Pour son cours magistral sur l’avenir du journalisme en ligne en tant que «Hearst Digital Media Professional-in-Residence» à Columbia, Steven B. Johnson a décidé de se concentrer sur l’écrit.
Je vous parlais de Steven B. Johnson il y a quelque mois: auteur de cinq livres dont quatre se concentrent sur la façon dont les nouvelles technologies changent notre cerveau et nos pratiques sociales, il a créé FEED et Plastic.com, fait la une de Time magazine en juin dernier avec un article sur Twitter (il y prédisait que Twitter bouleverserait Google et la recherche en général en y ajoutant le web en temps réel), et fondé Outside.in, l’aggrégateur hyperlocal.
Mais cette année, il est donc surtout le Hearst Digital Media Professional-in-Residence, un long titre pour une fonction que je n’ai toujours pas bien comprise. En gros, la fondation Hearst nomme chaque année un journaliste à cette position a Columbia. Il participe à quelques cours et donne une conférence ouverte au public sur les médias en ligne (Kenneth Lerer du Huffington Post, Brian Storm de MediaStorm ou Adrian Holovaty de Everyblock sont quelques uns des précédents lauréats).
Le «commonplace book», ou le blog du 18ème siècle
Pour son allocution, Steven B. Johnson a décidé de parler de l’avenir de l’écrit et du danger que pouvaient représenter des outils comme l’iPad pour les mots. Il a commencé par raconter l’origine du «commonplace book», une sorte de journal tenu par les intellectuels du 17 ème et 18 ème siècle, ou ils copiaient les passages intéressants de leurs lectures et y ajoutaient leurs commentaires. «C’est un peu la version originale de ce qu’on a appelé le “weblog” avant de passer a “blog”».
«Ces livres permettaient de recueillir une somme de connaissances que vous pouviez parcourir n’importe quand en fonction de vos besoins» a-t-il expliqué, rajoutant que le philosophe John Locke avait créé le sien pendant sa première année à Oxford. Locke a ensuite développé une méthode très précise d’indexation et d’organisation de son commonplace book. «D’une certaine manière, ce sommaire était un algorithme de recherche qui permettait à l’utilisateur d’indexer son texte de manière à le retrouver facilement». Toute la beauté de la technique de Locke, d’après Steven B. Johson, c’est qu’elle «fournissait juste assez d’ordre pour trouver ce que vous cherchiez, mais laissait en même temps le texte du commonplace book avoir ses propres méandres désordonnés et non planifiés».
Pas de commonplace book ni de remixes textuels sans la possibilité de copier et de ré-organiser des passages de livres dans de nouveaux contextes.
Google, héritier du «commonplace book»
Aujourd’hui, il voit dans les pages de résultats de Google des héritiers du «commonplace book». Une page de résultats a des milliers d’auteurs, «elle a été construite par un algorithme qui a remixé des petits bouts de textes de sources diverses avec des buts divers, et les a transformés en quelque chose d’entièrement différent et de réellement précieux». Autrement dit, un jeu textuel, qui combine et recombine des mots sous des formes jamais imaginées par leurs auteurs.
Steven B. Johnson estime que cette possibilité de remixer les mots est ce qui permet a l’information d’être un écosystème productif. En 1995, rappelle-t-il, «vous auriez trouve un article sur une conférence a Columbia, vous l’auriez poste sur votre page de liens. Ça aurait eu de la valeur pour les gens qui visitent votre page et pour les gens qui s’occupent de la page web de Columbia.»
Aujourd’hui, poursuit-il,« vous avez “check-in” sur Foursquare et vous avez tweeté sur cette conférence. L’information est partie vers vos amis, vos followers, l’index de Google, ce qui attire ensuite des publicitaires intéressés par le journalisme ou par l’endroit ou vous êtes. Pas mal [comme productivité] pour 140 signes.»
L’iPad ennemi du mot
lire le billetLe New York Times est, pour moi, ce qui se fait de mieux en multimédia parmi les «mainstream media» aujourd’hui. J’expliquais la semaine dernière que c’était en partie grâce à une grosse équipe, mais je sais désormais que leur organisation pointue contribue beaucoup à ce succès.
