Ma marque, c’est moi. (Ou pas?)

Après les cours de Twitter, j’ai eu droit ces deux dernières semaines à des cours de «personal branding». Le personal branding? Un concept — les journalistes devraient se créer/avoir leur marque — qui fâche les blogueurs et certains journalistes. «Les journaliste n’aiment pas en parler parce qu’on dirait un concept de Business school», sourit Dean Sree, mon prof de «Social media skills for journalists». Mais pour Noam Cohen du New York Times, venu assister à un de nos cours, notre marque, c’est tout simplement notre réputation. «Une interprétation active de votre réputation», ajoute Betsy West, ancienne rédactrice chef de CBS. «Avant, j’avais l’impression que CBS, c’était moi. Mais ce n’est pas le cas! Il faut séparer sa marque de son entreprise, parce que sinon quand vous changez de travail il faut que vous établissiez une nouvelle marque».

La marque comme petite annonce

Fin septembre, Xavier Ternisien se demandait dans le Monde si Les journalistes allaient devenir des marques grâce à Internet. Les journalistes dont la signature est connue du grand public existaient depuis longtemps, rappelait-il. Pour lui, la nouveauté se trouve dans l’utilisation d’Internet pour se construire sa marque. Il se demandait si un personal branding réussi pouvait se passer d’un support prestigieux et trouver un public équivalent sur un média en ligne, arguant que pour une grande signature, «le passage au Web only apparaît comme un pari risqué».

Mais la question n’est en fait pas là. Le personal branding actuel ne cherche pas à faire passer petites ou grandes signatures au «Web only», simplement à se construire une réputation qui permettra de (re)trouver du travail. Ce n’est pas tant qu’un journaliste peut ou pas se passer d’un support prestigieux, c’est qu’il ne va pas avoir le choix.

«Votre marque est importante parce que le monde du journalisme a changé», explique Dean Sree. Avant, votre travail parlait de lui-même au travers de grandes institutions (que ce soit le New York Times ou le Minneapolis Star Tribune), mais vous ne pouvez plus vous reposer sur votre entreprise: elle change, se métamorphose, meurt parfois».

«Votre marque, c’est tout ce que vous avez», continue-t-il. «Il fut un temps où quand vous étiez jeune journaliste pour Katie Couric, vous pouviez être sûr d’avoir un plan de carrière pour les vingt années à venir. Aujourd’hui, qui sait si Katie Couric aura un boulot dans deux ans?»

On crée sa marque sur les réseaux sociaux

En plus de créer sa marque grâce à son propre site ou un blog, il s’agit de savoir utiliser les médias sociaux. Etre sur Twitter, Facebook, Linkedin, c’est bien, mais ça ne suffit pas. «Le plus important, c’est qu’il faut qu’on vous trouve. Vous êtes peut-être merveilleux, mais comment est-ce que les gens vont le savoir?», demande Sree.

Aux gens qui n’aiment pas se mettre en avant, il répond qu’une marque n’a pas besoin d’être bruyante et bavarde, et que la marque d’un journaliste peut très bien être «discrétion» et «sérieux». «Avoir une marque, c’est juste faire en sorte que votre nom ait de la valeur».

Quelques autres conseils en vrac: savoir comment fonctionnent les moteurs de recherche pour mieux contrôler ce qui apparait en premier quand vous googlez (binguez?) votre nom, faire attention à qui vous recommandez et qui vous recommande sur Linkedin, Retweeter et répondre aux autres utilisateurs de Twitter ou Facebook, et surtout…

Ne jamais relâcher la pression

«Vous êtes ce que vous tweetez», dit Sree, reprenant un peu nos discussions des dernières semaines. Tout ça, c’est bien beau, mais la classe commence à déprimer: qui a vraiment envie de réfléchir à chacun de ses tweets à part lui?

Sylvie me posait justement cette question dans un email: «Les journalistes doivent mettre leur vie personnelle entre parenthèse pour se dévouer totalement à leur métier au point de sacrifier des outils initialement à destination d’un usage personnel (bien que public)? Un journaliste signant de son nom et non d’un pseudonyme, qui quelque part doit assumer ses dires, doit-il prendre un pseudonyme dans la vie privée?»

Pour Sree, la réponse est oui. «Vous pensez que ça ne devrait pas se passer comme ça, que vous ne devriez pas avoir à penser à chaque fois que vous tweetez ou écrivez un statut Facebook… mais vos boulots vont être en jeu».

Comment faire si je ne veux pas être constamment sérieuse? Je peux tout simplement décider que mon envie de «lol» fait partie de ma marque, même si ce n’est pas sa facette la plus importante. Et donc faire de l’humour de temps en temps.

Sree conseille de trouver un équilibre entre les différents médias sociaux: décider par exemple que Facebook et Twitter c’est pour la vie personnelle, et qu’on peut trouver votre côté sérieux sur Youtube, Digg, ou ailleurs. En y réfléchissant, je me suis rendue compte que je préférais utiliser Facebook pour ma vie personnelle et étudiante, et Twitter pour ma vie professionnelle (ce qui n’exclut pas d’être plus légère de temps en temps!). Résultat, j’ai créé une page Facebook pour ce blog, afin que les gens que ça intéresse deviennent «fan» de la page plutôt que de m’ajouter comme Facebook friend.

Sree a également proposé à ses élèves de monter un plan de «personal branding». L’idée c’était d’établir trois étapes: où j’en suis aujourd’hui, où je veux en être à la fin de l’année, où j’espère être dans cinq ans (on était encouragés à se lâcher pour cette dernière étape), et les façons d’atteindre ces objectifs. Résultat ici pour mon copain Shane, qui m’a aidée à créer ma bannière de blog ou là pour moi. A votre tour?

