Mèche travaillée au gel sur la tête, chemisette bleu ciel, jean slim noir, Nick d’Aloisio, 18 ans, est venu présenter son nouveau bébé, l’application News Digest à la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, le 20 janvier. Salué comme une rock star par le public, ce jeune Australien tout juste sorti de l’adolescence a vendu l’année dernière à Yahoo!, pour 30 millions de dollars (23 millions d’euros), Summly, une application basée sur un algorithme capable de résumer des informations.
Ce n’était que la première étape. Travaillant maintenant pour Yahoo! – tout en restant à Londres pour poursuivre ses études -, Nick d’Aloisio a continué à plancher sur son algorithme pour bâtir News Digest, disponible uniquement aux Etats-Unis pour l’instant. Le principe de Summly reste le même pour News Digest: il s’agit toujours de résumer l’actualité en la rendant accessible sur un écran de smartphone, un peu sur le modèle de Circa, dont j’ai déjà parlé ici et et qui travaille notamment sur les critères d’engagement des lecteurs sur mobile.
Algorithmes et gamification
La télévision résume des informations pour le téléviseur depuis des années, commence Nick d’Aloisio, “nous n’avons donc pas inventé le paradigme, nous avons juste voulu l’adapter à l’ère numérique”, pour un écran de smartphone.
Deux fois par jour, le matin et le soir, à 8h et 18h, l’application News Digest résume automatiquement les informations essentielles publiées en ligne, via une structure composée d’“atomes”. Parmi ceux-ci, le résumé de l’information, des tweets, diaporamas, vidéo, infographies, cartes, définitions issues de Wikipédia, et, tout en bas, la source vers le contenu originel.
“Il y a plus d’éléments visuels ici que dans la structure traditionnelle d’un article”, précise Nick d’Aloisio, “car nous avons voulu repenser la composition des contenus pour les adapter à l’écran mobile”. Le tout en recourant aux mécanismes de la gamification de l’information via des questions du style “le saviez-vous?” et l’attribution de récompenses quand l’utilisateur est allé jusqu’au bout des informations proposées.
Sur la scène, le modérateur de la discussion, David Kirkpatrick, demande si le résumé est élaboré par un algorithme. Réponse de Nick d’Aloisio: “il est élaboré sans intervention humaine”. Et d’ajouter à l’adresse de ceux qui s’inquiètent pour la survie du journalisme que son équipe “a toujours besoin des informations originales produites par les journalistes, car nous ne pouvons pas faire un résumé à partir du rien!”.
Des informations “définitives”?
Mais le plus intéressant, dans le discours de Nick d’Aloisio, concerne la fugacité des informations. A l’ère du temps réel, l’actualité est périssable et est ré-actualisée en permanence. Pourtant, la promesse de l’application News Digest est a contrario d’offrir des informations “définitives” et “finies”.
“Nous avons perdu la notion du définitif”, reprend Nick d’Aloisio. “En cinq secondes, sur Twitter, une actualité a déjà disparu. A force de chercher des “breaking news” et de rafraîchir son flux, on finit même parfois par développer une certaine anxiété, de peur d’être mal ou pas informé”. Pour Nick d’Aloisio, on ne se connecte pas seulement aux réseaux sociaux pour “la récréation”, mais aussi pour s’informer de façon efficace.
Alice Antheaume
lire le billetCan an election be won on social media? That question is being increasingly asked in France, before the first round of the presidential election.
The French are very much online now: 75% of people surf the web while 25 million have Facebook accounts, out of a total population of 66 million, of whom 43 million are voters.
“The truth is that nobody has yet worked out how to change a ‘like’ on Facebook into a real vote,” declared Fleur Pellerin, digital economy adviser for socialist candidate Francois Hollande.
>> Read the piece on CNN.com >>
>> Lire cet article en français >>
lire le billetQue retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?
Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…
Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français
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[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]
Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr
Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia
Crédit vidéo: Daphnée Denis
David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union
Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News
Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr
Crédit photo: DR/Hannah Olivennes
Crédit vidéo: Diane Jeantet
Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion
Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po
Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po
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lire le billetPOWNAR. Ce n’est pas le nom d’un nouveau jeu pour enfants, mais l’acronyme de The Power of News And Recommandation, une étude sur les informations diffusées sur les réseaux sociaux réalisée par CNN sur 2.300 sondés habitants dans 11 pays différents. Voici les chiffres clés de cette étude.
– Seuls 27% des utilisateurs (du panel?) partagent des informations. Sont comptés dans ces 27% ceux qui partagent plus de 6 contenus par semaine. Mais à eux seuls, ils diffusent 87% des informations partagées sur les réseaux sociaux. Là encore s’applique la loi de Pareto, autrement dit la loi du 80/20, selon laquelle environ 20 % des moyens permettent d’atteindre 80% des objectifs.
