Le bingo des questions les plus fréquentes sur le journalisme numérique

Crédit: Flickr/CC/Robert Banh

Crédit: Flickr/CC/Robert Banh

«Nous vivons l’âge d’or du journalisme». «La liberté de la presse est le fondement de toute démocratie». Telles sont quelques unes des phrases que deux étudiants de l’Université de Boston ont le plus entendues cette année de la bouche de journalistes professionnels venus leur parler. Pour en rire, ils ont en fait un bingo, crayonné à la va-vite. Cela m’a donné l’idée de réaliser, à mon tour, une grille de bingo avec les questions qui reviennent le plus souvent de la part des étudiants et des journalistes professionnels. Et, sous la grille, des tentatives de réponses claires.

Peut-on enquêter en restant scotché à un écran?

Ce que pense celui qui pose cette question : Enquêter en ligne, ce n’est pas de la vraie investigation journalistique.

Réponse : Oui, on peut enquêter derrière un écran. L’activité des internautes, de tous ceux qui s’expriment sur le réseau, évoquant ici des sujets professionnels ou là la situation sociale, économique ou politique de leur pays, s’observe au moins autant que la vie des citoyens dans la rue. C’est même un terrain inépuisable qui mérite bien sûr une couverture éditoriale. Derrière un écran, les journalistes peuvent aussi interroger des chiffres extraits de bases de données, comme cela a été fait avec le projet «The migrant files», qui retrace le parcours de plus de 23.000 migrants ayant trouvé la mort sur leur chemin vers l’Europe depuis 2000. Un travail titanesque. Autre exemple d’investigation faite à partir de données en ligne et publiée sur lemonde.fr: comment est répartie la réserve ministérielle? Autant dire que la qualité d’une enquête ne tient pas à la fraîcheur de l’air que le journaliste respire mais à ce travail scrupuleux, laborieux même, de décorticage d’éléments (données ou autres) en vue de trouver une information inédite.

Les journalistes numériques ne vont jamais sur le terrain, si?

Ce que pense celui qui pose cette question : Le journalisme numérique, ce n’est pas du vrai journalisme.

Réponse : Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes numériques travaillant sur des sites des presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. RTL.fr délègue la production de ses dépêches à… l’AFP. Lefigaro.fr envoie en reportage longue durée des journalistes du Web, pour couvrir des événements comme le festival de Cannes ou des courses de voile. Quatre journalistes du Monde.fr ont été envoyés au festival South by South West à Austin. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne. Pour ce faire, ils ont besoin de journalistes sachant jongler entre la production en temps réel (tweets, vidéos, photos) et celle de longs formats, papiers magazines, dans une temporalité moins chaude.

Les gens vont-ils un jour payer pour de l’information en ligne?

Ce que pense celui qui pose cette question : Ce serait quand même bien qu’ils paient pour avoir accès à des informations.

Réponse : Selon le rapport Digital News Report 2014 du Reuters Institute for the Study of Journalism, une personne sur dix seulement a payé – pour un article ou pour un abonnement – pour accéder à de l’information en ligne en 2013 en Angleterre, France, Allemagne, Italie, Finlande, aux Etats-Unis et au Japon, Danemark et Brésil. Quant aux sondés ayant déclaré n’avoir pas payé pour des contenus en ligne l’année dernière, ils ne sont pas tous prêts à le faire dans le futur – en France seuls 11% seulement d’entre eux s’y disent plutôt favorables, quand, au Brésil, le pourcentage monte à 61%.

Les paywalls ne marchent pas alors?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais comment va-t-on s’en sortir?

Réponse : C’est l’obsession d’un nombre grandissant de rédactions françaises – Lepoint.fr, Lexpress.fr, lefigaro.fr, même si, pour l’instant, la stratégie du paywall n’a pas vraiment fait ses preuves. «On voit souvent qu’au moment de leur lancement, les paywalls et applications payantes trouvent une croissance facile pendant un temps, mais ensuite il y a un décrochage – même les lecteurs fidèles s’épuisent», analyse Nic Newman, le rapporteur du Digital News Report 2014. Pour réussir son paywall, deux conditions sont nécessaires, a déjà écrit Frédéric Filloux, auteur de la Monday Note:
1. avoir des contenus à haute valeur ajoutée qui justifient qu’ils soient payants (voilà pourquoi l’information économique et financière a plus de chance d’être monnayée que de l’information généraliste)
et 2. disposer d’un spécialiste des données et statistiques qui traque les itinéraires des utilisateurs, pour comprendre pourquoi, quand ils se heurtent au paywall, ils font machine arrière ou, à l’inverse, décident de s’abonner.

Pourquoi mon reportage n’apparaît-il pas sur la une du site?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?

Réponse : Parce que tous les reportages n’ont pas vocation à figurer sur la une du site, surtout lorsque la temporalité ou le sujet ne s’y prête pas. Consolation ou non, les unes des sites d’information ne sont pas toujours des carrefours d’audience. Ce qui compte, c’est que le reportage soit en ligne, et qu’il puisse être partagé sur les réseaux sociaux et référencé dans les moteurs de recherche.

Pourquoi mon reportage est-il au même niveau que cette brève sur Rihanna?

Ce que pense celui qui pose cette question : Qu’est-ce que c’est que cette hiérarchie des informations?

