le management s’est mis à regarder de plus près les chiffres d’audience en ligne et s’est aperçu que celle-ci était bien plus réduite que ce qui pouvait être espéré vus les chiffres d’audience télévisuelle, Kate Gardiner s’est retrouvée à son nouveau boulot.
Elle passe la journée sur Facebook et Twitter à chercher à attirer les spectateurs télé en ligne et à atteindre une nouvelle audience, plus jeune que la cible actuelle de l’émission. «Le truc qui est bien dans ce boulot, c’est qu’à chaque fois que je pense à quelque chose, je peux au moins l’essayer». Elle liste ses exemples: des alertes Google sur tous les présentateurs et les segments de NewsHour, des demandes de «feedback» aux fans Facebook sur ce qu’ils voudraient voir couvert, ou un récent partenariat avec le site geek populaire Gizmodo pour atteindre un public plus scientifique.
«Pas besoin qu’ils deviennent le Ashton Kutcher de NewsHour»
lire le billetAprès les dix commandements des pros pour lancer votre site d’infos, je voulais partager avec vous les conseils de Sree Sreenivasan, mon prof de réseaux sociaux, sur la meilleure façon d’utiliser Twitter en tant que journaliste. Sauf que voilà, je ne suis pas sûr que ces conseils s’exportent de votre côté de l’Atlantique. Twitter aux Etats-Unis et Twitter en France, c’est à peu près aussi différent que le journalisme aux Etats-Unis et le journalisme en France.
D’abord pour des questions d’audience. D’après un récent rapport de Sysomos, qui a analysé 13 millions de comptes Twitter en activité entre le 16 octobre et le 16 décembre 2009, plus de la moitié de ces comptes (50,8%) appartiennent à des Américains. Avec 0.98% de comptes, la France se classe 13e pays utilisateur de Twitter. (Derrière les Philippines, le Mexique, l’Indonésie…)
Pour leur étude, les chercheurs de Sysomos ont intégré tous les comptes Twitters qui avaient émis des messages au moins deux fois pendant ces deux mois. Les dirigeants de Twitter refusent de donner leurs chiffres, mais d’après Sysomos, il y avait donc 13 millions de comptes Twitter actifs à la fin de l’année dernière.
Ce n’est pas parce que 50% des comptes Twitters appartiennent à des Américains que 50% des Américains ont un compte Twitter, ou même savent ce qu’est Twitter — à part un truc sur lesquels les journalistes s’excitent.
En octobre 2009, le Pew Internet Project actualisait son étude sur Twitter en annonçant que 19% des internautes américains utilisaient Twitter ou un autre outil en ligne pour actualiser leur statut (en décembre 2008, ils étaient 11%). L’étude a ses limites, reconnues par les chercheurs de l’institut, puisque la question posée est «Avez-vous utilisé hier Twitter ou un autre service pour actualiser votre statut ou regarder le statut d’autres personnes?» Même si Facebook fait l’objet d’une question différente, les personnes interrogées peuvent très bien répondre «oui» s’ils ont actualisé leur statut Facebook, Yammer ou même Gchat.
Même si l’on ne peut pas considérer Twitter comme «mainstream» aux Etats-Unis — où le réseau bénéficie tout autant qu’en France d’un effet de chambre d’écho médiatique — l’outil est davantage rentré dans les moeurs américaines que françaises. Présentateurs vedettes de talk shows et autres stars ont tous leur compte, alors qu’en France…
Sans importance? Mais l’une des principales critiques françaises contre Twitter est que ce n’est qu’un outil utilisé par les journalistes et les geeks, et que le grand public s’en fout totalement. Mais prenez un passionné américain de la série Glee. Tout ce qu’il veut, c’est connaître l’actualité sur sa série préférée, peu importe l’outil: fan page Facebook, blogs, sites… ou Twitter, où il pourra suivre le compte officiel de la série, celui de tous les acteurs, et des critiques TV qui lui révèleront régulièrement les derniers potins.
