La recette de Quartz en 8 ingrédients

Crédit: Quartz

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A quoi aurait ressemblé The Economist s’il avait été lancé en 2013 plutôt qu’en 1843? Répondre à cette question a donné naissance à Quartz, le 24 septembre 2012. Ce pure-player aux allures de start-up, installé dans un modeste immeuble de New York, raconte le monde des entreprises à ses lecteurs, porte une attention particulière à l’économie des nouvelles technologies et recourt – presque systématiquement – aux graphiques. Un an (et trois mois) et 21 millions de visiteurs plus tard, Kevin Delaney, le rédacteur en chef, transfuge du Wall Street Journal, détaille la recette de Quartz. Il était l’un des speakers de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 3 décembre.

1. Le mobile d’abord

«Nous voulions que Quartz soit à la fois mobile first, digital et journalistique», explique Kevin Delaney. C’est pourquoi Quartz est d’abord né sur tablette, puis sur smartphone avant que son design ne soit ensuite adapté à l’interface d’un ordinateur.

2. Un design épuré

Quartz a mis un point d’honneur à radicaliser son design pour ne surtout pas ressembler à ses concurrents. «Nous voulions nettoyer tout ce que les sites d’informations avaient empilé au fur et à mesure», continue Kevin Delaney. «Nous sommes partis d’une page blanche, et nous avons mis la pub au centre de cette page, sachant que personne ne regarde les bannières de la colonne de droite». Résultat, la home page n’est plus. «Les home pages sur lesquelles il y a 250 liens, cela représente trop de choix pour le lecteur». A la place, une page avec deux colonnes seulement. Une colonne centrale et une colonne de menu à gauche. Point.

3. Les réseaux sociaux comme porte d’entrée

60% de son trafic provient des réseaux sociaux, 10% seulement se fait par un accès direct à quartz.com. Quant au 30% restants, ils proviennent de Google et de liens «amis». «Il faut produire du contenu unique pour les réseaux sociaux, pour des lecteurs dont l’écran est déjà truffé d’informations», reprend Kevin Delaney. «Quand on écrit un contenu, il faut partir de l’idée que personne ne le lira si son titre ne retient pas l’attention sur Twitter.»

Crédit: AA

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4. Le pouvoir des graphiques

A Quartz, les infographies sont reines. Et pour les fabriquer, la rédaction utilise un outil appelé Chartbuilder, développé en interne par l’un de ses journalistes, David Yanofsky. Open source, cet outil est disponible sur la plate-forme d’hébergement des projets Github et est, désormais, aussi utilisé aussi par la rédaction de NPR, le réseau de radios américaines. A l’origine, Chartbuilder a été conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques», selon les mots de son concepteur.

Un vrai enjeu pour Quartz alors que la moitié des contenus publiés sur Quartz contiennent des graphiques. Dont celui-ci, excellent, montrant «le graphique que Tim Cook ne veut pas montrer» sur l’évolution des ventes d’iPhones. Ou celui-là, préconisant de ne pas détester le lundi puisque c’est le meilleur jour pour postuler à un nouveau travail.

«Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney. D’ailleurs, il n’y a pas de service dédié à l’infographie à Quartz – même s’il existe un «département des choses», traduction approximative de l’équipe «Quartz Things», qui créé des de la visualisation intégrant des données et du code.

Quartz le fait savoir sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, les journalistes sont priés d’ajouter à leurs liens pointant vers leurs contenus une capture d’écran du graphique associé.

5. La longueur des contenus… Ni trop peu ni pas assez…

Puisque tous les sites d’informations publient en masse des contenus entre 500 et 800 mots, Quartz préconise de produire soit des contenus courts de moins de 500 mots soit des contenus longs de plus de 800 mots.

6. Une audience qualifiée

En moyenne, Quartz a 3,3 millions de lecteurs par mois, dont 60% se connectent depuis les Etats-Unis. Mieux, 61% d’entre eux sont des cadres et dirigeants, et 15% travaillent dans les médias ou sur le Web, selon les données récoltées par les équipes de Quartz. Une audience qui est attirée par le triptyque tech/business et design.

7. Des commentaires autrement

Pas de commentaires sous les articles de Quartz. A la place des annotations sur un paragraphe d’un article disposés sur le côté, comme si l’on commentait un document sur Google Drive. «Nous avons commencé seulement il y a quelques mois, nous n’avons pas encore beaucoup d’annotations, mais celles que nous avons sont de très bonne qualité».

