Mort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes – un pourcentage qui peut augmenter très vite en fonction de paramètres décrits ci-dessous. 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
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MISE A JOUR: Ce lundi 14 novembre, France Télévisions lance sa plate-forme d’informations en continu, disponible sur le Web et sur mobile (1). Le projet pousse la logique du «live» à son paroxysme. En effet, il repose sur un «live perpétuel» qui relate, de 6h du matin à minuit, l’ensemble des actualités du jour (la grève annoncée à Pôle Emploi, la nomination de Mario Monti, les derniers propos sur DSK, les otages libérés au Yémen, etc.) via vidéos, photos, textes… Le tout est réalisé par des «liveurs», c’est-à-dire des journalistes devenus des spécialistes du «live» numérique, qui répondent aux questions et réactions de l’audience sur l’actualité en temps réel.
Côté hiérarchie de l’info, la logique de ce «live permanent» est la suivante: si c’est une information secondaire, trois lignes suffisent, alors qu’une information essentielle fera l’objet de plusieurs entrées, voire plusieurs développements, dans et en dehors du «live» du jour.
Pour Nico Pitney, éditeur exécutif du the Huffington Post interrogé par le Nieman Lab, le «live» intéresse deux personnes sur trois. «Imaginons trois types de lecteurs», détaille-t-il. «Les premiers veulent les éléments-clés sur une information, une solide vue d’ensemble qui correspond à la lecture d’un article traditionnel. Cette catégorie n’est pas intéressée par le développement minute par minute ni par la couverture en “live”. La deuxième catégorie connaît déjà le résumé des informations mais veut aussi les éléments-clés et la couverture en “live”. Le troisième type de lecteurs – et nous considérons que c’est la majorité de nos utilisateurs – veut d’abord un aperçu de l’actu, mais une fois qu’ils ont vu le “live”, cela les plonge en profondeur dans l’histoire»…
Sous entendu, ils restent scotchés, pris dans les filets du «live», et de la promesse de ce format de leur délivrer les dernières informations disponibles sur l’événement «livé», au fur et à mesure que celui-ci se déroule.
Le live est la nouvelle télé
Pourquoi le «live» fascine-t-il tant, pour reprendre l’intitulé de l’un des ateliers organisés ce mardi aux Assises du journalisme à Poitiers (2)? En partie parce que ce dispositif permet aux utilisateurs de jouer un nouveau rôle, estiment la plupart des intervenants de cette conférence.
«Les internautes ont l’impression de faire l’info», explique l’une d’entre eux, Karine Broyer, rédactrice en chef Internet et nouveaux médias de France 24. «Lors des événements en Egypte, certains posaient dans le live une question pour notre envoyé spécial qui se trouvait alors Place Tahir au Caire, en l’interpellant par son prénom, Karim (Hakiki, ndlr)». Et, si la question était pertinente, Karim Hakiki leur répondait, donnant peut-être l’impression aux lecteurs d’avoir enfin leur mot à dire dans la construction de l’information…
«Lorsque ont eu lieu les débats télévisés des primaires socialistes, nous avons choisi de ne pas ouvrir de live sur le site – trop franco-français pour un média international comme France 24. Nous avons peut-être eu tort, je ne sais pas. Toujours est-il que nos utilisateurs nous ont hélés sur Twitter sur le mode “vous dormez ou quoi? Il faut vous mettre en live…”»
Typologie de réactions en live
«Les internautes sont acteurs», reprend Jonathan Parienté, journaliste de la cellule présidentielle du Monde.fr. Il note trois formes de commentaires lors des «lives»:
Alors que, par défaut sur lemonde.fr, aucun commentaire n’est publié dans un «live» avant validation par la rédaction, les règles du genre sont simples: le type de commentaire 1 est retenu si l’internaute développe un peu son jugement mais, pour être honnête, cela n’a pas d’intérêt journalistique. Le genre 2 constitue l’essentiel des réactions publiées dans les «lives» et sont utiles pour articuler le dispositif éditorial, en donnant une sensation visuelle de dialogue entre internautes et rédactions, lesquelles restent en position de magistère. Le genre 3, très rare, est très utile d’un point de vue journalistique, nécessite certes vérification avant publication mais renverse la vapeur (l’apport vient cette fois de l’extérieur de la rédaction).