Je rêverais d’obtenir un organigramme du journal parce qu’il a l’air d’une incroyable complexité. Il y a une équipe en charge du multimédia, une en charge des graphiques, une en charge des bases de données. La rédaction se divise ensuite naturellement en rubriques (Local, International, Sport, etc). Chaque rubrique a un rédacteur en chef papier, un «deputy web editor», chargé de faire le lien entre papier et web en faisant travailler reporters pour les blogs de sa rubrique par exemple, des reporters, et un ou plusieurs web producers (pour plus de details sur le fonctionnement des rubriques, vous pouvez lire ce post qui se concentre sur la rubrique «Local»).
En plus de cette division par rubrique, six web producers développent les projets multimédia du NYT. Deux se partagent les news, les quatre autres les rubriques comme «Style» ou «Voyage».
Amy O’Leary, la web editor pour la rubrique Sport, Business et Enquêtes, est venue parler à notre «interactive workshop» sur l’invitation de notre prof Gabriel Dance, l’un des petits génies de l’équipe multimédia du journal. Amy a commencé au journal il y a seulement trois ans, dans l’équipe multimédia, où elle se spécialisait dans le son. Et puis ses chefs se sont rendus compte qu’elle était douée pour mener des projets, et elle s’est retrouvé à son poste actuel.
Gérer des gens très différents
Amy ne sait pas programmer, ne peut pas coder sous Flash, mais après avoir travaillé dans une compagnie de logiciels pendant quelques années, elle est capable «de demander des choses à Gabriel Dance sans l’énerver!» dit-elle en riant. Plus sérieusement, «quand vous avez une deadline et qu’un rédacteur en chef qui n’a aucune idée de “comment ça marche” sort au dernier moment “Ah mais tiens, pourquoi est-ce qu’on pourrait pas permettre à tous les lecteurs de voter et d’enregistrer leur vote et…” je peux dire “Absolument pas”.»
En tant que manageuse de projets, elle essaie de devenir une chaîne de communication pour faire collaborer tous ses différents experts (en photo, en flash, en données, etc). «On a souvent tendance à penser qu’on est expert en tout, simplement parce qu’on passe notre vie sur internet à regarder des sites qui le font», explique-t-elle, «mais quand vous menez un projet, il vaut mieux prendre du recul», et faire en sorte que les graphistes designent le projet, et pas le rédac chef de la rubrique qui ne connaît rien au web. «Je ne devrais pas être en charge d’écrire le gros titre ou de prendre les photos, mais je peux utiliser mon expertise pour trouver le meilleur photographe et le meilleur titreur».
Des outils pour les «breaking news»
Quand Amy O’Leary a commencé il y a trois ans, les rédacteurs en chef voulaient absolument du multimédia pour le «breaking news», l’actu brûlante. «Il y a certaines choses qu’on pouvait faire plus ou moins rapidement, mais il est devenu évident que pour obtenir des projets multimédias vraiment bons et utiles, ils nous fallait un ou deux mois».
Une partie de son job a donc consisté à éduquer le reste de la rédaction aux contraintes du multimédia. «Des gens venaient nous voir et voulaient une vidéo pour le surlendemain, alors que c’était un mini-documentaire de 7 minutes! On se retrouvait avec une breaking news le matin, on bossait comme des fous pour avoir fini notre projet le soir même et personne n’était content: les rédacteurs en chefs étaient frustrés parce qu’à 9h du soir l’actu était quasi dépassée, et nous étions frustrés parce que notre projet n’était en une du site que pour une heure».
C’est là que les outils sont entrés en jeu.
lire le billetMardi 9 mars, mon prof de réseaux sociaux Dean Sree Sreenivasan a invité Janis Krums à l’école. Janis Krums vous le connaissez tous, c’est l’auteur de la première photo du crash sur la rivière Hudson.