– 43% des informations partagées le sont par le biais des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, MySpace), 30% des infos le sont par email, 15% par SMS, et 12% par messagerie instantanée.
– En moyenne, un utilisateur partage 13 liens par semaine, et en reçoit 26, par recommandation sur les réseaux sociaux ou par email.
– Les contenus issus des rubriques «business», «international» et «technologie» sont ceux qui sont les plus partagés sur les réseaux sociaux.
AA
lire le billetEt si Facebook devenait un gigantesque site d’informations? A la vue de la courbe de progression du réseau social sur les catégories «news» dans le monde — une source de trafic trois fois plus importante que Google News pour les sites de médias — l’hypothèse est plausible. Même si aujourd’hui 40% — en moyenne — du trafic des 12 principaux sites d’infos français provient de Google, et seulement 1,3% de Facebook, selon l’étude réalisée par AT Internet en septembre 2010.
«Tout ce que vous faites sur un site Web, vous pouvez le faire sur Facebook», assure Michael Lazerow qui a fait la démonstration, sur la scène du Monaco Media Forum, de Buddy Media, une société qui construit des pages Facebook pour d’autres. «Le Web est une plate-forme, Facebook est une autre plate-forme. Donc c’est une plate-forme dans une autre plate-forme», décrit à son tour, également sur la scène du Monaco Media Forum, Yuri Milner, l’homme d’affaires russe qui détient environ 10% de parts de Facebook. «Tous les 12 ou 18 mois, la quantité d’informations partagées par les utilisateurs double. Cela veut dire que vous avez une croissance sans précédent de l’information accumulée» sur le réseau social, qui compte plus de 500 millions de membres.
Transfert
Imaginons que les pages d’accueil des sites d’informations telles qu’on les connaît aujourd’hui disparaissent. Que les contenus du monde.fr, liberation.fr, lefigaro.fr et des autres soient alors diffusés dans le newsfeed (le flux d’infos, en VF) de Facebook, et que les commentaires se fassent directement sur le réseau construit par Mark Zuckerberg. Quant aux développeurs des sites d’infos, ils travailleraient à déployer la page Facebook de leur média, plutôt qu’un site Web à part.
Objection? Si Facebook voulait vraiment devenir un géant de l’info, ses équipes auraient davantage optimisé les options offertes par les «pages» et par la création d’«articles» directement sur le réseau social, pourrions-nous rétorquer. En effet, Facebook travaille surtout sur les outils de sociabilité, les boutons de partage, les «like» et les messages. Mais guère sur l’éditeur de texte, présent depuis les débuts du site, qui ne permet pas d’intégrer au texte des vidéos, par exemple, ou d’autres objets embedables (seuls existent un champ titre, un champ texte, un champ photo, un champ d’identification des autres membres, et des paramètres de confidentialité pour définir qui peut voir cet article).
Un «réseau» d’actualités
En réalité, il est d’ores et déjà possible de se servir du réseau social comme un «réseau» d’actu. Et certains outils ont été pensés pour faciliter cette tâche, en permettant notamment de classer ses amis dans une catégorie «infos» (1). Et le newsfeed du réseau social ne cesse d’être remanié. Pour ressembler de plus en plus à un «fil» d’actu personnalisé. Ou, disons, un «navigateur» dans l’actu.
Même chez Yahoo!, on reconnaît que la roue a tourné. «Cela veut dire quoi, être un portail d’infos?», s’interroge Dev Patel, lors d’une table ronde du Monaco Media Forum intitulée «où est l’argent?». Pour lui, aucun doute: les portails – si tant est que le mot «portail» soit encore valable – changent et se conforment à la nouvelle façon qu’a l’audience de «consommer des informations et de l’actualité, via Twitter et le newsfeed de Facebook».
Nos amis les filtres
«L’information est plus que jamais omniprésente et le taux de consommation et de partage des infos n’a jamais été aussi rapide, analyse Malorie Lucich, qui travaille pour Facebook. Vos amis sur Facebook vous aident à faire le tri dans le flux afin que vous puissiez lire ce qui est le plus pertinent pour vous, découvrir de nouveaux sujets, et participer à des conversations approfondies.» Les contenus remontent ainsi en fonction des pages médias que l’on suit, comme CNN, Le Monde, The Guardian, Slate.fr, des comptes des journalistes, mais encore en fonction des recommandations de sa communauté d’amis, sachant que chaque inscrit possède en moyenne 130 amis.
