«Mais qu’est-ce que je fiche là? Et pourquoi je me suis couché à 4 heures du matin? Et pourquoi j’ai trop bu? Et pourquoi le type qui est sur l’estrade veut absolument nous vendre son livre?», grommelle l’un des festivaliers de South by South West 2016, le grand raout des nouvelles technologies organisé à Austin au Texas. Ce dimanche, à l’heure des premières sessions de la matinée – 9h30 tout de même! -, ce trentenaire, arborant un short et des tongues, lève les sourcils en accent circonflexe pour garder les yeux ouverts.
2016 est-elle l’année de la fatigue? Malgré l’optimisme habituel des fans du Web, apparaît une impression de ras-le-bol. Des réseaux sociaux, de Twitter, des discours tout faits, de la profusion d’informations. Comme si les enfants du numérique, au milieu des innovations de cette édition – la réalité virtuelle, la«plateformisation» des contenus, les robots et la technologie au service de la campagne présidentielle – avaient pris de l’âge.
>> Lire aussi : le poids de la technologie sur la présidentielle américaine à South by South West 2016 >>
Cela tient d’abord à la programmation des conférences qui jouent volontiers de titres accrocheurs. L’une des sessions, intitulée «I’m tired of doing social media: what’s next?», ressemble à une réunion d’alcooliques anonymes, tentant de s’en sortir. Dans l’audience, des «community managers» désabusés qui se demandent quel sera leur avenir professionnel, quand ils ne souffrent pas d’un manque de reconnaissance. «Vous faites tellement plus que ce que les gens pensent. Vous résolvez en permanence des problèmes», rassure l’un des panélistes.
Thanks to everyone who came out to #NextInSM & the amazing panel: @tammy @katykelley @sarahcooley. That was fun. pic.twitter.com/B7MpSFq494
— Matthew Knell (@MatthewKnell) 13 mars 2016
Pourtant, les perspectives sont limitées: selon un sondage cité pendant la table ronde, 74% pensent qu’en théorie, ils peuvent faire carrière à long terme dans le «social» – comprendre dans les métiers liés aux réseaux sociaux – mais 39% estiment qu’en pratique, il n’est pas évident qu’ils y arrivent.
Fatigue de l’entre-soi
Même Twitter, pourtant repéré ici même, à Austin, en 2007, n’a plus bonne presse. Lors d’un panel intitulé «140 signes, 0 contexte», les journalistes américains invités évoquent leurs mésaventures. «Si je n’étais pas forcé d’y être pour mon travail, je ne serais pas sur Twitter», lâche Mike DeBonis, reporter politique au Washington Post. «Les utilisateurs de Twitter ne sont pas des gens normaux, on y trouve les politiques, les lobbyistes et les journalistes.»
Emily Ramshaw, éditrice au journal The Texas Tribune, raconte qu’elle a eu l’occasion de couper avec Twitter lors de son congé maternité. «C’était les plus formidables des vacances que je n’ai jamais eues!», s’exclame-t-elle.
Fatigue de la parlotte
Autre motif de fatigue: les discours qui ne… disent rien. Au milieu de panels extraordinaires, on ne compte plus le nombre de fois que l’on a entendu le tiercé «les réseaux sociaux sont de formidables opportunités» ou «nous vivons un âge d’or du numérique» ou «les plates-formes sont essentielles». Car chez les mastodontes du Web, où la parole des dirigeants est souvent verrouillée, enfiler les perles est une pratique courante.
Les discours des patrons de grands médias américains versent parfois dans les mêmes écueils. «Les réseaux sociaux changent le monde», dit Frank Cooper, de Buzzfeed. Nan? Jim Bankoff, le patron du groupe Vox Media, a quelques fulgurances mais ne fait pas l’économie de clichés qui ne font pas avancer le schmilblick. Exemples? «Le mobile est l’outil de l’intime» ou «nous croyons aux contenus de qualité». Okaaaaayyyy.
“We want to be where our audiences are and create content tailored to each platform,” says Jim @Bankoff #SXSW pic.twitter.com/qd0KZo6gMM
— Benjamin Bathke (@BenjaminBathke) 12 mars 2016
Il y a même une session,«How to stop speaking in bullshit», qui propose aux participants d’apprendre à parler sans jargon.
Pas étonnant, souffle Martin Rogard, directeur des opérations de Dailymotion, qui préfère rencontrer des personnalités de la communauté Web en marge de sessions trop policées: «Après 10 ans de discours éculés des géants du numérique, sur les formidables opportunités que cela va créer pour les médias, ces derniers réalisent que l’essentiel de la valeur est capté par ces mêmes géants et qu’une alliance entre eux et les tenants d’un Internet ouvert est la seule solution pour lutter contre cette hégémonie.»
Le meilleur des tendances du Web
En réalité, South by South West, c’est le meilleur des tendances à venir, concentré en quatre jours et… 900 sessions. L’édition 2016 ne déroge pas à la règle. La seule chose qui a changé, c’est que les festivaliers, ces enfants du numérique, ont maintenant grandi. Et à la naïveté et l’excitation infantiles succède la mesure, et parfois, la méfiance.
«Peut-être a-t-on perdu notre capacité à s’émerveiller?», avance l’un des participants, dont c’est la troisième année à South by South West. Dans son souvenir, la meilleure édition est celle de 2014, lorsque Julian Assange et Edward Snowden, les dissidents de la surveillance, se sont succédés sur la grande scène. Cette année, cette grande scène a été condamnée, elle est devenue un lieu balisé où les plus de 34.000 festivaliers, venus de 84 pays, retirent leurs badges.
Nostalgie
Et puis, contrairement aux éditions précédentes, point d’application qui supplante tout le reste. Outre Twitter, South by South West a vu naître Foursquare en 2009, puis Meerkat l’année dernière mais il n’y a pas de «buzz» pareil cette fois-ci. «Ce sont des années d’exception», explique Hugh Forrest, le directeur de la partie interactive de South by South West. L’absence de buzz ne signifie pas l’absence d’innovation.
Hugh Forrest, lui, préfère se réjouir du «coup» réalisé lors de l’ouverture, avec la présence de Barack Obama, le «leader du free world», comme il l’appelle. «En novembre dernier, on a demandé, en passant par les équipes de la Maison Blanche, d’avoir une vidéo de 2 minutes du président, pour le premier jour du festival. On nous a répondu qu’il n’y avait pas de problème pour la vidéo, mais que Barack Obama pouvait faire mieux. Il pouvait venir tout court.»
Promesse tenue. «A part dire que les Etats-Unis étaient un pays où il était plus facile de commander une pizza que de voter, il n’a pas dit grand chose», confie l’un des heureux accrédités. «Néanmoins j’ai eu les poils qui se sont hérissés quand il est arrivé, j’avoue que j’étais vraiment impressionné».
Les robots ne sont pas fatigués
Comment, alors, expliquer cette vague de lassitude? Il y a peut-être, en filigrane, des pointes d’inquiétude dans un univers réputé pour son excitation inébranlable face aux nouveautés. Et si l’émergence de robots et d’algorithmes finissait par entamer ce bel optimisme?
