Les Décodeurs sont morts, vive Les Décodeurs

Crédit: Lemonde.fr

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«Ceci est l’un des derniers billets de ce blog. D’ici quelques jours (…), nous cesserons de l’alimenter», pouvait-on lire vendredi dernier sur Les Décodeurs, le blog de fact checking participatif du Monde.fr. Né en 2009, cet espace s’inspirait du site américain Politifact.com et son célèbre «truth-o-meter» (le véritomètre) pour jauger la crédibilité de la parole politique.

Non, cela ne signifie pas ce genre journalistique n’a plus de sens. Au contraire. Alors que la désinformation en ligne augmente, au point que des chercheurs européens travaillent à la construction d’un détecteur de mensonges sur Twitter, Les Décodeurs sortent de l’espace limité d’un blog pour renaître au Monde.fr au sein d’un service du même nom composé de neuf personnes (un éditeur dédié, deux data journalistes, deux infographistes, trois rédacteurs, et un coordinateur du projet). Lesquelles feront du fact checking – pas que politique – toute la journée. Et ce, dès lundi prochain.

Vérifications, data visualisations et décryptages

«Nous voulons être le Buzzfeed du fact checking et démonter les rumeurs que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux en repartant des faits, en donnant du contexte, et en s’appuyant sur des données et des graphiques», m’explique Samuel Laurent, le coordinateur du projet. Il confie en avoir eu l’idée en novembre dernier, lors des Assises du journalisme de Metz, en discutant avec Cory Haik, une journaliste du Washington Post. Celle-ci venait parler du Truth-Teller, un robot dont la mission est de vérifier automatiquement les discours des politiques américains au moment même où ils les déclament.

Pour Samuel Laurent, ça a fait tilt. Il était temps de dresser le bilan de cinq années de fact checking et de passer à l’étape suivante.

  • Leçon de fact checking numéro 1: la vérité est plus complexe qu’un tampon vrai ou faux

Parmi les enseignements tirés, il apparaît qu’il ne suffit pas d’apposer un tampon vrai ou faux sur une déclaration d’un homme ou d’une femme politique. «La vérité est chose complexe et exige des nuances», apprend-t-on sur feu le blog Les Décodeurs. «D’autant qu’elle varie selon les tendances politiques: aux extrêmes l’outrance et le faux complet; la droite, elle, affectionne les discours chiffrés, là où la gauche s’est spécialisée dans le flou et la langue de bois…».

  • Leçon de fact checking numéro 2: la politique n’est pas le seul champ qui mérite des vérifications

Autre constat, partagé à la fois aux Etats-Unis et en France: la politique ne doit pas être le seul objet des décryptages. Le Washington Post a adapté la technologie du Truth-Teller politique aux bandes annonces afin de distinguer dans les films ce qui relève de la fiction et ce qui est de l’ordre du réel – cela s’appelle le Truth-Teller pour les trailers.

De même, Les Décodeurs du Monde.fr veulent proposer du fact checking au sens large, au delà de la politique. Lorsqu’en janvier, François Hollande annonce une baisse des charges patronales, «nos lecteurs ne se disent pas “mais bon sang, quel est ce tournant libéral du président de la République?”. Ils se demandent “c’est quoi, les charges patronales?”», reprend le journaliste du Monde.fr, qui y voit là le signe qu’il faut davantage fournir des explications et des clés à l’audience.

  • Leçon de fact checking numéro 3: écouter les interrogations provenant des lecteurs

Les discussions émanant des réseaux sociaux seront scrutées de près, et guideront en partie les choix de sujets des Décodeurs. C’est là une petite rupture par rapport à la culture journalistique traditionnelle. Lorsqu’est annoncée par erreur la mort d’une personnalité en ligne, nombreux sont les journalistes qui, d’abord, ne le voient pas, et, ensuite, estiment qu’il vaut mieux ne pas en parler, au risque de donner de l’écho à une information erronée. Or il n’y a plus d’un côté Internet et de l’autre la vie, juge Samuel Laurent. En témoigne selon lui l’intox autour du soi-disant enseignement du genre dans les écoles qui a poussé certains parents à retirer leurs enfants de l’école en janvier: «c’est notre rôle que de s’attaquer à ces fakes à condition que nous soyons capables de les démonter».

S’adresser à une audience vivant sur les réseaux sociaux

L’autre objectif affiché de ce projet, c’est de rattraper par le col de la chemise ceux qui n’ont pas pour habitude de se connecter au Monde.fr. Voire qui ne s’informent que via les réseaux sociaux. Le circuit de diffusion se voit donc modifié afin d’aller trouver l’audience là où elle se trouve, en partageant d’abord des briques d’informations sur Twitter puis sur Facebook avant de publier ensuite sur lemonde.fr un contenu chapitré et composé des briques déjà disséminées sur les réseaux sociaux. «Notre temps 1 de l’info, c’est Twitter. Notre temps 2, c’est Facebook. Notre temps 3, c’est la publication sur le site. Notre temps 4 sera la publication dans notre futur journal du soir. Notre temps 5, c’est le journal quotidien. Et notre temps 6, c’est Le Monde Magazine.»

D’après les données récoltées lors d’une enquête sur l’état des pages d’accueil des sites d’informations français, 10% du trafic du Monde.fr provenait des réseaux sociaux en novembre 2013. Pour tenter de booster ce pourcentage, Les Décodeurs ont conçu un nouveau format intitulé Nanographix, une infographie présentée sous la forme d’un carré, qui, espère l’équipe, aura un «potentiel viral» important.

>> Ci-dessous un exemple de Nanographix sur la greffe du coeur >>

Crédit: Lemonde.fr

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A venir, donc, dès ce lundi dans le panier de ces nouveaux Décodeurs: des graphiques pour savoir à coup sûr si un sondage est sérieux ou non, des enquêtes pour, par exemple, identifier les communes les plus endettées, données à l’appui, et de quoi détecter si une ville est de droite ou de gauche.

«L’information sérieuse n’est pas forcément rasante», sourit Samuel Laurent. Au Monde.fr, les papiers pédagogiques – que l’on appelle outre Atlantique des explainers – dont le titre est bâti sur le modèle «comprendre (sujet) en (X) minutes» (JO de Sotchi: Comprendre la situation dans le Caucase en 3 minutes ou La maladie d’Alzheimer expliquée en 3 minutes) font des cartons d’audience. Parce que c’est la promesse d’une explication simple, pré-mâchée, qui permet aux lecteurs de briller ensuite en société ou en famille en ayant l’air d’avoir compris l’essentiel d’une actualité. Et c’est l’assurance que le temps passé à comprendre cette actualité n’excède pas quelques minutes, un délai raisonnable pour qui souhaite garder prise sur son temps.

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Alice Antheaume

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Fast food et fact-checking, même recette…

Crédit: Flickr/CC/gabriel amadeus

Après le plantage de quelques médias américains, New York Times compris, au moment de donner le nom de l’auteur de la tuerie de Newtown – le nom de Ryan Lanza est d’abord apparu avant que la correction soit faite pour attribuer le meurtre à son frère Adam Lanza, les techniques de fact-checking ont été très débattues à South by South West 2013, le festival des nouvelles technologies qui se tient chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Journalisme de niche, le fact-checking politique est devenu une vraie spécialité, estime Bill Adair, le fondateur de Politifact, un projet lancé en 2007, récompensé par un prix Pulitzer, qui veut disséquer les propos des responsables politiques du pays afin d’en distinguer le vrai du faux.

>> Lire aussi: à SXSW2013, leçon pour informer sur une tablette >>

Comment ça marche dans les cuisines de Politifact? Comme dans un fast-food, détaille Bill Adair lors d’une table ronde intitulée “Fast food and fact checking”, avec des procédures éditoriales pour garantir la “fraîcheur” du produit, des “mesures de sécurité”, et une “recette secrète” pour composer les contenus.

Crédit: AA


#Les questions à se poser avant de commencer le fact-checking

1. Le sujet de la déclaration qu’on s’apprête à vérifier peut-il intéresser quelqu’un?
Il faut une audience pour tout contenu.

2. La déclaration de tel ou tel homme politique est-elle vérifiable et mérite-t-elle de l’être?
Selon Bill Adair, “si on est sûr que c’est vrai, et que cela n’apporte rien que de procéder à un fact-checking, on laisse tomber”.

3. Est-elle vérifiable dans un temps “raisonnable”?
“On ne passe pas plusieurs semaines sur une phrase”, tranche Bill Adair.

4. La déclaration est-elle un jugement de valeur?
Si oui, passez votre chemin, car “les opinions ne se vérifient pas”, reprend le patron de Politifact.

#Les ingrédients de la recette du fact-checking

Chaque contenu sur Politifact est composé de plusieurs ingrédients, comme les couches qui forment un hamburger.

* Le pain –> le titre.



* La moutarde –> le descriptif de la situation au cours de laquelle le responsable politique a prétendu telle ou telle chose.


* La salade –> la déclaration qui va être passée au crible.

Celle-ci est citée in extenso et est complétée par le “plus de contexte possible”, souligne Bill Adair.

La tranche de tomate –> la transition.

Elle permet de passer de la déclaration aux paragraphes suivants, qui concernent les faits.

* Le steack –> l’exposé des faits et l’analyse qu’en tire le journaliste.

* Les grains de sésame sur le pain –> la conclusion.
Elle tient en deux lignes et indique au lecteur si la déclaration politique examinée est vraie ou fausse.

Pour Bill Adair, il importe aussi que chaque contenu soit correctement tagué: “il faut assigner à chaque fact-checking le nom d’un homme politique (celui qui a fait la déclaration), d’une campagne électorale (le contexte), d’un sujet (ce sur quoi porte la déclaration), d’un reporter (l’auteur du fact-checking) et un vote (son nombre de likes et de retweets)”, développe-t-il, pas peu fier d’avoir pensé à cette structure, car au moment de lancer l’application mobile de Politifact, le “rangement” était d’autant plus simple à mettre en place avec des catégories déjà installées.

Alice Antheaume

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Les caractères de journaliste

Crédit photo: Flickr/CC/petitshoo

Les rédactions sont truffées de journalistes qui ne se ressemblent pas. Il y a ceux qui font des captures d’écran à tout va, ceux qui traquent les nouvelles tendances, ceux qui comptent les occurrences des mots dans les discours des politiques, ceux qui vérifient chaque chiffre et ceux qui ne vivent plus que pour le journalisme de données. Leur point commun? Ne pas pouvoir travailler sans outil numérique. Passage en revue de huit profils journalistiques (1).

