Comment diriger une rédaction en 2013? Qui peut être chef de service, rédacteur en chef, directeur de publication, directeur de rédaction à l’ère numérique? Jim Brady, le rédacteur en chef de Digital Media First, et Callie Schweitzer, directrice de l’innovation à Time Magazine depuis septembre, ont débattu des compétences requises pour savoir «manager» des médias en ligne, à la conférence organisée par l’ONA (Online News Association) le 19 octobre 2013 à Atlanta. Le premier a commencé à travailler en 1990 comme journaliste sportif, la seconde a terminé ses études en 2011. Les deux ont une approche des ressources humaines adaptée à la culture américaine, mais certaines de leurs recommandations peuvent aussi intéresser le marché français. Voici une retranscription, partielle, de leur discussion.
Jim Brady
Avant, dans les rédactions, tous les journalistes attendaient que le chef parle avant d’agir. Maintenant, le chef en sait cent fois moins que sa rédaction en tant que collectivité. L’étendue des compétences des journalistes n’a jamais été grande. Si vous avez besoin de rappeler que vous êtes le boss, vous avez perdu. Vos journalistes doivent savoir que vous l’êtes, point.
Callie Schweitzer
L’âge n’est pas un critère pour devenir chef. Ce qui compte, c’est la capacité d’adaptation. Pouvoir tester des nouvelles technologies et comprendre leur impact sur le métier que l’on exerce, à tout âge, est la compétence clé.
Jim Brady
Nous vivons dans un monde de «gamification», où nous sommes habitués à gagner des points, à obtenir des badges et à passer des niveaux, comme dans un jeu vidéo. Or il est dangereux de penser que ce système puisse correspondre à la hiérarchie rédactionnelle. Ne vous mettez pas d’objectif du style «à 30 ans, j’aurai tel poste et je gagnerai tel salaire», cela ne fonctionne pas ainsi.
Callie Schweitzer
La génération Y passe souvent pour une génération égocentrique et arriviste. Mais, dans les rédactions, il est rare d’avoir des gens qui proposent leurs services pour mettre en place des changements et prendre de nouvelles responsabilités. Pour ma part, j’ai toujours proposé mon aide, même si je n’étais pas toujours parfaitement qualifiée pour la tâche, car je savais que j’apprendrai en route.
Jim Brady
La meilleure décision à prendre est parfois de refuser un poste en expliquant à votre supérieur que vous n’êtes pas encore prêt. Contrairement à ce que vous croyez, vous gagnerez en crédibilité à ses yeux. C’est très précieux de connaître ses forces et ses faiblesses.
Callie Schweitzer
Certaines rédactions veillent à ne pas laisser leurs managers superviser plus de dix personnes. Car la difficulté, c’est de pouvoir suivre ce que fait chaque personne dans son équipe. Si vous ne le savez pas ce que fait un tel ou un tel, il y a un problème. Il faut prendre le temps de récupérer des remarques provenant de la base, pour comprendre ce qu’il se passe chaque jour, savoir ce qui marche ou non. Ne pas avoir de retour quotidien des membres de votre équipe, c’est l’échec assuré.
Jim Brady
Nous avons trop souvent tendance, dans les rédactions, à recruter des journalistes en fonction d’une fiche de poste à pourvoir. Si le poste concerne le pôle vidéo, nous regardons si le candidat est compétent pour réaliser des vidéos. Si le poste concerne le desk, nous veillons à ce qu’il soit capable de produire vite. Mais nous ne pensons pas assez à regarder s’il pourra, un jour, devenir chef. Or les bons journalistes ne sont pas forcément des bons managers. Un bon manager doit savoir parler plusieurs langages, le langage du développement, le langage éditorial, et le langage du marketing.
Callie Schweitzer
Il ne devrait y avoir aucun secret entre les équipes. La rédaction, la publicité, le marketing et le développement ont le même objectif – que tout marche au mieux -, donc il faut pratiquer la transparence absolue entre les services et tout partager.
Jim Brady
Si votre média se dit «digital first», cela sous-entend que vous avez pris trois décisions:
1. la direction de votre média est assurée uniquement par ceux qui croient au numérique, et sont eux-mêmes des profils très «numérisés»;
2. les commerciaux sont payés pour vendre du numérique (abonnements, publicités, etc.);
3. les revenus obtenus sont réinjectés dans la technologie.
