En guise de contrôle final, notre professeur de déontologie nous a demandé d’écrire un serment de diplômé de journalisme à Columbia, dans le même genre que le serment d’Hippocrate.
«Vous pouvez le déclamer, le chanter, le rapper, lâchez-vous», avait-elle dit à l’époque, l’innocente… Un groupe d’étudiants l’a prise au mot, et voilà le résultat: un serment en forme de rap sur «Empire State of Mind» de Jay-Z. La vidéo a été reprise par le sarcastique blog new-yorkais Gawker qui, pour une fois, n’a rien trouvé à redire contre la J-School de Columbia.
PS: Pour comprendre les références ghetto-journalistiques, un résumé des scandales Stephen Glass et Jayson Blair, une définition des «Benjamins» et des «greenbacks», et le site du très conservateur présentateur Sean Hannity
lire le billetMon cours sur Twitter et Facebook est terminé, mais son projet final est toujours d’actualité: les quatre classes qui le suivent ce semestre écrivent chacune une partie des règles internes de Columbia quant à l’utilisation des médias sociaux. (Le code devrait être au point d’ici un mois, je vous tiens au courant!)
En nous demandant de réfléchir à ces règles, notre professeur nous a en quelque sorte demandé si sur Internet les valeurs et la déontologie journalistiques changeaient. Notre première réaction a été de dire «bien sûr que non», mais si c’était si évident que ça, est-ce qu’un journaliste d’ABC twitterait le les propos «off the record» d’un président américain traitant un rappeur de crétin?
La journaliste Gina Chen affirme la même chose sur son blog «Save the media», en mettant au point son «Guide de déontologie des médias sociaux pour journalistes». Ses règles sont moins brutales que celles du Washington Post, publiées parce qu’un des rédacs chefs donnait trop son opinion sur son compte Twitter. Mais elles ne répondent quand même pas à mon plus gros problème. Si je ne dois rien publier sur Facebook ou Twitter que je ne serais pas fière de voir en une du New York Times, est-ce la fin de l’humour, de la personnalité, et de notre nouveau rapport — moins guindé — avec le lecteur?
Si on écarte ce problème, je suis d’accord avec les règles de Gina Chen. La déontologie en ligne est la même que la déontologie dans un journal. Pourquoi est-ce que des internautes ne mériteraient pas autant d’éthique de notre part que des lecteurs? Ce n’est pas parce que la publicité les considère moins importants que les journalistes doivent s’y mettre…
Au cours d’une étude de cas du site Politico, en cours de business, notre prof Bill Grueskin a fait un aparté pour parler de Polanski. Le 7 octobre, un journaliste du site d’infos politiques a écrit un court article au titre évocateur: «Les supporters de Roman Polanski ont donné 34,000 dollars à Barack Obama et au Parti Démocrate». Ou comment faire de la complète désinformation: le journaliste a trouvé les noms américains dans une pétition soutenant le cinéaste, et cherché leur participation financière à la campagne d’Obama il y a un an!
Bill Grueskin a écrit un mail rageur au journaliste, qui lui a en gros répondu: «c’est pas moi, c’est Internet et mon rédac chef».
lire le billetDes cinq cours que je prends chaque semaine à Columbia, le plus étrange est sans aucun doute «Social Media skills for journalists». Mon prof, Dean Sree Sreenivasan, l’a admis immédiatement en introduction: «C’est la première fois depuis longtemps qu’on donne un cours où les étudiants en savent autant sur le sujet». «Ce cours est un effort de collaboration, on va tous apprendre les uns des autres et donner forme à notre utilisation des médias sociaux.»
Au début de l’année scolaire, l’annonce que plusieurs universités américaines lançaient des «Cours de Twitter» a bien fait rire certaines rédactions. Mais après avoir vu un journaliste d’ABC annoncer sur Twitter que Barack Obama avait traité le rappeur Kanye West de «jackass», et surtout après les nouvelles règles données par le Washington Post à ses journalistes quant à l’utilisation des médias sociaux, le cours ne parait plus aussi risible.
Le programme du cours est modifié en permanence sur un google doc. Avant de commencer nos sessions, Dean Sree et son collègue Adam Glenn ont d’ailleurs envoyé le lien sur Twitter en demandant à leurs followers des commentaires, des conseils, des ajouts possibles. (Si vous avez des idées en le lisant, envoyez-les en anglais sur Twitter à @sreenet, en français ou en anglais à moi et je transmettrai).
Le but du cours est de nous apprendre à trouver des infos et identifier des sources, à entretenir une relation avec nos lecteurs, et à construire notre «marque». Pour Dean Sree, les médias sociaux changent profondément la façon d’envisager notre métier: «Les journalistes envisagent le journalisme comme un accouchement, mais ils devraient plutôt l’envisager comme un développement de logiciel».
Et de citer Brian Stelter, journaliste télé au New York Times, qui commence souvent par un tweet du genre «Je bosse sur ça, vous en pensez quoi?», avant d’en faire un post pour le blog Media Decoder, et de finir avec un article dans le journal. Et il n’est pas le seul à briser toutes les règles traditionnelles du journalisme qui encouragent à garder ses idées secrètes de peur de se les faire piquer.
Mes devoirs? Live-tweeter un événement ou trouver des fils twitter qui constituent de bonnes sources pour les sujets que je couvre en cours. Vous pouvez retrouver tout ce qu’on fait sur le groupe ning de la classe, où les élèves postent leurs réponses.
Depuis notre première session, on analyse chaque semaine le rapport des médias traditionnels avec les réseaux sociaux, en se concentrant sur les règles internes de grands groupes médias quant à l’utilisation par leurs journalistes de Facebook, Twitter, ou des blogs.
Les réactions des élèves aux règles de l’Associated Press, du Wall Street Journal ou de la BBC se ressemblent: elles sont généralement raisonnables, mais mes collègues trouvent qu’elles considèrent les médias sociaux de façon assez négative, via le prisme de «tout ce qui pourrait mal se passer».
Question de culture journalistique
Du coup, une petite équipe dans la classe a comme projet final de rédiger une base de conseils positifs sur «comment utiliser les médias sociaux en tant que journalistes».
Mais ce qui me paraît le plus fou dans cette histoire, c’est que tous ces médias ont des règles claires définissant comment leurs journalistes doivent se comporter, pour certaines publiées, pour d’autres fuitées. Je ne parle pas ici de règles sur les cadeaux à ne pas accepter ou les conflits d’intérêts, mais de la supposée impartialité / objectivité des journalistes.
La culture journalistique est difficile à comparer, bien sûr, puisqu’en France la presse écrite est traditionnellement positionnée politiquement: Libération à gauche, Le Figaro à droite, etc. Aux Etats-Unis, les journalistes ne sont jamais censés donner leur opinion, sauf s’ils sont éditorialistes, en fonction de la stricte règle de séparation entre les faits et les opinions.
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