Lors d’un panel sur «trouver un boulot dans un monde automatisé», le constat est clair: plus de deux tiers des Américains vont voir leur profession se robotiser dans les 50 prochaines années. «Au 20e siècle, de nombreuses tâches physiques très répétitives ont été automatisées. Au 21e siècle, ce sont les tâches intellectuelles qui vont l’être.»
Selon Robbie Allen, le président de la société Automated Insights, qui produit des articles écrits par des algorithmes, Pour ne pas finir au chômage, mieux vaut trouver des métiers où la part de «créativité» est prégnante.
Et sinon? Sinon, la profession d’entrepreneur reste une valeur sûre. Rassurez-vous, conclut Kevin Kelly, le fondateur du magazine Wired: «Les robots sont là pour la productivité pure. Leur multiplication va créer des nouveaux jobs pour les humains.»
Alors tout va bien sous le soleil texan.
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Alice Antheaume, à Austin, Texas
lire le billetAnnée présidentielle aux Etats-Unis oblige, le festival South by South West, qui se tient à Austin, au Texas, du 11 au 15 mars 2016, fait une large place à la politique, via des dizaines de sessions consacrées au sujet – sur les quelque 900 qui figurent dans le programme.
>>Lire les tendances de South by South West 2014 >>
Au centre des préoccupations, cette question: qui va élire le successeur de Barack Obama? Les réseaux sociaux? Les moteurs de recherche? Si Dan Rather, le présentateur phare de la chaîne CBS, âgé aujourd’hui de 84 ans, estime que «c’est la télévision qui décidera du résultat des élections, et non Internet ni les réseaux sociaux», personne à South by South West ne semble aller dans son sens.
Quand les data gouvernent la politique
First discussion of the day: #BigData will choose the next US president #sxsw #moments2016 pic.twitter.com/OqO9gDtVbQ
— Loïc Forget (@goaheadtaccom) 13 mars 2016
Car, en 2016, ce sont les data et leur bonne gestion qui transforment un candidat en président. «Pas les data en tant que telles, mais les data comme levier pour pousser les messages politiques», tempère JC Medici, de la société Rocket Fuel, qui fabrique des publicités politiques.
Parmi les données scrutées de près par les équipes des candidats, il y a avant tout les réactions collectées lors du porte-à-porte, les dons effectués par email, le nombre de likes et de retweets obtenus en ligne, le taux de partage sur les réseaux sociaux. Autant de données – anonymisées par une société tierce avant d’être récupérées par les partis – qui peuvent prédire la victoire ou l’échec.
Sur la gauche Keegan goudiss qui s’occupe de la campagne de @berniesanders #sxsw #moments2016 @… https://t.co/C4vwMPW1qg
— Alice Antheaume (@alicanth) 13 mars 2016
Lorsqu’on demande à Keegan Goudiss, l’un des artisans de la campagne de Bernie Sanders, s’il s’attendait à ce que le démocrate l’emporte aux primaires dans l’Etat du Michigan, il répond qu’il avait vu que «le responsable de la campagne était très enthousiaste avant l’heure». Combien de temps «avant l’heure» était-il enthousiaste? On ne le saura pas.
Passion politique
«Il ne faut pas surestimer le nombre d’utilisateurs d’Internet dans le processus électoral», reprend Dan Rather. Pour Keegan Goudiss, «certains publics ne sont pas atteignables via le numérique», il faut donc continuer à faire de la publicité sur les médias traditionnels.
Un paradoxe: alors qu’en 2016, la très grande majorité des investissements publicitaires en politique se font à la télévision plutôt qu’en ligne, c’est la première élection américaine où les «millennials», ces jeunes qui désertent les médias traditionnels, sont en âge de voter. «Les millennials sont plus éduqués, plus informés que les autres électeurs», précise Cenk Uygur, éditorialiste et présentateur du programme sur YouTube, «The young turks».
Conséquence, du point de vue des médias: «la passion de l’audience pour la politique n’a jamais été aussi grande qu’en 2016», assure Jeanmarie Condon, l’une des dirigeantes d’ABC News, qui raconte comment son organisation produit des contenus exclusifs sur diverses plates-formes pour attraper là où elles se trouvent différentes catégories de lecteurs.
La partition des «millennials»
Comment intéresser un «millennial», quand on vise un mandat politique? C’est un vrai casse-tête, souffle Jaime Bowers, qui a aidé de nombreux hommes politiques à briguer des postes dans l’exécutif. «A condition d’être sur le bon canal, vous pouvez les impliquer sur des sujets auxquels ils n’auraient jamais répondu, explique-t-elle. En revanche, c’est très difficile d’obtenir d’eux des dons».
Or c’est le nerf de la guerre dans une campagne présidentielle américaine. «Depuis 1968, 10 des 12 candidats qui ont emporté la présidentielle sont ceux qui ont dépensé le plus d’argent», analysent Kyle Britt et Michael Kinstlinger, de Havas helia, une antenne d’Havas spécialisée dans l’analyse des données, lors d’un panel intitulé «data defeat Truman», une allusion au titre «Dewey defeat Truman» publié par le Chicago Tribune en 1948, consacrant par erreur la victoire du républicain Thomas Dewey contre le démocrate Harry Truman, finalement réélu.
«Inbox or die»
En 2016, c’est toujours le cas. Plus il y a d’emails, plus il y a de retweets, plus il y a de dons, plus il y a de votes, assurent les panélistes. Et le déluge de données ne fait que commencer. D’ici le 8 novembre, jour de l’élection du prochain président des Etats-Unis, les Américains vont recevoir 10 milliards d’emails de la part des candidats. Une avalanche de données qu’Havas helia a commencé à analyser. Conclusion pour les candidats? «Inbox or die» – «apparais dans la messagerie de tes électeurs ou meurs», en VF.
30% of @tedcruz‘s emails are going to spam, that’s millions of dollars left on the table. #CRM4Prez #SXSW pic.twitter.com/Up03dhasBT
— Data Defeats Truman (@DataDefeats) 12 mars 2016
Pour Kyle Britt et Michael Kinstlinger, les data ne peuvent pas forcément prédire les résultats, mais montrent des corrélations. Ted Cruz, le sénateur conservateur, candidat aux primaires républicaines, est à la traîne face à Donald Trump. A regarder de plus près les 78 emails qu’il a envoyés entre mi-janvier et mi-février, il apparaît que 22 d’entre eux sont arrivés dans les «spams», quand Donald Trump, sur la même période, fait dans la mesure: seuls 28 emails envoyés, assez peu personnalisés d’ailleurs, et 0 dans les spams.
On Super Tuesday, the candidate who sent the most email won, in every state. #SXSWDistilled #crm4prez pic.twitter.com/j4MNC13obV
— atenuta (@atenuta) 12 mars 2016
Quant aux réseaux sociaux, ils sont bien sûr utilisés à tire-larigot. Le risque? Que le candidat joue à «faire jeune». C’est le cas d’Hillary Clinton, lorsqu’elle demande à ses followers sur Twitter de décrire ce qu’ils pensent de leurs emprunts étudiants via des émoticônes, suscitant des moqueries en cascade.
How does your student loan debt make you feel?
