SXSW: Chat peut rapporter gros

Crédit: AA

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Crépitements des flashs. Mouvement de foule. Le célèbre Grumpy Cat, de son vrai nom Tardar Sauce, une chatte à l’air ronchon, vient de faire une entrée surprise à South by South West 2014, à Austin, lors d’une conversation sur l’économie des vidéos de chats en ligne.

Grumpy Cat a un agent, Ben Lashes, invité à parler lors de cette table ronde. Son métier: «manager de memes», annonce l’intéressé. Il raconte ce qu’il s’est passé lorsque la propriétaire de Grumpy Cat, Bryan Bundesen, a posté une photo de son drôle de chat sur Reddit. En une nuit, elle a obtenu près de 30.000 interactions. 

Depuis, Grumpy Cat a sa chaîne de vidéos de YouTube – pas loin de 154.889 inscrits à l’heure où j’écris cet article -, a fait la une du Wall Street Journal, gagné le Webby Award du meilleur meme de l’année 2013. Quant au livre qui lui est consacré, A Grumpy Book for Grumpy Days, il figure, pour la dixième semaine, dans le classement des best-sellers du New York Times.

A Austin, la présence de Grumpy Cat suscite une douce hystérie. Des centaines de fans font la queue pour se prendre en photo à côté de cette star à quatre pattes. «Faire un grumpy est le nouveau selfie», estime Ben Lashes. Sans rire.

 

Crédit: Yann Chapellon

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Festival de chats

Anecdotique? Les chats en vidéo ou en GIFS animés font non seulement des cartons en ligne – même si, le plus souvent, ils ne rapportent rien – mais font partie intégrante de la culture Web. Au point qu’il existe même, aux Etats-Unis, un festival des vidéos de chats, lequel a tourné dans cinquante villes au cours des deux dernières années. «100.000 personnes y ont assisté» dont 11.000 tickets pour l’édition au Minnesota, rapporte Scott Stulen, le directeur de ce festival, et «on a eu 1.100 articles à ce propos. Le tout pour 0 bénéfice».

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Tout public

L’intérêt des vidéos de chats en ligne? Agréger des catégories socio-professionnelles très différentes, des grands mères fans de chats, comme des bobos ou des enfants de 6 ans.

Will Braden, le créateur de la chaîne de vidéos Henri Le Chat Noir sur YouTube – 7,2 millions de vues -, lit ce qu’il y a écrit sur sa carte professionnelle: «je fais des vidéos de chats». Ses journées sont «surréalistes», sourit-il. «Jamais je n’aurais pensé un jour que cela serait mon métier, ni que je gagnerai de l’argent en faisant cela». Ses revenus proviennent des publicités sur YouTube et des produits dérivés d’Henri Le Chat Noir vendus dans une boutique en ligne dont un livre, «The Existential Musings of an Angst-Filled Cat». «Désormais, vous pouvez aller voir une maison d’édition en lui disant j’ai tant de followers, voici où ils vivent, et quel âge ils ont», reprend Will Braden. «Cela réduit le risque de la maison d’édition. Si 1% de tous vos amis sur Facebook achètent ce livre, elle a son retour sur investissement.»

De Grumpy Cat à Henri Le Chat Noir

«Je ne suis pas riche pour autant», reprend-t-il. La clé, selon lui, c’est d’avoir une audience spécifique et très demandée. Selon les statistiques fournies par YouTube, une majorité de femmes ayant entre 45 et 64 ans clique sur les vidéos d’Henri Le Chat Noir. «Ce n’est pas du tout le profil de l’utilisateur moyen de YouTube», précise Will Braden, qui y voit là un atout pour y héberger des publicités ciblées. Résultat, «Henri a un CPM (coût pour mille) de 10 dollars sur YouTube». Pas si mal.

La recette pour monétiser ses vidéos de chats? Connaître les fans de ses pages et leurs statistiques, utiliser ces données pour créer des produits dérivés – pour savoir si des tasses seraient une bonne idée ou s’il vaut mieux faire des tee-shirts -, et trouver des sponsors, comme Friskies. Car Henri Le Chat ou Grumpy Cat sont aussi des ambassadeurs, les images des marques des croquettes de demain.

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Alice Antheaume

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Live à la BBC

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C’est la plus grande rédaction qui existe en Europe. Celle de la BBC, installée depuis un an dans la «Broadcasting House», en plein centre de Londres, dans un immeuble art déco qui a fait l’objet d’une décennie de rénovation (et plus d’un milliard de livres) avant de ré-ouvrir ses portes en janvier 2013 pour accueillir ses quelque 6.000 employés. Le pari? Réunir au même endroit, sur 80.000 mètres carrés, les équipes télé, radio, et numérique, ainsi que les studios qui vont avec. Le tout sous des téléviseurs qui diffusent BBC News, BBC World, CNN, Sky News et Al-Jazeera, et face à des écrans qui comptabilisent, minute par minute, le nombre de visiteurs sur tel ou tel contenu posté en ligne.