  • Le dénicheur de tendances

Profil
Utilisateur forcené des réseaux sociaux, ce journaliste ne «suit» pas l’actualité prévue dans les agendas institutionnels. Ses sujets, il les renifle en observant l’activité des internautes sur le Web. Ainsi, il a déjà écrit sur le planking, l’art de se prendre en photo en faisant la planche, le tebowing, l’histoire de cette prière faite par le quarterback américain Tim Tebow, le scarlettjohanssoning, après la publication de clichés de l’actrice nue, le noynoying pour fustiger la passivité du président philippin Benino Aquino III, surnommé «Noynoy», et… le draping, du nom de Don Draper, le héros de la série Mad Men.

Signes distinctifs
Publie des articles sur les mèmes, ces éléments (images, citations, vidéos) qui se partagent, en ligne, à la vitesse de l’éclair et entrent dans la mémoire collective, comme cela a été le cas de la jambe d’Angelina Jolie, exposée lors de la cérémonie des Césars Oscars (merci @Bere94) et devenue un élément autonome sur le Web, copiée-collée sur d’autres photos.

Outils de travail
Trendic Topics, les sujets les plus discutés sur Twitter; Google Trends sur les mots-clés les plus tapés dans Google en fonction des pays et Google Insight for Search pour repérer les tendances de volume de recherche par région, catégorie, période; Video Viral Chart qui répertorie les vidéos les plus partagées (sur Facebook, sur les blogs, etc.) et trace leur «itinéraire» via un graphique; Know your Meme, une base de données sur les mèmes.

  • Le dico-journaliste

Profil
De la «bravitude» de Ségolène Royal en 2007 à la «méprisance» de Nicolas Sarkozy en 2012, ce journaliste traque les néologismes créés par les personnalités politiques, les petites phrases échangées entre candidats à la présidentielle et leurs références littéraires (François Hollande se comparant à Sisyphe et Jean-Luc Mélenchon citant Victor Hugo). Il peut aussi analyser le vocabulaire d’un parti sur un événement, comme le PS sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Pour ce faire, il aime compter les occurrences d’un mot dans les discours politiques et les pronoms personnels pour en tirer des enseignements sur le message véhiculé. Au final, ses articles flirtent avec l’exercice du commentaire composé.

Signes distinctifs
Cite souvent le blog du linguiste Jean Veronis, peut glisser dans ses articles une définition trouvée dans le Littré, voire créer un quiz à partir des figures de style utilisées par des hommes et femmes politiques.

Outils de travail
L’INA, pour revoir les archives de discours politiques et d’interventions télévisées; Wordle, pour mettre en valeur, à partir d’un discours politique, les mots qui reviennent le plus souvent.

  • Le journaliste mobile

Profil
Journaliste en reportage, pour couvrir un procès, suivre un candidat en campagne électorale, relater un événement international, il se retrouve loin de ses collègues, avec son smartphone comme seul compagnon. «Il me permet de m’informer, de photographier, de tweeter et de rester en contact avec ma rédaction», décrit Soren Seelow, journaliste du Monde, envoyé spécial à Toulouse au moment de l’opération du Raid dans l’affaire Mohamed Merah, qui raconte le marathon médiatique de l’intérieur. Ses deux soucis principaux? 1. La recharge de son téléphone, qui se vide à la vitesse que l’on sait 2. La disponibilité du réseau téléphonique ou de la connexion Internet, sans qui aucune information ne peut être publiée.

Signes distinctifs
Dans le feu de l’action, peut faire quelques coquilles et ne répond pas aussitôt aux questions de l’audience pour préserver sa batterie. Il rêve d’une application mobile comme celle de Tumblr ou de la BBC pour pouvoir intégrer ses photos, ses sons, ses vidéos et ses informations dans le système de publication de sa rédaction, sans passer par la case ordinateur.

Outils de travail
Des recharges (portables) de téléphone; l’application Ustream pour mobile, pour diffuser en ligne les vidéos filmées sur son téléphone en temps réel, ou Bambuser; l’application Photoshop Express pour recadrer ses photos en deux secondes; et l’application de montage vidéo Reeldirector (pour iPhone).

  • Le pointilleux de l’édition

Profil
Les règles d’orthographe, de grammaire et de ponctuation, il les connaît par coeur. Le système de publication de sa rédaction (appelé aussi CMS, comme content management system) aussi. Ainsi, il sait combien de signes maximum peut contenir un titre pour rester sur une seule ligne. Il a lui-même rédigé la charte de règles typographiques de sa rédaction, et pense qu’il faudrait l’offrir comme cadeau de Noël à tous les rédacteurs de son équipe. Car il se bat pour uniformiser l’écriture des articles, par exemple en demandant à ce qu’al-Qaida soit écrit en français plutôt qu’en anglais (Al-Qaeda) et en retirant les tirets qui n’auraient pas lieu d’être à Sciences Po (et non Sciences-Po) ou Nations unies (et non Nations-Unies). Excellent titreur, il a aussi appris quelques règles de SEO et leur impact sur l’écriture journalistique. D’ailleurs, il se demande toujours si ajouter un point d’exclamation ou d’interrogation à un titre fait «davantage remonter l’article dans Google News».

Signes distinctifs
Répète sans relâche qu’une citation s’écrit avec des guillemets doubles français (« ») et qu’une expression à l’intérieur d’une citation s’écrit avec des guillemets anglais (” “). Réédite parfois en cachette les articles de ses collègues pour corriger des «coquilles» malheureuses mais s’empêche de reprendre les fautes d’orthographe repérées dans les commentaires des internautes. Sa drogue? L’espace insécable, que l’on insère pour que deux mots ne soient pas séparés par un retour à la ligne automatique (CTRL + maj + espace dans Word, Alt + espace sur MAC).

Outils de travail
Le blog Langue sauce piquante des correcteurs du Monde; les raccourcis du clavier; les chartes des différentes rédactions existantes, de Reuters à Sud Ouest en passant par Médiapart; les conseils de Google pour le référencement

  • Le journaliste de données

Profil
Issu de la mouvance Owni, il estime que la principale plus-value du journaliste numérique repose sur le journalisme de données. Capable de lire des chiffres et des statistiques, de jongler avec des formules dans Excel, il fait montre de compétences scientifiques indéniables. Amateur de cartes –sur la France carcérale ou la disposition des caméras de surveillance par exemple, de graphiques et d’infographies animées, il peut utiliser différents outils de visualisation pour en tirer une information. Son modèle? The Guardian et sa capacité à raconter des histoires dont on oublie qu’elles trouvent leur source dans des données indigestes, sur les gares ferroviaires les plus bondées d’Angleterre ou sur les excès des notes de frais de ses parlementaires.

Signes distinctifs
A vu au moins une fois dans sa vie à quoi ressemblent les fichiers révélés par Wikileaks, tels que les câbles diplomatiques américains ou les rapports de l’armée sur la guerre en Irak. Le journaliste de données travaille en groupe, avec un développeur et un graphiste, avec qui il parle avec des termes barbares –tableur, feuille, donnée brute, donnée pertinente, donnée non pertinente, data, valeur.

Outils de travail
Excel; Open Data, la plateforme de données publiques lancée par le gouvernement; Google Chart ou Many Eyes pour créer des graphiques, des courbes et des camemberts; Document Cloud pour transformer des documents en données; Google Fusion Table pour visualiser sur des cartes et des chronologies les données agglomérées; Google Maps; OutWit Hub, un moteur de recherche qui repère sur le Web infos et documents concernant un champ de recherche donné (le foot comme les concerts, le budget de l’Etat français comme la crise de la zone euro).

  • Le journaliste de «live»

Profil
Journaliste généraliste, il a une connaissance inégalée de l’actualité. Ultra réactif, branché sur les chaînes d’informations en continu, un oeil sur les sites concurrents, l’autre sur Twitter, il sait voir la différence entre la dépêche de 12h11 et celle de 12h12 à la virgule près. Les termes «batônnage» et «enrichissement» n’ont aucun secret pour lui. Le sens du mot «old», qu’il lance à ses collègues avec dextérité, non plus. Car pour les besoins du «live» sous toutes ses formes, il filtre toute information qui daterait de plus d’une heure.

Signes distinctifs
Travaille en temps réel mais en horaires décalés, donc présent sur les réseaux sociaux aux aurores ou bien très tard. Dans la frénésie de l’actualité, peut se démener pour publier un urgent de l’AFP sur Twitter, en faisant un copié-collé de l’alerte qu’il vient de recevoir.

Outils de travail
Twitter; agences de presse; Google Reader et/ou Netvibes pour faire de la veille; Cover It Live, Scribble Live, ou P2 (pour WordPress) pour couvrir un événement en direct.

  • Le journaliste virtuel

Profil
Impossible de le déceler à la lecture de ses articles, mais ce journaliste ne rencontre pas physiquement les personnes qu’il interviewe. Comment se déroulent ses interviews alors? Par email, par messagerie instantanée ou par Skype. Le journaliste de cette catégorie vit en ligne et, en toute bonne foi, ne voit pas ce que cela changerait de rencontrer les gens en vrai pour leur poser des questions, à part perdre du temps –car aller au rendez-vous, en revenir, puis retranscrire l’interview sont autant d’étapes supplémentaires.

Signes distinctifs
Capable de mener plusieurs conversations en ligne à la fois, ce journaliste jongle avec de multiples fenêtres de conversation qui s’ouvrent de façon simultanée sur son ordinateur, ainsi que sur son smartphone.

Outils de travail
Messageries instantanées de Gmail et Facebook; messageries électroniques classiques; Skype et Hang Out pour des visioconférences; applications WhatsApp pour envoyer des SMS à volonté et IMO pour «chatter» sur toutes les plates-formes.

  • Le vérificateur

Profil
Depuis la primaire socialiste, à l’automne dernier, ce journaliste s’est fait une spécialité: vérifier la crédibilité de la parole politique. Alors il épluche les sites des candidats à la présidentielle, leurs programmes et leurs promesses. Devenu un représentant du fact checking, il passe au crible le chiffrage –ou l’absence de chiffrage– de chaque proposition. Et oppose d’autres chiffres, d’autres promesses, retrouvés dans les limbes du Web. Trouver les métadonnées d’une affiche de campagne pour découvrir d’où provient l’arrière plan de celle-ci fait partie de ses compétences. En dehors de la présidentielle, il sait s’assurer de l’authenticité de contenus provenant du Web, comme le tweet publié par un étudiant annonçant l’arrestation de Dominique Strauss-Khan, en mai 2011, ou la photo de Mouammar Kadhafi mort, en octobre 2011.