Tell us in 3 emojis or less.— Hillary Clinton (@HillaryClinton) 12 août 2015
Bonne pioche en revanche pour Bernie Sanders qui, lorsqu’il parle de Snapchat, évoque un «Snapshot thing» et s’émeut qu’on ne lui laisse pas plus de quelques secondes pour parler. «En 2016, l’authenticité compte plus que la politique» en ligne, martèlent les conseillers.
What is this Snapshot thing and why do I only get ten seconds? pic.twitter.com/5RfsywwE2Z
— Bernie Sanders (@BernieSanders) 16 novembre 2015
Les Obamas en têtes d’affiche
Clou du spectacle de cette édition de South by South West, «les Obamas» sont de la partie, monsieur en ouverture, madame en fermeture. En trente ans de festival, c’est la première fois qu’un président en exercice monte sur la scène. Alors qu’il s’apprête à quitter le bureau ovale, il marche sur des œufs lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le chiffrement, une question ultra chaude depuis que le FBI demande à Apple la clé pour accéder au contenu du téléphone d’un des auteurs soupçonnés de la fusillade de San Bernardino, en Californie, ce à quoi Apple a opposé une fin de non recevoir.
“Really the reason I’m here is to recruit all of you.” —@POTUS at #SXSW2016 https://t.co/iRQakG5dda
— The White House (@WhiteHouse) 11 mars 2016
C’est l’un des sujets qui suscite le plus d’intérêt des participants du festival, note Quartz. Le président des Etats-Unis le sait bien et leur conseille de ne pas avoir de position «absolutiste», avant de jouer sur la corde sensible: «comment faire pour appréhender les auteurs de contenus pédophiles? Comment déjouer les plans terroristes? Il faut faire des concessions». Barack Obama, contre l’avis de la plupart des amateurs de nouvelles technologies, plaide pour «un système au chiffrement aussi fort que possible, à la clé aussi sécurisée que possible, mais accessible à un tout petit nombre de personnes, pour des problèmes précis et importants sur lesquels nous sommes d’accord».
Des propos qui, de l’autre côté de l’Atlantique, ont fait bondir Edward Snowden, lequel dit tout haut à Berlin ce que beaucoup de participants de South by South West pensent tout bas, dans la seule ville démocrate de tout le Texas: «nous avons un très gros problème lorsque le président des Etats-Unis peut arguer que la position qui fait consensus chez les experts est une position extrémiste.»
Le chiffrement est un sujet très politique qui peut peser plus qu’il n’y paraît dans la campagne présidentielle.
Pour Sam Esmail le chiffrement est un sujet “crucial” qui nourrira la saison 2 #mrrobot #sxsw @… https://t.co/OcHdkO5pyf
— Alice Antheaume (@alicanth) 13 mars 2016
Sam Esmail, le créateur de Mr Robot, également sur la scène d’Austin, s’est dit du côté de Tim Cook, le patron d’Apple, et a assuré que cette polémique «cruciale» allait nourrir la saison 2 de sa série. Applaudissements nourris dans la salle.
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Alice Antheaume, à Austin, Texas
lire le billetJournalisme après les attentats de Charlie Hebdo, nouvelle génération consommant des informations autrement, sociétés de nouvelles technologies dirigées par les data qu’elles récoltent, modèles économiques des plates-formes d’information, et robots… Voici quelques uns des mots qui ont occupé le devant de la scène à Munich, en Allemagne, lors de la conférence annuelle DLD consacrée à l’innovation, qui a accueilli près de 1.000 participants avant le forum économique de Davos. Compte-rendu.
Deux semaines après que la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée à Paris, le 7 janvier 2015, nombreux sont les intervenants de DLD à en avoir parlé. Un panel intitulé “Post Paris Journalism” a même été “improvisé”, selon les mots de Steffi Czerny, la fondatrice de la conférence, pour évoquer le choc immense des attentats survenus en France et la façon dont les journalistes, en France et à l’international, ont couvert ces événements.
Avec, toujours, cette interrogation: pourquoi des rédactions aux Etats-Unis comme CNN, Associated Press, le New York Times, ou en Angleterre Sky News, ont-elles refusé de publier les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo? Pour Bruno Patino, le directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1) invité à cette table ronde, “vu le contexte, il n’y a pas de question à se poser: il faut publier les caricatures”.
Ce à quoi Jeff Jarvis, qui s’était fendu d’un billet assassin à l’encontre du New York Times sur son blog, surenchérit: “ce qui est en danger, c’est la liberté d’expression. Or celle-ci fonctionne comme un muscle: il faut l’exercer sinon il risque de se ramollir”.
De son côté, Ulrich Reitz, de Focus, est plus réservé: “c’est évident qu’en France, la publication de ces dessins est liée au choc et à l’émotion. Mais au fond, je pense que le rôle du journalisme est davantage de décrire que de montrer”.
En coulisses, le débat continue en convoquant le philosophe allemand Max Weber et sa double éthique, celle de conviction et celle de responsabilité. La première suppose d’”agir en fonction de principes supérieurs auxquels on croit” quand la seconde pense aux conséquences et aux “effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir” d’une action, rappelle Didier Frassin, professeur à l’Université américaine de Princeton, dans une tribune à Libération. Donc pour résumer, les rédactions qui publient les caricatures sont dans l’éthique de conviction, tandis que celles qui s’y refusent sont dans l’éthique de responsabilité. Bien sûr, les premières ne sont pas pour autant irresponsables et les secondes sans idéal.
Autre sujet débattu après la tuerie de Charlie Hebdo: la tentation des gouvernements de surveiller davantage le Net pour traquer des potentiels terroriste. Les Etats-Unis ont adopté après le 11 septembre 2001 un “Patriot act” qui donne accès aux conversations des internautes sans autre démarche, et notamment sans passer par un juge.
En France, alors que le gouvernement vient d’annoncer ce mercredi une série de “mesures exceptionnelles” dont la “surveillance renforcée des communications et de l’Internet des djihadistes”, David Marcus, le vice-président de Facebook, a reconnu à DLD que “c’est toute la question après les attentats à Paris: comment trouver l’équilibre entre la protection de la vie privée de nos utilisateurs et l’impératif de sécurité?” Il répond que “c’est très difficile” tout en précisant que sa société retire en permanence des contenus qui font l’apologie du terrorisme ou des messages visant à embrigader des recrues, jusque dans la propre messagerie instantanée de Facebook. “Tout ce qui a trait à ces sujets est le plus souvent supprimé de notre plate-forme à la minute-même où on le voit”.
Les “millennials” sont comme ci, les “millennials” sont comme ça… Ce n’est pas la première fois que les 18-34 ans sont au centre de tous les discours – voir ce précédent WIP écrit en 2014 lors d’une conférence à Londres.
“Youtube atteint plus de millennials que la télévision (…). Facebook s’adresse à plus de 18-24 ans que n’importe quelle chaîne de télévision gratuite” aux Etats-Unis, annonce Henry Blodget, le rédacteur en chef de Business Insider, lors d’une présentation percutante. Pour lui, le changement à venir est “générationnel” et “ce n’est que le début”. En effet, lorsqu’on demande aux 16-24 ans ce qui leur manquerait le plus, ils répondent leur smartphone, suivi de leur ordinateur, quand tous les adultes confondus disent que ce serait regarder la télévision qui leur manquerait le plus.