Réponse : En ligne, on ne hiérarchise pas les informations comme on le ferait dans un journal télévisé ou sur la couverture d’un magazine. Certes, toutes les informations ne se valent pas, mais leur emplacement n’est pas le seul critère pour déterminer leur importance. Il faut compter avec l’enjeu du taux de rebond des sites d’informations. Pour éviter que les internautes s’en aillent aussi vite qu’ils sont venus, l’architecture d’une page est travaillée de telle sorte que le visiteur puisse, après avoir atterri sur un contenu, en butiner d’autres – d’où des liens omniprésents, des colonnes remplies de recommandations, etc. Chacun comprendra qu’après la lecture d’un reportage sur l’offensive à Gaza une brève sur Rihanna puisse constituer une pause appréciable pour le visiteur qui, au final, reste plus longtemps sur le média.

Pourquoi n’envoie-t-on pas de push pour mon reportage?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?

Réponse :
Le push sur mobile est un art compliqué. Il ne faut pas s’y tromper, car les alertes sont à double tranchant : envoyées au bon moment, et sur les bons sujets, elles boostent l’audience de façon phénoménale et poussent le lecteur à ouvrir l’application, tout en «lissant» les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Mais, trop fréquentes ou mal éditées, elles peuvent provoquer l’agacement des utilisateurs. Hors de question, donc, d’envoyer 30 alertes par jour au risque de perdre ses abonnés. Il faut choisir les contenus à «pusher» et ne pas systématiser ce traitement.

Où trouver le temps d’aller – en plus du reste – sur les réseaux sociaux?

Ce que pense celui qui pose cette question : Les journées ne font que 24 heures.

Réponse : Les réseaux sociaux ne sont plus une option pour les journalistes en exercice, à la fois pour y faire de la veille, pour y trouver des témoins et pour interagir avec leurs lecteurs. Il faut donc s’organiser autrement pour trouver le temps, non seulement d’y aller, mais aussi d’y «cultiver son jardin» en mettant à jour la liste des personnes que l’on suit en fonction de l’actualité. Par ailleurs, les réseaux sociaux ne se réduisent pas à Facebook et Twitter, il y a aussi Reddit ou Pinterest, lequel apporterait maintenant à Buzzfeed plus de trafic que Twitter parmi les réseaux sociaux pourvoyeurs d’audience.

Vaut-il mieux aller vite ou vérifier?

Ce que pense celui qui pose cette question : Dites moi qu’il vaut mieux vérifier.

Réponse : Il y a une tension évidente entre, d’un côté, l’instantanéité de l’information et, de l’autre, l’impératif de vérification journalistique. Dans tous les cas, il vaut mieux prendre le temps de vérifier. Car la faute de carre, si vite arrivée en temps réel, entame durablement la crédibilité d’un journaliste qui se serait trompé. La radio américaine NPR a dû le rappeler à toutes ses troupes ce mois-ci: «tweeter ou retweeter, c’est cautionner l’info». «C’est comme si vous disiez le tweet ou le retweet à l’antenne. Donc si cela nécessite du contexte, une source, des éclaircissements ou même un démenti, donnez-le.»

Comment vérifier un tweet?

Ce que pense celui qui pose cette question : C’est mission impossible, non?

Réponse : C’est une question de méthodologie. Il y a cinq étapes, détaillées ici, pour s’assurer qu’un témoignage, publié sur un réseau social, est authentique, ou qu’une image n’est pas un photomontage ou un vieux cliché ressorti des limbes. Il faut commencer par identifier l’auteur du contenu, fournir le contexte, recouper l’information, décoder la technique et surveiller ce qu’il s’en dit sur le réseau. Dernier conseil, il faut songer à prendre des captures d’écran de tous les éléments repérés en ligne (tweets, photos, messages) et les enregistrer hors ligne (vidéos) – ils peuvent disparaître ou être modifiés à tout moment.

Pourquoi m’insulte-t-on en ligne?

Ce que pense celui qui pose cette question : Je joue le jeu de l’interaction, et c’est tout ce que j’obtiens, comme gratification?

Réponse : L’univers numérique est peuplé de trolls. «A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», déplore Nick Denton, de Gawker. En ligne, c’est vrai, une foule de commentaires toxiques ou insultants le dispute à quelques interactions pertinentes. Ne perdez pas patience, et, surtout, ne répondez pas aux insultes – allez plutôt prendre un café ou punaisez les pires saletés repérées en ligne sur le mur pour amuser la galerie, cela permet de relativiser.

Et si j’écrivais dans ma biographie «mes tweets n’engagent que moi»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.

Réponse : Mauvaise idée. Quand on est journaliste, les tweets que l’on écrits, les retweets que l’on fait, engagent la rédaction pour laquelle on travaille. Même il est écrit l’inverse dans sa biographie.

Et si j’avais un compte Twitter pro et un compte Twitter perso?

Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.

Réponse : Mauvaise idée. Reuters l’a un temps préconisé en 2010 mais en est revenu depuis. L’agence préconise désormais de contextualiser les messages postés en ligne en précisant dans son guide : «vous devez vous identifier comme journalistes de Reuters et déclarer au besoin que vous parlez pour vous, pas au nom de Thomson Reuters».

Que veut-dire «engager» l’audience?

Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on utiliser un vocabulaire plus précis, s’il vous plaît?

Réponse : A chaque conférence ou table ronde sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi. A l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles. Dans l’univers journalistique, c’est quasi devenu un mot valise qui désigne à la fois la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs, les types d’interactions de l’audience avec les contenus et leur mesure. Pour savoir qui l’emploie dans quel sens dans les rédactions françaises et anglo-saxonnes, par ici.

Que veut dire «diversifier ses activités» pour un média?

Ce que pense celui qui pose cette question : Je suis journaliste. Peut-on me demander d’être serveur?