8. Un business model sans mur payant

Quartz est financé par les conférences, sponsorisées par des marques, et de la publicité. Adieu vieux modèles, 37 annonceurs se partagent l’espace, via des campagnes de contenus sponsorisés et de «native advertising», des formats publicitaires qui «paient bien plus» que les bannières traditionnelles, confie Kevin Delaney, sans donner de chiffres. «En partant de zéro, on n’avait aucune chance de survivre en installant un mur payant ou un système d’enregistrement en ligne». D’ici 2015, Quartz espère être profitable.

Alice Antheaume

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En piste avec Bloomberg

 

Crédit photo: Sciences Po/Thomas Arrivé

14 juin 1990: le premier contenu signé Bloomberg est publié. «C’était quatre ans avant que Netscape ne fournisse Internet au monde, marquant le début de la fin des journaux comme principale façon de s’informer. Nous ne le savions pas au moment de commencer», se souvient Matthew Winkler, co-fondateur de Bloomberg News avec Michael Bloomberg, le maire de la ville de New York. «Ce que nous savions, c’est que ceux qui travaillent sur les marchés, dans la finance, les affaires, l’énergie et autres avaient besoin d’être informés en temps réel».

Invité à donner la leçon inaugurale de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, lundi 2 septembre 2013, Matthew Winkler détaille les fondamentaux de Bloomberg, à savoir la règle des 5F (first, fastest, factual, final, future) et les dix principes exposés dans The Bloomberg Way: a guide for reporters and editors (éditions Wiley), la Bible des journalistes de cette maison, un manuel de 376 pages qui «oblige les journalistes à être les agents de leurs lecteurs, et non les agents de leurs sources».

>> Voir la vidéo “pour réussir dans le journalisme” filmée à Sciences Po avec Matthew Winkler >>

1. Ce n’est pas de l’information si ce n’est pas vrai.

Notre métier, est-il rappelé dans The Bloomberg Way, c’est de publier des faits, et non des rumeurs. Spécificité de Bloomberg, «nous couvrons la spéculation, qui infléchit ce que les traders et les investisseurs achètent ou vendent. La spéculation n’est pas une rumeur. Nous savons si un prix baisse ou monte, c’est un fait. La raison de la fluctuation de ce prix – motivation des traders – peut être vraie ou fausse. La conséquence, qui est d’acheter ou vendre, est factuelle.» Au quotidien, un journaliste doit vérifier chacun des éléments suivants avant publication: noms des personnes, leurs dates de naissance, leurs fonctions, leurs descriptions physiques, les noms des sociétés, les lieux, la description de ces lieux, les chiffres (dates, statistiques, pourcentages, etc.) ainsi que les anecdotes rapportées. Cela sous-entend être capable de dire d’où tel ou tel fait sort et avoir la preuve qu’il est juste.

2. L’information n’est pas une denrée de base.

Les anecdotes prouvant que le journaliste était sur place, que personne d’autre n’a vues et ne serait susceptible de raconter, sont la preuve de la justesse de l’information et garantissent l’originalité de la couverture journalistique. «Nous avons l’obligation de donner autant de détails possibles sur ce qui a été dit ou fait», édicte The Bloomberg Way. Cela sous-entend fournir aux lecteurs des documents, des liens vers des contenus complémentaires, des citations, des données, des vidéos, sons et photos, et des graphiques…

3. Nous sommes définis par les mots que nous utilisons.

Précision et brièveté obligatoires. Mieux vaut préférer les mots courts aux mots longs, les mots communs aux mots à la mode, les mots concrets plutôt que les mots abstraits. Mieux vaut aussi utiliser la voix active plutôt que passive, et couper en deux une phrase qui nécessiterait, à la lecture, de reprendre sa respiration avant d’atteindre le point final.

4. Montrer plutôt que dire.

L’assemblage de faits et d’anecdotes suffit à prouver au lecteur que ce qu’il lit est vrai. Selon le manuel de Bloomberg, les journalistes doivent éviter à tout prix les adjectifs et adverbes, biaisés et vagues, au profit de verbes, de noms et de chiffres bien choisis. Quand on écrit des «grosses ventes», que signifie «grosses»? Est-ce une augmentation des ventes de 20%? 50%? 75%? Puisque le lecteur ne peut le savoir, un bon journaliste évite donc l’emploi de «grosses» et met le pourcentage requis à la place.