C’est vrai que ces jeunes regardent moins la télévision au sens classique du terme mais, “en réalité, c’est plus compliqué que cela car ils consomment des vidéos sur diverses plates-formes”, analyse Linda Abraham, co-fondatrice de l’institut de mesure Comscore.
Pour les médias, savoir comment s’adresser à cette nouvelle génération, synonyme de “disruption” à tous les étages (il existe même un “Millennial disruption index”, de son petit nom MDI), est clé. Au regard des chiffres cités ci-dessus, le mobile est devenu le cordon ombilical entre les informations et l’audience, d’autant qu’il a permis d’allonger le nombre d’heures quotidiennes de consommation à 18h par jour, contre 9h avant lorsqu’il n’y avait que l’ordinateur. “Plus il y a d’écrans, plus on passe de temps sur chaque support”, conclut Linda Abraham.
En outre, selon une étude du cabinet Deloitte, ces “millennials” vont, en Amérique du Nord, dépenser 62 milliards de dollars en 2015 pour acheter des contenus, soit 750 dollars par personne, ce qui représente une “contribution significative” de la part d’une génération accusée de ne pas payer en ligne, note l’institut.
Jamais les sociétés de nouvelles technologies n’ont autant été dirigées par les données qu’elles récoltent. Au point qu’elles peuvent presque tout anticiper. Amazon sait ce dont vous avez besoin avant que vous l’achetiez. Facebook sait qui vous comptez draguer. Google sait, parfois avant les intéressées elles-mêmes, qu’elles sont enceintes.
Chez Uber, il y a un département dédié à l’analyse des data. Et quand ils recrutent leurs analystes, ils dégainent l’artillerie lourde pour les séduire: plus de 400.000 dollars bruts annuels, et des vacances illimitées… du moins quand le travail est fait (“travaillez dur et prenez du temps pour vous quand vous en avez besoin”, est-il écrit sur cette offre d’emploi).
A DLD, Travis Kalanick, le patron d’Uber, n’a pas révélé tout ce qu’il sait de notre façon de circuler dans les grandes villes, de nos horaires, de nos lieux de vie, même s’il a proposé de partager ces données comme il le fait déjà avec la ville de Boston. Un outil pour éviter les embouteillages? Travis Kalanick dit “arriver à connaître, 15 minutes à l’avance, les zones où il va y avoir de fortes demandes”, des données qui sont envoyées illico aux chauffeurs afin qu’ils se positionnent. Il sait aussi que la plupart des 500.000 utilisateurs d’Uber en France montent ou descendent d’une de leurs voitures à environ 1 kilomètre d’une station de métro. Un argument dont il use pour assurer que son service est un “complément des transports en commun existants”.
Surtout, c’est “armé de données”, comme le note ce blog du Financial Times, que Travis Kalanick a délivré sa stratégie pour l’Europe le temps d’un discours très “médiatrainé”, comme le relèvent plusieurs observateurs. Il compte créer 50.000 nouveaux emplois en Europe – pour l’instant, il en recense 3.750 à Paris et 10.000 à Londres.
Comment fonctionnent les modèles des contenus numériques? Tel est l’intitulé d’un autre panel à DLD, dont les intervenants n’ont pas manqué de s’écharper. “De nouvelles marques de contenus émergent auxquelles se connecte une nouvelle génération d’utilisateurs”, s’enthousiasme Lockhart Steele, le directeur éditorial de Vox Media. “Vous devez être un gros poisson ou bien rentrer chez vous”, lui répond Martin Clarke, le directeur de publication du Mail Online, le plus gros site d’actualités du monde en anglais, dont les compétiteurs, assène-t-il, s’appellent Buzzfeed, Yahoo! et AOL. Du lourd, donc.
“Si vous avez besoin de chercher votre audience sur Internet, vous êtes mort”, continue-t-il. “Vous devez avoir une marque que les gens connaissent et visitent” via la page d’accueil (par laquelle passe 60% de l’audience du Mail Online en Angleterre, 40% de l’audience aux Etats-Unis), une entrée qui a moins la cote pourtant, comme le relève notre enquête. “Plus on met des articles sur la page d’accueil, plus on récolte de clics”, tranche Martin Clarke.
Les moteurs de recherche n’ont pas dit leur dernier mot. D’autant qu’une récente étude les sacre comme des sources d’actualités plus fiables que les sources d’informations qu’ils agrègent, notamment auprès des jeunes. “10 millions de clics en un mois octroient aux médias 9 millions de dollars par an”, assure Peter Barron, le directeur de la communication de Google en Europe, Moyen-Orient et Afrique.
“Il ne faut pas compter sur une seule source de revenus”, ajoute le patron du Mail Online, mais “proposer un package aux annonceurs, avec du native advertising, du display, des vidéos”.
Quant aux réseaux sociaux, Facebook en tête, ils sont à la fois vus comme un vivier d’audience féminine et un pourvoyeur de trafic de plus en plus important. “Pour l’instant, Mark Zuckerberg (le patron de Facebook, ndlr) met du bon contenu dans le newsfeed de Facebook, tant mieux pour nous. Mais si, en se levant demain, il décide du contraire, mieux vaut ne pas en dépendre”, conclut Lockhart Steele.
Je vous bassine souvent avec les robots, c’est vrai. Lors de la conférence DLD, j’ai rencontré Arthur, un humanoïde plus vrai que nature. Fabriqué par la société Hanson Robotics, il est doté d’une multitude de micro-processeurs capables de faire bouger ses joues, ses yeux, son nez, ses lèvres, ses sourcils pour avoir les expressions du visage les plus “naturelles” possibles, le tout sur simple commande, via smartphone.
Le résultat est bluffant. Même la caméra de mon smartphone a été leurrée et a identifié le visage d’Arthur comme celui d’une vraie personne lorsque je l’ai pris en photo.
La mission d’Arthur? Aider les personnages âgées et les enfants autistes au quotidien. “Pour que des machines deviennent nos compagnons de vie, il faut que l’on ait l’impression qu’elles puissent nous comprendre”, expliquent David Hanson et Jong Lee, de Hanson Robotics, qui feignent de s’interroger: “qui aurait la patience de sourire et de surveiller la pression artérielle de nos aînés non stop, 24h/24, 7 jours sur 7?”.
Pour Chris Boos, un spécialiste de l’automatisation, l’apparition de telles machines dans la vie quotidienne est la suite logique d’une mutation déjà en oeuvre. “Cela fait longtemps que l’on fait travailler les gens comme des machines avec des process en tout genre. Les métiers se prêtant au remplacement des hommes par des robots (ici, des assistants médicaux, ndlr) sont le plus souvent déjà automatisés dans les pays occidentaux”.