Réponse : Cette expression, beaucoup utilisée en début d’année pour évoquer l’avenir de Libération, signifie trouver des revenus autrement qu’en produisant des informations. Par exemple en proposant des formations (Rue89, France24/RFI), en se tournant vers l’événementiel (Le Télégramme et l’organisation de courses de voile, Amaury, éditeur du Parisien-Aujourd’hui en France, et l’organisation du Tour de France, les forums Libé, la fête de l’Huma, le festival Le Monde en septembre prochain, etc.), ou en créant des technologies que l’on peut revendre ensuite à d’autres… L’idée, au final, c’est de suppléer les revenus moribonds autrefois générés par la publicité. Et non, un employeur ne peut pas demander à un journaliste de devenir serveur.

Qu’entendre par «il faut expérimenter des choses en ligne»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on avoir une vision éditoriale plus précise, s’il vous plaît?

Réponse : On attend des journalistes numériques qu’ils testent des nouvelles interfaces, des nouveaux formats, de nouvelles formes d’interactions avec l’audience. Bref qu’ils expérimentent, avec un état d’esprit proche de la version beta permanente. L’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année. «L’expérimentation, ce n’est pas seulement essayer quelque chose de nouveau, c’est adopter une méthode rigoureuse, scientifique, pour éprouver des nouveautés et les tordre dans tous les sens pour les rendre les plus performantes possibles», est-il écrit dans le mémo du New York Times. Et de citer l’exemple de la page d’accueil de The Verge, qui a été redessinée 53 fois en deux ans.

Quel est, pour l’information, le modèle économique du futur?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que devrait-on changer pour survivre?

Réponse : Personne ne le sait. Une chose est sûre, les vieux modèles ne fonctionnent plus – paywalls, modèles basés sur les revenus publicitaires, applications payantes… Si, pour David Spiegel, de Buzzfeed, le salut figure dans le «native adversiting» – 40% des 10 milliards de dollars investis dans des publicités sur les réseaux sociaux d’ici 2017 -, pour Justin Ellis, du Nieman Lab, la clé pour fonder un modèle viable, c’est de récupérer toutes les données possibles sur son audience. «Qui sont vos lecteurs? Combien de temps passent-ils avec vous? Combien dépensent-ils pour vous? Où habitent-ils? Combien gagnent-ils?» Cela signifie avoir un système d’analyse des statistiques ultra performant. «Regardez Netflix», continue Justin Ellis. «Ils savent quelle série va plaire à leur audience, car ils vous connaissent très bien. Des centaines d’ingénieurs travaillent sur l’algorithme de Netflix pour encore mieux vous cerner et savoir quel programme ils vont vous proposer – parce qu’ils sont sûrs que vous allez le regarder».

Qui embauche des journalistes aujourd’hui?

Ce que pense celui qui pose cette question : Où pourrais-je travailler?

Réponse : Difficile de répondre à cette question en quelques lignes tant le spectre des employeurs est large – télévisions, chaînes d’information en continu, boîtes de production, agences de presse, sites de presse, pure-players et même nouveaux entrants comme Buzzfeed, Circa, et bientôt Briefme, le nouvel projet de Laurent Mauriac, ex-Rue89, ou NOD: News On Demand, un service de rattrapage de l’actualité développé par Marie-Catherine Beuth, ou encore GoMet, sur l’actualité de la métropole d’Aix Marseille Provence, créé par Amandine Briand, diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, lauréate de la bourse start-up de l’information de Google, pour lequel elle vient de recruter un journaliste, Jérémy Collado, ancien de sa promotion.

Les chiffres sur les secteurs où travaillent les journalistes disposant de la carte de presse en France sont peu fiables. Selon les statistiques de 2013, le plus gros des troupes travaillerait en “presse écrite” (66%), une catégorie un peu fourre-tout qui comprend la presse quotidienne nationale, la presse quotidienne régionale, les agences de presse comme Reuters ou l’AFP, mais aussi les sites d’informations des quotidiens et magazines ainsi que les pure players. Pas étonnant, donc, que cette catégorie fasse le plein, devant la télévision (14,8%), la radio (9,5%) et la production audiovisuelle (2,5%). Quant à la véritable part du numérique dans les embauches, elle est sous-estimée car, toujours selon ces statistiques de la CCIJP, la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, ceux qui travaillent, par exemple, pour les sites de Radio France sont répertoriés dans la catégorie radio tandis que ceux qui produisent sur France TV Info figurent dans la catégorie télévision.

Pourquoi ne s’inspire-t-on pas du New York Times?

Ce que pense celui qui pose cette question : Eux ont l’air de réussir, et si on faisait pareil?

Réponse : Le New York Times est une licorne qui peuple l’imagination de nombreux responsables de rédaction, lesquels tentent de calquer leur stratégie éditoriale sur une utopie. Mais encore faudrait-il pouvoir comparer ce qui est comparable. Car qui a un service de 445 développeurs et la capacité de dédier une vingtaine de journalistes, encadrés le lauréat de deux prix Pulitzer, pour une application mobile comme celle lancée en avril, NYT Now? Malheureusement personne en France.

C’est le retour de l’infographie?

Ce que pense celui qui pose cette question : On en produisant déjà quand le numérique n’était pas encore né.

Réponse : L’infographie est en effet un format vieux comme l’imprimé. Mais elle fait florès en ligne grâce aux outils comme Datawrapper ou Infogr.am. Elle devient alors «embeddable», donc partageable… Si elle agrège des données, et les rend lisibles à grands renforts d’effets visuels, cela peut s’appeler de la data visualisation. Le pure-player Quartz en a fait l’un de ses ingrédients-clés, au point d’avoir développé en interne un outil appelé Chartbuilder pour permettre à des journalistes «dont les compétences sont limitées de créer des graphiques». «Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney, le rédacteur en chef de ce site dont la moitié des contenus publiés comportent des graphiques. Prochain enjeu pour l’infographie? La rendre mobile compatible.