Les ingrédients d’un «live» réussi? Cela tient avant tout à «l’intérêt de l’actualité», assure Karine Broyer. «98% des lives que nous lançons sont issus de breaking news», autrement dit traitant d’actualités non anticipées.
Les accélérateurs de «live»
Outre la force d’une actualité, il y a des facilitateurs de réussite:
Sur un outil comme Cover It Live, utilisé par la majorité des sites d’informations en France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), le live n’a qu’une URL unique. Des outils développés en interne, comme celui du Huffington Post, attribue une URL par «post» et augmente le taux de partage sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur pouvant citer l’un des contenus du live, une photo, un décryptage, une citation, plutôt que de pointer sur un titre très général du type «vivez en direct tel événement».
A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la construction de «live» sur le Web fait partie de la formation des étudiants depuis septembre 2010, au même titre que l’apprentissage d’un reportage télévisuel, ou d’un flash radio. Car raconter en instantané ce qu’il se passe, en apportant du contexte aux informations, en les mettant en perspective, en répondant aux questions de l’audience sur le sujet, et en pratiquant le fact checking, cela demande de la rigueur. Et de l’endurance. Surtout lorsque le «live» dure des jours voire des semaines – celui de Reuters sur Fukushima, entre le 11 et le 26 mars, a duré 15 jours et comporte 298 pages.
Trop de lives tuent-ils le live?
Et après? Si tous les médias «livent» aux mêmes moments les mêmes informations, quel intérêt? «Je ne vais pas m’arrêter de faire du “live” parce que tout le monde le fait», tranche Karine Broyer. D’autant que, selon la matière dont on dispose, les sources, les liens qu’on y met, le ton et le tempo, aucun live ne ressemble à un autre, complète Jonathan Parienté. Pas d’inquiétude, donc, il y a de la place pour tous sur ce format encore expérimental: «la pluralité des lives est la même que la pluralité des médias», conclut Florence Panoussian, responsable des rédactions Web et mobiles de l’AFP.
(1) Bruno Patino, le directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, est également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille.
(2) Atelier auquel j’ai participé en tant qu’animatrice. Merci à Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, et Florence Panoussian, pour ces échanges.
Alice Antheaume
lire le billetLe coût pour la France du sauvetage de la Grèce? 40 milliards d’euros, avance Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, lors du débat avec ses camarades. Au même moment, sur le «direct» de la soirée opéré par lemonde.fr, on peut lire que «c’est faux, cela sera 15 milliards en fait», avec, en guise de preuve, un lien vers un article qui indique le prix à payer, selon François Fillon, par la France pour la Grèce, jusqu’en 2014.
A l’orée de la campagne présidentielle 2012, les rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, c’est le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et qui a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.
Il s’agit donc de peser et soupeser le vrai du faux émanant de promesses et de chiffres énoncés par les politiques, lorsqu’ils sont interviewés sur un plateau télé, à la radio, ou lorsqu’ils détaillent leur programme pendant des meetings. A ce titre, le débat de jeudi dernier, avec les six candidats en lice pour la primaire socialiste, a servi de galop d’essai pour faire de la «vérification» de parole politique en direct, avant une utilisation journalistique sans doute plus étendue lors de la campagne présidentielle 2012.
Vérifier… tout de suite
La difficulté, c’est le temps réel. «Il ne faut pas se leurrer», me confie Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, où le blog Les Décodeurs fait office de pionnier. «Un fact checking réalisé en 24h sera toujours plus approfondi que celui que l’on peut faire ne serait-ce qu’en 2 heures». Bastien Hugues, journaliste Web, est du même avis. «Une bonne vérification peut prendre du temps, c’est une autre temporalité» que le moment du «live», qui se déroule dans l’instantanéité.