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Alice Antheaume
(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
lire le billet«Nous vivons l’âge d’or du journalisme». «La liberté de la presse est le fondement de toute démocratie». Telles sont quelques unes des phrases que deux étudiants de l’Université de Boston ont le plus entendues cette année de la bouche de journalistes professionnels venus leur parler. Pour en rire, ils ont en fait un bingo, crayonné à la va-vite. Cela m’a donné l’idée de réaliser, à mon tour, une grille de bingo avec les questions qui reviennent le plus souvent de la part des étudiants et des journalistes professionnels. Et, sous la grille, des tentatives de réponses claires.
Ce que pense celui qui pose cette question : Enquêter en ligne, ce n’est pas de la vraie investigation journalistique.
Réponse : Oui, on peut enquêter derrière un écran. L’activité des internautes, de tous ceux qui s’expriment sur le réseau, évoquant ici des sujets professionnels ou là la situation sociale, économique ou politique de leur pays, s’observe au moins autant que la vie des citoyens dans la rue. C’est même un terrain inépuisable qui mérite bien sûr une couverture éditoriale. Derrière un écran, les journalistes peuvent aussi interroger des chiffres extraits de bases de données, comme cela a été fait avec le projet «The migrant files», qui retrace le parcours de plus de 23.000 migrants ayant trouvé la mort sur leur chemin vers l’Europe depuis 2000. Un travail titanesque. Autre exemple d’investigation faite à partir de données en ligne et publiée sur lemonde.fr: comment est répartie la réserve ministérielle? Autant dire que la qualité d’une enquête ne tient pas à la fraîcheur de l’air que le journaliste respire mais à ce travail scrupuleux, laborieux même, de décorticage d’éléments (données ou autres) en vue de trouver une information inédite.
Ce que pense celui qui pose cette question : Le journalisme numérique, ce n’est pas du vrai journalisme.
Réponse : Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes numériques travaillant sur des sites des presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. RTL.fr délègue la production de ses dépêches à… l’AFP. Lefigaro.fr envoie en reportage longue durée des journalistes du Web, pour couvrir des événements comme le festival de Cannes ou des courses de voile. Quatre journalistes du Monde.fr ont été envoyés au festival South by South West à Austin. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne. Pour ce faire, ils ont besoin de journalistes sachant jongler entre la production en temps réel (tweets, vidéos, photos) et celle de longs formats, papiers magazines, dans une temporalité moins chaude.
Ce que pense celui qui pose cette question : Ce serait quand même bien qu’ils paient pour avoir accès à des informations.
Réponse : Selon le rapport Digital News Report 2014 du Reuters Institute for the Study of Journalism, une personne sur dix seulement a payé – pour un article ou pour un abonnement – pour accéder à de l’information en ligne en 2013 en Angleterre, France, Allemagne, Italie, Finlande, aux Etats-Unis et au Japon, Danemark et Brésil. Quant aux sondés ayant déclaré n’avoir pas payé pour des contenus en ligne l’année dernière, ils ne sont pas tous prêts à le faire dans le futur – en France seuls 11% seulement d’entre eux s’y disent plutôt favorables, quand, au Brésil, le pourcentage monte à 61%.
Ce que pense celui qui pose cette question : Mais comment va-t-on s’en sortir?
Réponse : C’est l’obsession d’un nombre grandissant de rédactions françaises – Lepoint.fr, Lexpress.fr, lefigaro.fr, même si, pour l’instant, la stratégie du paywall n’a pas vraiment fait ses preuves. «On voit souvent qu’au moment de leur lancement, les paywalls et applications payantes trouvent une croissance facile pendant un temps, mais ensuite il y a un décrochage – même les lecteurs fidèles s’épuisent», analyse Nic Newman, le rapporteur du Digital News Report 2014. Pour réussir son paywall, deux conditions sont nécessaires, a déjà écrit Frédéric Filloux, auteur de la Monday Note:
1. avoir des contenus à haute valeur ajoutée qui justifient qu’ils soient payants (voilà pourquoi l’information économique et financière a plus de chance d’être monnayée que de l’information généraliste)
et 2. disposer d’un spécialiste des données et statistiques qui traque les itinéraires des utilisateurs, pour comprendre pourquoi, quand ils se heurtent au paywall, ils font machine arrière ou, à l’inverse, décident de s’abonner.
Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?
Réponse : Parce que tous les reportages n’ont pas vocation à figurer sur la une du site, surtout lorsque la temporalité ou le sujet ne s’y prête pas. Consolation ou non, les unes des sites d’information ne sont pas toujours des carrefours d’audience. Ce qui compte, c’est que le reportage soit en ligne, et qu’il puisse être partagé sur les réseaux sociaux et référencé dans les moteurs de recherche.
Ce que pense celui qui pose cette question : Qu’est-ce que c’est que cette hiérarchie des informations?
Réponse : En ligne, on ne hiérarchise pas les informations comme on le ferait dans un journal télévisé ou sur la couverture d’un magazine. Certes, toutes les informations ne se valent pas, mais leur emplacement n’est pas le seul critère pour déterminer leur importance. Il faut compter avec l’enjeu du taux de rebond des sites d’informations. Pour éviter que les internautes s’en aillent aussi vite qu’ils sont venus, l’architecture d’une page est travaillée de telle sorte que le visiteur puisse, après avoir atterri sur un contenu, en butiner d’autres – d’où des liens omniprésents, des colonnes remplies de recommandations, etc. Chacun comprendra qu’après la lecture d’un reportage sur l’offensive à Gaza une brève sur Rihanna puisse constituer une pause appréciable pour le visiteur qui, au final, reste plus longtemps sur le média.
Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?
Réponse : Le push sur mobile est un art compliqué. Il ne faut pas s’y tromper, car les alertes sont à double tranchant : envoyées au bon moment, et sur les bons sujets, elles boostent l’audience de façon phénoménale et poussent le lecteur à ouvrir l’application, tout en «lissant» les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Mais, trop fréquentes ou mal éditées, elles peuvent provoquer l’agacement des utilisateurs. Hors de question, donc, d’envoyer 30 alertes par jour au risque de perdre ses abonnés. Il faut choisir les contenus à «pusher» et ne pas systématiser ce traitement.
Ce que pense celui qui pose cette question : Les journées ne font que 24 heures.
Réponse : Les réseaux sociaux ne sont plus une option pour les journalistes en exercice, à la fois pour y faire de la veille, pour y trouver des témoins et pour interagir avec leurs lecteurs. Il faut donc s’organiser autrement pour trouver le temps, non seulement d’y aller, mais aussi d’y «cultiver son jardin» en mettant à jour la liste des personnes que l’on suit en fonction de l’actualité. Par ailleurs, les réseaux sociaux ne se réduisent pas à Facebook et Twitter, il y a aussi Reddit ou Pinterest, lequel apporterait maintenant à Buzzfeed plus de trafic que Twitter parmi les réseaux sociaux pourvoyeurs d’audience.
Ce que pense celui qui pose cette question : Dites moi qu’il vaut mieux vérifier.
Réponse : Il y a une tension évidente entre, d’un côté, l’instantanéité de l’information et, de l’autre, l’impératif de vérification journalistique. Dans tous les cas, il vaut mieux prendre le temps de vérifier. Car la faute de carre, si vite arrivée en temps réel, entame durablement la crédibilité d’un journaliste qui se serait trompé. La radio américaine NPR a dû le rappeler à toutes ses troupes ce mois-ci: «tweeter ou retweeter, c’est cautionner l’info». «C’est comme si vous disiez le tweet ou le retweet à l’antenne. Donc si cela nécessite du contexte, une source, des éclaircissements ou même un démenti, donnez-le.»