Côté rédaction, cela aboutit à un parterre de plusieurs centaines de personnes, départagées par une ligne imaginaire, une moitié travaillant pour le territoire britannique et l’autre pour l’international. Chacun a un poste dans cet open space géant, avec un ordinateur arrimé à un bras articulé et des écouteurs individuels. Une fourmilière? Vue du haut, comme sur la photo ci-dessus, oui. Mais lorsque l’on s’assoit à un poste, en bas donc, le niveau sonore est, contre toute attente, très raisonnable.

La tour de contrôle centrale

Au centre du parterre, des dizaines de personnes font office d’aiguilleurs du ciel. Ils commandent les contenus, calent les formats, et donnent les heures de bouclage aux 200 correspondants répartis dans le monde et autant de fuseaux horaires. Puis annoncent, sur des écrans disséminés dans toute la rédaction, les «BH arrivals», c’est-à-dire les contenus envoyés à Broadcasting House par ces mêmes correspondants. Cela ressemble au tableau des arrivées d’un aéroport, sauf qu’au lieu des avions qui atterrissent, ce sont les contenus qui y sont annoncés.

>> Ci-dessous, une coupe de la rédaction de la BBC réalisée avec Gliffy, un outil en ligne >>

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«Mon rôle, c’est d’organiser le chaos», sourit James Bryant, qui oeuvre au sein de ce service intitulé «News gathering». «Mais c’est aussi de protéger les correspondants lorsqu’ils ont besoin d’aller se coucher après des grosses journées de travail ou lorsqu’ils sont en reportage dans des lieux vraiment rudes sans électricité ni eau», comme lors du passage de l’ouragan Haiyan aux Philippines en novembre 2013.

Plus loin se trouve un homme affairé sur des dossiers et au téléphone. Devant lui, un écriteau indique «lawyer on duty». «C’est un juriste», me souffle Samantha Barry, journaliste et responsable des réseaux sociaux pour l’international, qui me guide dans les allées. «Il gère les conflits, et nous pouvons à tout instant lui demander son avis sur une phrase ou une expression qu’on compte utiliser dans un article».

Un seul clic, plein d’urgents

A ses côtés, une équipe d’une grosse douzaines personnes, capables de parler et de comprendre des dialectes rares, sont chargées de vérifier les vidéos et les commentaires, pour démonter les éventuels fakes. Mark Frankel, éditeur adjoint en charge des réseaux sociaux, fait, lui, de la veille sur les réseaux sociaux, sur Reddit, et analyse les statistiques de l’audience sur Chartbeat. Il me montre un outil développé en interne il y a quelques mois, le «breaking news tool», qui permet d’envoyer en un clic la même information urgente par email, sur Twitter – notamment sur le compte BBC Breaking News, sur les sites de la BBC, et dans les synthés pour la télévision (le «ticker»). Les informations émanant de la BBC sont d’ailleurs parmi les plus partagées sur Twitter en Angleterre, devant celles du Guardian et du Telegraph.

Côté international, les journalistes préparent des idées de sujets pour les «réunions sur canapé», des conférences de rédaction qui se tiennent sur un immense sofa en U, à côté d’une petite cafétéria. Dès 7h, c’est celle du programme «Outside source» qui a plusieurs déclinaisons en fonction des supports. Puis à 7h30 c’est au tour de l’équipe «early» de World TV. A 8h25, place aux équipes «online». A 8h50, c’est le «newswire» et ainsi de suite jusqu’à 19h, pour le débriefing sur l’Afrique.

Réunions sur canapé

Ce jour là, le mardi 25 février 2014, j’assiste à celle de 9h30, avec l’équipe matinale de World TV. Il y a là la présentatrice des titres du journal télévisé, des chefs d’édition, des rédacteurs du site BBC World News et les responsables des réseaux sociaux. Le rédacteur en chef, qui sort tout juste d’une autre réunion avec la direction éditoriale, prend la parole et énumère les sujets sur lesquels «monter». Tout en haut de la liste, l’Ukraine. C’est une semaine très importante, et nous ne sommes que mardi», commence-t-il, avant de proposer de traquer le président déchu. «Il est peu probable qu’il soit en Ukraine, mais on peut lister les pays dans lesquels il pourrait se réfugier (on sait depuis qu’il se trouvait en Russie, ndlr)». Puis viennent les chiffres de la mortalité infantile dans le monde, la révélation par un tabloïd d’une liste de 200 noms d’homosexuels en Ouganda, dans un pays où être gay est illégal, ou la campagne anti-corruption en Inde. Et la disparition annoncée du Bitcoin. «Comment peut-on penser que cette monnaie va manquer?», s’amuse l’un des journalistes, auquel le service Economie démontre, chiffres à l’appui, l’ampleur du phénomène.