«Il devient de plus en plus nécessaire, pour la nouvelle génération, de choisir les filtres qui vont réguler ses expérience en ligne, dit cette vidéo produite par Box 1821, une agence brésilienne qui travaille sur les nouvelles tendances. Ils développent ainsi une façon non linéaire de penser, qui reflète le langage du Web, où une infinité de sujets peuvent être suivis en même temps».
Temps de cerveau disponible
Textes, vidéos, photos, liens, tous les contenus ou presque sont publiables sur Facebook via des liens. D’après les statistiques de Facebook, plus de 30 milliards d’objets, dont des articles, des liens, des vidéos, des billets de blogs, sont partagés chaque mois par les membres du réseau social. Lesquels y passent bien plus de temps que sur n’importe quel site d’information. En moyenne, 23 heures par mois. Voire plus. A titre de comparaison, au mois d’octobre, la durée moyenne d’une visite sur le site de L’Equipe est de 24… minutes (chiffre Médiamétrie). Sur Google News, l’équivalent chiffré n’est pas disponible.
Au regard de la durée astronomique passée sur le réseau social, les éditeurs auraient tout intérêt à s’exporter sur Facebook. Et ce, pour deux raisons: pour la valorisation financière des espaces auprès des annonceurs (plus les internautes restent longtemps sur un site, plus les pages de pub se vendent chères), mais aussi pour l’attention que portent les internautes à un contenu, intégré dans un site où ils ont l’habitude de naviguer, des heures durant.
Alors oui, Facebook pourrait devenir un nouveau Google News. Avec la recommandation sociale en plus. Sur Facebook, «les informations viennent à toi, c’est quelqu’un qui te connaît, qui partage les mêmes centres d’intérêt que toi, qui te les recommande», note un professeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. A l’inverse, c’est l’internaute qui se rend de son propre chef sur Google News, pour y chercher des contenus d’actualité, non personnalisés, sélectionnés via un algorithme complexe, dont j’ai déjà parlé dans un article sur le référencement. Les deux géants américains ont néanmoins en commun l’organisation, selon des systèmes différents, des informations en temps réel. Deux systèmes qui exacerbent une tendance déjà amorcée: l’inutilité grandissante des pages d’accueil des sites d’infos au profil d’entrées directement via des pages de contenus, comme déjà décrit dans ce W.I.P.
Interactions multipliées
En termes de relations avec l’audience, la plupart des médias sont dithyrambiques sur la facilité d’interaction que permet leur présence sur Facebook. Même si, au vu des expériences réalisées, plus de 99% des commentaires des membres de Facebook sont postés depuis le newsfeed et non depuis les murs des pages concernées. Comprendre, par extension, que les inscrits se rendent rarement sur les pages Facebook de leurs médias, mais réagissent aux contenus de ceux-ci quand ils apparaissent dans le newsfeed du réseau social.
A l’idée de perdre leur territoire initial (leur page d’accueil, leur mainmise sur la hiérarchisation de l’info), pour se fondre dans un réseau/navigateur dont la valeur est estimée à plus de 41 milliards de dollars d’après Bloomberg, le vertige se fait sentir chez les éditeurs.
Et, avec, une foule d’interrogations: A qui appartiendraient les contenus? Comment les médias pourraient-ils les monétiser avec Facebook? Pourraient-ils partager avec Facebook les revenus générés par la publicité, sachant que, selon cette étude de Comscore, Facebook est la poule aux œufs d’or en France sur le marché de la publicité en ligne, en arrivant en tête du classement des sites supports de publicité en septembre avec 10,3% de part de marché, 6,4 milliards de publicités display diffusées et 18,2 millions d’internautes exposés. Et enfin, quelle dépendance technologique cela engendrerait entre le réseau social et les fournisseurs de contenus d’actu?
Vertige des éditeurs
«Je ne vois pas pourquoi on dirait aux internautes “ça fait trois ans que vous commentez nos sites, et maintenant, on transfère tout sur Facebook”, s’exclame Yann Guégan, community manager sur Rue89. Je ne crois pas que cela soit un bon message à leur envoyer, et je ne pense pas davantage que tout puisse se jouer sur Facebook». Selon lui, le système de commentaires de Facebook est moins rodé que la plupart des systèmes de commentaires internes aux sites d’information. «Sur Facebook, on est encore “à l’ancienne” sur les pages, on ne peut que répondre sous le statut mais on ne peut répondre à un commentaire, pris individuellement dans la discussion, alors que, dans le système de modération des commentaires de Rue89, c’est possible».