Signes distinctifs
Son arme? La capture d’écran. Conscient de la versatilité des contenus publiés sur le Web, il mitraille tout ce qu’il voit et enregistre dans la mémoire de son ordinateur ou de son téléphone des dizaines de captures d’écran, qu’il ressort en guise de preuve dans ses articles. Autre signe notable: sur Twitter, il peut se livrer à une discussion sans fin sur les diverses interprétations possibles d’un même chiffre.

Outils de travail
Pomme + Maj + 4 pour une capture d’écran sur un MAC; bouton central et bouton du haut à droit pressés en même temps pour une capture d’écran sur iPhone; Tineye, un moteur de recherche qui retrouve l’itinéraire d’un cliché; le module Exif Viewer (pour Firefox et Chrome) pour découvrir les informations sur la prise de vue d’une image…

(1) Cette classification n’est ni exhaustive ni issue d’un travail scientifique.

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Alice Antheaume

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«Old», le nouveau tacle des journalistes en temps réel

Crédit: Flickr/CC/chrisinplymouth

Un jour comme un autre dans une rédaction en ligne. Un journaliste envoie à ses collègues, par messagerie instantanée, le lien vers une information qu’il juge intéressante. A la réception de son lien, ses collègues lui assènent: «old!». Old comme… vieux.

Façon de disqualifier cette information qui «tourne depuis au moins 2 heures sur les réseaux sociaux», justifient les intéressés. Et qui, en somme, serait donc (déjà) trop datée pour être publiée sur un site d’infos en temps réel.

Sous ses airs de jeu potache, l’emploi du véto «old» dans les rédactions dénote une exigence de tempo et de vérification qui s’exacerbe.

Question de tempo

«C’est pénible de voir sur Twitter des informations qui ont plus de 48h, lues déjà des dizaines de fois», lâchent ces producteurs de contenus numériques. Inutile, selon eux, de publier des redites de l’actualité sans plus value.

Avec l’accélération du temps réel de l’information, accru par les «lives», ils prônent le «tempo» de l’information. Le tempo, c’est publier LA bonne information au bon moment. Le cœur de la guerre sur le terrain du journalisme numérique.

«Il y a une question d’adéquation entre le moment où tu donnes l’information et la qualité de l’information», explique Emmanuelle Defaud, chef des informations à France TV Info. «Dans le temps T, tu peux donner une information qui vient de sortir, en restant sur des faits bruts. 24h ou 48h plus tard, il te faut un angle sur cette même information: tu ne peux pas donner juste le fait, tu dois le décrypter.»

Le temps du factuel précède le temps des explications, du décryptage, de l’analyse. Ce n’est pas spécifique au numérique mais, à l’ère du temps réel sur le Web, tout retard à l’allumage sur le premier temps, celui de l’information factuelle, risque de paraître anachronique.

Pardon si c’est «old»

Désormais, des utilisateurs de Twitter en viennent à (presque) s’excuser de mentionner une information dont ils pressentent qu’elle a déjà été relayée, en ajoutant le terme «old» à leurs tweets, ou en précisant «j’avais raté cela»… Tant et si bien que le mot «old», qui devrait figurer dans la novlangue des journalistes en ligne, est devenu un hashtag sur Twitter et n’est pas utilisé que par des journalistes.

«Old» est donc le nouveau tacle entre journalistes et utilisateurs connectés. L’apparition du mot «old» dans les rédactions montre que le  journalisme, tel qu’il se pratique en ligne, s’inscrit dans une culture du partage. Les journalistes partagent des informations, s’envoient des photos, des liens vers vidéos, des gifs animés, commentent des messages repérés sur les réseaux sociaux, publient des liens, en guise de statut, depuis leur messagerie instantanée. Bref, ils vivent, comme leurs lecteurs, dans une omniprésence de liens.

Premier

Dans cette culture du partage, un bon journaliste est le premier à donner un lien. Sa mission consiste à découvrir la «bonne histoire» avant les autres, qu’il s’agisse d’une histoire produite ailleurs (sur un site concurrent ou sur les réseaux sociaux) et dont le journaliste se ferait le «détecteur», ou d’une histoire dont il serait témoin sur le terrain – un usage que veut maintenant récompenser le prix Pulitzer avec sa catégorie breaking news, dont les critères ont été modifiés afin de rendre compte «aussi vite que possible, des événements qui se passent en temps réel et au fur et à mesure».

L’enjeu, c’est donc d’être à l’origine de la chaîne.

MISE A JOUR (15h25): Signalé par des commentateurs de WIP (merci à eux), l’existence d’un outil intitulé Is it old? (est-ce que c’est vieux?) qui permet de savoir si le lien que l’on s’apprête à envoyer à ses collègues a déjà été twitté ou pas.

Remonter l’histoire d’un lien

Pas de miracle, mieux vaut être accro au réseau. Outre la connaissance des faits, la capacité à enquêter et à raconter une histoire, le journaliste en ligne doit savoir établir l’historique d’un lien. Où a-t-il été publié pour la première fois? Par qui? Quand? Qui est la première source? La réponse à ces questions suppose de savoir remonter le temps, à la minute près, sur le Web et les réseaux sociaux, à la recherche de la première source.

Une compétence fondamentale dans l’univers numérique, et dont s’enorgueillissent volontiers les journalistes en ligne, habitués à traquer les dates, les heures, les minutes, de publication et/ou de mise à jour et à retrouver la trace de personnes réelles derrière des pseudonymes.

Journalistes fact-checkés

Vigilance obligatoire. Car il n’y a pas que les politiques qui soient soumis au fact checking. Les journalistes en ligne aussi, et ce, le plus souvent par leurs pairs. Ces «old» qui ponctuent la vie des rédactions, c’est une forme de vérification de la pertinence du sujet. Et voir son sujet taxé de «old» n’arrive pas qu’aux autres.

«On peut se faire happer par quelque chose qui est viral, mais vieux, donc il faut faire attention à bien connaître l’histoire dont on parle», reprend Emmanuelle Defaud, en citant l’exemple d’une photo ayant beaucoup circulé sur Facebook au mois d’octobre 2011. Celle-ci, signée Reuters, montrait des araignées, chassées par les eaux, venues tisser leurs toiles sur un arbre. «Vue et partagée au moment des inondations en Inde, on a d’abord cru qu’il s’agissait d’une très forte photo de cette actualité avant de…. comprendre que cette photo datait en fait de 2010 lors des inondations au Pakistan».

S’écrier «old», c’est donc faire rempart (collectif) contre la tentation de la viralité. Histoire de ne pas «être suiviste, mais informé».

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Alice Antheaume

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Trends in digital journalism for 2012

Crédit: Flickr/CC/Nathan Wells

Digital journalism is expected to undergo major changes in the coming year.

>> Lire cet article en français >>

  • “There will be blood” on the Net

In France, the number of pure players (i.e. websites with no print counterparts) per person is higher than anywhere else – kind of a “French exception” in the European media landscape. Atlantico, Le Plus, Newsring, Quoi.info were all launched in 2011 and the French version of the Huffington Post is due in the coming weeks. The trend is gaining momentum with the presidential election drawing near (when better to launch a news website than in such an exciting period newswise?).

According to Nicola Bruno, a journalist currently co-writing a research on pure players in France, Germany and Italy to be published next year by the Reuters Institute for the Study of Journalism, this French dynamism is visible on three levels: “1. the number of pure players in France (I counted 12 of them, all resulting from independent initiatives), 2. their maturity (France saw the first pure players in Europe, such as Agoravox in 2005, followed by Rue89, Médiapart and Slate.fr) 3. their diversity in terms of both editorial orientation (focus on data, investigation, niche markets, community sites) and economic models (subscription-based, free…)”.

So, are there too many actors on too small a market? For Julien Jacob, head of Newsring, “there will be blood”. Nicola Bruno says that “there is no definite answer to that question. At the moment, no European pure player seems able to achieve high profits, as it is happening in the US  with Huffington Post and Politico. The reason is simple: audiences in France and the rest of Europe are much smaller than in the US, and advertising markets are not mature enough to sustain purely web-based projects”.

Is it a lost cause then? “Not quite, Nicola Bruno says. History showed that profitability is not always the main goal of these journalistic projects”. History also showed that small entities are sometimes absorbed by much bigger ones, as were the Huffington Post by AOL, the Daily Beast by Newsweek, and… Rue 89 by Le Nouvel Observateur.

  • Later reading

Which contents do you read at once? Which ones do you post on Twitter? Which ones do you share on Facebook? Which ones do you save for later reading using tools such as Instapaper or Read It Later? Users now act like human algorithms and keep sorting and classifying contents. However, the criteria they use to do so are not clear.

Do we read “later” long contents, as this presentation would suggest? Not necessarily. According to a ranking by Read It Later, which was quoted in Frédéric Filloux’s Monday Note, most saved contents (mainly editorials and new technologies-related contents) are less that 500-word long (about 2,700 signs). “No doubt that people find these tools useful, whatever the length of the article”, the Nieman Lab adds. This approach to news could change the way journalists produce information, because each article can now have two “lives”. It can be all consumed right away – in real time, but also later on when the reader has more time to enjoy it without hurrying.

  • Voice-controlled navigation

“You can now talk TO your phone rather than INTO your phone”, said Nikesh Arora, from Google, at the Monaco Media Forum. And for Pete Cashmore, from Mashable, the use of voice for controlling contents will be a must in 2012.

That is already the case with the Dragon Dictation application, which allows to dictate SMS to your cell-phone or to pronounce a key word for your phone to automatically run a Google search. Siri, on the iPhone 4S, is also a kind of assistant obeying your oral commands. What next? Human voice should soon be used as a remote control, for example with Apple’s television.

  • Texting

In its blog about new technologies, the New York Times posted a story titled Cellphones Are the New Junk Food. In the US, teenagers spend less and less time talking on the phone (685 minutes per month on average last year as opposed to 572 minutes in 2011), but they send more and more text messages (SMS and MMS): 13-to-17-year-old Americans send and receive 3,417 messages a month and around 7 messages an hour in daytime.

Source: Nielsen

The same trend is observed in France, according to a study by Pew Research focused on the behavior of phone users in various countries. With the Internet being extensively used and phones appearing as very promising, news publishers tend to create contents readily usable on mobile phones.