«Ce qui est formidable, dans ces moments-là, c’est qu’à peine levé tu as des nouvelles du monde entier et tu y participes», s’enthousiasme Samantha Barry.

Est-ce le flegme anglais? En apparence, aucune pression n’est palpable, et pourtant, tout va très vite. Lors de ces conférences, les journalistes ne proposent pas, l’un après l’autre, les sujets qu’ils espèrent couvrir («nous n’avons pas le temps de prendre la parole chacun à notre tour», m’explique Samantha Barry), mais ils ajoutent au besoin des idées et des commentaires à ce que le rédacteur en chef énonce. Canapé oblige, l’ensemble semble informel. Même si, en réalité, aucun participant ne parle si son chef ne l’y a pas invité. Et quand les journalistes de la BBC vont trop vite à l’oral, ils se reprennent si besoin: «Elle se plaint que… Non, plutôt elle dit que, elle ne se plaint pas…».

Les valeurs de la BBC

Au dos des badges que portent les journalistes sont d’ailleurs martelées les «valeurs» de la BCC: la confiance («nous sommes indépendants, impartiaux et honnêtes»), le souci du public, la qualité, la créativité, le respect, et l’esprit de groupe («nous ne sommes qu’une BBC. De grandes choses sont accomplies lorsque nous travaillons tous ensemble»).

Au sortir de la réunion, on apprend que le procès d’Oscar Pistorius, l’athlète soupçonné d’avoir tué sa petite amie en Afrique du Sud, pourra être filmé sous conditions. Cela donne lieu à un bandeau «breaking news» en bas de l’écran télévisé de la BBC, et un «happening now» au même moment pour CNN.

Innovation à l’étage

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A l’étage est installé le laboratoire de l’innovation vidéo de la BBC, qui produit les nouveaux formats éditoriaux. Dont les fameux Instafax, ces vidéos de 15 secondes mises en ligne sur Instagram. «Produire une vidéo Instafax nécessite une heure de travail, pas plus. Nous utilisons Final Cut Pro pour monter les images et avons un template spécial» pour les textes insérés sur les images, détaille Matthew Danzico, le directeur du laboratoire. Un format né sur un réseau social à destination d’utilisateurs du mobile, et qui va sous peu être diffusé à l’antenne. «Puisque les Instafax sont d’abord des contenus adaptés au mobile, nous avons choisi de ne pas mettre de voix off car nos téléphones sont souvent en mode silencieux et n’avons pas toujours le réflexe de sortir nos écouteurs».

Instafax et BBC trending

Autre révolution dans les méthodes de la BBC: la façon d’interagir avec l’audience à propos des Instafax. «L’autre jour, un utilisateur a écrit #IloveInstafax, nous lui avons répondu #weloveyou», reprend Matthew Danzico. «C’est très différent de ce que fait la BBC d’habitude, nous sommes beaucoup plus dans le personnel. De même, nous mettons des smileys et des émoticônes dans nos réponses... Vous voyez que le ton n’est pas le même».

Outre les Instafax, l’autre format mis en place dès octobre 2013 par le laboratoire de la BBC s’appelle BBC trending. Au rythme de 3 vidéos par semaine, un programme radio hebdomadaire, et un post de blog par jour, l’objectif est de scruter les sujets les plus discutés sur les réseaux sociaux et d’expliquer pourquoi. «Ce ne sont plus vraiment des news, ce sont des social news», précise Benjamin Zand. Dans un format inspiré de la culture du Web et des selfies, le présentateur est filmé en très gros plan. «L’autre point important, c’est qu’il n’y a qu’un présentateur, pas deux. Sinon, passer de l’un à l’autre donne lieu à un montage trop compliqué qui ne fonctionne pas sur petit écran», dit encore Benjamin Zand.

Crédit: BBC

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La question est centrale au sein de la BBC: comment faire en sorte que les contenus produits s’adaptent au Web, à l’antenne, au mobile? «Il ne faut pas être esclave des formats. Un contenu de qualité marche dans tous les cas et sur toutes les plates-formes», note la journaliste Inga Thordar, en charge de la production de vidéos en ligne. «Grâce à des études réalisées auprès de nos internautes, nous avons compris que les programmes télévisés ne fonctionnaient pas bien en ligne. Nous cherchons donc à faire une télévision différente afin que ce que l’on y voit puisse marcher aussi sur les autres plates-formes».

D’autant que la télévision compte encore beaucoup dans la vie des Anglais. Même s’ils la regardent 4 heures en moyenne par jour, à peine plus que les Français (3h47), ils connaissent en revanche très bien le détail des programmes diffusés. Rappelons que c’est en Angleterre qu’a été créé Gogglebox, un programme où l’on regarde d’autres téléspectateurs regarder la télé anglaise…

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Alice Antheaume

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