Avantage sur Facebook: la nécessité de réguler les commentaires est moindre que sur un site d’infos généraliste puisque, a priori, chaque membre a choisi, avec plus ou moins de rigueur, sa communauté d’amis, sacrés «tiers de confiance» pour trier le flot d’informations disponibles.
Alice Antheaume
(1) Pour ce faire, une fois connecté à Facebook, allez dans «compte» (en haut à droite de votre page), cliquez sur «gérer la liste d’amis», puis sur «créer une liste». Appelez la «infos» et glissez-y vos «amis» (médias, journalistes, particuliers) fournisseurs d’informations. Ensuite, revenez sur la page d’accueil, et dans la colonne de droite, vous pouvez désormais, sous «amis», accéder à la catégorie «infos» que vous venez de créer, et voir défiler vos flux d’information personnalisé – et personnalisable à tout moment.
lire le billet«Nous avons un job de rêve, nous regardons des vidéos en ligne toute la journée», s’amuse à dire l’équipe qui gère les contenus de Dailymotion. En réalité, leur travail n’est pas que divertissant: il leur faut capter en quelques secondes ce que les vidéos valent – en termes de buzz, d’infos, ou de créativité; recruter des «partenaires» qui peuvent fournir des contenus de qualité; dégoter des exclusivités; et coller à l’actualité en vidéo.
Juridiquement, Dailymotion (9,7 millions de visiteurs uniques en France selon Nielsen, 65 millions de VU dans le monde) reste hébergeur de vidéos. C’est-à-dire que, d’après la LCEN (loi pour la confiance en l’économie numérique), il n’est pas responsable a priori des vidéos mises en ligne par les internautes, mais qu’il doit retirer une vidéo si une instance juridique l’ordonne. «Nous assumons ce double statut d’hébergeur et d’éditeur, assure Martin Rogard, le directeur général de Dailymotion. Nous avons besoin d’être hébergeur pour accueillir toutes les vidéos qui proviennent des “user generated content” (les internautes qui produisent du contenu, ndlr) et nous avons besoin d’être éditeur pour inventer un nouveau métier, celui qui occupe l’équipe éditoriale toute la journée».
Pour comprendre leur fonctionnement, je suis allée en «stage d’observation» dans les locaux de la plate-forme française de partage de vidéos, installée dans le 18e arrondissement de Paris.
Plus de développeurs que d’éditeurs
A l’entrée, sous des parasols (!), l’équipe technique, présente en force – plus de la moitié des 110 salariés. Plus loin, une quinzaine de personnes se concentre sur la partie contenus, répartis sur 17 chaînes (actu et politique, sport, musique, cinéma, jeux vidéo, art et création, high-tech et science, etc.).
«Ici, il n’y a aucune carte de presse», me prévient Antoine Nazaret, responsable des chaînes «news» et «sport». Et le président de Dailymotion, Cédric Tournay, y tient: pas question pour lui d’en recruter pour l’instant.
Pourtant, il se tient, deux fois par semaine, une réunion où les éditeurs de vidéos «vendent» à leur rédacteur en chef, Marc Eychenne, des vidéos, ici d’une petite phrase d’un politique, là d’un concert en live depuis un festival de musique. La réunion, plutôt calme, se révèle être un mélange entre conférence de rédaction où l’on débat des sujets d’actualité, et réunion de programmation, où l’on place sur un calendrier hebdomadaire les vidéos prévues (Nicolas Sarkozy en visite sur le Tour de France, le dernier conseil des ministres avant l’été, le nouveau clip d’Orelsan, etc.) pour les «monter» sur la page d’accueil ou en catégorie «vidéo star», VS dans le jargon dailymotionien.
Programmation et édition
L’impact de la mise sur la home page d’une vidéo? Entre 1.000 et 20.000 vus supplémentaires. Néanmoins, seulement 3% de l’audience de Dailymotion passe par la page d’accueil, quand plus de 50% du trafic se fait sur une «page player», c’est-à-dire une page sur laquelle se trouve une seule vidéo. En général, «80% de l’audience d’une vidéo se fait sur ses deux premiers jours de vie», détaille Marc Echeynne. Certains contributeurs pressent Dailymotion de mettre en avant leur vidéo. «Nous en avons même eu qui nous ont proposé 500 euros en cash», s’esclaffe l’équipe. Qui a retoqué l’offre.
Autre spécificité de cette plate-forme: la réactivation de vieilles vidéos en fonction de l’actu. Lorsque Brice Hortefeux veut faire appel de sa condamnation pour «injure raciale», l’effet est immédiat: la vidéo publiée par lemonde.fr en septembre 2009, est revisionnée en masse.
