Le journaliste-citoyen du Hudson

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Mardi 9 mars, mon prof de réseaux sociaux Dean Sree Sreenivasan a invité Janis Krums à l’école. Janis Krums vous le connaissez tous, c’est l’auteur de la première photo du crash sur la rivière Hudson.

Prise sur son iPhone, et déposé sur Twitter via TwitPic, la photo vient de remporter le prix de «Photo en temps réel de l’année» aux Shorty Awards, une cérémonie entièrement dédiée à Twitter pour honorer «les meilleurs producteurs de court contenu en temps réel». Janis Krums a gagné son prix le trois mars, le même jour où le capitaine Sully, qui avait réussi à amerrir l’avion sans aucun mort, annonçait sa retraite.

Janis Krums était sur un ferry qui relie New York au New Jersey le 15 janvier 2009, en train de jouer avec son téléphone, quand il a entendu le capitaine dire «il y a un avion devant nous, on part à leur secours».

«Je pensais que c’était un petit avion», se souvient-il, «on ne s’attendait pas à un Airbus!» Il a pris la photo de l’intérieur du ferry (d’où les traces de saleté sur la photo) quelques secondes avant que le bâteau ne s’arrête près de l’avion pour embarquer les passagers.

«Je me suis dit “C’est un évènement assez unique, ça se tweete”, et puis ensuite je n’y ai plus pensé. J’ai donné mon téléphone à un des passagers pour qu’il puisse appeler sa famille, et quand je l’ai récupéré, j’ai reçu un appel de MSNBC qui me disait “Est-ce que vous pouvez être live dans 25 secondes?”»

«Je ne sais pas comment mais ils me suivaient déjà sur Twitter et ils me voulaient dans leur émission». Le soir-même, il participait au Rachel Maddow Show, un talk populaire aux Etats-Unis.

Janis Krums était alors inscrit sur Twitter depuis six ou sept mois. Après avoir laissé son compte dépérir, il s’était finalement mis à utiliser le service deux ou trois mois avant l’accident pour se tenir au courant de l’actualité, en particulier technologique, et postait tous les jours.

Sa Twitpic a été rapidement retweetée, quelqu’un l’a postée sur Flickr (ce qui s’est avéré utile puisque Twitpic a crashé), et les sites d’infos, chaînes de télévision, et journaux papiers l’ont reproduite, sans le payer.

«A partir du moment où je l’ai tweetée, elle est devenue de domaine public», explique-t-il, «TwitPic n’a pas de règles par rapport à ça». Il est allé enregistré son copyright le lendemain, effectif quelques jours plus tard, ce qui lui a permis de faire de l’argent quand Oprah Winfrey ou Apple l’ont contacté.

Il garde plutôt un bon souvenir du cirque médiatique qui a suivi sa photo, notant que les journalistes commençaient toujours par lui parler du sauvetage avant de passer à Twitter. Même s’il considère qu’il a été «journaliste-citoyen d’un jour», l’expérience ne lui a pas pour autant donné envie de devenir journaliste plutôt qu’entrepreneur.

Des étudiants pas convaincus

Nous n’étions que cinq ou six à aller écouter Janis Krums. Certes, tous les invités n’attirent pas la même foule d’étudiants qu’Harvey Levin de TMZ, mais c’était la première fois que j’ai vu aussi peu de gens. Sur Facebook, une amie avait posté le matin-même

«Je viens de recevoir un email de Columbia annonçant une discussion avec un type qui n’est pas un journaliste mais a écrit un “tweet très lu” sur Twitter. Je ne pensais pas que je pourrais avoir un mouvement de recul, lever les yeux au ciel et grimacer en même temps.»

Une autre élève commentait

«D’autant plus que le tweet était “Il y a un avion dans le Hudson. Je suis sur le ferry qui va chercher les gens. Dingue.” Ça c’est du journalisme de qualité!»

Et l’amie de répondre

«N’est-ce pas! La prochaine fois que j’envoie un sms à quelqu’un à propos d’un accident que j’ai vu, je m’attendrai à être invitée à en discuter quelque part, de préférence sur un podium».

Une autre élève remarquait que la seule chose qu’il avait fait, c’était prendre une photo et la mettre en ligne. Elle voyait bien l’importance de Twitter dans l’événement, pas celle de Janis Krums (qui notait d’ailleurs pendant la discussion qu’il n’avait pas été le seul à prendre des photos à ce moment-là, mais juste le seul à les poster sur Twitter).

Je pense qu’en invitant Janis Krums, Dean Sree cherchait à montrer aux étudiants deux choses:

1) Que Krums, ou n’importe quelle autre non journaliste, faisait bel et bien partie de la compétition médiatique sans rien posséder d’autre que son téléphone.
2) Que Twitter et les autres réseaux sociaux peuvent avoir une importance cruciale pour sortir des scoops, et qu’il s’agit de les maîtriser là maintenant tout de suite.

Une des phrases préférées de Dean Sree est «Quand l’avion est dans la rivière, il est trop tard pour apprendre à se servir de Twitter». Inviter Krums était surtout une autre façon de la répéter à ses étudiants. C’est raté.

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