Si l’un de ces trois points n’est pas respecté, votre média ne peut se prétendre «digital first».
Callie Schweitzer
Nous pouvons passer notre vie en réunion et, un an plus tard, rien n’aura avancé. J’aime beaucoup cette idée qu’en réunion, les minutes restent, les heures filent. Pourtant, nous savons tous ce que c’est que de produire des contenus sous la contrainte d’une heure de bouclage. Nous devrions appliquer les principes du bouclage aux réunions, et plus généralement, à ce que nous accomplissons dans une rédaction. Lorsque vous quittez un poste, vous devez être capable de résumer ce que vous y avez fait via un titre et deux lignes de chapeau.
Jim Brady
Il y a beaucoup de plus de «turn over» qu’avant dans les médias. Les journalistes ne restent plus au même poste pendant des années. Si l’un d’entre eux part, parce qu’il a été recruté par une autre rédaction, ne le prenez pas mal, maintenez le contact avec lui, vous le recruterez à nouveau plus tard. Il faut accepter qu’il y ait du passage.
Callie Schweitzer
Recruter des journalistes ne suffit pas, il faut aussi savoir les retenir. Pour cela, pas de secret, il faut les valoriser et leur faire sentir qu’ils ont le pouvoir de tout changer en faisant des suggestions. Il faut aussi les aider à grandir à l’intérieur de l’organisation.
Jim Brady
En tant que chef, vous devez apprendre à tourner votre langue sept fois dans votre bouche avant de parler. Ne soyez jamais négatif. Cela se répandrait à toute vitesse et empoisonnerait toute l’organisation.
Callie Schweitzer
Outre la «réunionite» aïgue, l’autre problème des chefs consiste à gérer leurs messageries surchargées. Qui arrive à lire et répondre à tous ses emails? Personne. L’idée d’avoir zéro email en attente dans sa boîte est un mensonge. C’est impossible. Vous mettez une étoile à un email pour y répondre plus tard? Sachez que vous ne reviendrez jamais sur cet email. J’aimerais beaucoup pouvoir ajouter à nos emails l’acronyme NRN (no response necessary – réponse non demandée) pour éviter cette succession de réponses inutiles disant «OK» ou «merci».
Quelles compétences vous semblent indispensables pour diriger une rédaction à l’ère numérique? Merci de vos suggestions sur Twitter, Facebook, et dans les commentaires.
Alice Antheaume
lire le billetFaut-il que je me spécialise sur un seul support? Dois-je savoir coder? Quel salaire puis-je espérer pour mon premier poste de journaliste? Voici quelques unes des questions que les étudiants en journalisme et les jeunes diplômés se posent le plus souvent. Tentatives de réponses avec l’aide de leurs futurs employeurs.
La liste est longue. Il y a d’abord un socle de compétences incontournables: avoir de la culture générale, connaître sur le bout des doigts l’actualité, être rigoureux, et bien sûr fiable sur les informations que l’on donne. Mais cela va au-delà de la capacité à passer des coups de fils pour vérifier des infos. Les rédactions espèrent des vrais passionnés. ”Les journalistes qui sont vraiment au taquet sur l’actu sont trop rares! Un journaliste qui débarque chez nous en stage et sait rebondir sur l’actu en proposant des angles malins a tout gagné”, s’exclame Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint de France TV Info. A Rue89 aussi, on privilégie ceux qui ont “le sens de l’angle”.
Quant à la maîtrise de l’anglais, ce n’est plus une option. A l’AFP, non seulement l’anglais est obligatoire mais une autre langue “opérationnelle” est requise. Sont donc très appréciés les candidats qui, en plus, parlent une langue rare (chinois, arabe et russe) et bénéficient d’une expérience de terrain, notamment à l’étranger.