L’enjeu, c’est donc, à terme, de pouvoir superposer le temps du «live» avec celui du «fact checking». C’est parfois possible, comme la semaine dernière, alors que Valérie Pécresse, ministre du Budget, assène, au Grand Journal de Canal+, que les Français semblent fumer de moins en moins. La réponse tombe aussitôt: «Les ventes (de tabac, ndlr) ont augmenté de 2,6% en 2009 et sont restées stables en 2010», écrit Bastien Hugues sur Twitter. Conclusion: d’après ces chiffres, difficile de présumer que les Français fument de moins en moins.
Si cette vérification n’a demandé à Bastien Hugues que «5 minutes et une bonne recherche sur Google» afin de trouver les chiffres de la consommation de tabac en France, «ce n’est pas toujours possible d’aller si vite, il y a des secteurs plus durs à vérifier que d’autres», reprend le journaliste. Par exemple les chiffres concernant des collectivités territoriales, comme le versement du RSA dans une commune, ou le nombre d’élèves véhiculés par le transport scolaire dans un département. «Si l’un des candidats à la primaire socialiste lance un tel sujet vers 22h, nous aurions du mal à vérifier dans l’immédiat, car à cette heure tardive, inutile d’appeler dans les bureaux de l’administration, c’est fermé, personne ne répond pour nous dire d’où sort telle ou telle donnée.»
Et pourtant, les journalistes le savent: réussir à vérifier en quasi temps réel les arguments des politiques, c’est un vrai plus. Et cela le sera encore plus avec la télé connectée – imaginez, vous regardez l’interview de Dominique Strauss-Kahn, sur TF1, dimanche soir, et en même temps, sur le coin de votre écran, vous lisez un flux d’infos postées par des journalistes permettant de savoir si les propos que vous venez d’entendre sont loufoques ou fiables. Ou si l’absence d’alliance à l’annulaire de l’ex-patron du FMI est récente – quelques heures plus tard, Fabrice Pelosi, de Yahoo!, a exhumé une photo d’archive, montrant DSK sans alliance, alors qu’il travaillait encore au FMI.
Pour l’instant, peu de rédactions françaises se sont vraiment lancées dans l’exercice de la vérification en temps réel. Libération a bien une rubrique «Désintox» dans son quotidien papier, récemment mise en ligne via un blog qui se veut un «observatoire des mensonges et des mots du politique», mais le décryptage n’est pas effectué en temps réel.
Organisation ad hoc
C’est vrai que cela demande des ressources humaines conséquentes. «Au moins 4 ou 5 personnes», estime Bastien Hugues. Car, dans le détail, il faut plusieurs postes: celui qui gère le format du «live», celui qui regarde les tendances sur Twitter et les questions des internautes, celui qui s’occupe de «fact checker» les promesses politiques, et enfin, celui qui, à l’issue du «live», fera un papier de synthèse pour récapituler l’essentiel du débat. Sans compter, ajoute Bastien Hugues, deux autres journalistes qui, sur un site d’infos généralistes, doivent s’occuper du reste de l’actualité.
Le dispositif en vaut-il la chandelle? De l’autre côté de l’Atlantique, la question ne se pose plus, surtout en période électorale, où la désinformation augmente, note Fabrice Florin, le directeur d’un nouveau site américain appelé Newstrust, qui veut distinguer «les faits de la fiction, sur le Net». Pour ce faire, Newstrust fait appel aux internautes pour qu’ils proposent des citations à passer au crible.