  • Data visualization

The amount of digital data in the world is expected to reach 2.7 zettabits in 2012. For those who feel a bit lost between bits, terabits and zettabits, that is a lot of data (find more about these units here).

France is at the forefront of this massive data production. In early December 2011, the public data website data.gouv.fr was launched: an incredible amount of numerical data, very difficult to understand (if you can understand them at all) for most people. It is precisely the job of a data journalist to free these figure from their Excel spreadsheets and to make “information immediately understandable”, as stated in a former WIP. Not all journalistic topics are based on figures but that’s an effective approach when dealing with the State’s budget for 2012 or the sharing out of resources according to budget items. Just to give you an idea, the file downloaded from data.gouv.fr looks like this:

Crédit: data.gouv.fr

And this is the visualization of this budget created by Elsa Fayner on her blog «Et voilà le travail»:

Crédit: Elsa Fayner

  • Live-addiction

The death of Muammar Gaddhafi, the G-20 meeting in Cannes, soccer games, political debates… Live blogging the news, allowing to report on a event in real time using texts, pictures, videos, contents from social networks and interaction with the public, are irresistibly appealing to readers. Just two facts to prove that point: 1. Live news attract an estimated 30% of the whole traffic on a generalist news website. 2. Live news are an important engagement factor as people spend much more time on this type of contents.

>> Read this WIP about live news (again)>>

  • Real-time fact checking

With the presidential election drawing closer, most French editorial offices are getting ready to fact check in (quasi) real time (a journalistic technique widely used in the Anglo-Saxon media to assess politicians’ credibility). One of the best examples is the American website Politifact.com, which launched a tool called “truth-o-meter” and was awarded the Pulitzer Prize, the holy grail of the journalistic world.

>> Read this WIP about fact checking (again)>>

  • Journalistic honesty?

In its list of 10 things every journalist should know in 2012, the journalism.co.uk website predicts that, after the closure of News of the World and the phone-hacking scandal in England, intellectual honesty will prevail. “Journalists need to be sure that the means really do justify the ends for a story and must be crystal clear about the legalities of their actions. And they need to be more transparent about the sources of stories, where the source will not be compromised. If a story originates from a press release, acknowledge it.”

>> Read the WIP about the use of anonymous sources again>>

Other important trends:

  • The use of 2 screens, which Mike Proulx referred to as “social television” in his speech at the conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme (conference about new practices in journalism): People now watch the same program both on their TV and their computer, laptop or cell phone so that they can comment and react via Twitter and Facebook.
  • People spend increasingly more time on social networks, especially Facebook (800 million members worldwide and 23 million in France), which accounts for 95% of the time spent on community sites, according to the Comscore institute. Editors now absolutely must know what a “facebookable” content is because, as Vadim Lavrusik, of Facebook, puts it “if content is king, distribution is queen” in 2012.

What trend do you expect to prevail in 2012? Merry Christmas and best wishes to all of you for 2012.

Alice Antheaume

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Quelles tendances pour 2012?

Crédit: Flickr/CC/Nathan Wells

Au rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Sur quoi miser?

>> Read this article in english >>

  • Des morts parmi les acteurs du Web

En France, le nombre de pure players – ces sites qui existent sans support imprimé – par habitant est plus élevé qu’ailleurs. C’est même une «exception française» dans le paysage médiatique européen. Depuis le début de l’année 2011 sont en effet apparus Atlantico, Le Plus, Newsring, Quoi.info, et bientôt, le Huffington Post français… Un rythme soutenu d’initiatives en ligne que précipite l’orée de la campagne présidentielle – mieux vaut se lancer dans une période d’actualité intense.

«Ce dynamisme français se voit sur trois niveaux», m’explique Nicola Bruno, journaliste qui co-rédige actuellement un travail de recherche sur les pure-players en France, Allemagne et Italie qui sera publié l’année prochaine par le Reuters Institute for the Study of Journalism. «Par 1. le nombre de pure-players en activité en France (j’en ai compté plus de 12 issus d’initiatives indépendantes), 2. leur maturité (la France est le pays où sont nés les premiers pure-players en Europe avec Agoravox dès 2005, puis Rue89, Médiapart et Slate.fr) 3. leur diversité, tant dans les choix éditoriaux (journalisme de données, journalisme d’investigation, marché de niche, site communautaire, etc.) que leurs modèles économiques (abonnements, gratuit, etc.)».

Trop d’acteurs sur un trop petit marché? Pour Julien Jacob, président de Newsring, «il va y avoir des morts». Selon Nicola Bruno, «il n’y a pas de réponse définitive à cette question. Actuellement, aucun pure-player en Europe ne semble en mesure d’atteindre un seuil de profitabilité, comme c’est le cas aux Etats-Unis avec le Huffington Post et Politico. Et ce, pour une raison simple: ni la France ni aucun autre pays européen n’a une audience aussi grande que les Etats-Unis. Pas plus qu’un marché publicitaire mature capable de soutenir des projets uniquement sur le Web.»

Peine perdue, alors? Pas tout à fait, reprend Nicola Bruno, «l’histoire a montré qu’être profitable n’est pas toujours le but de ces projets journalistiques». L’histoire a aussi montré que les petits se font parfois racheter par des plus gros, comme le Huffington Post par AOL, le Daily Beast par Newsweek, et… Rue 89 par Le Nouvel Observateur.

 

  • La lecture en différé

Quel contenu lit-on tout de suite? Lequel poste-t-on sur Twitter? Lequel partage-t-on sur Facebook? Lequel glisse-t-on dans ses favoris? Et lequel sauvegarde-t-on pour le lire plus tard via des outils comme Instapaper ou Read It Later? Les utilisateurs, devenus des algorithmes humains, passent leur temps à trier les contenus et les ranger dans des cases. Selon quels critères? Difficile à dire.

Lit-on «plus tard» des contenus longs, comme le suppose cette présentation? Pas forcément. Selon le classement établi par Read It Later et mentionné dans la Monday Note de Frédéric Filloux, la majorité des articles sauvegardés – éditos ou des contenus liés aux nouvelles technologies avant tout – font moins de 500 mots (environ 2.700 signes). «Preuve est faite que les gens trouvent ces outils utiles indépendamment de la longueur de l’article», reprend le Nieman Lab. Un usage qui peut changer la façon dont les journalistes produisent des informations, dans la mesure où un même article peut avoir deux vies. La première pour «consommer tout de suite», en temps réel. Et la seconde pour «déguster plus tard», lorsque le lecteur le peut.

  • La voix qui contrôle la navigation

«Vous pouvez parler A votre téléphone plutôt que de parler DANS votre téléphone», a lancé Nikesh Arora, de Google, au Monaco Media Forum. Et pour Pete Cashmore, de Mashable, le contrôle des contenus par la voix devrait devenir incontournable en 2012.

C’est déjà le cas avec l’application Dragon Dictation, qui permet de dicter des SMS à votre portable, ou de prononcer un mot-clé dont votre téléphone comprend qu’il faut en tirer une requête sur Google. Siri, sur l’iPhone 4S, c’est aussi une sorte d’assistant qui obéit à vos ordres passés à l’oral. La suite? La voix humaine devrait bientôt servir de télécommande, sur la télévision d’Apple notamment.

  • Le téléphone écrit

Les téléphones portables sont la nouvelle malbouffe des ados, a titré le New York Times sur son blog consacré aux technologies. Aux Etats-Unis, ceux-ci passent de moins en moins de temps à parler au téléphone (en moyenne 572 minutes de voix par mois contre 685 minutes l’année précédente), et de plus en plus à envoyer des messages, SMS et MMS (les Américains de 13-17 ans reçoivent et envoient chaque mois 3.417 messages, environ 7 messages par heure en journée).

Source: Nielsen

Même tendance en France, selon une étude du Pew Research, qui donne à voir les usages des utilisateurs de téléphone pays par pays. Vu la situation – encombrée sur le Web, et très prometteuse sur les téléphones – pour les éditeurs d’information, autant calibrer les contenus pour une consommation sur mobile.

  • La visualisation des données

Le volume de données digitales dans le monde devrait atteindre, en 2012, 2.7 zettabits. Pour ceux qui ne s’y repèrent pas entre les bits, les terabits, et les zettabits donc, c’est beaucoup, à en voir les ordres de grandeur ici.

La France n’est pas en reste dans la production de cette masse de données, avec le lancement par le gouvernement, début décembre 2011, du site de données publiques data.gouv.fr. Y figurent des tonnes d’informations chiffrées dont la lecture est indigeste, pour ne pas dire incompréhensible, pour le commun des mortels. Or le travail du journaliste de données, c’est de donner du sens à ces chiffres en les sortant de leur fichier Excel pour que «l’information vous saute aux yeux», comme écrit dans un précédent WIP. Tous les sujets journalistiques ne se racontent pas en chiffres, mais pour, par exemple, le budget de l’Etat en 2012 et la répartition des ressources en fonction des postes budgétaires, c’est efficace. La preuve, voici la «tête» du fichier téléchargé depuis data.gouv.fr.

Crédit: data.gouv.fr

Et voilà la visualisation de ce budget réalisée par Elsa Fayner, sur son blog intitulé «Et voilà le travail».

Crédit: Elsa Fayner

  • Le live qui rend accro

Mort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.

>> Lire ou relire ce WIP sur le live >>

  • Le fact checking en temps réel

Election présidentielle oblige, la plupart des rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.

>> Lire ou relire ce WIP sur le fact checking >>

  • L’honnêteté journalistique?

C’est le site journalism.co.uk qui le prédit dans sa liste des 10 choses qu’un journaliste devrait savoir en 2012: après la fermeture de News of the World et le scandale des écoutes illégales en Angleterre, l’heure serait à l’honnêteté intellectuelle. «Les journalistes doivent être certains que la fin justifie les moyens (légaux)», peut-on lire. «Ils doivent être plus transparents sur les sources, à condition que celles-ci ne soient pas compromises. Si un article naît d’un communiqué de presse, il faut le dire».

>> Lire ou relire ce WIP sur l’utilisation de sources anonymes >>

Et aussi:

Et vous, sur quoi misez-vous pour 2012? En attendant, bonnes fêtes à tous!

Alice Antheaume

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#Npdj11: «Connaître l’audience doit aider à faire du bon journalisme»

Crédit: Olivier Lechat

Innovation, audience, gestion des contenus créés par des utilisateurs, vérification en temps réel, télévision connectée aux réseaux sociaux… Tels ont été les sujets abordés lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le vendredi 2 décembre par l’École de journalisme de Sciences Po, où je travaille, en partenariat avec la Graduate School of Journalism de Columbia. Résumé des interventions.