Que veut dire «Web first»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «Web first»?

Réponse : «Web first, print later» (le Web d’abord, le print ensuite), peut-on lire sur le site de la Columbia Review. C’est l’idée de publier d’abord en ligne avant de songer à ce qui sera imprimé ou diffusé à l’antenne. Cela suppose, dans les médias traditionnels, une réorganisation totale du circuit de la copie avec des conférences de rédaction qui déterminent les contenus numériques à publier avant de décider de la nature des publications pour l’imprimé, l’antenne, etc. Cela suppose aussi une révision du management avec le recrutement de profils sachant diffuser, promouvoir, susciter le partage des contenus, parler le langage des journalistes et celui des développeurs et lancer des innovations à la fois éditoriales et technologiques.

Que veut dire «mobile first»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «mobile first»?

Réponse : Si «Web first» signifie «Web first, print later», alors «mobile first» devrait signifier «mobile first, desktop later» (le mobile d’abord, le site ensuite). De fait, tous les signaux sont au vert pour que 2014 soit «l’année de la mobilité», comme l’a dit Isabelle André, présidente du Monde Interactif, lors du lancement de la nouvelle application du Monde. Pour l’instant, les rédactions traditionnelles ont tendance à faire les mêmes erreurs que lorsque le Web est arrivé, c’est-à-dire qu’elles dupliquent sur mobile ce qui existe déjà sur leur site d’informations, comme elles dupliquaient sur le Web ce qu’elles produisaient déjà pour l’imprimé. Or il faudrait sans doute, pour bien faire, proposer d’autres formats, et sans doute d’autres sujets aussi, pour le mobile que ce qui est publié sur le site. Avec, en plus, une rédaction dédiée au mobile.

A quoi va ressembler notre métier dans 10 ans?

Ce que pense celui qui pose cette question : Est-ce que l’évolution de notre profession va me plaire?

Réponse : Vu l’ampleur de la mutation du journalisme ces 10 dernières années, entre 2004 et 2014, on peut sans risque anticiper des bouleversements dans les pratiques et les usages au moins aussi extraordinaires pour la prochaine décennie. Au programme: cap sur le mobile, beaucoup de data, du journalisme sécurisé et la cohabitation avec des algorithmes. Plus sans doute d’autres expériences de consommation d’information qui ne sont pas encore nées.

Si j’ai oublié des questions à ce bingo, n’hésitez pas à me les signaler, sur Twitter ou sur Facebook.

Alice Antheaume

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Les Décodeurs sont morts, vive Les Décodeurs

Crédit: Lemonde.fr

Crédit: Lemonde.fr

«Ceci est l’un des derniers billets de ce blog. D’ici quelques jours (…), nous cesserons de l’alimenter», pouvait-on lire vendredi dernier sur Les Décodeurs, le blog de fact checking participatif du Monde.fr. Né en 2009, cet espace s’inspirait du site américain Politifact.com et son célèbre «truth-o-meter» (le véritomètre) pour jauger la crédibilité de la parole politique.

Non, cela ne signifie pas ce genre journalistique n’a plus de sens. Au contraire. Alors que la désinformation en ligne augmente, au point que des chercheurs européens travaillent à la construction d’un détecteur de mensonges sur Twitter, Les Décodeurs sortent de l’espace limité d’un blog pour renaître au Monde.fr au sein d’un service du même nom composé de neuf personnes (un éditeur dédié, deux data journalistes, deux infographistes, trois rédacteurs, et un coordinateur du projet). Lesquelles feront du fact checking – pas que politique – toute la journée. Et ce, dès lundi prochain.

Vérifications, data visualisations et décryptages

«Nous voulons être le Buzzfeed du fact checking et démonter les rumeurs que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux en repartant des faits, en donnant du contexte, et en s’appuyant sur des données et des graphiques», m’explique Samuel Laurent, le coordinateur du projet. Il confie en avoir eu l’idée en novembre dernier, lors des Assises du journalisme de Metz, en discutant avec Cory Haik, une journaliste du Washington Post. Celle-ci venait parler du Truth-Teller, un robot dont la mission est de vérifier automatiquement les discours des politiques américains au moment même où ils les déclament.

Pour Samuel Laurent, ça a fait tilt. Il était temps de dresser le bilan de cinq années de fact checking et de passer à l’étape suivante.

  • Leçon de fact checking numéro 1: la vérité est plus complexe qu’un tampon vrai ou faux

Parmi les enseignements tirés, il apparaît qu’il ne suffit pas d’apposer un tampon vrai ou faux sur une déclaration d’un homme ou d’une femme politique. «La vérité est chose complexe et exige des nuances», apprend-t-on sur feu le blog Les Décodeurs. «D’autant qu’elle varie selon les tendances politiques: aux extrêmes l’outrance et le faux complet; la droite, elle, affectionne les discours chiffrés, là où la gauche s’est spécialisée dans le flou et la langue de bois…».

  • Leçon de fact checking numéro 2: la politique n’est pas le seul champ qui mérite des vérifications

Autre constat, partagé à la fois aux Etats-Unis et en France: la politique ne doit pas être le seul objet des décryptages. Le Washington Post a adapté la technologie du Truth-Teller politique aux bandes annonces afin de distinguer dans les films ce qui relève de la fiction et ce qui est de l’ordre du réel – cela s’appelle le Truth-Teller pour les trailers.