S’ajoute à cela une couche d’agilité sur les outils numériques, presque considérée comme faisant partie des fondamentaux journalistiques. Ils doivent “maîtriser les usages et codes du Web”, reprend Thibaud Vuitton, “connaître le Web et ses outils, savoir utiliser Twitter, savoir embedder une vidéo et une Google Map” sur une page Web, voire organiser un live, ajoute Clémence Lemaistre. Autre compétence indispensable: savoir animer une conversation sur les réseaux sociaux et interagir avec une communauté en ligne, y compris lorsque l’on veut travailler à la télévision et la radio. “Oui, un reporter a besoin de répondre aux commentaires. Il doit aussi savoir qui le lit et pourquoi”, écrit le journaliste Lewis Dvorkin, sur le site de Forbes.
Le candidat idéal doit donc avoir plus d’une corde à son arc. Les rédacteurs en chef veulent des profils réactifs et débrouillards, bref, opérationnels. Pour Fabrice Pierrot, rédacteur en chef de C à vous, sur France 5, il leur faut “montrer, via leur formation, qu’ils sont capables de maîtriser les premières tâches qui vont leur être demandées: écritures de la biographie d’un invité, éditing d’une émission, réalisation d’interviews”. En outre, Paul Ackermann, rédacteur en chef du Huffington Post, attend d’eux “autonomie et d’esprit d’initiative”, car, dans les rédactions, le temps de la formation est terminé, il faut apprendre à faire les choses par soi-même.
Au rayon humain, cela va sans dire, enthousiasme bienvenu. Et pas d’allergie aux changements. “L’état esprit du candidat est très important”, pense Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr. “Notre environnement se trouve dans un mouvement permanent. Pour s’y sentir à l’aise, il ne faut pas avoir de réticence et être ouvert aux nouvelles formes de narration journalistique”. Enfin, “s’il a un petit plus, une passion qui peut servir au bureau, c’est encore mieux”, complète Clémence Lemaistre, rédactrice en chef du site de BFM TV. Celle-ci vient d’embaucher une journaliste qui publie sur son blog, à ses heures perdues, des dessins d’actualité, notamment des dessins de procès judiciaires.
Non. Même à l’AFP, où la culture de l’écrit est fondamentale, les profils les plus recherchés sont ceux qui justifient d’une double compétence, par exemple quelqu’un qui a “un vrai profil bimédia texte/TV” et sait donc produire des articles écrits comme des vidéos, confie Patrice Collen, qui travaille au recrutement des journalistes pour l’agence. Idem au Monde.fr. “Nous avons beaucoup de compétences en interne sur l’écrit, donc nous cherchons plutôt en externe des profils compétents en image, fixe ou animée. Tout ce qui peut nous enrichir en nouvelles formes d’expression est le bienvenu”. Une tendance que l’on retrouve aussi dans la “paroisse” numérique de Lagardère (Le Lab, Parismatch.fr, Europe1.fr, etc.) où l’“appétit pour le traitement de l’image (fixe et animée)” est apprécié.
Non. C’est vrai qu’un journaliste sachant coder a toutes les chances d’être embauché sur un site Web d’informations avant même d’être diplômé, car cette double compétence est très rare. Pour la majorité des jeunes journalistes se destinant à des supports numériques, il ne s’agit pas d’apprendre à taper des lignes de code comme le ferait un ingénieur informatique. Mais comprendre les grands principes du code et savoir parler aux développeurs dans une rédaction peut faire la différence – et c’est pile l’objectif du nouveau cours sur les langages et développement numériques de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Une fois que le candidat a convaincu qu’il avait des fondamentaux journalistiques solides, “ensuite, on peut tout imaginer en termes de compétences techniques et mêmes des candidatures aux confins du journalisme et du développement, pour réaliser des contenus aux interfaces complexes”, lance Alexis Delcambre, du Monde.fr.
1. Ne pas envoyer sa candidature pendant les vacances, ni pendant les week-end, ni à minuit en semaine. Pour Clémence Lemaistre, “le mieux est de l’envoyer en journée, avec en objet quelque chose de simple comme «candidature spontanée pour le site bfmtv.com»”.
2. Mettre en pièce jointe le CV, simple et concis. Pas de photo sur le CV sauf si vous postulez pour un poste de présentateur à la télévision.