>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets. Cet article a été rédigé en s’appuyant notamment sur leur live!) >>

Mesure de l’audience et ligne rédactionnelle

Emily Bell, directrice du centre de journalisme numérique à Columbia, ex-The Guardian

«L’audience n’est plus l’apanage du service marketing, elle est dans les mains des journalistes. En cours, à la Columbia, je pose la question à mes étudiants: “pour qui écrivez-vous?”. C’est une question nouvelle – avant, on ne le leur demandait pas car il y a encore ce syndrome, très ancré dans la culture journalistique traditionnelle, selon lequel il ne faudrait pas trop faire attention à ce que dit le public, car cela risquerait de contaminer la pensée des journalistes, et de leur faire croire que le public préfère lire des sujets sur Britney Spears plutôt que sur la crise de la Grèce.

Il faut donc connaître son public: qui est-il? D’où vient-il? Comment interagit-il avec les articles? On ne peut pas ignorer ce que dit l’audience, ni ce qu’elle pense, sinon on met en péril son activité journalistique. Il faut utiliser la connaissance et la mesure de l’audience pour faire du bon journalisme.»

>> Lire Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? sur WIP >>

Ce que les statistiques nous apprennent sur l’audience et sa façon de consommer des informations

Dawn Williamson, de Chart Beat

«Le journalisme d’aujourd’hui ressemble à l’industrie sidérurgique d’il y a 50 ans. Avant les années 60, la sidérurgie était exploitée dans d’immenses et coûteuses usines. Jusqu’à ce qu’apparaissent d’autres exploitations, plus rapides, plus petites et moins coûteuses. Au début, les grosses usines d’acierie refusaient de travailler avec ces nouvelles petites usines, de peur qu’elles produisent de la moins bonne qualité. On peut dire qu’aujourd’hui, des sites comme le Huffington Post sont comme les mini-aciéries des années 60. Ils produisent du contenu journalistique pour moins cher que les rédactions comme le New York Times.

Au départ, pour se lancer, le Huffington Post (mais aussi Gawker et Business Insider) ne s’est pas intéressé à la qualité mais à sa plate-forme. Le Huffington Post s’est d’abord créé une place, en révolutionnant le marché, puis est monté dans la chaîne de valeur, au point d’embaucher parfois des journalistes du… New York Times.

Pour prendre des décisions éditoriales, ces nouveaux sites donnent accès, pour leurs journalistes, aux données de mesure de l’audience. Et ce, via des outils, dans le backoffice, comme ChartBeat, et NewsBeat, afin qu’ils puissent voir, en temps réel, ce qui intéresse l’audience. Exemple aux Etats-Unis, concernant la députée américaine démocrate Gabrielle Giffords, qui a reçu une balle dans la tête lors d’un meeting, en janvier 2011. Fox News a pu voir, via l’analyse des termes de recherche liés à cette fusillade sur ChartBeat, que le public cherchait à en savoir plus sur le mari de Gabrielle Giffords. Surveiller les intérêts de l’audience, ce n’est pas une course vers le bas de gamme, ni un fichier Excel à lire, c’est un environnement dans lequel les journalistes doivent vivre.»

>> Lire Accro aux statistiques sur WIP >>

Innover dans une rédaction, discours de la méthode

Gabriel Dance, éditeur interactif pour The Guardian US, ex-directeur artistique pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch, et ex-producteur multimédia au New York Times

«Les clés pour innover? D’abord être “fan” de quelqu’un qui vous inspire, un génie que vous ne perdrez jamais de vue. Le génie que je suis de près? Adrian Holovaty, fondateur du site EveryBlock. Ensuite il s’agit de surveiller ce que font les autres rédactions. Il ne suffit pas de copier les innovations des autres, car votre audience le saura et aura l’impression d’être trompée, il faut améliorer la copie en allant plus loin, en essayent d’imaginer ce que pourrait être l’étape suivante. Etre dans la compétition, ce n’est pas négatif, ce n’est pas mettre quelqu’un à terre, c’est faire monter son propre niveau.

Pour trouver l’inspiration, il faut regarder ce qu’il se passe en dehors du journalisme, comprendre ce qui excitent les gens et pourquoi. L’interface des jeux vidéos peut être une bonne source d’inspiration. Qu’est-ce qui fait que cela marche? Et comment pourrais-je adapter cette interface pour raconter une histoire journalistique? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour réussir à inventer d’autres formats.

Autre clé pour innover: connaître ses limites (taille de l’équipe, temps, technologie, concurrence). Car oui, des contraintes peuvent sortir de la créativité. Et puis, l’innovation ne vient pas en une fois. Pour ma part, je fais des dizaines et des dizaines de brouillons avant de publier quoique ce soit.»

La TV sociale, ce que cela change pour l’information et la programmation

Mike Proulx, co-auteur du livre Social TV

«Nombreux sont ceux qui ont prédit la mort de la télévision, mais en fait, on ne l’a jamais autant regardée. Aux Etats-Unis, on la regarde en moyenne moyenne 35h par semaine, selon Nielsen. En outre, la convergence entre Web et télévision a une très grande influence sur la façon dont on regarde la télévision. C’est ce que j’appelle la télévision sociale, c’est-à-dire la convergence entre réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, et télévision. On regarde un même programme sur deux écrans, le premier (l’écran télé) pour voir le programme, le deuxième (ordinateur, tablette, mobile) pour commenter et réagir au programme.

C’est la force de Twitter. Au moment où Beyoncé a montré son ventre rond lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles en août, il y a eu un pic sur Twitter avec 8.868 tweets par seconde, tweets liés à l’annonce de sa grossesse. Un record. Twitter, qui compte 100 millions de comptes actifs, a de l’impact sur la production des informations. Et ce, sur quatre tableaux:

1. Les “breaking news” de toute sorte arrivent d’abord – et de plus en plus – sur Twitter, de l’amerrissage en catastrophe de l’avion sur l’Hudson, au tremblement de terre au Japon, en passant par la mort de Ben Laden – au point que Twitter en a fait sa publicité avec ce slogan, “Twitter plus rapide que les tremblements de terre”.

2. Pour trouver des sources. Twitter est un outil très utile pour les journalistes qui cherchent à contacter des gens qui pourraient leur raconter des histoires, comme l’a fait Jake Tapper d’ABC.

3. Pour rester connecté en permanence, et faire du journalisme tout le temps.

4. Pour intégrer des tweets à l’intérieur des programmes télévisuels, comme l’a fait l’émission 106 & Park, dans laquelle les questions venant de Twitter sont posées aux invitées pendant le show. Twitter peut vraiment être considéré comme une réponse directe de l’audience à ce que s’il se passe à la télévision. Exemple avec le débat du candidat républicain Rick Perry qui a eu un trou de mémoire au moment de citer le nom de l’agence gouvernementale que son programme prévoit de supprimer. C’est “l’effet Oups”, aussitôt répercuté sur Twitter. Jusqu’à présent, on était habitués à regarder la télévision avec votre famille et vos amis, désormais, on la regarde avec le monde entier.»

>> Lire le mariage royal de la télévision et de Twitter sur WIP >>

Le fact checking en temps réel, comment ça marche?

Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-lefigaro.fr

«Le fact checking doit se faire de plus en plus rapidement, c’est une réponse à la communication politique. Le fact checking publié une semaine après n’aura pas le même impact que s’il est réalisé très vite. Au Monde.fr, notamment via le blog Les Décodeurs, nous faisons du fact checking participatif. Non seulement les lecteurs peuvent nous poser des questions, mais nous faisons aussi appel à eux pour leur demander de nous aider à trouver des chiffres, ou au moins, des pistes.

Autre moyen de faire du fact checking en temps réel: le live. Pour Fukushima ou pour des débats politiques, comme lors de la primaire socialiste. Le but est de vérifier la véracité de ce que disent les politiques sur le plateau télé. Par exemple, au deuxième débat de la primaire socialiste, 65.000 personnes étaient connectées à notre live. A la rédaction, nous étions quatre journalistes à animer ce live, dont deux uniquement sur le fact checking. Il faut vraiment se préparer en amont, avoir des fiches, des bons liens sur les sujets qui vont être abordés, et se nourrir de sites avec des chiffres comme vie-publique.fr par exemple. Le fact checking en temps réel est un vrai plus, et le sera encore davantage lorsque la télévision connectée sera installée dans les foyers.

Après, dire que l’on fait du fact checking en live, tout le temps, serait prétentieux. Parfois, cela nécessite un travail de fond que l’on ne peut pas réaliser en 3 minutes. Faire un vrai décryptage c’est ne pas se contenter de la parole politique. Mais en vrai, c’est un exercice sans filet, où le fact checking est parfois sujet à interprétation. Ce ne sont pas des maths, il y a parfois des zones grises (cf les “plutôt vrais”, “plutôt faux” du blog Les Décodeurs). Néanmoins, Nicolas Sarkozy a pu dire pendant deux ans qu’un bouclier fiscal existait en Allemagne avant que l’on vérifie et qu’on écrive que ce n’était pas le cas».

>> Lire le fact checking politique sur WIP >>

Comment vérifier les informations venues des réseaux sociaux?

Nicola Bruno, journaliste, auteur pour le Reuters Institute Study of Journalism d’un travail de recherche intitulé “tweet first, verify later”

«Maximilian Schäfer, du journal allemand Spiegel, l’a dit: le fact checking ne concerne pas la vérification des faits, mais la fiabilité des sources. Or il est de plus en plus difficile de s’assurer de la fiabilité de ses sources, parce que l’on a moins de temps pour cela, parce que les sources sont multiples et disséminées sur les réseaux sociaux, et aussi, parce que, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. Enfin, si, selon Paul Bradshaw, du Guardian, qui assure qu’on laisse tant de traces sur le Net que, même si l’on ne connaît pas la source, on peut déterminer son sérieux en fonction de son empreinte numérique.