De même, Les Décodeurs du Monde.fr veulent proposer du fact checking au sens large, au delà de la politique. Lorsqu’en janvier, François Hollande annonce une baisse des charges patronales, «nos lecteurs ne se disent pas “mais bon sang, quel est ce tournant libéral du président de la République?”. Ils se demandent “c’est quoi, les charges patronales?”», reprend le journaliste du Monde.fr, qui y voit là le signe qu’il faut davantage fournir des explications et des clés à l’audience.

  • Leçon de fact checking numéro 3: écouter les interrogations provenant des lecteurs

Les discussions émanant des réseaux sociaux seront scrutées de près, et guideront en partie les choix de sujets des Décodeurs. C’est là une petite rupture par rapport à la culture journalistique traditionnelle. Lorsqu’est annoncée par erreur la mort d’une personnalité en ligne, nombreux sont les journalistes qui, d’abord, ne le voient pas, et, ensuite, estiment qu’il vaut mieux ne pas en parler, au risque de donner de l’écho à une information erronée. Or il n’y a plus d’un côté Internet et de l’autre la vie, juge Samuel Laurent. En témoigne selon lui l’intox autour du soi-disant enseignement du genre dans les écoles qui a poussé certains parents à retirer leurs enfants de l’école en janvier: «c’est notre rôle que de s’attaquer à ces fakes à condition que nous soyons capables de les démonter».

S’adresser à une audience vivant sur les réseaux sociaux

L’autre objectif affiché de ce projet, c’est de rattraper par le col de la chemise ceux qui n’ont pas pour habitude de se connecter au Monde.fr. Voire qui ne s’informent que via les réseaux sociaux. Le circuit de diffusion se voit donc modifié afin d’aller trouver l’audience là où elle se trouve, en partageant d’abord des briques d’informations sur Twitter puis sur Facebook avant de publier ensuite sur lemonde.fr un contenu chapitré et composé des briques déjà disséminées sur les réseaux sociaux. «Notre temps 1 de l’info, c’est Twitter. Notre temps 2, c’est Facebook. Notre temps 3, c’est la publication sur le site. Notre temps 4 sera la publication dans notre futur journal du soir. Notre temps 5, c’est le journal quotidien. Et notre temps 6, c’est Le Monde Magazine.»

D’après les données récoltées lors d’une enquête sur l’état des pages d’accueil des sites d’informations français, 10% du trafic du Monde.fr provenait des réseaux sociaux en novembre 2013. Pour tenter de booster ce pourcentage, Les Décodeurs ont conçu un nouveau format intitulé Nanographix, une infographie présentée sous la forme d’un carré, qui, espère l’équipe, aura un «potentiel viral» important.

>> Ci-dessous un exemple de Nanographix sur la greffe du coeur >>

Crédit: Lemonde.fr

Crédit: Lemonde.fr

A venir, donc, dès ce lundi dans le panier de ces nouveaux Décodeurs: des graphiques pour savoir à coup sûr si un sondage est sérieux ou non, des enquêtes pour, par exemple, identifier les communes les plus endettées, données à l’appui, et de quoi détecter si une ville est de droite ou de gauche.

«L’information sérieuse n’est pas forcément rasante», sourit Samuel Laurent. Au Monde.fr, les papiers pédagogiques – que l’on appelle outre Atlantique des explainers – dont le titre est bâti sur le modèle «comprendre (sujet) en (X) minutes» (JO de Sotchi: Comprendre la situation dans le Caucase en 3 minutes ou La maladie d’Alzheimer expliquée en 3 minutes) font des cartons d’audience. Parce que c’est la promesse d’une explication simple, pré-mâchée, qui permet aux lecteurs de briller ensuite en société ou en famille en ayant l’air d’avoir compris l’essentiel d’une actualité. Et c’est l’assurance que le temps passé à comprendre cette actualité n’excède pas quelques minutes, un délai raisonnable pour qui souhaite garder prise sur son temps.

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Alice Antheaume

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La recette de Quartz en 8 ingrédients

Crédit: Quartz

Crédit: Quartz

A quoi aurait ressemblé The Economist s’il avait été lancé en 2013 plutôt qu’en 1843? Répondre à cette question a donné naissance à Quartz, le 24 septembre 2012. Ce pure-player aux allures de start-up, installé dans un modeste immeuble de New York, raconte le monde des entreprises à ses lecteurs, porte une attention particulière à l’économie des nouvelles technologies et recourt – presque systématiquement – aux graphiques. Un an (et trois mois) et 21 millions de visiteurs plus tard, Kevin Delaney, le rédacteur en chef, transfuge du Wall Street Journal, détaille la recette de Quartz. Il était l’un des speakers de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 3 décembre.

1. Le mobile d’abord

«Nous voulions que Quartz soit à la fois mobile first, digital et journalistique», explique Kevin Delaney. C’est pourquoi Quartz est d’abord né sur tablette, puis sur smartphone avant que son design ne soit ensuite adapté à l’interface d’un ordinateur.

2. Un design épuré

Quartz a mis un point d’honneur à radicaliser son design pour ne surtout pas ressembler à ses concurrents. «Nous voulions nettoyer tout ce que les sites d’informations avaient empilé au fur et à mesure», continue Kevin Delaney. «Nous sommes partis d’une page blanche, et nous avons mis la pub au centre de cette page, sachant que personne ne regarde les bannières de la colonne de droite». Résultat, la home page n’est plus. «Les home pages sur lesquelles il y a 250 liens, cela représente trop de choix pour le lecteur». A la place, une page avec deux colonnes seulement. Une colonne centrale et une colonne de menu à gauche. Point.