Cécile Dehesdin

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12 commentaires pour “Ma marque, c’est moi. (Ou pas?)”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Florence Desruol et Marsattac. Marsattac a dit: Personal branding et journalisme par Cécile Dehesdin http://tinyurl.com/y85mwzq […]

  2. […] Le Medialab de Cécile » Ma marque, c’est moi. (Ou pas?) […]

  3. Récemment, j’ai entendu cette remarque à propos du Personal Branding à la suite d’une conférence, c’était comme l’idée principale à retenir : “Le train va partir avec ou sans nous”.

    Effectivement, chacun est libre de choisir s’il veut monter dans le train ou pas mais personne ne peut l’empêcher de partir… 😉

  4. Evidemment ce travail sur l’image que l’on renvoie de soi est rendu nécessaire par la fragilité & le poids de l’e-putation, comme par la nécessité de choisir plus rapidement entre toujours plus d’options… mais ces concepts d’égologie / personal wanking ne m’enthousiasment pas vraiment.
    Tout d’abord, c’est une arme à double tranchant. Pire, maniée avec subtilité elle dénaturera bien tristement les relations au quotidien, en les détournant au profit d’un utilitarisme tous azimuts : tu crois retrouver un ami d’enfance, au bout de quelques minutes tu comprends que tu lui fais passer un entretien d’embauche pour le jour où, éventuellement, il aurait besoin de toi… 😉
    Surtout, cette vision essentialiste des individus implique vite une contrainte de tous les instants : une fois intériorisé, le rôle que tu as choisi te réduit à une série d’attributs, qui ne peut évoluer qu’à la marge ==> à trop vouloir être fiable, on en devient prévisible – au point d’abdiquer imperceptiblement son droit d’errance à travers le champ indéfini des possibles…

    Cela dit, ton plan d’action à 5 ans est chouette. Mais il ne faudra pas oublier l’enseignement, ou la transmission d’une manière ou d’une autre : tu es (aussi) faite pour ça, c’est évident !

  5. […] Ma marque, c’est moi. (Ou pas?) Le Medialab de Cécile – PeopleRank: 0 – 8 oct. 2009 …Xavier Ternisien se demandait dans le Monde si Les journalistes allaient devenir des marques grâce à Internet. Les journalistes dont la signature est connue du grand public existaient depuis longtemps, rappelait-il. Pour lui, la nouveauté se trouve… Personnes citées : Katie Couric  + votez […]

  6. @un fan de la première heure

    Selon toi, Personal Branding = Egologie. De mon côté, je ne vois pas le rapport avec le Personal Branding, une démarche de gestion de carrière. Il y a plusieurs façons de gérer sa carrière (le Personal Branding est une démarche parmi d’autres), est-ce que toute personne qui gère sa carrière est égotique ?

    Cependant, tout ce que tu écris dans ton commentaire est vrai. C’est le reflet du monde dans lequel on vit. Les méthodes, démarches, processus ont pour but de s’adapter au monde et non de le créer. On peut parfois faire un constat amer du monde dans lequel on vit mais on est bien obligé de s’adapter.

    Oui, il y a sur cette terre des personnalités difficiles (égocentriques, histrioniques, mytho,…) ainsi que des vantards et prétentieux qui sont toujours à la recherche de moyens pour outiller leur nature. Oui, il y a des hypocrites, des calculateurs, des manipulateurs,… Mais, on dirait en te lisant que l’objectif du Personal Branding est de nous transformer en égocentriques manipulateurs alors que le but est simplement de nous aider à mieux nous connaître (connaissance de soi, développement personnel) et à mieux nous faire connaître et reconnaître pour ce que nous faisons avec talent, passion et qui correspond à nos valeurs.

  7. @un fan de la première heure

    Comme Olivier le dit, je ne pense pas que le personal branding soit nécessairement du personal wanking. C’est plus une façon de penser à ton avenir et à ce que tu veux devenir (et vu l’importance des niches dans le journalisme, c’est malin d’y réfléchir pour se spécialiser), ça ne veut pas pour autant dire qu’on n’a pas le droit de s’éloigner du plan!

    Je suis d’accord sur le problème de l’intériorisation, pour moi ça va avec l’idée que je suis censée faire attention à chaque tweet ou statut Facebook… heureusement ça ne me parait pas encore d’actualité en France.

    Pour l’enseignement, on en reparle dans cinq ans 😉

  8. Social comments and analytics for this post…

    This post was mentioned on Twitter by sayseal: [Blog] A Columbia j’ai aussi des cours de “personal branding”: Ma marque, c’est moi. Ou pas? http://ow.ly/tobK

  9. En apparence, le personal branding peut paraître une démarche qui favorise l’inflation de l’égo. En réalité, ce n’est pas le cas sauf pour les imposteurs. D’abord il s’agit de construire une marque authentique en s’appuyant sur ce qui fait de nous quelqu’un d’unique. Tout le contraire d’une démarche cosmétique. Ca passe donc d’abord par la découverte de son potentiel inexploité et la mise en mouvement de ses talents………Ensuite développer sa marque personnelle c’est aussi être capable de la conjuguer avec celle des autres dans une “relative harmonie“.

  10. […] crois finalement que cette revendication journalistique en haut lieu a été influencée par le personal branding. Kézako ? Ça vient de l’anglais et ça signifie, en gros : marque personnelle. Gné ? Ce […]

  11. […] et de développer leur « marque personnelle », principalement via internet, pour se vendre et continuer à faire de l’information. Cette hypothèse en a fait sourire plus d’un car c’est exactement ce que nous autres […]

  12. […] pourquoi j’enrage quand je lis ce conseil de l’ancienne rédactrice en chef de CBS sur le Medialab : « Il faut séparer sa marque de son entreprise. » Attention, je ne dis pas […]

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