Et dans les rédactions comme la BBC, le Guardian ou CNN, les approches sont différentes. Au Guardian, ils privilégient la vitesse, donc ils publient d’abord, ils vérifient après. A CNN, qui s’appuie sur iReport, une partie du site où des amateurs peuvent partager leurs infos (environ 10.000 iReports/mois), le contenu n’est pas vérifié tant qu’il n’a pas été sélectionné par la rédaction. Côté BBC, qui reçoit environ 10.000 contributions par jour de la part des utilisateurs, la vérification des contenus venus des réseaux sociaux est beaucoup plus stricte. Une équipe surveille les réseaux sociaux 24h/24, cherche et appelle des sources éventuelles. Leur principe? Vérifier d’abord, publier après. Twitter s’est révélé une très bonne source pour la couverture du tremblement de terre à Haïti. Ça, on peut le dire aujourd’hui, mais à l’instant T, comment en être sûr?

Concernant les outils, pour vérifier les contenus générés par les utilisateurs, il y a TinEye pour les images, et Exif pour savoir avec quel appareil celles-ci ont pu être prises, mais aussi Google Maps et Street View pour les lieux. Et pour savoir si une photo a été retouchée? Le site Errorlevelanalysis.com. Il n’y a pas de secret, on utilise toujours les mêmes principes de vérification, issus du journalisme traditionnel, le tout boosté par les nouveaux outils et les réseaux sociaux.»

>> Lire la présentation sur Storify de Nicola Bruno >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

Internaute, mon semblable, mon frère?

Julien Pain, journaliste à France 24, responsable du site et de l’émission les Observateurs

«Notre force, à France 24, c’est d’avoir une base de données de 20.000 personnes dans le monde, dont 3.000 sont labelisées “observateurs” parce qu’on les a jugées fiables. Tous les contenus des utilisateurs sont vérifiés avant publication, mais le plus difficile à vérifier pour nous, depuis Paris, ce sont les vidéos. Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, la rédaction à Paris passe en revue les observateurs présents dans la région concernée et les appelle.

Que peut-on demander à des amateurs? Nous “alerter” sur des choses qui se passent, “capter” des bribes d’actu et “vérifier” des éléments. Que ne peut-on pas leur demander? Fournir des papiers clés en main avec le titre le chapeau et l’information présentée de façon concise, ou de se déplacer sur commande (et gratuitement). Mon travail est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne des pays où il n’y a pas de journalistes, surtout lorsque les amateurs nous montrent des images que les autorités ne veulent pas que l’on voit. Le problème, c’est que les bons contenus n’arrivent pas tout seuls sur le site de France 24, il faut aller les chercher.

Quant à la vérification, elle n’est seulement le fait des journalistes. Les amateurs peuvent nous aider à vérifier des images, et leur connaissance culturelle du pays est inestimable dans cette tâche. Les contenus amateurs explosent dans les lives, et s’entremêlent aux contenus professionnels. On l’a vu à France 24, et même à Reuters qui le fait dans ses lives. L’avenir? L’image amateur diffusée en live… Et le risque de commettre des boulettes.»

>> Lire Le type du Web répond au grand reporter, la tribune de Julien Pain sur WIP >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

NB: Cette conférence a aussi été l’occasion de remettre le prix de l’innovation en journalisme Google/Sciences Po et des bourses de mérite aux étudiants. Félicitations aux lauréats!

Alice Antheaume

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Le “type du web” répond au grand reporter

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Julien Pain, responsable du site et de l’émission Les Observateurs, à France 24.

Je me souviendrai longtemps de ma première rencontre avec un grand reporter de France 24. C’était en septembre 2007, juste après mon premier jour au sein de cette chaîne. J’étais parvenu à convaincre les patrons de l’époque que les contenus récupérés sur Internet et les réseaux sociaux pouvaient compléter leur couverture de l’actualité internationale. Pas seulement le site Web de France 24 mais également son antenne. L’image amateure, j’en étais persuadé, allait faire une entrée fracassante dans l’univers télévisuel. Et une chaîne d’infos comme France 24 se devait d’anticiper la mutation si elle ne voulait pas la subir.


Me voilà donc devant un grand reporter, l’une des stars de la chaîne, celui qui a tout vu et tout vécu, qui a bravé la mort autant de fois que j’ai d’années de journalisme. “Est-ce que ça a vraiment un intérêt, tes trucs amateurs?”, me demande-t-il. “Moi je n’ai jamais fait confiance qu’à moi et aux images que j’ai tournées moi-même”. Par politesse, il avait tourné son propos sous forme de question, mais le message était clair: “Tu n’as rien à faire ici”.

Les images amateures sont désormais dans un JT sur deux de France 24

Quatre ans plus tard, la question de ce grand reporter revient à peu près à se demander si, vu qu’on a déjà le fax, le Minitel et les pigeons voyageurs, on ne pourrait pas se passer d’Internet. Les images amateures sont désormais dans un JT sur deux de France 24. Personne n’oserait évoquer le mouvement de contestation en Syrie sans recourir aux vidéos diffusées sur YouTube ou Facebook.

Parce qu’il n’y a pas, ou quasiment pas, d’images tournées par des journalistes dans ce pays. Là où les médias sont bâillonnés, où les journalistes ne peuvent pas accéder, il faut bien se servir du seul matériau disponible, même si la qualité de l’image laisse à désirer et si les vidéos sont tournées par des hommes et des femmes qui n’ont pas de carte de presse.

Après la révolution verte en Iran et les printemps arabes, la bonne question n’est plus “doit-on se servir des images amateures?” mais “comment intégrer ce nouveau type de contenus sans pour autant sacrifier nos standards journalistiques?”. En d’autres termes, comment vérifier la véracité des informations et des images circulant sur le Net?

Nous, les journalistes, avons perdu le monopole de la captation

Même si les reporters traditionnels de France 24 sont allergiques aux images tremblantes et brouillonnes – c’est écrit dans leur l’ADN et c’est normal –, ils savent qu’ils ne peuvent pas être partout tout le temps. Ils savent que désormais d’autres peuvent parfois filmer à leur place.

Nous, les journalistes, avons perdu le monopole de la captation. Le moindre smartphone dispose aujourd’hui d’une caméra. Et, dans cinq ans, les Maliens auront des téléphones portables qui feront passer l’iPhone 4 pour l’Amstrad 464 de mon enfance. Andy Warhol affirmait en 1979 que tout le monde aurait au cours de sa vie ses quinze minutes de célébrité ; j’ajouterais qu’en 2011, tout le monde filmera dans sa vie quelque chose susceptible de passer dans un journal télévisé (une révolution peut-être, plus probablement un accident de voiture).

L’assassinat de l’ancien premier ministre pakistanais, Benazir Bhutto, a été filmé avec un téléphone portable par un amateur en décembre 2007. De même que la mort de Mouammar Kadhafi, en octobre 2011. J’imagine mal un rédacteur en chef se demander si ces images méritaient d’être diffusées (je ne parle pas ici du caractère choquant de ces scènes, ce qui n’est pas le sujet).

J’aimerais pouvoir dire que même le premier grand reporter que j’ai croisé à France 24 est aujourd’hui convaincu de l’utilité de mon travail. Malheureusement, il a sans doute quitté la chaîne en se demandant toujours pourquoi un “type du web” était resté assis à côté de lui aussi longtemps…

Mais j’ai peut-être une dernière chance de le convaincre, car, qui sait?, peut-être lira-t-il ces lignes: je vais donc tenter une dernière fois de lui expliquer ce que je fais à France 24.

Une information ne peut qu’être vérifiée

Je conçois ma pratique journalistique comme une façon de faire émerger une information et des images inédites. J’utilise des outils d’aujourd’hui, le Net et les réseaux sociaux, pour faire le plus vieux métier du journalisme: enquêter.

Et au risque de décevoir notre grand reporter, mon credo n’est pas de «boutiquer» des informations non vérifiées à grand renfort de conditionnel. Je n’aime pas plus que lui l’usage du conditionnel qui se répand dans les médias, et en particulier sur les chaînes d’information. Il n’y a d’information que vérifiée. Appelons le reste conjecture ou rumeur.

>> Information venue du Web, check!, à lire sur WIP >>

Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut diffuser que des images sur lesquelles nous disposons de toutes les informations. Ce serait illusoire dans mon domaine. Il se peut par exemple que, dans le cas d’une image amateure, on ait des certitudes (par exemple le lieu et le contexte), mais que l’on ait des doutes sur un élément (disons, la date exacte). Il arrive que l’on décide tout de même de passer cette image à l’antenne, mais à deux conditions.

Il faut d’une part avertir le téléspectateur sur les données manquantes – et pas uniquement par un vague conditionnel – et d’autre part que ces données manquantes ne soient pas de nature à modifier l’interprétation que l’on fait des images. Une vidéo de Syrie peut avoir la même signification qu’elle date d’avril ou de mai. Mais s’il est impossible de dire si cette vidéo est de 2010 ou de 2011, le risque est grand qu’on se trompe dans son analyse.

“De toute façon, les images amateures sont par essence invérifiables”, me dirait mon grand reporter. Faux. Vérifier une information est l’une des fonctions essentielles du journaliste. Que cette information vienne d’Internet ou qu’elle atterrisse dans votre boîte aux lettres change assez peu la donne. Lorsqu’un pli anonyme trouve son chemin jusqu’au Canard Enchaîné, les journalistes “à l’ancienne” font leur travail: ils enquêtent pour confirmer, ou infirmer, ce qui leur est en général présenté comme parole d’évangile.

Pourquoi ce travail de vérification serait-il impossible sur les réseaux sociaux? Et pourquoi le “type du web” en serait-il incapable?

Le “croisé de la source” ne peut être la seule technique du journaliste, de même que le “planté du bâton” n’évite pas les chutes à ski

On peut vérifier une information venue des réseaux sociaux. A condition bien sûr de savoir utiliser les ressources qu’offrent ces nouveaux outils. Un autre grand journaliste m’a dit que “de son temps on attendait d’avoir trois sources concordantes pour publier une info”.

Fort bien jusque-là, mais lorsque que je lui ai demandé de me donner un exemple de ces fameuses “trois sources concordantes”, il m’a répondu “et bien par exemple tu attends d’avoir l’info de Reuters, AP et AFP”. Quelle leçon de journalisme j’ai prise ce jour-là! Moi qui passe mes journées à essayer de déterrer des tréfonds du web des affaires de corruption en Chine et des vidéos d’exactions en Syrie, je ne savais pas qu’il fallait attendre “les trois agences” pour pouvoir affirmer que j’avais vérifié. J’imagine comment mon glorieux aîné aurait apostrophé Bob Woodward et Carl Bernstein, les journalistes qui ont révélé le scandale du Watergate, s’il en avait eu l’occasion: “mais l’AFP et Reuters ont-ils confirmé l’info?”