Et, en théorie, la participation de l’audience n’est pas anecdotique dans l’exercice du «fact checking». Sur Les Décodeurs, du Monde.fr, il est demandé aux internautes d’envoyer leurs «interrogations sur les propos tenus dans les médias» et de collaborer à l’exercice. Efficace? Pour poser les bonnes questions, oui. Pour apporter des réponses, moins, mis à part quelques spécialistes qui, dans les commentaires, par email ou sur les réseaux sociaux, peuvent indiquer des liens vers des éléments pertinents (lire ou relire à ce propos ce WIP consacré à la vérification d’infos venues du Web).
Selon Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, cela participe d’un nouvel ordre politique: «Internet et le numérique obligent les hommes et les femmes politiques à davantage de constance en imposant une impitoyable “tyrannie de la cohérence”». Même impression de la part de Samuel Laurent: «Depuis deux ans, on trouve moins de déclarations comprenant des chiffres complètement fantaisistes ou inexistants dans le discours des politiques. Je pense qu’à force de se faire prendre, ils se sont dits qu’ils allaient arrêter ce type de communication». Un optimisme que ne partage pas Bastien Hugues: «Non, aujourd’hui, rien n’a changé», l’utilisation du «fact checking» étant encore trop marginale dans les rédactions françaises.
Utilisation politique
C’est une autre histoire aux Etats-Unis, où non seulement la vérification de la parole politique fait partie de la culture journalistique, mais elle devient une arme politique. En effet, l’équipe de campagne de Barack Obama vient de lancer Attackwatch.com qui répertorie les attaques contre le président des Etats Unis, candidat à sa succession, et les démonte une par une en y apportant sa propre expertise – avec un biais politique évident.
En France, le PS et l’UMP s’y mettent aussi, en contrecarrant chaque argument donné par le camp opposé avec une nouvelle donnée, dont la source se doit d’être «indépendante» et expertisée. Résultat, pour les journalistes, cela complique la donne. Car il leur faut se préparer, en vue des campagnes présidentielles américaine et française, à la fois à vérifier les arguments des politiques au moment où ils les prononcent, mais aussi à vérifier la… vérification qu’en fera, de son côté, le camp politique adverse.
Alice Antheaume
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lire le billetIl y a aura, dans les médias, un avant et un après Dominique Strauss-Kahn, accusé de «crime sexuel», de «tentative de viol» et de «séquestration» contre une femme de chambre de l’hôtel Sofitel à New York. Envergure planétaire, pics d’audience inégalés, questions juridiques inédites, et frontières du genre repoussées. Cet événement pousse les rédactions françaises à redéfinir les limites de leur exercice. Retour sur les éléments médiatiques clés nés par et autour de ce scandale.
Ce n’est pas une première dans l’histoire médiatique de Twitter, dont les premiers «breaking news» sont apparus aux Etats-Unis dès 2007, lors de la fusillade à l’université Virginia Tech, en Floride (1), mais pour la France, cela devrait rester dans les annales. En effet, c’est sur le réseau aux messages de 140 signes qu’apparaît la première mention de la future affaire DSK.
Ainsi, le samedi 14 mai à 22h59, heure de New York, un étudiant français, Jonathan Pinet, poste le tweet suivant:
Il est le premier à annoncer ce qui va être devenir un scoop, bien avant les agences de presse et autres rédactions. «Ce n’est pas mon tweet qui a déclenché l’emballement de Twitter autour de cette information, explique-t-il après coup sur son blog, mais bien l’article du New York Post à 0h33», toujours heure new-yorkaise. Un article qui n’est plus dans les archives.
Lundi 16 mai 2011: l’ex-patron du FMI passe devant la juge américaine Melissa Jackson, qui lui refuse la liberté conditionnelle dans l’immédiat – elle lui sera accordée à l’audience du 20 mai, après quatre nuits de prison. Lors de ces audiences préliminaires, les rédactions françaises – télé, radio, Web – utilisent Twitter pour réaliser leur couverture en direct, en se servant des tweets envoyés par les journalistes – Français et étrangers – présents dans la salle d’audience.