3. Les réseaux sociaux comme porte d’entrée

60% de son trafic provient des réseaux sociaux, 10% seulement se fait par un accès direct à quartz.com. Quant au 30% restants, ils proviennent de Google et de liens «amis». «Il faut produire du contenu unique pour les réseaux sociaux, pour des lecteurs dont l’écran est déjà truffé d’informations», reprend Kevin Delaney. «Quand on écrit un contenu, il faut partir de l’idée que personne ne le lira si son titre ne retient pas l’attention sur Twitter.»

Crédit: AA

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4. Le pouvoir des graphiques

A Quartz, les infographies sont reines. Et pour les fabriquer, la rédaction utilise un outil appelé Chartbuilder, développé en interne par l’un de ses journalistes, David Yanofsky. Open source, cet outil est disponible sur la plate-forme d’hébergement des projets Github et est, désormais, aussi utilisé aussi par la rédaction de NPR, le réseau de radios américaines. A l’origine, Chartbuilder a été conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques», selon les mots de son concepteur.

Un vrai enjeu pour Quartz alors que la moitié des contenus publiés sur Quartz contiennent des graphiques. Dont celui-ci, excellent, montrant «le graphique que Tim Cook ne veut pas montrer» sur l’évolution des ventes d’iPhones. Ou celui-là, préconisant de ne pas détester le lundi puisque c’est le meilleur jour pour postuler à un nouveau travail.

«Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney. D’ailleurs, il n’y a pas de service dédié à l’infographie à Quartz – même s’il existe un «département des choses», traduction approximative de l’équipe «Quartz Things», qui créé des de la visualisation intégrant des données et du code.

Quartz le fait savoir sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, les journalistes sont priés d’ajouter à leurs liens pointant vers leurs contenus une capture d’écran du graphique associé.

5. La longueur des contenus… Ni trop peu ni pas assez…

Puisque tous les sites d’informations publient en masse des contenus entre 500 et 800 mots, Quartz préconise de produire soit des contenus courts de moins de 500 mots soit des contenus longs de plus de 800 mots.

6. Une audience qualifiée

En moyenne, Quartz a 3,3 millions de lecteurs par mois, dont 60% se connectent depuis les Etats-Unis. Mieux, 61% d’entre eux sont des cadres et dirigeants, et 15% travaillent dans les médias ou sur le Web, selon les données récoltées par les équipes de Quartz. Une audience qui est attirée par le triptyque tech/business et design.

7. Des commentaires autrement

Pas de commentaires sous les articles de Quartz. A la place des annotations sur un paragraphe d’un article disposés sur le côté, comme si l’on commentait un document sur Google Drive. «Nous avons commencé seulement il y a quelques mois, nous n’avons pas encore beaucoup d’annotations, mais celles que nous avons sont de très bonne qualité».

8. Un business model sans mur payant

Quartz est financé par les conférences, sponsorisées par des marques, et de la publicité. Adieu vieux modèles, 37 annonceurs se partagent l’espace, via des campagnes de contenus sponsorisés et de «native advertising», des formats publicitaires qui «paient bien plus» que les bannières traditionnelles, confie Kevin Delaney, sans donner de chiffres. «En partant de zéro, on n’avait aucune chance de survivre en installant un mur payant ou un système d’enregistrement en ligne». D’ici 2015, Quartz espère être profitable.

Alice Antheaume

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Autopsie du tweet

“Vous êtes ce que vous tweetez”. Tel est le slogan de cette application créé par Visual.ly, un site qui permet de créer des graphiques à partir de données.

Ainsi, en scannant les messages postés sur un compte Twitter indiqué, les interactions, le nombre de followers et de followés, et la sémantique utilisée, l’application génère une infographie, comme celle ci-dessous, créée pour l’exemple à partir de mon compte Twitter, @alicanth.

L’application peut radiographier n’importe quel compte Twitter, y compris celui des personnalités, du moment que le compte est ouvert. En faisant l’exercice avec le compte Twitter de Barack Obama, le président des Etats-Unis, celui-ci révèle un comportement… “politicien” et dont les mots les plus récurrents sur Twitter sont “watch”, “live”, et “future”. Utile pour un usage journalistique.

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Premières leçons de code

«Ici, c’est un camp d’entraînement, c’est militaire, donc on ne laisse personne derrière». C’est par cette phrase qu’a commencé mon séjour à l’école de journalisme de Chapel Hill, en Caroline du Nord, aux Etats-Unis. Un séjour dénommé «multimedia bootcamp» au cours duquel une vingtaine de professionnels se sont exercés pendant une semaine intensive au «visual storytelling» à l’américaine en produisant vidéos et animations.

A priori, nul besoin de traverser l’Atlantique pour apprendre à maîtriser les logiciels Flash et Final Cut Pro. Sauf que, à Chapel Hill, considérée comme l’une des meilleures écoles du monde en matière d’animations, la méthode est, dit-on, exceptionnelle. Cette Université a formé des infographistes que s’arrachent les sites d’informations américains, dont Gabriel Dance, journaliste multimédia pour le New York Times des années durant, qui travaille désormais pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch.

A voir le programme du «bootcamp» (1 jour de reportage sur le terrain, 2 jours de Final Cut Pro, 2 jours de Flash), je me demande de prime abord comment, en cinq jours, un être normalement constitué peut emmagasiner toutes ces fonctionnalités en partant parfois de… zéro. «D’ici la fin du bootcamp, vous saurez produire des animations et serez initiés aux bases d’ActionScript pour un usage journalistique», rassure Don Wittekind, directeur du programme. «C’est garanti». ActionScript, c’est le «langage de programmation» utilisé pour Flash. C’est donc du «code», mais pas le même que le HTML.