Prise sur son iPhone, et déposé sur Twitter via TwitPic, la photo vient de remporter le prix de «Photo en temps réel de l’année» aux Shorty Awards, une cérémonie entièrement dédiée à Twitter pour honorer «les meilleurs producteurs de court contenu en temps réel». Janis Krums a gagné son prix le trois mars, le même jour où le capitaine Sully, qui avait réussi à amerrir l’avion sans aucun mort, annonçait sa retraite.
Janis Krums était sur un ferry qui relie New York au New Jersey le 15 janvier 2009, en train de jouer avec son téléphone, quand il a entendu le capitaine dire «il y a un avion devant nous, on part à leur secours».
«Je pensais que c’était un petit avion», se souvient-il, «on ne s’attendait pas à un Airbus!» Il a pris la photo de l’intérieur du ferry (d’où les traces de saleté sur la photo) quelques secondes avant que le bâteau ne s’arrête près de l’avion pour embarquer les passagers.
«Je me suis dit “C’est un évènement assez unique, ça se tweete”, et puis ensuite je n’y ai plus pensé. J’ai donné mon téléphone à un des passagers pour qu’il puisse appeler sa famille, et quand je l’ai récupéré, j’ai reçu un appel de MSNBC qui me disait “Est-ce que vous pouvez être live dans 25 secondes?”»
«Je ne sais pas comment mais ils me suivaient déjà sur Twitter et ils me voulaient dans leur émission». Le soir-même, il participait au Rachel Maddow Show, un talk populaire aux Etats-Unis.
Janis Krums était alors inscrit sur Twitter depuis six ou sept mois. Après avoir laissé son compte dépérir, il s’était finalement mis à utiliser le service deux ou trois mois avant l’accident pour se tenir au courant de l’actualité, en particulier technologique, et postait tous les jours.
Sa Twitpic a été rapidement retweetée, quelqu’un l’a postée sur Flickr (ce qui s’est avéré utile puisque Twitpic a crashé), et les sites d’infos, chaînes de télévision, et journaux papiers l’ont reproduite, sans le payer.
«A partir du moment où je l’ai tweetée, elle est devenue de domaine public», explique-t-il, «TwitPic n’a pas de règles par rapport à ça». Il est allé enregistré son copyright le lendemain, effectif quelques jours plus tard, ce qui lui a permis de faire de l’argent quand Oprah Winfrey ou Apple l’ont contacté.
Il garde plutôt un bon souvenir du cirque médiatique qui a suivi sa photo, notant que les journalistes commençaient toujours par lui parler du sauvetage avant de passer à Twitter. Même s’il considère qu’il a été «journaliste-citoyen d’un jour», l’expérience ne lui a pas pour autant donné envie de devenir journaliste plutôt qu’entrepreneur.
Des étudiants pas convaincus
lire le billetIl y a des métiers dans le journalisme américain qui valent d’être racontés. Prenez Margalit Fox, journaliste pour le service nécros du New York Times, le “dead beat”, ou “rubrique mortelle”, comme elle l’appelle.
“Mes chers bien-aimés, nous sommes réunis ici aujourd’hui pour parler nécrologies”, a-t-elle commencé son speech à Columbia au début de l’année. “Mon job est le job le plus étrange du journalisme, et des Etats-Unis. C’est aussi le meilleur job des Etats-Unis”.
Margalit Fox savoure son petit effet devant nos regards incrédules. C’est pas un peu glauque de passer sa vie à écrire sur les morts? Elle explique qu’il n’y a pas si longtemps, les nécros étaient vues comme le batard du journalisme, là où on vous casait “si vous faisiez une bêtise dans une “vraie” rubrique du journal”, ou “si vous étiez à quelques années d’avoir vous même besoin d’une nécro”.
Mais d’après elle, il se développe une véritable culture de “junkies de la nécro”, liée notamment au baby boom et au développement d’internet. Bien sûr, elle a droit à quelques “Eeeew” (“Beeeeurk”) quand elle décline son boulot dans une soirée mondaine. “Mais la plupart des gens répondent que c’est la première chose qu’ils lisent le matin”.