Ce que pense celui qui pose cette question : C’est mission impossible, non?
Réponse : C’est une question de méthodologie. Il y a cinq étapes, détaillées ici, pour s’assurer qu’un témoignage, publié sur un réseau social, est authentique, ou qu’une image n’est pas un photomontage ou un vieux cliché ressorti des limbes. Il faut commencer par identifier l’auteur du contenu, fournir le contexte, recouper l’information, décoder la technique et surveiller ce qu’il s’en dit sur le réseau. Dernier conseil, il faut songer à prendre des captures d’écran de tous les éléments repérés en ligne (tweets, photos, messages) et les enregistrer hors ligne (vidéos) – ils peuvent disparaître ou être modifiés à tout moment.
Ce que pense celui qui pose cette question : Je joue le jeu de l’interaction, et c’est tout ce que j’obtiens, comme gratification?
Réponse : L’univers numérique est peuplé de trolls. «A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», déplore Nick Denton, de Gawker. En ligne, c’est vrai, une foule de commentaires toxiques ou insultants le dispute à quelques interactions pertinentes. Ne perdez pas patience, et, surtout, ne répondez pas aux insultes – allez plutôt prendre un café ou punaisez les pires saletés repérées en ligne sur le mur pour amuser la galerie, cela permet de relativiser.
Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.
Réponse : Mauvaise idée. Quand on est journaliste, les tweets que l’on écrits, les retweets que l’on fait, engagent la rédaction pour laquelle on travaille. Même il est écrit l’inverse dans sa biographie.
Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.
Réponse : Mauvaise idée. Reuters l’a un temps préconisé en 2010 mais en est revenu depuis. L’agence préconise désormais de contextualiser les messages postés en ligne en précisant dans son guide : «vous devez vous identifier comme journalistes de Reuters et déclarer au besoin que vous parlez pour vous, pas au nom de Thomson Reuters».
Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on utiliser un vocabulaire plus précis, s’il vous plaît?
Réponse : A chaque conférence ou table ronde sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi. A l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles. Dans l’univers journalistique, c’est quasi devenu un mot valise qui désigne à la fois la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs, les types d’interactions de l’audience avec les contenus et leur mesure. Pour savoir qui l’emploie dans quel sens dans les rédactions françaises et anglo-saxonnes, par ici.
Ce que pense celui qui pose cette question : Je suis journaliste. Peut-on me demander d’être serveur?
Réponse : Cette expression, beaucoup utilisée en début d’année pour évoquer l’avenir de Libération, signifie trouver des revenus autrement qu’en produisant des informations. Par exemple en proposant des formations (Rue89, France24/RFI), en se tournant vers l’événementiel (Le Télégramme et l’organisation de courses de voile, Amaury, éditeur du Parisien-Aujourd’hui en France, et l’organisation du Tour de France, les forums Libé, la fête de l’Huma, le festival Le Monde en septembre prochain, etc.), ou en créant des technologies que l’on peut revendre ensuite à d’autres… L’idée, au final, c’est de suppléer les revenus moribonds autrefois générés par la publicité. Et non, un employeur ne peut pas demander à un journaliste de devenir serveur.
Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on avoir une vision éditoriale plus précise, s’il vous plaît?
Réponse : On attend des journalistes numériques qu’ils testent des nouvelles interfaces, des nouveaux formats, de nouvelles formes d’interactions avec l’audience. Bref qu’ils expérimentent, avec un état d’esprit proche de la version beta permanente. L’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année. «L’expérimentation, ce n’est pas seulement essayer quelque chose de nouveau, c’est adopter une méthode rigoureuse, scientifique, pour éprouver des nouveautés et les tordre dans tous les sens pour les rendre les plus performantes possibles», est-il écrit dans le mémo du New York Times. Et de citer l’exemple de la page d’accueil de The Verge, qui a été redessinée 53 fois en deux ans.
Ce que pense celui qui pose cette question : Que devrait-on changer pour survivre?
Réponse : Personne ne le sait. Une chose est sûre, les vieux modèles ne fonctionnent plus – paywalls, modèles basés sur les revenus publicitaires, applications payantes… Si, pour David Spiegel, de Buzzfeed, le salut figure dans le «native adversiting» – 40% des 10 milliards de dollars investis dans des publicités sur les réseaux sociaux d’ici 2017 -, pour Justin Ellis, du Nieman Lab, la clé pour fonder un modèle viable, c’est de récupérer toutes les données possibles sur son audience. «Qui sont vos lecteurs? Combien de temps passent-ils avec vous? Combien dépensent-ils pour vous? Où habitent-ils? Combien gagnent-ils?» Cela signifie avoir un système d’analyse des statistiques ultra performant. «Regardez Netflix», continue Justin Ellis. «Ils savent quelle série va plaire à leur audience, car ils vous connaissent très bien. Des centaines d’ingénieurs travaillent sur l’algorithme de Netflix pour encore mieux vous cerner et savoir quel programme ils vont vous proposer – parce qu’ils sont sûrs que vous allez le regarder».
Ce que pense celui qui pose cette question : Où pourrais-je travailler?
Réponse : Difficile de répondre à cette question en quelques lignes tant le spectre des employeurs est large – télévisions, chaînes d’information en continu, boîtes de production, agences de presse, sites de presse, pure-players et même nouveaux entrants comme Buzzfeed, Circa, et bientôt Briefme, le nouvel projet de Laurent Mauriac, ex-Rue89, ou NOD: News On Demand, un service de rattrapage de l’actualité développé par Marie-Catherine Beuth, ou encore GoMet, sur l’actualité de la métropole d’Aix Marseille Provence, créé par Amandine Briand, diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, lauréate de la bourse start-up de l’information de Google, pour lequel elle vient de recruter un journaliste, Jérémy Collado, ancien de sa promotion.
Les chiffres sur les secteurs où travaillent les journalistes disposant de la carte de presse en France sont peu fiables. Selon les statistiques de 2013, le plus gros des troupes travaillerait en “presse écrite” (66%), une catégorie un peu fourre-tout qui comprend la presse quotidienne nationale, la presse quotidienne régionale, les agences de presse comme Reuters ou l’AFP, mais aussi les sites d’informations des quotidiens et magazines ainsi que les pure players. Pas étonnant, donc, que cette catégorie fasse le plein, devant la télévision (14,8%), la radio (9,5%) et la production audiovisuelle (2,5%). Quant à la véritable part du numérique dans les embauches, elle est sous-estimée car, toujours selon ces statistiques de la CCIJP, la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, ceux qui travaillent, par exemple, pour les sites de Radio France sont répertoriés dans la catégorie radio tandis que ceux qui produisent sur France TV Info figurent dans la catégorie télévision.
Ce que pense celui qui pose cette question : Eux ont l’air de réussir, et si on faisait pareil?