3. Ne pas attacher de lettre de motivation en pièce jointe mais écrire un mot court directement dans le corps du mail. “On lit davantage des introductions bien tournée, qui nous accrochent sans être nunuche que des lettres de motivation généralement convenues”, dit Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89. “Faites plus court que le court”, conseille Joël Ronez, directeur des nouveaux médias à Radio France, et “résumer dès la première phrase les aspects saillants de la candidature, et surtout les intentions, centres d’intérêts et points forts («je souhaite trouver un (stage/emploi) de (durée) à partir de (date) au sein d’une rédaction (choisir laquelle) et avec la spécialité (choisir laquelle) pour faire (choisir les bonnes mentions) du reportage, de la photo, des interviews, etc.»”.
4. Parler de la spécificité du média pour lequel on postule. “Deux ou trois phrases dans le corps du mail prouvant que le ou la candidate s’est donné la peine d’aller au moins une fois sur mes sites!”, résume Laurent Guimier, directeur de l’information numérique chez Lagardère. Même chose pour Fabrice Pierrot: le candidat doit “connaître l’émission de télé à laquelle il postule” et pouvoir “en faire une description critique” sans recopier ce qu’il y a écrit dans la page “à propos” du média concerné.
5. Montrer sa motivation pour le média pour lequel on postule, en invoquant une raison autre que “je dois manger” ou “vous embauchez”. Bref, dire “qui je suis / d’où je viens / ce que j’ai envie de faire, avec un CV en PJ et une proposition de se rencontrer pour en discuter. Pas la peine de cirer les pompes sur la qualité du site ou autres. Plus c’est court/efficace mieux ca marche”, reprend Thibaud Vuitton, de France TV Info. Selon Fabrice Pierrot, de C à vous, l’idéal est de proposer des idées dans le cadre de l’existant. “Le meilleur recrutement que j’ai fait ne s’est pas réalisé via un CV. C’est un étudiant dégourdi qui avait monté un petit sujet en vidéo avec ses propres moyens, en reprenant les codes graphiques de l’émission, en ayant choisi un angle compatible avec notre ligne éditoriale. Il me l’a envoyé en me disant je sais que vous recevez untel, si vous m’aviez confié le sujet, j’aurais sans doute fait ça. C’était perfectible mais très pertinent, je l’ai embauché dans le mois qui a suivi.”
6. Insérer les coordonnées téléphoniques dans le corps du mail – pas que dans le CV en pièce jointe donc – pour que le rédacteur en chef puisse appeler le candidat rapidement.
7. Eviter les poncifs et les fautes d’orthographe. “L’orthographe doit être impeccable”, vraiment, insiste Laurent Guimier. Humilité appréciée, nul besoin de faire la leçon à l’interlocuteur sur des couacs passés.
8. Mettre des liens vers ses publications mais en les accompagnant d’un titre. Selon Joël Ronez, il importe de “commenter d’une phrase les liens vers des travaux personnels en ligne (blogs, articles fait dans le cadre d’un stage, page pinterest, compte twitter, etc.). Sans références, c’est compliqué.”
9. Ne pas déprimer si on ne reçoit pas de réponse dans l’immédiat. Mieux vaut téléphoner quelques jours après l’envoi de la candidature pour savoir si le rédacteur en chef l’a “bien reçue”. Et garder en tête que les recrutements ne se font pas à jets continus. “On met de côté toutes les candidatures que l’on reçoit en vue de période où l’on aura besoin de recruter”, explique Thibaud Vuitton. “Donc il ne faut pas désespérer s’il on ne reçoit pas de réponse tout de suite, cela ne veut pas dire qu’on ne sera pas rappelé plus tard – et ça vaut donc le coup d’envoyer des CV!”.
Non, à moins de vouloir devenir schizophrène. Un seul compte Twitter est nécessaire, sur lequel on respecte la règle suivante: même jeune, même débutant, un journaliste est journaliste 7 jours sur 7, quel que soit l’endroit d’où il parle. Ses devoirs journalistiques (pas de diffamation, pas d’atteinte à la vie privée, etc.) prévalent sur les publications traditionnelles (sites Web, journaux, émissions de radio ou de télévision) mais aussi les publications annexes, et donc sur son compte Twitter. Or l’empreinte numérique, c’est l’une des premières choses qu’un employeur regarde. Il faut donc “penser à travailler les aspects trahissant une personnalité sur son fil Twitter”, conseille Joël Ronez, de Radio France. Systématiser “le RT des articles du Monde sur le Mali est inutile, un commentaire personnel même sur un sujet anecdotique permettra d’appréhender qui vous êtes.”