Internet, qu’on dit malade de ses fausses informations, porte souvent en lui-même son antidote

A l’évidence, le croisé de la source ne peut être la seule technique du journaliste, ancien ou moderne, de même que le planté du bâton n’évite pas les chutes à ski. Je n’ai pas de recette miracle en matière de vérification des contenus amateurs. C’est  du cas par cas, comme toute enquête.

Internet, que l’on dit malade de ses fausses informations, porte souvent en lui-même son antidote. Par exemple, l’analyse des données cachées  dans le fichier d’une photo récupérée sur le net donnera, à qui sait les interpréter, bien plus d’éléments de vérification que la même image développée sur papier.

De même, les réseaux propagent certes les rumeurs et les contrefaçons, mais ils donnent également accès aux journalistes à une multitude “d’experts”, ou de petites mains, capables de déceler les faux qui circulent effectivement sur le web. Pour savoir que la prétendue photo du cadavre de Ben Laden était bidon, nul besoin de passer des heures à la scruter au microscope, il suffisait de lire ce qu’en disaient les internautes sur Twitter.

Loin de vouloir remplacer le travail des reporters, je n’ai d’autre ambition que de le compléter

Dans cet article, je semble m’acharner sur un grand reporter. Mais c’est parce que j’ai voulu personnifier l’incompréhension, et les sarcasmes que j’entends parfois. Les reporters, grands ou petits, ont tous la même ambition: aller à la rencontre de gens et d’histoires qu’ils seront les seuls à raconter.

Moi-même j’espère faire cela. Je creuse, je fouille et tamise les réseaux comme les reporters traditionnels arpentent, eux, le terrain. On m’accuse  d’œuvrer à la disparition du journalisme de terrain. Pourtant, loin de vouloir remplacer le travail des reporters, je n’ai d’autre ambition que de le compléter. Le journalisme tel que je le conçois ne peut survivre sans reportage, alors qu’il a très bien vécu sans images amateures. Les nouveaux réseaux de l’info nous offrent de fabuleux outils pour raconter le monde, ne nous en privons pas.

Julien Pain

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Le fact checking politique, de l’échauffement au lancement

Crédit: Flickr/CC/Zigazou76

Le coût pour la France du sauvetage de la Grèce? 40 milliards d’euros, avance Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, lors du débat avec ses camarades. Au même moment, sur le «direct» de la soirée opéré par lemonde.fr, on peut lire que «c’est faux, cela sera 15 milliards en fait», avec, en guise de preuve, un lien vers un article qui indique le prix à payer, selon François Fillon, par la France pour la Grèce, jusqu’en 2014.

A l’orée de la campagne présidentielle 2012, les rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, c’est le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et qui a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.

Crédit: AA

Il s’agit donc de peser et soupeser le vrai du faux émanant de promesses et de chiffres énoncés par les politiques, lorsqu’ils sont interviewés sur un plateau télé, à la radio, ou lorsqu’ils détaillent leur programme pendant des meetings. A ce titre, le débat de jeudi dernier, avec les six candidats en lice pour la primaire socialiste, a servi de galop d’essai pour faire de la «vérification» de parole politique en direct, avant une utilisation journalistique sans doute plus étendue lors de la campagne présidentielle 2012.

Vérifier… tout de suite

La difficulté, c’est le temps réel. «Il ne faut pas se leurrer», me confie Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, où le blog Les Décodeurs fait office de pionnier. «Un fact checking réalisé en 24h sera toujours plus approfondi que celui que l’on peut faire ne serait-ce qu’en 2 heures». Bastien Hugues, journaliste Web, est du même avis. «Une bonne vérification peut prendre du temps, c’est une autre temporalité» que le moment du «live», qui se déroule dans l’instantanéité.

L’enjeu, c’est donc, à terme, de pouvoir superposer le temps du «live» avec celui du «fact checking». C’est parfois possible, comme la semaine dernière, alors que Valérie Pécresse, ministre du Budget, assène, au Grand Journal de Canal+, que les Français semblent fumer de moins en moins. La réponse tombe aussitôt: «Les ventes (de tabac, ndlr) ont augmenté de 2,6% en 2009 et sont restées stables en 2010», écrit Bastien Hugues sur Twitter. Conclusion: d’après ces chiffres, difficile de présumer que les Français fument de moins en moins.

Si cette vérification n’a demandé à Bastien Hugues que «5 minutes et une bonne recherche sur Google» afin de trouver les chiffres de la consommation de tabac en France, «ce n’est pas toujours possible d’aller si vite, il y a des secteurs plus durs à vérifier que d’autres», reprend le journaliste. Par exemple les chiffres concernant des collectivités territoriales, comme le versement du RSA dans une commune, ou le nombre d’élèves véhiculés par le transport scolaire dans un département. «Si l’un des candidats à la primaire socialiste lance un tel sujet vers 22h, nous aurions du mal à vérifier dans l’immédiat, car à cette heure tardive, inutile d’appeler dans les bureaux de l’administration, c’est fermé, personne ne répond pour nous dire d’où sort telle ou telle donnée.»

Et pourtant, les journalistes le savent: réussir à vérifier en quasi temps réel les arguments des politiques, c’est un vrai plus. Et cela le sera encore plus avec la télé connectée – imaginez, vous regardez l’interview de Dominique Strauss-Kahn, sur TF1, dimanche soir, et en même temps, sur le coin de votre écran, vous lisez un flux d’infos postées par des journalistes permettant de savoir si les propos que vous venez d’entendre sont loufoques ou fiables. Ou si l’absence d’alliance à l’annulaire de l’ex-patron du FMI est récente – quelques heures plus tard, Fabrice Pelosi, de Yahoo!, a exhumé une photo d’archive, montrant DSK sans alliance, alors qu’il travaillait encore au FMI.

Pour l’instant, peu de rédactions françaises se sont vraiment lancées dans l’exercice de la vérification en temps réel. Libération a bien une rubrique «Désintox» dans son quotidien papier, récemment mise en ligne via un blog qui se veut un «observatoire des mensonges et des mots du politique», mais le décryptage n’est pas effectué en temps réel.

Organisation ad hoc

C’est vrai que cela demande des ressources humaines conséquentes. «Au moins 4 ou 5 personnes», estime Bastien Hugues. Car, dans le détail, il faut plusieurs postes: celui qui gère le format du «live», celui qui regarde les tendances sur Twitter et les questions des internautes, celui qui s’occupe de «fact checker» les promesses politiques, et enfin, celui qui, à l’issue du «live», fera un papier de synthèse pour récapituler l’essentiel du débat. Sans compter, ajoute Bastien Hugues, deux autres journalistes qui, sur un site d’infos généralistes, doivent s’occuper du reste de l’actualité.

Le dispositif en vaut-il la chandelle? De l’autre côté de l’Atlantique, la question ne se pose plus, surtout en période électorale, où la désinformation augmente, note Fabrice Florin, le directeur d’un nouveau site américain appelé Newstrust, qui veut distinguer «les faits de la fiction, sur le Net». Pour ce faire, Newstrust fait appel aux internautes pour qu’ils proposent des citations à passer au crible.

Et, en théorie, la participation de l’audience n’est pas anecdotique dans l’exercice du «fact checking». Sur Les Décodeurs, du Monde.fr, il est demandé aux internautes d’envoyer leurs «interrogations sur les propos tenus dans les médias» et de collaborer à l’exercice. Efficace? Pour poser les bonnes questions, oui. Pour apporter des réponses, moins, mis à part quelques spécialistes qui, dans les commentaires, par email ou sur les réseaux sociaux, peuvent indiquer des liens vers des éléments pertinents (lire ou relire à ce propos ce WIP consacré à la vérification d’infos venues du Web).

Selon Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, cela participe d’un nouvel ordre politique: «Internet et le numérique obligent les hommes et les femmes politiques à davantage de constance en imposant une impitoyable “tyrannie de la cohérence”». Même impression de la part de Samuel Laurent: «Depuis deux ans, on trouve moins de déclarations comprenant des chiffres complètement fantaisistes ou inexistants dans le discours des politiques. Je pense qu’à force de se faire prendre, ils se sont dits qu’ils allaient arrêter ce type de communication». Un optimisme que ne partage pas Bastien Hugues: «Non, aujourd’hui, rien n’a changé», l’utilisation du «fact checking» étant encore trop marginale dans les rédactions françaises.

Utilisation politique

C’est une autre histoire aux Etats-Unis, où non seulement la vérification de la parole politique fait partie de la culture journalistique, mais elle devient une arme politique. En effet, l’équipe de campagne de Barack Obama vient de lancer Attackwatch.com qui répertorie les attaques contre le président des Etats Unis, candidat à sa succession, et les démonte une par une en y apportant sa propre expertise – avec un biais politique évident.

En France, le PS et l’UMP s’y mettent aussi, en contrecarrant chaque argument donné par le camp opposé avec une nouvelle donnée, dont la source se doit d’être «indépendante» et expertisée. Résultat, pour les journalistes, cela complique la donne. Car il leur faut se préparer, en vue des campagnes présidentielles américaine et française, à la fois à vérifier les arguments des politiques au moment où ils les prononcent, mais aussi à vérifier la… vérification qu’en fera, de son côté, le camp politique adverse.

Alice Antheaume

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Information venue du Web, check!

Crédit: DR

Comment être sûr qu’un témoignage, publié sur un réseau social, est authentique? Comment s’assurer qu’une image n’est pas un photomontage ou un vieux cliché ressorti des limbes? En glanant, sur le Web , des éléments pour couvrir l’actualité en temps réel, les journalistes doivent repérer les «fakes», ces faux (messages, photos, vidéos, comptes) qui cohabitent, en ligne, avec de vraies infos. Sans précaution ni vérification, c’est la faute de carre. Aussitôt relayée – et moquée – à son tour.

L’enjeu, pour un journaliste, c’est de vérifier que, par exemple, le tweet publié par un étudiant annonçant l’arrestation de Dominique Strauss-Khan, en mai 2011, ou la photo de l’avion sur l’Hudson diffusée sur Twitter par un citoyen américain, en janvier 2009, correspondent à la réalité.

«Il n’y a pas de recette miracle, la vérification des contenus trouvés en ligne passe par un travail d’enquête journalistique», m’explique Julien Pain, responsable du site Les Observateurs pour France 24. Outre Atlantique, les journalistes de Times Union considèrent «les propos glanés sur les réseaux sociaux de la même façon qu’un email anonyme, une information entendue à la télévision, ou un témoignage d’un homme dans la rue: toutes ces sources peuvent nous alerter sur un sujet potentiel, ou sur les détails d’un sujet. Dans tous les cas, nous vérifions tout de façon indépendante avant de le raconter dans le journal ou sur notre site.»

