Géolocalise-moi!

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A la suite de mon article sur les sites d’information hyperlocale qui se lancent actuellement aux Etats-Unis, PEG me reprochait de ne pas avoir parlé de startups comme Outside.in. J’avais laissé de côté ce site — et Everyblock — parce que ce sont des aggrégateurs d’infos hyperlocales, sans rédaction interne, mais les remontrances de PEG ont été entendues: le président d’Outside.in était l’invité de la cinquième leçon d’entrepreunariat des médias menée par Ken Lerer, co-fondateur du Huffington Post.

Steven Johnson a écrit cinq livres dont quatre se concentrent sur la façon dont les nouvelles technologies changent notre cerveau et nos pratiques sociales, a créé FEED et Plastic.com, et fait la une de Time magazine en juin dernier avec un article sur Twitter (il y prédisait que Twitter bouleverserait Google et la recherche en général en y ajoutant le web en temps réel).

En 2005, alors qu’il travaille de chez lui sur un livre, Johnson se rend compte qu’il obtient «beaucoup plus d’informations sur Brooklyn grâce à The Brownstoner que grâce au New York Times», explique-t-il.

Pour satisfaire son appétit, il se met à suivre dix blogs locaux, en sentant que de plus en plus de blogs naissaient, et qu’il allait devenir difficile de tous les lire. Les blogs étaient organisés chronologiquement, du plus récent billet au plus daté, «mais moi je ne voulais pas nécessairement l’article le plus récent, je voulais savoir ce qui se passait le plus près de chez moi».

Au même moment, Google publie l’API des Google Maps, permettant au grand public de créer des mashups, c’est-à-dire à utiliser Google Maps et des données extérieures pour créer de nouveaux objets (que ça soit «Les meilleures bagels de Brooklyn», «Les vols à main armée dans le Bronx», etc).

«Quelqu’un peut désormais organiser tous ces posts de blogs autour d’une application géographique» se dit-il alors. Steven Johnson, qui à l’époque aimait bien sa vie d’écrivain, ne se voyait pas lancer une boîte. Mais alors qu’il mentionne l’idée à un ami, celui-ci s’exclame: «Super! Je te donne 50 000 dollars, fonce.» (Et c’est là qu’on aimerait bien avoir les mêmes amis que Steven Johnson).

Le prototype d’Outside.in a été construit en trois mois pour 25.000 dollars. «Si on avait voulu le faire quatre ou cinq ans plus tôt, ça nous aurait coûté 50 millions de dollars à cause de toute cette application géographique à développer».

La géolocalisation

«Si vous réfléchissez au type de recherches qu’on fait constamment (où est le pressing le plus proche? Que penser des écoles du quartier? etc), on filtre notre environnement géographiquement». Il s’agissait donc de faire d’Outside.in un aggrégateur géographique intelligent.

Outside.in a commencé à l’ancienne: «une armée de hipsters» — jeunes gens branchés aux goûts vestimentaires contestables — assignait manuellement des emplacements aux billets de blogs locaux. Au bout d’un an, l’armée avait compilé une bonne base de données qui reliait des morceaux de textes à des emplacements géographiques.

La start-up s’est ensuite servie d’algorithmes de détection d’emplacements pour que les ordinateurs utilisent ces données récoltées et puissent, de là, faire le reste automatiquement. Le système est en permanence peaufiné pour éliminer les erreurs qui naissent de cet automatisme.

Quelle différence avec les alertes google, a demandé un élève?

«Si vous vivez à Park Slope (un quartier de Brooklyn), et que vous avez une alerte google “Park Slope”, vous risquez de vous retrouver avec presque trop de données, et tout ce que Google fait c’est chercher l’expression “Park Slope”. Donc si quelqu’un écrit sur une école du quartier mais sans inclure l’expression “Park Slope” dans son article, vous n’aurez pas l’information».

Steven Johnson pense que de plus en plus de données vont être géolocalisées, et prend comme exemple Twitter, qui vient de confirmer le lancement de la géolocalisation (optionnelle) des tweets.

Tenez, c’est gratuit

Depuis un an et demi, Outside.in a développé un outil de publication: Outside.in for publishers, qui permet à n’importe quel site de créer une page hyperlocale très facilement intégrable: le New York Mag, le New York Post ou le Chicago Tribune (en bas de la page) sont quelques exemples.

