Pourquoi tant de haine?

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Derrière des messages d’insultes qui pullulent en ligne, il y a souvent une initiative journalistique. Une couverture d’hebdomadaire, une nouvelle émission de télévision, un  titre d’article, un sujet d’actualité, un journaliste en particulier ou les médias en général… A peu près tout peut déclencher une poussée de réactions ulcérées sur le réseau. Il y a souvent de quoi, c’est vrai. Mais, parfois, la teneur de ces messages ne fait plus la différence entre ce que l’on pourrait se dire intérieurement et ce que l’on formule au vu et au su de tous. Pourquoi? Est-ce là le signe d’un climat de défiance généralisée? La preuve que prolifèrent les “haters“, ces gens qui ne “peuvent pas se réjouir du succès des autres” et préfèrent épingler leurs travers? Sont-ils les nouveaux chiens de garde des journalistes? Explications avec Vincent Glad, journaliste indépendant, contributeur de Slate.fr, ancien chroniqueur pour Le Grand Journal de Canal +, Antonio Grigolini, responsable de la Social TV à France Télévisions, et Michaël Szadkowski, journaliste et social media editor pour lemonde.fr.

Y a-t-il vraiment une escalade d’insultes en ligne contre les médias?

Oui, répond Michaël Szadkowski, du Monde.fr, pour qui “on assiste à une radicalisation des commentaires liés au Monde.fr, directement sur le site, ou dans nos discussions avec nos lecteurs sur les réseaux sociaux”. Non, pour Vincent Glad et Antonio Grigolini, qui estiment que les “haters” sont vieux comme le Web – en témoigne ce mème “hater gonna hate”.

“Ce qu’on appelle aujourd’hui le hater, c’est simplement le râleur d’avant”, continue Vincent Glad. Il y a le blasé, le compulsif, le justicier, celui qui se croit drôle, mais “le hater, c’est aussi celui qui regarde sa télévision, trouve que l’animateur ou l’animatrice est nulle, le dirait simplement à sa femme sur le canapé, et, en son absence, il le tweete”, détaille Vincent Glad. Même si le tweet est emporté, voire brutal, l’intention de nuire n’est pas toujours manifeste. Pourtant, il va provoquer, effet boule de neige oblige, une cascade de réactions courroucées. Et pour cause, la colère se propagerait plus vite et plus largement en ligne que la joie, selon cette étude réalisée sur le réseau social Weibo, qui ressemble à Twittter en version chinoise.

Pourquoi ces messages ont-ils autant de portée aujourd’hui?

Parce que ces messages sont plus visibles qu’autrefois. Aujourd’hui, la “sphère publique a englobé les réseaux (ou s’est étendue aux réseaux), donc cela se voit et s’entend davantage”, m’explique Antonio Grigolini, de France Télévisions. “Quand le Figaro décide de publier une revue de tweets pour le lancement de l’émission Alcaline, sur France 2, on comprend que les réactions dans les réseaux sont scrutées et analysées comme jamais”. Les messages postés en ligne sont devenus un baromètre, ils donnent à voir – en partie et en instantané – la réception qu’ont les utilisateurs de nouvelles émissions et des nouvelles formules des sites d’informations et journaux. Il y a donc un effet loupe, parfois “grotesque”, reprend Antonio Grigolini. Surtout quand, à bien compter, le nombre de tweets sur l’émission est assez réduit.

Pour Vincent Glad, des sites comme le Huffington Post ou Melty jouent un rôle clé dans la “médiatisation de cette colère”. Ils considèrent Twitter comme un “laboratoire des réactions des gens face à une émission, un nouveau clip, une petite phrase et rédigent souvent des articles titrés “Twitter dénonce…” ou “Twitter s’enflamme contre…”, agrégeant ainsi des discussions de canapé pour en faire un mouvement d’opinion. La vraie montée en puissance des haters, elle est là. Dans leur mise en lumière médiatique.”

Les journalistes sont-ils les nouveaux souffre-douleur?

Et si les sermons adressés aux journalistes feraient partie d’une riposte plus globale visant le pouvoir exécutif? L’hypothèse n’est pas aussi tordue qu’elle en a l’air. “L’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012 a amplifié les critiques en ligne contre les médias”, estime Michaël Szadkowski, du Monde.fr. “Les commentateurs de droite et d’extrême-droite sont particulièrement virulents, et mettent dans le même panier “médias” et “gouvernement”. Ils critiquent soit l’un, soit l’autre, soit les deux, dès qu’ils en ont l’occasion, dans chaque espace où ils auront une visibilité”, observe-t-il. C’est, en effet, le résultat des consignes données par différents partis, l’UMP, le FN, et aussi le Front de Gauche, à leurs sympathisants: il s’agit d’investir le Web pour répandre idées et messages dans toutes les interstices.