“C’est primal. On se jette sur la pages nécros pour s’assurer que l’on n’y figure pas”. Et puis, “on adore tous les histoires. Et les nécrologies, c’est purement narratif. On amène nos sujets depuis le berceau jusqu’à leur tombe”. Et d’en conclure que les nécrologues pourraient “bien être les seuls qui ne seront jamais au chômage!”
Plus de deux millions d’Américains meurent chaque année (2,426,264 en 2006 d’après le plus récent rapport du ministère de la santé (PDF)), et “1200 ou 1300 d’entre eux finissent dans le New York Times”, soit un peu plus de trois nécros par jour. Alors que dans les médias français, les morts sont racontés par des journalistes spécialisés dans le domaine du décédé (politique pour Seguin, BD pour Tibet, etc), Margalit Fox n’écrit que sur les morts, quels qu’ils soient.
lire le billetPetit manuel du Venture Capitalist à l’usage des journalistes entrepreneurs
Depuis plusieurs leçons de Ken Lerer, le cofondateur du Huffington Post, un élève pose la même question aux invités: comment trouver et communiquer avec des développeurs web? Ça donne lieu à des conversations assez cocasses à base de «le geek est un animal comme les autres», «allez les trouver sur les forums internet», et «n’ayez pas peur, eux aussi ont besoin de vous». Si Ken Lerer n’a pas invité un de ces specimen pour sa dernière session, il a choisi un sujet tout aussi mystérieux: le venture capitalist.
Après avoir notamment discuté de l’importance de la viralité, du web en temps réel, et de la géolocalisation, Fred Wilson, star new yorkaise des venture capitalists, est venu nous parler de son métier et de comment les journalistes pouvaient se servir de gens comme lui.
Fred Wilson est un VC (à prononcer «vici»), un investisseur en capital risque, depuis 24 ans. En gros, son boulot consiste à investir beaucoup d’argent dans des start-ups et à recevoir en échange une part de ces entreprises. Il a investi dans des dizaines de start-ups dont Twitter, Tumblr, Outside.in, et Foursquare, le petit dernier des réseaux sociaux qui enthousiasme les Américains.
Quand aller voir le Venture Capitalist
Fred Wilson a commencé par une clarification: «Toutes les entreprises n’ont pas besoin de capital risque», avant de préciser, «vous pouvez avoir un très bon business sans que ce soit un business qui intéresserait un Venture Capitalist».
Lors d’un récent panel tenu par Jeff Jarvis dans le cadre de son projet «New Business Models for News», un membre du public a demandé si l’hyperlocal intéresserait les venture capitalists. Fred Wilson a répondu que non, «mais que l’hyperlocal pouvait être un super business pour la personne ou les trois ou quatre personnes qui vont gérer un site hyperlocal».
Les investisseurs en capital risque ne s’intéressent qu’aux entreprises qui peuvent gagner beaucoup d’argent. Il s’agit ensuite de ne pas aller voir Fred Wilson trop tôt. Commencer avec l’aide de famille et d’amis (et là encore, je me dis qu’il faut que je change d’amis et de famille), de prêts bancaires, puis de business angels, ces investisseurs professionnels qui investissent leur propre argent (généralement entre 10.000 et 100.000 dollars) dans des start-ups. Son conseil: lever les fonds comme de la dette, pas des actions, afin de garder un contrôle total sur votre entreprise, et leur donner une ristourne sur la prochaine levée de fonds. Ensuite, seulement, il est temps de se tourner vers les VC.
Comment intéresser le Venture Capitalist
lire le billetA la suite de mon article sur les sites d’information hyperlocale qui se lancent actuellement aux Etats-Unis, PEG me reprochait de ne pas avoir parlé de startups comme Outside.in. J’avais laissé de côté ce site — et Everyblock — parce que ce sont des aggrégateurs d’infos hyperlocales, sans rédaction interne, mais les remontrances de PEG ont été entendues: le président d’Outside.in était l’invité de la cinquième leçon d’entrepreunariat des médias menée par Ken Lerer, co-fondateur du Huffington Post.