Réponse : Le New York Times est une licorne qui peuple l’imagination de nombreux responsables de rédaction, lesquels tentent de calquer leur stratégie éditoriale sur une utopie. Mais encore faudrait-il pouvoir comparer ce qui est comparable. Car qui a un service de 445 développeurs et la capacité de dédier une vingtaine de journalistes, encadrés le lauréat de deux prix Pulitzer, pour une application mobile comme celle lancée en avril, NYT Now? Malheureusement personne en France.
Ce que pense celui qui pose cette question : On en produisant déjà quand le numérique n’était pas encore né.
Réponse : L’infographie est en effet un format vieux comme l’imprimé. Mais elle fait florès en ligne grâce aux outils comme Datawrapper ou Infogr.am. Elle devient alors «embeddable», donc partageable… Si elle agrège des données, et les rend lisibles à grands renforts d’effets visuels, cela peut s’appeler de la data visualisation. Le pure-player Quartz en a fait l’un de ses ingrédients-clés, au point d’avoir développé en interne un outil appelé Chartbuilder pour permettre à des journalistes «dont les compétences sont limitées de créer des graphiques». «Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney, le rédacteur en chef de ce site dont la moitié des contenus publiés comportent des graphiques. Prochain enjeu pour l’infographie? La rendre mobile compatible.
Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «Web first»?
Réponse : «Web first, print later» (le Web d’abord, le print ensuite), peut-on lire sur le site de la Columbia Review. C’est l’idée de publier d’abord en ligne avant de songer à ce qui sera imprimé ou diffusé à l’antenne. Cela suppose, dans les médias traditionnels, une réorganisation totale du circuit de la copie avec des conférences de rédaction qui déterminent les contenus numériques à publier avant de décider de la nature des publications pour l’imprimé, l’antenne, etc. Cela suppose aussi une révision du management avec le recrutement de profils sachant diffuser, promouvoir, susciter le partage des contenus, parler le langage des journalistes et celui des développeurs et lancer des innovations à la fois éditoriales et technologiques.
Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «mobile first»?
Réponse : Si «Web first» signifie «Web first, print later», alors «mobile first» devrait signifier «mobile first, desktop later» (le mobile d’abord, le site ensuite). De fait, tous les signaux sont au vert pour que 2014 soit «l’année de la mobilité», comme l’a dit Isabelle André, présidente du Monde Interactif, lors du lancement de la nouvelle application du Monde. Pour l’instant, les rédactions traditionnelles ont tendance à faire les mêmes erreurs que lorsque le Web est arrivé, c’est-à-dire qu’elles dupliquent sur mobile ce qui existe déjà sur leur site d’informations, comme elles dupliquaient sur le Web ce qu’elles produisaient déjà pour l’imprimé. Or il faudrait sans doute, pour bien faire, proposer d’autres formats, et sans doute d’autres sujets aussi, pour le mobile que ce qui est publié sur le site. Avec, en plus, une rédaction dédiée au mobile.
Ce que pense celui qui pose cette question : Est-ce que l’évolution de notre profession va me plaire?
Réponse : Vu l’ampleur de la mutation du journalisme ces 10 dernières années, entre 2004 et 2014, on peut sans risque anticiper des bouleversements dans les pratiques et les usages au moins aussi extraordinaires pour la prochaine décennie. Au programme: cap sur le mobile, beaucoup de data, du journalisme sécurisé et la cohabitation avec des algorithmes. Plus sans doute d’autres expériences de consommation d’information qui ne sont pas encore nées.
Si j’ai oublié des questions à ce bingo, n’hésitez pas à me les signaler, sur Twitter ou sur Facebook.
Alice Antheaume
lire le billet“Le New York Times fait du bon journalisme mais ne maîtrise pas l’art de faire venir les lecteurs à son journalisme”. Le rapport interne intitulé “Innovation” du New York Times, qui a fuité sur le Net il y a quinze jours, est une saine lecture. Parce qu’il dresse un portrait sans concession de l’une des rédactions les plus prestigieuses au monde, laquelle n’a pourtant – comme beaucoup d’autres d’ailleurs – pas encore saisi l’urgence à évoluer pour survivre à l’ère numérique. Si vous avez la flemme de parcourir l’intégralité de ses quelque cent pages en anglais, voici ce qu’il faut en retenir.
A noter, le New York Times veut revoir la configuration de sa réunion réservée aux chefs et dévolue à la couverture du quotidien, la fameuse “Page One”, pour l’axer davantage sur le numérique. Cette annonce survient alors que le rapport déplorait la trop grande attention portée à cette couverture au détriment d’autres enjeux éditoriaux, et notamment le mobile, la vidéo, etc.
The Full New York Times Innovation Report
Les compétiteurs du New York Times ne s’appellent ni CNN ni le Wall Street Journal, mais Buzzfeed, Circa, Flipboard, Yahoo! News, Quartz. Tous des pures-players qui, sans le carcan des organisations traditionnelles, sans le poids des traditions, se concentrent sur le développement de l’audience via des équipes chevronnées en la matière. Résultat, “The Huffington Post et Flipboard font venir une plus grosse audience sur les contenus du New York Times qu’ils agrègent que ce que nous arrivons à faire nous-mêmes”.
Un comble alors que les rédacteurs en chef du New York Times “passent beaucoup de temps à lire les productions des autres rédactions”, mais n’analysent ni leurs stratégies éditoriales sur mobile, ni leur présence sur les réseaux sociaux, quand ils n’oublient pas de regarder ce que font ces nouveaux entrants, qu’ils ont du mal à considérer comme des rivaux sérieux.
Le rapport le martèle: du sol au plafond, il y a urgence à bouger et à se débarrasser de cette culture du papier qui handicape la mutation numérique du New York Times. “Cela ne suffit pas d’être une rédaction intégrée. Nous devons être une rédaction numérique, dans laquelle un petit groupe s’occupe du print”, lâche un éditeur du titre.
Car, même si les trois quart des revenus proviennent encore du papier (abonnements et publicités), les lecteurs, eux, sont en majorité présents sur le numérique (Facebook, Twitter, abonnés aux newsletters, aux alertes, lecteurs sur mobile ou ordinateur…).
Trop souvent les journalistes du New York Times considèrent que leur travail est terminé sitôt leur article publié, alors qu’en ligne, tout commence à ce moment-là. “Quand nous n’étions qu’un journal, se focaliser sur l’imprimé faisait sens. Mais nous devons maintenant jongler entre le papier, le Web, les applications, les newsletters, les alertes, les réseaux sociaux, les vidéos, une édition internationale et d’autres produits encore” comme la récente application mobile NYT Now.
Problème, dans la rédaction du New York Times, ce qui n’est pas du pur journalisme – comprendre l’écriture – paraît être un gros mot. Connaître son audience et savoir où et comment la trouver ne fait donc pas partie des priorités. En interne, il y a un vrai mur entre l’Eglise et l’Etat, entre la rédaction et les autres services, lesquels sont pourtant richement dotés (30 dans le service “Analytics” qui décortique les statistiques, 445 développeurs, 120 chefs de projet, 30 graphistes). Eux bouent de ne pas connaître les requêtes des journalistes pour remplir leur mission, et la rédaction nourrit une peur viscérale de se faire “manipuler” par des intérêts marketing quand elle n’est pas débordée par le quotidien.