«L’affaire DSK propulse Twitter au premier plan», annonce Le Figaro. «Twitter et ses “gazouillis” s’imposent dans les salles de rédaction», titre l’AFP.
Mais comment faire autrement? Comment relayer, en temps réel, ce huis clos partiel tel que celui du tribunal pénal de Manhattan, où seuls quelques journalistes peuvent pénétrer? Ceux-ci n’ont le droit ni de téléphoner ni de filmer pendant l’audience, mais peuvent envoyer SMS ou messages sur les réseaux sociaux. Depuis Paris, ceux qui animent des émissions, radio ou télé, en direct, ou des «lives» sur les sites d’infos, suivent donc chaque tweet, même lorsque ce tweet est écrit par un confrère d’une rédaction concurrente, abolissant ainsi des frontières longtemps en vigueur. «Heureusement qu’on a Twitter», confie cette journaliste d’iTélé, au moment de l’audience du 20 mai.
Quatre jours après l’arrestation de DSK, on apprend que la chaîne Canal+ interdit à ses journalistes de tweeter. Première fois, il me semble, qu’un média français prend une position «officielle» à propos de ce que ses journalistes publient ou pas sur Twitter. Conséquence: Laurence Haïm, correspondante à la Maison Blanche pour la chaîne cryptée, présente aux audiences de DSK au tribunal pénal de Manhattan, «réserve “ses” informations à (sa) rédaction» plutôt qu’au réseau social, explique Rodolphe Belmer, le patron de Canal+, pour qui «les journalistes professionnels doivent leurs infos à leur public» et «les grands médias ont tout intérêt à assurer les règles de contrôle de l’information (sans) (…) reprendre à son compte des tweets sensationnalistes quand ils ne sont pas erronés».
Laurence Haïm ne raconte donc pas en live, sur Twitter, comme son confrère Remi Sulmont de RTL, ce qu’elle entend et voit dans la salle d’audience, mais elle l’envoie par SMS aux journalistes d’iTélé (même groupe que Canal+) qui sont, au même moment à Paris, en direct en plateau. Et réalise ensuite des duplex, par exemple pour le Grand Journal de Michel Denisot.
Aux Etats-Unis et en Angleterre, déterminer via une charte rédactionnelle quel journaliste tweete et sur quel sujet est très répandu. En France, ces chartes existent mais elles évoquent avant tout la déontologie, les droits et les devoirs du journaliste, sans s’attaquer de façon frontale aux questions soulevées par l’utilisation journalistique de Twitter – sauf l’AFP qui s’est dotée en 2011 d’une charte ad hoc, focalisée pour l’instant sur la vérification des informations repérées sur les réseaux sociaux.
Dans le flux de messages postés sur Twitter et retweetés des dizaines de fois, il y a des infos et des rumeurs, du vrai et du faux. Les contraintes du direct imposent aux journalistes de les trier en quasi temps réel, afin de les commenter.
Or, lors des premières audiences de DSK au tribunal, les journalistes français ont peiné à suivre le fil Twitter tout en en parlant à l’antenne, laissant souvent passer de longues minutes entre l’apparition d’un tweet, visible par n’importe quel internaute, et son évocation en plateau. A l’heure où commenter sur Twitter ce que l’on voit à la télévision devient tendance, ce décalage peut-il être assumé? D’un côté, il peut être rassurant, si l’on estime que cet écart temporel permet à l’information vue sur Twitter d’être vérifiée avant d’être annoncée à la télévision. D’un autre, il met les journalistes dans une situation de réceptacle de l’information, en même temps qu’un internaute lambda. Quel est l’apport journalistique dans ce cas?