Faire de la veille sur l’actualité et la publier tous les jours sur ses comptes Facebook ou Twitter est une solution pour commencer. La veille, cela désigne ce rôle de sentinelle du journaliste, à savoir publier des bons liens, vers des sources d’informations originales (et pas après tout le monde) et se créer une spécialité (le sport, l’économie, la photo, la cuisine, etc.). De quoi se fabriquer une “bonne empreinte sociale”. Mais attention à ne pas commenter à tire-larigot. Pour Clémence Lemaistre, les rédactions n’ont pas besoin de quelqu’un “qui passe toute sa journée à tweeter” tout et n’importe quoi. Et bien sûr, quand on se trouve à un endroit où il y a de l’actualité (dans les gradins d’un match de foot, sur les bancs d’un procès judiciaire, dans un magasin le jour des soldes, etc.), on poste en ligne des images avec des légendes précisant qui est sur la photo, le lieu, et ce qu’il se passe. Pour s’exercer, le “cahier de vacances” pour jeunes journalistes est toujours d’actualité.
Il y a plusieurs formes de piges. Une journée de travail peut être payée sous la forme d’une pige, et un sujet également. A Radio France, une journée de pige est payée entre 80 et 110 euros bruts selon la station et les missions confiées. Au Monde.fr et au Huffington Post, un jour de pige équivaut à 97 euros bruts.
En ce qui concerne un sujet pigé, c’est entre 90 et 100 euros bruts au pôle numérique de Lagardère (Europe1.fr, Le Lab, ParisMatch.fr, etc.). Chez Rue89, c’est 150 euros bruts le sujet complet, à condition de fournir aussi la photo. Si c’est une enquête qui demande du temps et de l’énergie, le tarif est négociable. Au Huffington Post, un sujet se rétribue 50 euros bruts le feuillet quand la traduction d’un papier se monnaie 35 euros bruts le feuillet. Quant à un sujet complet, il se rétribue entre 100 (texte et photo) et 500 euros (vidéo) sur lemonde.fr, selon sa longueur et sa complexité. Au JDD, la pige se paie 100 euros le feuillet.
A l’AFP, le CDD est “la” voie d’entrée, renseigne Patrice Collen. Paiement: environ 2.500 euros bruts par mois. C’est plus que la plupart des autres rédactions dans lesquelles la rémunération, en CDD ou en CDI, tourne autour de 1.800 euros bruts mensuels.
A BFM TV, les jeunes journalistes débutent à 2.000 euros bruts par mois.
A Radio France, le premier salaire perçu varie en fonction de la formation. Un étudiant d’une école de journalisme reconnue, comme l’Ecole de journalisme de Sciences Po, peut obtenir 2.160 euros bruts par mois, quand un étudiant d’une formation non reconnue par la profession des journalistes reçoit, lors de sa première année, 1.757 euros bruts. Dans les autres rédactions, cela tourne autour de 2.000 euros bruts par mois, ce à quoi peuvent s’ajouter d’éventuelles primes de week-end, de nuit, selon l’employeur.
Au Monde.fr, un jeune journaliste non titulaire de sa carte de presse gagne 2.300 euros bruts mensuels quand un journaliste titulaire d’une carte de presse obtient 2.900 euros bruts.
Enfin, au JDD, par exemple, les embauches sont rares, mais elles se font à 2.600 euros bruts par mois.
Une chose est sûre: pour un premier emploi, un journaliste n’est pas souvent en mesure de négocier son salaire, il reçoit ce qui est prévu dans la grille des salaires de son employeur.
Si cet article vous éclaire, merci de le partager sur Twitter ou Facebook. Si j’ai oublié des questions, merci de me les signaler, je publierais un autre papier si besoin.