Et ils tapent fort pour se faire entendre, sachant que la blogosphère politique française se compose à 14% de partisans de l’extrême droite, à 18% de sympathisants de la droite républicaine, face à une gauche majoritaire à 46,8% selon une cartographie réalisée par l’agence Linkfluence. Ces commentaires sont “souvent extrêmement violents” contre le pouvoir en place, analyse Michaël Szadkowski, qui en a retranscrit la tonalité dans cet article. “Cela n’encourage pas les autres commentateurs moins engagés à rentrer dans la discussion et à calmer le jeu. Il n’y a souvent personne pour les contredire vraiment. D’où l’impression d’une radicalisation des haters qui ont systématisé leurs attaques. Ils ne sont peut-être pas beaucoup plus nombreux qu’avant (il est impossible d’avoir des chiffres), mais ceux qui sont là sont très actifs.”

Pour Antonio Grigolini, en plus des ressorts classiques de la haine (racisme, démagogie…), “il y a clairement un sentiment anti-élite” qui émane des commentaires les plus violents. “Il suffit de songer à la “dieudonnisation des esprits“, ou encore à l’explosion de Beppe Grillo en Italie. Tout le discours de Beppe Grillo et de ses supporters sur les réseaux est un énorme hymne à la haine contre les élites et les castes, à base d’insultes et de virulence verbale.”

Comment répondre aux critiques quand on est journaliste?

La règle d’or, c’est de rester calme. Même si l’attaque fait mal. Pour digérer les attaques, tous les stratagèmes sont bons: aller faire un tour, respirer un grand coup, en parler à ses collègues – y compris ceux qui ne sont pas toujours d’un grand soutien, ils seront peut-être plus justes – pour dédramatiser…

Deuxième principe, accepter que le “traitement” prenne du temps. Il faut d’abord se demander si la critique émise nécessite une réponse ou non. Si celle-ci est légitime, porte sur le contenu de l’article, et non sur son auteur, alors oui, il vaut mieux répondre et préciser ce qui doit l’être. Si, en revanche, la critique concerne les médias en général, du genre “tous pourris”, “tous gauchos”, “tous fascistes”, elle est “manifestement guidée par des idéaux politiques et est évidemment plus compliquée à prendre en compte”, estime Vincent Glad, qui prône alors de ne pas se jeter dans l’arène.

De même, Michaël Szadkowski s’en tient, lorsqu’il répond au nom du Monde.fr sur Twitter, Facebook ou Google+, “à la règle 14 des Internets qui stipule de ne pas argumenter avec les trolls si leurs critiques ne sont pas constructives et ne sont pas en lien spécifique avec des éléments précis d’un article”. Et de citer son collègue Samuel Laurent, journaliste du Monde.fr qui se qualifie sur Twitter d'”appeau à trolls”, lequel “s’emploie à répondre fermement à toutes les personnes qui l’attaquent – il leur explique par A+B qu’elles ont tort, ou les tourne en ridicule pour prouver l’ineptie de leurs critiques”.

Autres conseils utiles: pour répondre à un détracteur, “demandez lui plus d’informations”, recommande Deanna Zandt, sur le site de Forbes. “Ecrivez-lui par exemple en réponse “d’où vous vient cet avis?”, c’est une question sûre, elle n’offre pas de jugement de valeur sur l’opinion de la personne en question, et elle créé l’espace pour qu’une conversation puisse avoir lieu.”

Il ne faut pas hésiter non plus à bloquer les utilisateurs qui sont trop acharnés et excessifs. “Les réseaux sociaux n’ont pas à être des démocraties où chaque message serait valorisé, quel qu’en soit le prix le payer. Sentez-vous libre d’être le dictateur de votre domaine de conversation”, sourit Deanne Zandt. Inutile, donc, de s’emporter. Mieux vaut marquer le pas et ne surtout pas être dans la même tonalité. Ou, mieux, regarder ces célébrités qui lisent, face caméra, les plus méchants tweets qu’elles aient reçu, face caméra. Salutaire.

Et vous, comment faites-vous pour répondre aux critiques?

Alice Antheaume

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