De fait, il y a un deuxième problème, relevé par Benjamin Ferran dans son excellent article sur le sujet: l’interprétation, sur les télévisions françaises, parfois hasardeuse de tweets qui n’ont pas toujours vocation à être relayés. «Certains “tweets” rapportés n’avaient plus grand-chose à voir avec de l’information, écrit-il. “Le juge est en train de réfléchir, semble-t-il, si j’en crois ce que je lis sur Twitter”, a lâché un journaliste de BFM TV. “Il n’y a pas de tweet, on est dans un moment de flottement. Là c’est un peu la spéculation parce que je ne sais pas ce qui a pu se passer”, a-t-on pu entendre sur iTélé.»
A CNN, «la chaîne du live» par excellence, les animateurs de la matinale sont branchés en permanence sur le réseau social aux 140 signes. Même lorsqu’ils présentent les informations. Face à la caméra, ils pianotent sur le clavier d’un ordinateur portable disposé devant eux, consultent des tweets, et y répondent.
En France, il est interdit – sauf autorisation spéciale comme pour le documentaire de Raymond Depardon sur la 10e chambre, ou certains grands procès «historiques» – de filmer les audiences en vertu de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui stipule que, «dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit».
Mais aux Etats-Unis, c’est permis – avec 15 minutes de différé. Les juges américains n’autorisent souvent qu’une seule caméra dans la salle d’audience, mais ils l’autorisent. Dans ce cas, les médias intéressés par ces images se constituent alors en «pool» et désignent la chaîne qui fera office de «pool caméra» pour l’événement, c’est-à-dire qu’elle filmera pour le compte de tous les autres les images, et les redistribuera à tous ceux qui les ont demandées. C’est ce qu’il s’est passé lors de l’audience du 6 juin, lorsque DSK a plaidé «non coupable». Et cette fois, c’était CNN qui filmait.
Que faire, quand on est une télévision française bardée de l’interdiction de filmer les procès, et que l’on voit les images filmées par CNN débarquer sur les sites d’infos français, sur les réseaux sociaux, bref, n’importe où sur le Web en un clic? Se mettre des oeillères pour respecter la loi? Ou prendre le risque de les diffuser, au nom du «droit» d’informer? «Il est impossible de cacher des images librement diffusées sur les télévisions du monde entier, a expliqué au Figaro Guillaume Dubois, directeur de l’information de BFM TV. À l’heure de l’audiovisuel planétaire, la notion de frontières médiatiques n’a plus de sens.»
Pour l’instant, cet article de loi n’a été modifié que pour faire apparaître le montant de l’amende en euros plutôt qu’en francs. Mais il y des autorisations spéciales qui se demandent, et s’obtiennent, comme cela vient d’être le cas pour le procès en appel d’AZF.
Le 1er juin, Lepoint.fr annonce que Ramzi Khiroun, ex-conseiller de DSK, va déposer plusieurs plaintes pour diffamation, dont l’une contre Arnaud Dassier, actionnaire du site Atlantico, «en raison d’un message publié sur le réseau Twitter le 14 mai» sur les activités de Khiroun.
Aux Etats-Unis, des plaintes nées d’un tweet, il y en a déjà eu. Pour la chanteuse Courtney Love, qui a insulté une styliste sur Twitter, l’affaire s’est soldée par le versement de 430.000 dollars (300.550 euros), un accord trouvé afin d’éviter le procès.
Qu’avez-vous retenu, médiatiquement parlant, de l’affaire DSK?
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Alice Antheaume
(1) Au palmarès de Twitter, prem’s sur son rôle d’alerte, on se souvient aussi d’un autre scoop historique, fait en 140 signes, en janvier 2009, lors de l’amerrissage miracle d’un avion sur l’Hudson, à New York. Le premier à évoquer l’accident est un citoyen américain, qui s’appelle Janis Krums. Présent à bord d’un ferry juste à côté de l’endroit où vient d’échouer l’avion, il publie aussitôt sur Twitter une photo de la scène en la qualifiant de «crazy». Première photo disponible sur cet événement, celle-ci est immédiatement reprise dans les médias du monde entier.
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