>> L’Ecole de journalisme de Sciences Po lance une mention journalisme économique >>

5. L’information est surprenante – ou n’est pas.

Selon The Bloomberg Way, un papier doit contenir a minima l’information qu’il entend délivrer, et expliquer dès les premières lignes pourquoi elle sort aujourd’hui, pourquoi c’est important, et qu’est-ce que cela a de nouveau et de surprenant par rapport au contexte. Bref, répondre à la question suivante: «que savons-nous aujourd’hui que nous ignorions hier?».

6. Les personnes font l’information.

La règle est connue, et est sans doute encore plus vraie lorsqu’il s’agit de couvrir l’actualité financière et économique, volontiers impersonnelle. Il faut veiller à incarner l’information, à la personnifier, c’est-à-dire mentionner des personnes clés, et notamment les acteurs et les victimes. «Plus les noms de ces personnes sont connus, plus l’audience sera grande».

7. Non «fait maison», et alors?

Pas question, à Bloomberg, de faire l’impasse sur une information sous prétexte qu’elle a été sortie par une rédaction concurrente. Si cela survient, The Bloomberg Way prescrit à ses journalistes de 1. donner tout de suite la dite information (et sa source) et 2. avoir de nouvelles éclairages et développements sur cette histoire. Dans le même esprit, les journalistes sont priés de trouver des liens pertinents pour enrichir leurs sujets. Il ne s’agit pas là d’insérer un lien vers le site de la société dont ils parlent sur le nom de celle-ci, ce qui serait pris pour de la publicité, mais de proposer des contenus complémentaires et susceptibles d’intéresser le lecteur.

8. Suivre le sens de l’argent.

«Suivez le sens de l’argent et vous comprendrez la politique», est-il écrit dans ce manuel, qui estime que la même approche peut être observée pour couvrir les catastrophes naturelles et les guerres. Combien cela coûte de détruire? Combien cela coûte de reconstruire? Comprendre le rôle de l’argent, sous toutes ses formes, permet d’y voir plus clair sur tous les sujets, financiers, économiques, politiques, et sociaux.

9. Des histoires pour tous et toutes.

Les clients de Bloomberg s’y connaissent en économie et en finance, mais la plupart des lecteurs ont un niveau de connaissances moindre en la matière. Or un journaliste de Bloomberg doit s’adresser tout autant aux traders qu’à ceux qui consultent le site, les vidéos de Bloomberg TV, d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient. A lui de savoir écrire simplement.

10. Plus il y a de préparation, plus la chance nous sourira.

«Vous voulez avoir un scoop? Préparez-vous». Cela ne tombe pas du ciel. La collecte permanente de détails sur les sociétés et les décideurs économiques est essentielle car «la connaissance, c’est le pouvoir», peut-on lire dans The Bloomberg Way. Pour ce faire, les journalistes sont encouragés à dresser des listes en fonction du domaine qu’ils couvrent: les 10 sociétés les plus importantes du secteur industriel, les 10 sociétés qui sont les plus profitables, les 10 sociétés qui sont les plus endettées, les 10 acteurs clés du secteur de l’énergie (et pourquoi), les 10 experts de l’éducation, etc. Une fois ces listes effectuées, charge au journaliste de rendre visite à ces personnalités pour discuter avec elles. Un bon journaliste, reprend The Bloomberg Way, a lu tout ce qui avait été écrit sur son sujet avant de partir en reportage: rapports, expertises, audits, articles, comptes financiers, etc. Plus le journaliste engrange de connaissances, plus il peut poser des questions qui ont du sens. La rançon pour trouver un scoop dans une botte de foin.

Parmi les autres conseils trouvés dans The Bloomberg Way, en voici quelques uns:

– travailler de longues heures sans faire de pause n’est pas une vertu. Le risque est de ne plus avoir l’esprit assez frais pour repérer les bonnes informations. «Même s’il est rare de voir des gens l’emporter sans effort ni peine, il est tout aussi rare de voir des gens faire de leur mieux en étant fatigué.»

– un bon reporter ne considère pas un «non» comme une réponse.

– «les meilleurs journalistes n’ont pas besoin d’être supervisés. Ils n’attendent pas qu’on leur dise quoi faire. Ils savent quoi faire.»

>> Les commandements d’Alan Rusbridger, le rédacteur en chef du Guardian, invité de l’Ecole de journalisme de Sciences Po l’année dernière >>

Bonne rentrée!

Alice Antheaume

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