Alice Antheaume
lire le billet
- «Je lis Le Monde, j’écoute France Inter et regarde Le Grand Journal»
- «Je veux devenir journaliste parce que j’aime écrire»
- «Je veux être correspondant international»
- «Je ne sais pas comment s’appelle ce journaliste»
- «Je me méfie de ce que racontent les médias»
Telles sont les cinq occurrences les plus entendues lors des oraux d’admission à l’Ecole de journalisme de Sciences Po pour le recrutement de la nouvelle promotion.
Consommation
A la question «quels sont les médias que vous lisez/écoutez/regardez/consultez?», la plupart des candidats répondent, dans l’ordre, l’édito politique de Thomas Legrand sur France Inter, puis C’est dans l’air sur France 5, puis Le Grand Journal sur Canal+, puis «Le Monde en ligne».
Parmi les quelque 110 étudiants admissibles vus lors de ces jurys, une poignée seulement dit consulter lequipe.fr – 70.586.309 visites en avril 2011 selon l’OJD, un seul déclare lire La Voix du Nord, et trois personnes citent Closer – c’était le jour où le magazine assurait que Carla Bruni-Sarkozy était enceinte. A part ces quelques «extravagances», les candidats, sans doute soucieux de se conformer à l’idéal d’aspirant journaliste qu’ils se sont façonnés, témoignent de consommations de médias qui se ressemblent comme des gouttes d’eau.
Côté lecture, alors que, l’année dernière, Le Quai de Ouistreham (éd. L’Olivier), de Florence Aubenas, était sur toutes les lèvres des candidats, le livre le plus cité cette année est M. le président (éd. Flammarion), de Franz Olivier Giesbert. «Parce que la connivence entre journalistes et politiques me fascine», avancent les étudiants.
Motivation
Il y a un an, déjà, je m’étais étonnée de voir autant de candidats donner les mêmes références et utiliser les mêmes arguments. La phrase que j’ai le plus souvent entendue de la part des étudiants – et c’était déjà le cas l’année dernière – est «je veux être journaliste parce que j’aime écrire» ou bien sa variante «je veux être journaliste parce que je suis curieux». Pas très original dans le cadre d’un oral dont la dynamique est celle d’un concours, pas celle d’un examen.
Car ce que cherche un jury d’une école de journalisme comme celle de Sciences Po, ce sont des candidats ayant des profils variés, des goûts et des usages qui ne soient pas tous les mêmes ET qui soient capables de les justifier – dire «j’aime/je n’aime pas» ne suffit évidemment pas à ce niveau-là. Le but est de composer une promotion avec des étudiants ou scientifiques ou littéraires ou économistes ou ingénieurs, une promotion qui va vivre comme une rédaction pendant deux ans, et dont aucun élément ne doit ressembler à un autre.
Sortez du conformisme, s’il vous plaît, tonne le rapport de jury de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), remarqué par le blog «Il y a une vie après le bac». «Beaucoup de candidats ne semblent pas avoir compris que dans un concours il faut “faire la différence” et non essayer d’avoir la moyenne». Idem aux oraux d’admission de journalisme de Sciences Po, pour lesquels il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus.
Certes, il y a des critères de sélection, écrits noir sur blanc sur le site de l’Ecole de journalisme. Pourtant, non, il n’y a pas de profil idéal. Etre un bon candidat pour une école de journalisme n’est pas une question de filière, sinon une question de conciliation de compétences: excellence académique quel que soit le parcours d’origine, très bonnes connaissances de l’actualité, candidats capables de se démarquer par leur personnalité et – ce n’est pas le moindre – démontrant une compréhension du métier de journaliste et de ses évolutions. Fondamental pour être en mesure de S’ADAPTER. A toutes les situations, toutes les urgences, tous les changements économiques.
Projet professionnel
«Plus tard, je veux être correspondant international», constitue un autre des leitmotivs de ces oraux. «Où cela?», interroge le jury. «Je ne sais pas encore où, mais à l’étranger». Une réponse qui manque de précision et qui peut faire douter de la réelle appétence du candidat pour ce métier, tel qu’il se vit au 21e siècle, à l’ère des audiences de l’affaire DSK racontées en temps réel, du fact checking et des live-tweets. Faut-il le rappeler? Contrairement à ce que vit Tintin et ses «aventures», le journaliste ne fait pas de tourisme. L’important, c’est davantage l’événement et ses enjeux que le lieu.