Dépendance aux autres
L’équipe vit l’actualité comme une rédaction Web mais ne produit pas directement des informations. «Nous ne sommes pas dépendants de l’actualité, nous sommes dépendants de ce que nos partenaires nous fournissent», reprend Antoine Nazaret, qui voit arriver dans la rubrique «news» entre 400 et 500 vidéos par jour. En cas de grosse actu, Dailymotion peut même suggérer à ses partenaires médias de produire telle ou telle vidéo. Cela a été le cas pour l’affaire Bettencourt/Woerth. Dailymotion a proposé à Médiapart de faire un édito sur le sujet en vidéo. Au final, Mediapart a réalisé une séquence où s’enchaînent les temps forts de l’affaire. Accro aux alertes et au urgents bombardés par les médias, Antoine Nazaret confie être «connecté tout le temps», y compris les week-ends et en… vacances. «Quand je suis en rendez-vous à l’extérieur, je vérifie sur mon Blackberry qu’il n’y a pas une urgence».
Lorsque Bernard Giraudeau meurt, un samedi en plein pic d’audience («nos primes times ont lieu les soirs et les week-ends»), l’équipe se désole de n’avoir pas préparé une «page hub» sur cet acteur, sur laquelle les internautes auraient trouvé huit de ses vidéos phares. Une page qui ferait office de nécrologie. Ni une ni deux, l’équipe décide de mettre à profit l’été pour mettre en place des «pages hub» sur plusieurs personnalités que l’on dit proche de la fin. Comme dans les rédactions, où les journalistes écrivent des portraits de ceux qui risquent de défaillir dans les prochains mois, pour ne pas être pris au dépourvu.
Organisation hors pair
En réalité, ce qui m’a le plus bluffée à Dailymotion, c’est leur quasi psychose de perdre une idée. «Toute idée à un numéro de ticket», m’explique Giuseppe de Martino, le directeur juridique (1). En clair, chaque salarié, qu’il soit apprenti ou dirigeant, inscrit dans Jira, un outil en ligne et partagé par toute la société, son idée pour améliorer le site. Il remplit un champ titre, une catégorie, définit l’idée et l’attribue à un ou des salariés étant capables de la mener à bien.
Certaines idées prennent deux minutes à être réalisées, d’autres, subdivisées en sous-tâches, nécessitent des semaines de travail. Quand l’idée voit le jour, le numéro de ticket apparaît barré sur le tableau de bord des salariés.
L’autre obsession de Dailymotion? Faire mieux, ou du moins différent, de YouTube, son concurrent américain, qui appartient à Google. En réunion, le mot a été prononcé des dizaines de fois: «Nous sommes en train de recruter la rappeuse Amandine. Cela tombe bien, elle se plaint de YouTube», dit l’un. «La home page de Dailymotion doit être construite de façon différente de celle de YouTube, dont les flux sont automatisés», ajoute un autre.
Déontologie
A force d’éditer la page d’accueil, surviennent des questions quasi déontologiques. Marc Eychenne se souvient qu’un membre du collectif Kourtrajmé a proposé, en octobre 2008, une séquence filmée lors de violences policières à Montfermeil. «Est-ce qu’il fallait montrer des images brutes comme cela sur notre page d’accueil, sans expliquer le contexte? Finalement, sans avoir l’histoire en détails, nous avons trouvé cela trop délicat.» L’internaute a alors proposé sa vidéo à Rue89, qui l’a contextualisée avec un article, avant de la poster sur Dailymotion, avec un lien dans la description de la vidéo menant à l’article explicatif en question.
De même, l’équipe assure veiller à ce que les plagiats de vidéos ne soient pas légion. «Nous respectons les scoops de chaque média, et les productions de chacun», et ce, même si certains sites se font une spécialité de reprendre les contenus des autres, en ajoutant leur logo par dessus, avant de les poster sur Dailymotion. «Nous prenons dans ce cas la vidéo d’origine, rassure Antoine Nazaret. Et au besoin, nous la faisons démarrer au moment de la phrase-clé grâce à un outil spécial.» Hébergeur et éditeur, donc.
Saviez-vous que la page d’accueil de Dailymotion était éditée ainsi? Et qu’y travaille une équipe éditoriale ad hoc? Qu’en pensez-vous?
Alice Antheaume
(1) Giuseppe de Martino rédige des chroniques sur Slate.fr.
Les 5 sites qui aident à redéfinir l’édition d’informations en ligne (Mashable)
Le modèle “on paie en ligne ce que l’on veut” peut-il marcher pour les news? (Nieman Lab)
La médiocrité, reine des contenus en ligne (Monday note)