Steven Johnson a écrit cinq livres dont quatre se concentrent sur la façon dont les nouvelles technologies changent notre cerveau et nos pratiques sociales, a créé FEED et Plastic.com, et fait la une de Time magazine en juin dernier avec un article sur Twitter (il y prédisait que Twitter bouleverserait Google et la recherche en général en y ajoutant le web en temps réel).
En 2005, alors qu’il travaille de chez lui sur un livre, Johnson se rend compte qu’il obtient «beaucoup plus d’informations sur Brooklyn grâce à The Brownstoner que grâce au New York Times», explique-t-il.
Pour satisfaire son appétit, il se met à suivre dix blogs locaux, en sentant que de plus en plus de blogs naissaient, et qu’il allait devenir difficile de tous les lire. Les blogs étaient organisés chronologiquement, du plus récent billet au plus daté, «mais moi je ne voulais pas nécessairement l’article le plus récent, je voulais savoir ce qui se passait le plus près de chez moi».
Au même moment, Google publie l’API des Google Maps, permettant au grand public de créer des mashups, c’est-à-dire à utiliser Google Maps et des données extérieures pour créer de nouveaux objets (que ça soit «Les meilleures bagels de Brooklyn», «Les vols à main armée dans le Bronx», etc).
«Quelqu’un peut désormais organiser tous ces posts de blogs autour d’une application géographique» se dit-il alors. Steven Johnson, qui à l’époque aimait bien sa vie d’écrivain, ne se voyait pas lancer une boîte. Mais alors qu’il mentionne l’idée à un ami, celui-ci s’exclame: «Super! Je te donne 50 000 dollars, fonce.» (Et c’est là qu’on aimerait bien avoir les mêmes amis que Steven Johnson).
Le prototype d’Outside.in a été construit en trois mois pour 25.000 dollars. «Si on avait voulu le faire quatre ou cinq ans plus tôt, ça nous aurait coûté 50 millions de dollars à cause de toute cette application géographique à développer».
La géolocalisation
«Si vous réfléchissez au type de recherches qu’on fait constamment (où est le pressing le plus proche? Que penser des écoles du quartier? etc), on filtre notre environnement géographiquement». Il s’agissait donc de faire d’Outside.in un aggrégateur géographique intelligent.
Outside.in a commencé à l’ancienne: «une armée de hipsters» — jeunes gens branchés aux goûts vestimentaires contestables — assignait manuellement des emplacements aux billets de blogs locaux. Au bout d’un an, l’armée avait compilé une bonne base de données qui reliait des morceaux de textes à des emplacements géographiques.
La start-up s’est ensuite servie d’algorithmes de détection d’emplacements pour que les ordinateurs utilisent ces données récoltées et puissent, de là, faire le reste automatiquement. Le système est en permanence peaufiné pour éliminer les erreurs qui naissent de cet automatisme.
Quelle différence avec les alertes google, a demandé un élève?
lire le billetJeudi soir, Columbia accueillait son forum annuel sur l’évolution des médias, avec un panel impressionnant, modéré par Dean Sree Sreenivasan (mon prof de Twitter): la social media editor du New York Times Jennifer Preston, le PDG de Betaworks John Borthwick, la journaliste techno du Wall Street Journal Julia Angwin, le fondateur de BlogTalkRadio Alan Levy, et l’auteur de Be The Media David Mathison. Vous pouvez suivre la conversation ci-dessous grâce à Cover It Live, et regarder la vidéo grâce à Livestream.