Dans son coming-out anti-Twitter, Titiou soulevait (entre autres) le problème d’un service d’information en temps réel qui serait surtout utile aux utilisateurs si l’info était locale. «Par exemple, si toutes les écoles avaient un compte twitter, elles pourraient tenir informés les parents d’élèves de l’absence des professeurs au jour le jour. De même, le twitter de la ligne de métro 7 aurait pu me prévenir que les trains ne s’arrêtaient pas à la station Opéra jeudi matin.»
Mais aux Etats-Unis, c’est exactement ce que Twitter fait.
lire le billetJennifer Preston est professeure à mi-temps à Columbia quand elle n’est pas occupée au New York Times par ses fonctions de social media editor. Cette semaine, elle est venue rencontrer les étudiants qu’elle n’a pas en cours pour une session de questions-réponses.
Avant de devenir «social media editor», Jennifer Preston a travaillé à Newsday, puis au New York Times où elle a été journaliste et chef des éditions hebdomadaires régionales du journal. Elle a pris son poste fin mai 2009 (quelques semaines après une réunion censée être privée et interne a été copieusement live-tweetée par plusieurs journalistes).
Sur son boulot au New York Times
«Je suis la première social media editor du journal, mais ça ne veut pas dire que le New York Times n’a pas été actif dans ce domaine depuis quelques années. Avant que je ne prenne mon poste, on avait déjà un demi-million de fans sur Facebook, et plus de 200 reporters, chefs de rubriques, blogueurs, techos, etc… Et la semaine dernière, on a dépassé les 2 millions de followers sur Twitter.
On m’a proposé ce poste parce que j’ai travaillé longtemps dans la rédaction, je connais beaucoup de gens. Une de mes responsabilités est de persuader les autres journalistes de tester les outils sociaux. Ça a été très facile d’ailleurs, parce que tout le monde se rend compte du pouvoir de ces outils.
Les journalistes peuvent venir me voir quand ils ont des problèmes ou des questions concernant les médias sociaux, mais mon job ce n’est pas de faire la police. On s’attend à ce que les journalistes suivent la charte du New York Times, peu importe le média. [Note de la blogueuse: Le New York Times a aussi une charte interne dédiée aux médias sociaux]. C’est du bon sens: on ne veut pas que nos journalistes aient un autocollant McCain ou Obama sur leur voiture, ni qu’ils joignent le groupe «Je t’aime Michelle Obama» sur Facebook! Le but est le même, construire une relation de confiance entre les journalistes et le public.
J’apprends mon boulot en direct et publiquement. Au début, je me suis dit il faut que je prenne un peu de recul et que je réfléchisse à la façon dont je veux utiliser les médias sociaux, parce que je suis la “social media editor”! Les gens me disaient “ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue twitter” et je répondais “je suis là, j’écoute”, et puis il y a eu un gros scandale sur le fait que je n’étais plus sur Twitter, alors je me suis remise à poster.»
Sur l’importance des médias sociaux pour les journalistes
lire le billetLes articles que je lis/lie via Twitter et mes flux RSS
Le Washington Post remarque que ses lecteurs adorent quand le journal change ses règles pour apporter plus de déontologie, sauf lorsqu’elles s’appliquent aux médias sociaux.
Le New York Times rapporte que le prestigieux Massachussets Institute of Technology encourage ses étudiants à bloguer -sans modération extérieure des billets ni des commentaires, et en étant payés !- dans l’espoir d’attirer davantage de candidats. (via @sreenet)
Départ du rédacteur en chef des “standards journalistiques” du New York Times, Craig Whitney, dont le dernier poste avait été créé après le scandale Jayson Blair, ce journaliste qui avait falsifié et plagié des dizaines d’articles. D’après le Nieman Lab, qui retranscrit le discours d’adieu du directeur de la rédaction, trois personnes monteront la garde à sa place.
Poynter tente de réconcilier les journalistes et les publicitaires en démontrant qu’au fond, ils partagent les mêmes problèmes: des technologies qui évoluent trop vite pour l’enseignement, des produits jamais réellement finis, et l’importance de la transparence pour se construire une crédibilité.
Une professeure de lettres histoire-géo et ECJS en lycée professionnel veut faire Tweeter ses élèves, et c’est pas facile. (via @jeanlucr)
Conseillez-moi des articles ou des sites dans les commentaires, sur Twitter (@sayseal), ou par mail à cecile.dehesdin (@) slate.fr.
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