Voilà pour la théorie. Mais en pratique, comment faire? Y a-t-il des outils spéciaux? Faut-il recouper les sources comme le veut la méthode traditionnelle d’enquête? Voici cinq étapes, basées sur les pratiques de journalistes professionnels, en France et à l’étranger, pour vérifier une potentielle information venue du Web.

  • 1. Identifier l’auteur du contenu

C’est le premier réflexe à avoir. Il faut d’abord repérer le compte (sur Twitter, sur YouTube, sur Facebook, sur un site de presse, etc.) de celui ou celle qui, en premier, a évoqué un élément d’info. Puis découvrir si le nom affiché sur ce compte est un pseudonyme ou le vrai patronyme de cette personne. Ensuite récupérer son numéro de téléphone, son compte Facebook ou son adresse email pour entrer en contact avec elle, et espérer pouvoir rapidement procéder, via téléphone, à une interview.

Ce premier contact permet de vérifier l’élémentaire, via des questions basiques 1. Le témoin se trouve-t-il bien sur les lieux de l’événement dont il parle en ligne? (si un témoin prétend sur Facebook qu’il y a le feu dans un immeuble du 18e arrondissement de Paris et qu’il est joignable sur un numéro de l’Est de la France, méfiance) 2. Le témoin peut-il donner des détails sur ce qu’il s’est passé (date, heure, circonstances, nombre de personnes présentes)? 3. Le témoin peut-il décliner son identité? 4. Le témoin peut-il dire avec quel matériel il a publié son contenu en ligne?

«C’est toute la question du crédit que l’on apporte à celui qui aurait posté une vidéo sur YouTube», reprend Julien Pain. «Pour m’assurer que mon contact est bien celui qui a filmé la scène, je lui demande de m’envoyer son fichier original, avant encodage sur YouTube. Si c’est bien lui qui a produit le contenu, il doit avoir ce fichier. Si le type me dit “euh, je ne sais pas où je l’ai mis”, il n’est pas une source fiable.»

Même processus du côté de la BBC, qui dispose de journalistes regroupés dans une section spéciale, l’«UGC Hub» (UGC= user generated-content, c’est-à-dire les contenus générés par les utilisateurs). Ceux-ci traquent et vérifient tout ce qui vient du Web, comme le décrit Nicola Bruno dans son excellente recherche «Tweet first, verify later» pour le Reuters Institute for the Study of Journalism. On peut y lire que, pour James Morgan, un journaliste de la BBC, «le meilleur moyen pour authentifier une personne est de lui parler. Si cette source n’est pas légitime, elle buttera très vite pour répondre à des questions factuelles», comme par exemple «qu’est-ce que vous voyez autour de vous?».

Problème, dans les pays arabes, c’est beaucoup plus compliqué d’entrer en contact avec le producteur du contenu en question. Et ce, pour plusieurs raisons. Parce que l’accès à Internet peut être suspendu, comme en Egypte ou en Libye, empêchant les manifestants d’envoyer eux-mêmes des nouvelles en ligne. Certains ont alors fait parvenir leurs messages par SMS à des connaissances, parfois situées à l’étranger, afin que celles-ci les transfèrent sur les réseaux sociaux via, cette fois, une connexion au Web opérante. Et, parce que la difficulté du réseau et des communications étant ce qu’elle est, cela peut prendre des heures à un journaliste pour joindre quelqu’un. A ce titre, la Syrie est très difficile à couvrir, d’autant que les journalistes professionnels ne sont pas autorisés à s’y rendre. «Sur place, les gens ont peur d’être repérés, donc ils ne cessent de changer leurs numéros de téléphone, et leurs cartes SIM. Parfois, tu passes une journée à appeler sur des numéros, et aucun n’aboutit».

  • 2. Fournir le contexte

Une photo d’un tremblement de terre en Chine de 2008, publiée par erreur pour évoquer le séisme d’Haïti, en 2010, c’est arrivé. Une vidéo qui prétend montrer un massacre en Côte d’Ivoire en mars 2011 alors qu’elle concerne sans doute un autre Etat africain, à une date antérieure, également.

A France 24, ce travail de contextualisation repose sur «le réseau». En clair, une base de données de 30.000 personnes dans le monde qui se sont inscrites sur le site de la chaîne «en disant qu’elles voulaient collaborer avec nous», précise Julien Pain, dont 3.000 «avec qui nous avons déjà travaillées», et dont certaines habitent dans des villages d’Afghanistan. A quoi cela sert? «Si j’ai une vidéo soi-disant tournée dans un coin reculé du Mali, j’essaie de contacter quelqu’un qui habite tout près de ce lieu, répertorié dans la base de données. Je lui envoie la vidéo, il me dira si les images correspondent à son environnement, si les codes vestimentaires des gens que l’on voit sur la vidéo sont ceux de la région, si les murs des maisons sont bien peints comme cela dans cette zone, etc.»

Outre les indications de lieu, reste à s’assurer de la date de la prise de vue, qui n’est pas forcément celle de la mise en ligne. Et bien sûr, à essayer de comprendre – et raconter – ce qui est survenu avant et après la séquence filmée. «Le contexte, c’est le plus important», reprend Meg Pickard, un journaliste du Guardian interrogé dans le cadre de la recherche du Reuters Institute for the Study of Journalism. «Sur un live, tu peux dire des choses sans avoir toutes les données, en précisant qu’il y a des éléments que l’on ne connaît pas, ou dont on n’est pas encore sûr. Si quelqu’un prétend en ligne qu’une bombe a explosé à Londres, on pourra l’utiliser dans le format du live, dont l’essence est l’instantanéité. On pourra même tweeter “quelqu’un a-t-il entendu parler de cette bombe?” pour obtenir plus d’informations. Mais ça ne fera pas, tel quel, le titre d’un article. Et cela ne sera peut-être jamais publié dans le journal».

  • 3. Recouper l’information

«Nous devons toujours recouper les informations factuelles trouvées sur des réseaux sociaux, en prenant garde au risque d’histoires fabriquées de toutes pièces sur Internet», détaille l’AFP dans ses principes pour les réseaux sociaux. Selon l’agence française, une déclaration trouvée sur un réseau social «ne doit pas être utilisée comme source pour annoncer un événement ni pour décrire un événement en cours, sauf si – comme pour un autre canal d’information – nous sommes certains de l’authenticité du compte sur lequel elle est publiée».

Et de rappeler une erreur commise: «Nous nous sommes ainsi laissés prendre dans le passé à un faux compte Twitter sur lequel le ministre britannique des Affaires étrangères était censé avoir envoyé un message de condoléances après la mort de Michael Jackson, se concluant par les mots: “RIP, Michael”.»

A Times Union, près de New York, la vérification repose sur «une combinaison de plusieurs choses: interviewer une personne qui raconte l’histoire, vérifier l’histoire dans des documents officiels s’ils existent (documents judiciaires, données de la police, chiffres, etc.), et obtenir des détails auprès d’institutions, communiqués, ou conférences de presse».

La sacro-sainte règles de la concordance des sources (c’est-à-dire obtenir de plusieurs personnes la même histoire avant de publier l’information) tient-elle? Tout dépend du contexte (voir point précédent). «En Libye, c’est très facile d’avoir trois personnes qui te disent la même chose, et tu te rends compte ensuite que c’est une légende urbaine. Tes sources arguent que “tout le monde le dit ici, donc c’est vrai”», déplore Julien Pain. Dans ce cas, «avoir des sources concordantes ne veut rien dire», tranche-t-il. «Je préfère avoir la version d’une personne fiable que je connais, que trois personnes qui me disent certes la même chose mais avec qui je n’ai jamais collaboré».

  • 4. Décoder la technique

Quel appareil a permis de prendre cette photo? A-t-elle été modifiée? Y a-t-il un flash? Ces spécificités, bien utiles pour comprendre l’histoire d’une image, sont parfois disponibles en faisant un clic droit sur le fichier original pour accéder à «lire les informations». Avec un peu de chance, on peut voir si c’est une application iPhone qui a permis de prendre le cliché, si l’image a transité par email, et à quelle date et heure remonte la dernière ouverture du fichier.

Cette simple opération peut se révéler caduque, les données des images trouvées en ligne n’étant pas toujours disponibles.

Autre option: rechercher le parcours d’une image (ou ligne ou téléchargée sur votre bureau) sur le site Tineye, dont se servent Associated Press et la BBC. En scannant la photo, le moteur de Tineye retrouve, sur Internet, les images qui lui ressemblent, «photoshopées» ou pas. Ce qui facilite la vie d’un journaliste lorsque celui cherche à reconstituer les divers éléments d’un montage.

Quant à l’AFP, elle s’est dotée d’un logiciel appelé Tungstène qui analyse les métadonnées des images pour «voir si un objet ou une personne ont été retirés d’une photo, si un missile a par exemple été dupliqué sur une photo de guerre, si une foule a été densifiée ou si une image a été “surdéveloppée” pour la dramatiser – comme ce fut le cas avec une photo du volcan islandais Eyjafjöll.»

Ce logiciel, très coûteux, ne résout pas tout, d’autant que les données peuvent être modifiées à dessein. Mais disons que c’est un outil supplémentaire dans la vérification de l’authenticité des clichés.

  • 5. Surveiller le réseau

C’est l’étape la moins empirique, et pourtant… Surveiller ce qui se dit sur le réseau, sur Twitter, sur Facebook, sur les blogs, et observer ce qu’écrivent amateurs et professionnels sur les morceaux d’informations glanés en ligne permet au journaliste de cerner plus vite ce qui suscite les doutes et les questions. L’exemple de la photo truquée de Ben Laden mort est éloquent. Aussitôt l’image de cet homme au visage tuméfié mise à jour, des interrogations sur l’origine de la photo et son authenticité ont affleuré sur les réseaux sociaux, avant que le bidonnage soit révélé, relayé encore une fois en ligne.

Du contenu, du contexte et du code: telle est la loi des «3C» définie par le blog britannique Online journalism. Une règle qui pourrait supplanter celle des «5W» – who (qui), what (quoi), when (quand), where (où), et why (pourquoi) – dont les journalistes se servent pour produire leurs contenus.

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Alice Antheaume

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