(Photo: Jehangir Irani)
lire le billetAlors qu’en France se lancent timidement des sites ou des blogs d’informations locales, aux Etats-Unis, «hyperlocal» est devenu le mot le plus tendance parmi les journalistes web. Là où le blog Gothamist, qui couvre tout New York (Manhattan, Brooklyn, Queens, etc), est local, ces nouveaux venus se concentrent par exemple uniquement sur Manhattan, voire sur un quartier de Manhattan. A terme, la plupart de ces médias espèrent devenir des exemples du «Think Global, Act Hyperlocal»: ce n’est pas un site qui fera leur succès, mais le développement d’une armée de sites hyperlocaux déclinables aux Etats-Unis ou, pourquoi pas, dans le monde. Ces derniers mois, j’ai pu rencontré à Columbia trois responsables de sites hyperlocaux très différents. On a parlé business models, journalisme citoyen et web.
Patch, de Google à AOL
Le directeur de la rédaction Brian Farnham est venu recruter à l’école avec deux de ses rédacteurs locaux. Patch a été créé en février dernier par Tim Armstrong, alors en charge des Ventes Amérique pour Google. «Il vivait dans le Connecticut et cherchait à faire du bénévolat avec ses enfants», explique Brian Farnham. «Il n’a rien trouvé en ligne qui se passait dans son coin.» De là est née l’idée de Patch.com, une série de sites locaux censés remplir un rôle abandonné par les journaux, «tellement ralentis par leur édition papier qu’ils n’avaient pas les ressources pour utiliser tout le potentiel du web».
Tim Armstrong a lancé Patch avec son fonds d’investissement, en réunissant une équipe de dix personnes à New York, et en construisant un modèle de plateforme reproductible. L’idée, c’est que la maquette de chaque site se ressemble et qu’ils se différencient par le contenu. En mars 2009, Tim Armstrong est devenu PDG d’AOL, en juin 2009 AOL achetait Patch (et Armstrong expliquait qu’il ne retirerait aucun profit de ce rachat). En moins d’un an, Patch a créé 15 sites hyperlocaux.
«On a les fonds pour réaliser ce dont on rêvait au début», dit Brian Farnham.
Les sites Patch couvrent des villes de 20.000 habitants avec un journaliste/rédac chef et quelques pigistes (des résidents locaux, type mère au foyer, retraité, étudiant), un rédac chef régional pour 10 sites et un webmaster pour 4. Avec un rythme de quatre à cinq articles par jour (écrits par les pigistes ou le rédac chef), «le rédacteur en chef local doit être passionné par son boulot», a prévenu Brian Farnham: c’est un one man show et c’est difficile de vraiment s’échapper».
Lindsay Wilkes-Edrington, en charge de Patch Scotch Plains-Fanwood, qui couvre deux petites villes du New Jersey, raconte avoir raté un incendie parce qu’elle était à New York. «Je me suis dépêchée de rentrer et les journalistes papiers du coin m’avaient déjà devancée. Mais ils n’ont rien publié avant une semaine et demie, alors que j’avais trois articles le lendemain. Le maire a googlé “incendie” et il a été abasourdi de voir tant d’infos sur ce qui s’était passé en bas de la rue».
Farnham a refusé de parler argent, et évoqué rapidement le business model de Patch: la pub. «On a lancé ce site en se disant “créons un bon produit, les gens viendront sur notre site et la publicité suivra. On doit éduquer les publicitaires locaux pour qu’ils comprennent comment fonctionne la publicité en ligne et qu’ils achètent des espaces sur nos sites. C’est tout un processus». En plus des bannières classiques, Patch offre la possibilité de se créer une pub sur mesure (15 dollars pour une pub vue 1000 fois): après l’avoir mise en page grâce à un outil du site, chaque publicitaire décide du montant qu’il est prêt à payer. La pub est en place jusqu’à ce que le montant soit atteint, puis retirée.
The Local, le blog hyperlocal du New York Times
lire le billetJennifer Preston est professeure à mi-temps à Columbia quand elle n’est pas occupée au New York Times par ses fonctions de social media editor. Cette semaine, elle est venue rencontrer les étudiants qu’elle n’a pas en cours pour une session de questions-réponses.
Avant de devenir «social media editor», Jennifer Preston a travaillé à Newsday, puis au New York Times où elle a été journaliste et chef des éditions hebdomadaires régionales du journal. Elle a pris son poste fin mai 2009 (quelques semaines après une réunion censée être privée et interne a été copieusement live-tweetée par plusieurs journalistes).