C’est gratuit, en échange de quoi Outside.in — rentable d’ici cinq ans espère Johnson — récupère une partie des revenus publicitaires de la page, ou vend même les espaces pub. Le site veut aujourd’hui dupliquer la géolocalisation des contenus avec des publicités hyperlocales, distribuées sur tout le réseau qui utilise Outside.in.

D’ici un an, Steven Johnson compte avoir une petite régie publicitaire interne qui se chargera de démarcher les marques nationales à la recherche d’un éclairage local: Barnes n Nobles (l’équivalent de la Fnac) enverra une base de données d’événements dans ses magasins à Outside.in, qui créera automatiquement des publicités locales pour tous ces événements à travers le pays.

Il envisage aussi une demande grandissante de pages web se concentrant sur la géolocalisation de la part de publicitaires extérieurs, dont Outside.in pourrait partager les revenus. A terme, il n’a rien contre un service qui permette aux individus de créer leur pub sur Outside.in, mais ce n’est pas pour tout de suite (alors que les sites hyperlocaux de Patch misent en partie sur ça).

Le site d’Outside.in, constitué de milliers de pages (villes, codes postaux, quartiers, lieux, et désormais des sujets tels que la délinquance, la nourriture, etc), ne va représenter qu’un cinquième de son trafic mais 50% de ses recettes publicitaires, prédit Johnson. Le réseau Outside.in (tous les sites extérieurs qui intègrent des pages Outside.in) grandit beaucoup plus vite que le site, et représentera 4/5e de son trafic pour 50% de ses recettes, puisque l’équipe de Johnson ne contrôle pas le prix des pubs.

Même pas peur d’Everyblock

Pour moi, le grand concurrent d’Outside.in c’était Everyblock, un autre aggrégateur de news locales lancé en 2007, qui fournit en plus les critiques de restaurants, les plaintes déposées et les demandes de licences pour débit de boissons. Mais d’après Johnson, c’est justement ces données supplémentaires qui ont ralenti Everyblock: «ils n’ont pas pu atteindre autant de marchés que nous parce que leur plateforme était plus compliquée à construire. En plus, comme ils ont bénéficié d’une bourse de la Knight Foundation, ils ont tout fait en Open Source». Everyblock a été créé grâce à une bourse du Knight News Challenge, qui suppose de développer son idée en Open Source. Outside.in pouvait se servir de logiciels Open ou «Closed Source». D’après Johnson, Outside.in aurait mis plus de temps à se développer uniquement en Open Source.

Maintenant qu’Everyblock a été racheté par MSNBC, Johnson, qui se dit surpris de ne pas avoir plus de concurrence sur son marché, ne s’inquiète carrément plus. «Si Google avait acheté Everyblock j’aurais été beaucoup plus inquiet. Déjà parce que Google les aurait acheté eux et pas nous, et puis parce que Google est beaucoup plus malin avec ce genre de start-ups» que Microsoft.

J’aurai sûrement l’occasion de reparler de Steven Johnson: il est le «Hearst New Media Professional in Residence» à Columbia, une chaire qui sert à renforcer les liens entre journalistes professionnels et étudiants en journalisme: le printemps prochain, il va participer à nos cours, critiquer certains de nos travaux, et prononcer un discours sur le journalisme en ligne.

Cécile Dehesdin

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(Photo: pin points, par stefanie says, via Flickr)

5 commentaires pour “Géolocalise-moi!”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Cecile Dehesdin. Cecile Dehesdin a dit: [Medialab] Outside.in ou l'aggrégateur qui géolocalise l'info http://bit.ly/geoloc […]

  2. […] Géolocalise-moi ! (by @sayseal) – Retour sur la genèse d’Outside.in, « agrégateur […]

  3. Salut,

    Merci d’avoir répondu à mon commentaire, et si brillamment! C’est vraiment un excellent panorama, et j’ai appris plein de trucs, alors que je suis le secteur de relativement près.

    La raison pour laquelle Outside.in m’intéresse plus que, par exemple, Patch, c’est justement parce que c’est un aggrégateur. Sur le court terme, à mon avis, ce modèle me paraît à la fois plus soutenable financièrement et plus utile. Il s’agit non seulement d’aggréger plusieurs sources au lieu d’en avoir une seule mais aussi d’autres données, pas forcément journalistiques mais à valeur ajoutée (mashups, Twitter, Foursquare, etc.).

    A terme, à mon avis les plateformes hyperlocales arriveront à un modèle hybride avec un peu de contenu produit en interne et beaucoup d’aggrégation, mais le chemin que prend Outside.in pour y arriver me semble plus intéressant que ses concurrents.

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