Lorsque le jury demande, pour juger de ce goût pour la marche du monde et dépasser le lieu commun énoncé, «quel journaliste ou reportage vous a marqué ces derniers jours?», rares sont ceux qui esquissent une réponse. Le candidat ne lit-il pas assez la presse? Est-il blasé? Ou bien est-ce ringard de la part d’un jury de demander aux élèves de connaître les noms de «plumes» et autres acteurs du métier auxquels ils se destinent?
Défiance
En fait, poser la question inverse, «quel média vous énerve?», s’avère beaucoup plus productif. C’est dire si la défiance à l’égard des journalistes est toujours vivace. Selon le dernier baromètre de confiance dans les médias, les Français sont 63% à estimer que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir, et 58% d’un même avis en ce qui concerne les pressions financières.
Ce septicisme ne concerne pas que les titres français, mais aussi les médias internationaux, comme en témoigne, toujours lors des oraux d’admission, la réaction d’une poignée d’étudiants, en échange universitaire en Egypte au moment des révolutions arabes.
>> Le dialogue qui va suivre est une retranscription raccourcie mais réelle >>
«Vous vous trouviez au Caire en février 2011? Vous y étiez à un moment historique. Qu’avez-vous vu?
– Les médias ont été nuls. CNN n’arrêtait pas de dire que les manifestations étaient violentes, c’était n’importe quoi.
Vous êtes sûr? Il y a pourtant eu des morts. Avez-vous été dans les manifestations?
– Non.
Alors comment dire qu’il n’y a eu aucune violence? Cela n’a quand même pas été une révolution pacifique, si?
– Certes, mais pas violente à ce point…
Si vous n’avez pas apprécié la couverture par les médias, avez-vous écrit quelques lignes sur ces événements? Sur un blog? Sur Facebook peut-être?
– Non. Je ne me sens pas légitime pour ouvrir un blog.
Avez-vous pris une photo des événements?
– Non. Aucune.»
Est-ce une façon, pour ces étudiants, de marquer leur désapprobation face à la couverture médiatique d’un événément qui a fait le tour du monde? Ou bien cela marque-t-il un désintérêt plus profond pour ce métier? Une chose est sûre: vouloir devenir journaliste sans ressentir le besoin de témoigner de ce qui se déroule sous ses yeux, cela présage a priori d’une erreur d’aiguillage.
Expérimentation
Oui, c’est extrêmement difficile de faire face, seul, du haut de ses parfois 20 ou 21 ans, aux questions incessantes d’un jury composé de trois personnes, rompues à l’exercice, qui ont entre 10 et 40 ans d’expérience. C’est dur de surmonter son trac pour parler de son projet professionnel avec détermination. Dur de répondre en donnant des faits précis sans pouvoir les chercher sur Google et en en tirant une analyse personnelle de surcroît. Bref, dur d’aligner en 45 minutes les critères requis et de témoigner d’une touche d’originalité qui finit de convaincre.
Alors quand le jury voit la passion s’allumer dans les yeux d’un candidat quand celui-ci a ouvert un «blog pour s’entraîner», se présente comme «télévore», sait ce qu’est un «live» ou un «flash», tweete pour «voir ce que cela donne», cite un reportage récent qui l’a bouleversé, prend les «gratuits dans le métro parce que cela (lui) donne un aperçu de l’actualité pour pas cher», connaît le chemin du fer du Point ou du Nouvel Observateur comme sa poche, ainsi que l’écosystème médiatique, des pure-players aux chaînes d’information en continu en passant par les matinales des radios, oui, le jury a envie d’y croire. De croire au potentiel de ce candidat et à sa capacité à – au moins – survivre dans le monde, à la fois en crise et en pleine refonte, du journalisme.
Un conseil, enfin, pour les étudiants qui rêvent d’entrer à l’Ecole de journalisme de Sciences Po: ce qui est écrit ci-dessus n’est pas un manuel. En rencontrant votre jury, n’oubliez pas d’être, avant tout, vous-même.
Alice Antheaume
lire le billet