Sur son boulot au New York Times
«Je suis la première social media editor du journal, mais ça ne veut pas dire que le New York Times n’a pas été actif dans ce domaine depuis quelques années. Avant que je ne prenne mon poste, on avait déjà un demi-million de fans sur Facebook, et plus de 200 reporters, chefs de rubriques, blogueurs, techos, etc… Et la semaine dernière, on a dépassé les 2 millions de followers sur Twitter.
On m’a proposé ce poste parce que j’ai travaillé longtemps dans la rédaction, je connais beaucoup de gens. Une de mes responsabilités est de persuader les autres journalistes de tester les outils sociaux. Ça a été très facile d’ailleurs, parce que tout le monde se rend compte du pouvoir de ces outils.
Les journalistes peuvent venir me voir quand ils ont des problèmes ou des questions concernant les médias sociaux, mais mon job ce n’est pas de faire la police. On s’attend à ce que les journalistes suivent la charte du New York Times, peu importe le média. [Note de la blogueuse: Le New York Times a aussi une charte interne dédiée aux médias sociaux]. C’est du bon sens: on ne veut pas que nos journalistes aient un autocollant McCain ou Obama sur leur voiture, ni qu’ils joignent le groupe «Je t’aime Michelle Obama» sur Facebook! Le but est le même, construire une relation de confiance entre les journalistes et le public.
J’apprends mon boulot en direct et publiquement. Au début, je me suis dit il faut que je prenne un peu de recul et que je réfléchisse à la façon dont je veux utiliser les médias sociaux, parce que je suis la “social media editor”! Les gens me disaient “ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue twitter” et je répondais “je suis là, j’écoute”, et puis il y a eu un gros scandale sur le fait que je n’étais plus sur Twitter, alors je me suis remise à poster.»
Sur l’importance des médias sociaux pour les journalistes
lire le billetLe Nieman Lab – blog media de la Nieman Foundation d’Harvard -, a expliqué que le Huffington Post monitorait l’effet de ses titres sur ses lecteurs en temps réel. Coup de chance, mardi, deux des fondateurs étaient à l’école…
«Vous ne pouvez pas contrôler le public», a asséné Jonah Peretti, co-fondateur du site et créateur de Buzzfeed. «Vous ne pouvez pas dire “Voilà, il n’y a que trois chaînes de télé, ou voilà les trois journaux qui existent”. C’est le public qui a le pouvoir, tout ce que vous pouvez faire c’est essayer de l’influencer».
A/B Testing
Pour influencer les lecteurs, il faut commencer par savoir ce qu’ils aiment. C’est pour ça que BuzzFeed a développé une technologie permettant de voir en temps réel sur quoi ses internautes cliquent; et sur quoi ils ne cliquent pas. Ce qui permet ensuite de faire du A/B testing, c’est à dire de tester deux titres différents pour un même article sur deux panels d’internautes et de voir le titre qui attire le plus de clics. Et en direct, s’il vous plaît.
Comment faire décoller un papier dans la liste des articles les plus lus, plus emailés ou plus commentés? Le système est utilisé par BuzzFeed, le Huffington Post, et vendu à d’autres compagnies (dont Peretti n’a, bien sûr, pas voulu révéler le nom…).
BuzzFeed a en fait été créé comme un projet parallèle au Huffington Post, un laboratoire, a raconté Jonah Peretti. Publier du contenu et voir comment les gens réagissent a permis de développer des stratégies virales et de vendre ces stratégies à d’autres compagnies.
La fin des sujets pas sexys mais importants?
L’annonce de ces possibilités n’a pas ravi tous les étudiants qui assistaient à la démonstration. Avec cette technologie, les médias relégueront vite en bas de page les infos sur lesquelles les gens ne cliquent pas, se sont inquiétés certains d’entre nous. En gros, on va de moins en moins parler de sujets importants, les «pas sexys» parce que personne ne clique sur ces papiers.
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