>> Petite parenthèse pour ceux qui n’ont jamais vu un bout de code HTML >>

Pour comprendre ce que c’est, allons par exemple sur YouTube. Quand vous cliquez sous une vidéo sur le bouton «partager» puis sur «intégrer», apparaît cela:
<iframe width=”560″ height=”349″ src=”http://www.youtube.com/embed/rwoGa6LB3s0″ frameborder=”0″ allowfullscreen></iframe>

Ce code signifie, en bon français, «fais apparaître sur une page Web un cadre dans lequel on verra la vidéo de largeur 560 pixels et de hauteur 349 pixels, visible à l’adresse url http://www.youtube.com/embed/rwoGa6LB3s0 et permets à l’internaute de la voir en grand écran».

>> Vous avez pris votre première leçon de code HTML. Fin de la parenthèse >>

Faut-il vraiment que les journalistes (et les étudiants en journalisme a fortiori) apprennent à coder? Faut-il qu’ils embrasent ce qui, jusque là, était réservé aux développeurs? Le débat fait rage depuis des années, comme l’a rappelé Ryan Tate sur Gawker: «pour publier sur un blog, un professionnel sait utiliser Photoshop, enregistrer une vidéo, l’éditer, la publier, la podcaster, etc. Coder est la suite logique de cette tendance» à devenir des journalistes multi-tâches.

Une nouvelle corde à l’arc journalistique

Alors oui, il faut donner des cours sur les nouvelles écritures et les langages de programmation, répondent nombre d’écoles de journalisme américaines, dont celle de Chapel Hill et de la Columbia. «Je pense qu’il faut absolument que l’enseignement des animations fasse partie des options possibles pour les étudiants en journalisme», m’explique Scott Horner, directeur exécutif de la société Swarm Interactive et enseignant du cours d’animation pendant le «bootcamp». «Tous n’ont pas le tempérament ou le désir de développer des graphiques interactifs. De même, tous n’ont pas envie d’être des experts de bases de données. Néanmoins, que les écoles y donnent accès montre aux étudiants que ces formats sont des formes éditoriales valables pour le monde du journalisme, ce qu’il doivent — c’est bien le moindre — comprendre.»

A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la demande de la part des étudiants est grande: ils souhaitent avoir la main sur leur production éditoriale de A à Z, y compris quand c’est du flash, et ce, même si ce format n’est pas lisible sur certains terminaux Apple. Ils veulent – et c’est fondé – se sentir libres en maîtrisant la technique, plutôt que l’inverse.

Penser en fonction de deux casquettes

Apprendre à coder – même sans devenir un spécialiste du genre, ça sert, pour un journaliste, à «distribuer» l’information de la meilleure façon possible, lit-on dans cet article du Guardian. Et à «penser» selon deux approches: la forme ET le fond, les interfaces ET les contenus. En effet, comment, en ligne ou sur mobile, concevoir le meilleur format éditorial possible si l’on ne sait pas ce qu’il est possible de faire ou pas, techniquement parlant? Appréhender les bases du code, c’est enfin «saisir les forces et les faiblesses de toutes les méthodes pour raconter une histoire», estime Scott Horner. «Face à une information, tous les journalistes doivent être capables de dire si cette information sera plus parlante pour le lecteur en étant racontée sous la forme d’un texte, d’une vidéo, de photos, d’une carte ou d’un graphique interactif».

«Pour moi, c’est une simple question d’efficacité, explique Rebekah Monson, une ancienne étudiante en journalisme. Plus vite on peut trouver un format à un contenu, plus vite ce contenu sera disponible pour le public.»

La méthode d’apprentissage de l’animation pour journalistes, telle qu’observée à Chapel Hill, va dans le détail du langage, mais elle ne perd jamais de vue deux principes simples:

1. Considérer la technique comme un outil, pas une fin en soi.

«Le plus important, c’est le storytelling», martèlent les professeurs de Chapel Hill, «et cela ne change pas avec le multimédia». En vidéo, en flash, en texte, en photos, qu’importe, rien ne sera journalistiquement valable s’il n’y a pas une histoire forte à raconter.

Et pour avoir une bonne histoire, il faut la construire en trouvant un «héros», le personnage principal de l’histoire, qui va incarner l’information, et le «méchant», qu’il s’agisse d’un humain ou d’un élément contre qui le «héros» doit se battre. «Trop souvent, quand une information concerne une société, les journalistes montrent des plans du logo de l’entreprise, mais ils oublient de connecter l’information de ladite société à l’histoire d’un homme, or c’est cela qui donnerait de la force à l’histoire», regrettent les enseignants de Chapel Hill.

2. Veiller à l’efficacité de l’interface.

Les animations qui partent dans tous les sens, cela fait peut-être de l’effet, mais cela ne sert à rien. La priorité, c’est de concevoir une navigation simple et intuitive pour l’utilisateur. Le but: qu’il trouve ce qui l’intéresse quasi immédiatement. C’est ce que les Anglo-saxons appellent la «usability», la facilité d’utilisation en français.

Parmi les règles de base, il faut faire en sorte que ce qui est cliquable se voit à l’oeil nu, que des boutons avant et arrière soient toujours à portée de clic, que l’information soit immédiatement compréhensible, et pas noyée sous une multitude de gadgets. Et non, ce n’est pas simple comme bonjour à faire.

Désormais, il ne suffit plus de savoir utiliser les réseaux sociaux pour y trouver des informations, il faut encore savoir trouver l’angle pour une information, mais aussi le format le plus adapté à cet angle.

