Mon cours sur Twitter et Facebook est terminé, mais son projet final est toujours d’actualité: les quatre classes qui le suivent ce semestre écrivent chacune une partie des règles internes de Columbia quant à l’utilisation des médias sociaux. (Le code devrait être au point d’ici un mois, je vous tiens au courant!)
En nous demandant de réfléchir à ces règles, notre professeur nous a en quelque sorte demandé si sur Internet les valeurs et la déontologie journalistiques changeaient. Notre première réaction a été de dire «bien sûr que non», mais si c’était si évident que ça, est-ce qu’un journaliste d’ABC twitterait le les propos «off the record» d’un président américain traitant un rappeur de crétin?
La journaliste Gina Chen affirme la même chose sur son blog «Save the media», en mettant au point son «Guide de déontologie des médias sociaux pour journalistes». Ses règles sont moins brutales que celles du Washington Post, publiées parce qu’un des rédacs chefs donnait trop son opinion sur son compte Twitter. Mais elles ne répondent quand même pas à mon plus gros problème. Si je ne dois rien publier sur Facebook ou Twitter que je ne serais pas fière de voir en une du New York Times, est-ce la fin de l’humour, de la personnalité, et de notre nouveau rapport — moins guindé — avec le lecteur?
Si on écarte ce problème, je suis d’accord avec les règles de Gina Chen. La déontologie en ligne est la même que la déontologie dans un journal. Pourquoi est-ce que des internautes ne mériteraient pas autant d’éthique de notre part que des lecteurs? Ce n’est pas parce que la publicité les considère moins importants que les journalistes doivent s’y mettre…
Au cours d’une étude de cas du site Politico, en cours de business, notre prof Bill Grueskin a fait un aparté pour parler de Polanski. Le 7 octobre, un journaliste du site d’infos politiques a écrit un court article au titre évocateur: «Les supporters de Roman Polanski ont donné 34,000 dollars à Barack Obama et au Parti Démocrate». Ou comment faire de la complète désinformation: le journaliste a trouvé les noms américains dans une pétition soutenant le cinéaste, et cherché leur participation financière à la campagne d’Obama il y a un an!
Bill Grueskin a écrit un mail rageur au journaliste, qui lui a en gros répondu: «c’est pas moi, c’est Internet et mon rédac chef».
Puisque la toile ne parlait que de Roman Polanski, il fallait trouver un «angle Politico» à l’affaire pour attirer des internautes. Le journaliste a fait retirer son nom de l’article, mais celui-ci est toujours en ligne sans aucune autre modification ou explication. Bill Grueskin nous a supplié de na pas utiliser «l’excuse internet» et de nous servir de notre jugement dans ce genre de situation. «Vous ne voulez pas recevoir un jour un mail de moi…»
Le pouvoir du lecteur n’est effet pas négligeable, bien au contraire. Leur vigilance est un sérieux garde-fous aux dérives et aux erreurs qui arrivent même aux meilleurs. Internet est peut être même la meilleure façon de conserver les valeurs éthiques du journalisme, comme l’a montré l’affaire NY Times/ NYT Picker. Le NYTPicker est un blog anonyme très critique du New York Times, qui surveille le quotidien et rapporte régulièrement des problèmes de déontologie au sein du journal. Début septembre, le blog média du New York Times a affirmé avoir démasqué l’auteur du blog. Ce à quoi le NYTPicker a répondu sur Twitter «Bien tenté, mais non! Essaie encore».
Le billet du New York Times a alors tout simplement disparu, comme le raconte le New York Observer. Mais on n’étouffe pas une affaire aussi simplement sur Internet… plusieurs blogueurs avaient déjà relevé l’erreur, dont Michael Calderone, de Politico. Dans le monde des blogs, quand on fait une grossière erreur, on ne la supprime pas ni vu ni connu, on ajoute une correction dans le billet ou on barre l’erreur en la remplaçant. Ce qu’a dû finir par comprendre le NY Times, puisque un billet expliquant l’erreur a été posté par «la rédaction».
Dans ce cas précis, les valeurs des «vieux médias» et des «nouveaux médias» sont les mêmes: la section «correction» des journaux américains remplit exactement le même rôle. Sauf que là où certains pouvaient être tentés d’ignorer des lettres de lecteurs assassines, ce n’est plus possible aujourd’hui.
Cécile Dehesdin
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(Photo par DRB62 via Flickr)
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par narvic et Cecile Dehesdin, Laurent Checola. Laurent Checola a dit: Quelle déontologie pour les journalistes dans les réseaux sociaux ? (Medialab de Cécile) http://icio.us/lzpp3k (RT @narvic) […]
Instructif et savoureux. Jele fait circuler et je l’envoie à Eric Mettout de l’Express qui en a bien besoin.