Pour Scott Hurner, cela correspond à un mouvement de fond. «Le journalisme côtoie la technologie depuis un bon moment, depuis l’imprimerie, déjà», rappelle-t-il. «Puis, dans les années 1980, avec l’essor des Mac, les graphistes se mettent à créer des infographies et s’affirment journalistes. Dans les années 1990, les spécialistes de bases de données portent de plus en plus le chapeau de journaliste (comme Sarah Hinman, directrice du pôle «recherche d’infos» à Times Union dont j’ai fait le portrait dans un précédent WIP). Depuis les années 1990, les journalistes sachant coder ont commencé à se servir de ces outils pour faire de l’information autrement.» Et ce n’est que le début.

Pensez-vous qu’un bon journaliste, en 2011, doit savoir utiliser du code mais aussi en connaître les bases? Seriez-vous prêt à apprendre? Et n’oubliez pas de liker cet article, merci!

Alice Antheaume

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Tentative d’identification d’Owni

Owni, plate-forme de «journalisme digital», et dernier-né des pure players de l’hexagone, veut être le ProPublica (1) français. C’est-à-dire une organisation qui finance des productions journalistiques sans en tirer profit. «L’information ne vaut pas d’argent et n’en rapporte pas, m’explique Nicolas Voisin, 32 ans, à la tête d’Owni. Depuis le temps, on le sait!».

Ordinateurs customisés et appartement à moquette

Les locaux d’Owni, situés près de la place de la République à Paris, ressemblent à une ruche. Une quinzaine de personnes travaillent, dans une chaleur d’étuve due à la surchauffe des ordis, sous les toits de ce qui semble être un ancien appartement. Nicolas Voisin appelle son équipe «la rédaction», sauf qu’ici, «il y a plus de techniciens que de journalistes».

Dans l’entrée, des développeurs de sites Web. Plus loin, Jean-March Manach, journaliste spécialiste des réseaux pour le site Internet Actu, et auteur du très bon blog Bug Brother, hébergé sur lemonde.fr, et Adriano Farano, ancien directeur de la rédaction de Café Babel, qui s’occupe du développement international d’Owni. Une jeune femme ne lève pas la tête de son clavier: c’est Astrid Girardeau, ex-journaliste à ecrans.fr, qui chapeaute une nouvelle section du site, «live», dont le lancement est prévu la semaine prochaine et sera un mélange de journalisme de liens et de formats courts. Dans une autre pièce, des graphistes-designers discutent, sur des fauteuils moelleux de cuir noir, comme des producteurs de télévision, tandis qu’un nid de très jeunes éditeurs, partageant la même table – mais pas les mêmes ordis, s’activent sur les contenus du site.

Crédit: DR

Crédit: DR

De fait, comme beaucoup de journalistes Web, les éditeurs d’Owni ne font pas qu’écrire des articles, ils agrègent des contenus extérieurs, imaginent titres et intertitres, font de l’activisme sur les réseaux sociaux, parlent statistiques, trouvent des idées pour mettre en scène des données en graphiques, ou commandent des articles à des pigistes (150 euros la pige, le double s’il y a des photos et/ou vidéos avec l’article, jusqu’à 500 euros s’il s’agit d’un gros dossier). Car à Owni, il n’y a pas de rédacteur en chef. En ligne, le résultat est hétérogène: des histoires souvent inédites, des infographies bien construites, du «crowd-sourcing», une plate-forme de blogs, mais un côté labyrinthe qui peut désarçonner.

Faire du service pour faire de l’info

La spécificité affichée de ce «laboratoire on line»: publier tous ses contenus (articles, applications, graphiques, tableaux, etc.) sous licence Creative Commons depuis la date de sa création, en avril 2009. Autrement dit, les contenus peuvent être reproduits ou modifiés par d’autres, à condition de citer la source et ne pas en faire un usage commercial.

Mais la particularité d’Owni est surtout économique. Contre toute attente, ce site ne cherche pas à commercialiser ses contenus. «Nous faisons le contraire d’un Rue89, détaille l’équipe. Eux ont commencé par produire des informations en ligne, et ensuite, pour faire vivre leur modèle, ils se sont mis à vendre des services, en faisant de la formation et de la conception de sites Web. Nous avons fait l’inverse.» A savoir engranger de l’argent avec une société commerciale, du nom de 22mars, qui négocie des contrats annuels avec des institutions pour leur faire des sites Web, de la maintenance, et diverses applications. Ce n’est qu’ensuite qu’a été lancé Owni, dont les 4 salariés, les 11 associés indépendants, entrepreneurs ou auto-entrepreneurs, et les 6 contrats en alternance, vivent sur les capitaux de l’entreprise mère, 22mars (234.000 euros de chiffre d’affaires, en 2009, et un objectif d’1 million d’euros en 2012).

«Notre économie existe avant le média. Et elle existera après… A ce titre, Owni est un formidable laboratoire de R&D (recherche et développement, ndlr)», reprend Nicolas Voisin.

Non-profit

Et si, par hasard, des éditeurs publiaient sur Owni des articles pas très gentils sur les clients de 22mars? La réponse de Nicolas Voisin cingle: «Le directeur de la publication d’Owni prend la responsabilité légale des contenus publiés sur le site, pas l’initiative éditoriale.»

Pas de pression financière directe, donc, ni de quête forcenée de l’audience (100.000 VU par mois selon les chiffres donnés par la plate-forme), un rythme de publication de croisière (moins de 10 articles par jour), Owni est l’incarnation, «à petite échelle, de ce que les Anglo-saxons appellent le “non-profit” (…) qui plus est sans pub ni péage – et ceci n’est pas prêt de changer.»

(1) ProPublica a financé une production Web qui a remporté le prix Pulitzer 2010.

Alice Antheaume

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