“Améliorer les passerelles et les collaborations avec les ingénieurs, les graphistes, ceux qui s’occupent des statistiques et des données, et ceux qui font de la recherche et du développement, ne représente aucune menace pour nos valeurs journalistiques”, insistent les auteurs pour évangéliser leurs collègues.
De ce mur étanche découlent des décisions éditoriales à côté de la plaque: la majorité des contenus sont publiés le soir alors que le prime time, en ligne, a lieu le matin tôt; des informations de qualité sont mises en ligne le dimanche, un jour pourtant peu fréquenté en ligne. Grâce aux statistiques, cela serait pourtant vite corrigé.
Comment, dans ces conditions, l’audience peut-elle croître? Et, conséquence indirecte, comment le New York Times peut-il attirer des génies du numérique si la direction du titre se focalise sur le papier?
En effet, la gestion des ressources humaines n’est pas épargnée dans ce rapport. Là encore, la culture du print a tendance à régir les recrutements. Ce qui compte pour être embauché ou promu au New York Times, c’est d’être un bon reporter. Or cette qualité, si elle était essentielle lorsque les journaux étaient hors ligne – quoique cela se discute pour les postes de rédacteurs en chefs -, ne suffit plus aujourd’hui. Connaître son audience, savoir diffuser, promouvoir, susciter le partage, et lancer des innovations à la fois éditoriales et technologiques, sont d’autres compétences nécessaires. Mieux encore, il faut trouver des profils sachant parler le langage des journalistes et celui des développeurs.
D’ailleurs, la partie la plus intéressante du rapport détaille les raisons pour lesquelles des employés travaillant sur le numérique au New York Times sont partis. “Quand il te faut vingt mois pour construire quelque chose, tu progresses moins en capacité à innover qu’en capacité à naviguer au milieu d’une bureaucratie”, fustige l’un. “Je suis parti pour prendre des responsabilités plus vite ailleurs, dans un environnement moins rigide et pourvu d’une meilleure connaissance des réelles possibilités offertes par le journalisme numérique”, précise un autre. En creux, il transparaît que les compétences de ces profils numériques ne sont pas reconnues comme telles par leurs chefs.
Pire, quand ils ne sont pas journalistes, les employés travaillant au développement, au marketing, sur les données, ne comprennent pas pourquoi ils devraient rester en seconde zone. Car l’autre handicap du New York Times, c’est que les services non journalistiques ne cohabitent pas avec la rédaction. L’un des responsables de la section “Reader Experience” le regrette: “si nous ne servons pas la rédaction, nous ne pouvons pas faire notre métier”.
Un ancien d’Upworthy, Michael Wertheim, a même refusé de rejoindre le New York Times. Selon lui, la mission qui lui aurait été dévolue aurait été impossible tant que la rédaction n’acceptait pas de travailler avec le marketing pour réussir à faire décoller son audience. Quant aux développeurs de génie, très demandés par ailleurs, ils ne peuvent se satisfaire de la situation. Kevin Delaney, le rédacteur en chef de Quartz, le sait bien: “les développeurs comprennent ce qu’il faut faire quand ils impliqués dans le quotidien des journalistes. Ils ne prennent pas d’ordre” sans voir.
Conséquence, l’expérimentation n’est pas au niveau. Celle-ci ne se réduit pas à SnowFall, un format salué partout. “L’expérimentation, ce n’est pas seulement essayer quelque chose de nouveau, c’est adopter une méthode rigoureuse, scientifique, pour éprouver des nouveautés et les tordre dans tous les sens pour les rendre les plus performantes possibles”. Et de citer l’exemple de la page d’accueil de The Verge, qui a été redessinée 53 fois en deux ans.
“Je préfère avoir un outil pour faire des SnowFall plutôt que d’avoir un seul SnowFall”, reprend Kevin Delaney, de Quartz. Lui a un outil, appelé Chartbuilder, développé en interne, conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques». Dans le même esprit, Buzzfeed a développé son propre outil de quiz.
Là aussi, les concurrents du New York Times ont une longueur d’avance. Plutôt que de s’investir dans un contenu unique comme SnowFall, ils construisent la technologie qui va leur permettre de systématiser les SnowFall en déclinant le format en fonction de l’histoire racontée. Une logique qui n’est pas celle du New York Times. Or, selon Jonah Peretti, le patron de Buzzfeed, rater la marche pour effectuer de tels investissements – dans les formats, les outils d’analyse, l’optimisation – est quasi inrattrapable.
Les auteurs du rapport enfoncent le clou en démontrant qu’il n’y a pas de réel suivi des projets au New York Times, qu’ils soient réussis ou ratés. “Notre page d’accueil dédiée à une audience internationale ne marche pas, mais nous continuons à y consacrer des ressources (…) Nous avons fermé The Booming Blog mais sa newsletter est toujours en activité.” Certes, tirer les leçons des échecs ou des semi-échecs est difficile mais c’est une pratique très usitée chez les mastodontes du Web – “Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques”, argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche Google.
Au New York Times, “nous aimons laisser notre travail parler de lui-même. Nous ne sommes pas du genre à nous en vanter”, pointe encore le rapport. Autant dire que cette attitude n’est pas adaptée à l’ère des réseaux sociaux, où l’offensive est de mise. Même Pro Publica, que le rapport compare à un “ bastion de journalistes old-schools”, s’y est mis. Ils doivent soumettre, pour chaque papier, pas moins de cinq tweets. Au Huffington Post, un contenu ne sort pas sans titre SEO, sans photo, sans tweet ni post sur Facebook.
Rien de tout cela au New York Times, dont 10% seulement du trafic provient des réseaux sociaux – alors qu’à Buzzfeed, c’est 75%. D’ailleurs, c’est assez incongru pour être mentionné, ce sont des journalistes qui s’occupent du compte Twitter, mais la page Facebook du New York Times est, elle, gérée par le marketing. En la matière, les journalistes sont, précise le rapport, en manque de repères. Ils hésitent encore entre engager une conversation avec leurs lecteurs sur les réseaux sociaux ou tout couper pour produire un autre papier.
D’autant qu’au New York Times comme ailleurs, la mutation des usages a bouleversé la consommation d’informations qu’ont les lecteurs. “Notre page d’accueil, qui a longtemps été notre principal outil pour attirer des lecteurs, s’est fanée. Seul un tiers de nos visiteurs y passe. Et ce tiers y passe de moins en moins de temps.” Une tendance que l’on retrouve aussi sur les sites d’informations français dont la page d’accueil n’est plus un carrefour d’audience mais reste statutaire, comme ce WIP l’avait montré.
Quant aux alertes du New York Times, elles atteignent près de 13,5 millions de lecteurs, soit 12 fois plus que le nombre d’abonnés de l’imprimé. Là aussi, on connaît la force des pushs sur mobile, par exemple sur une application comme celle du Monde.
Malgré cela, l’engagement de l’audience reste faible, ce dont témoigne aussi le système de commentaires – 1% seulement des lecteurs commentent les contenus, et seuls 3% d’entre eux lisent ces commentaires. C’est d’autant plus dommage que le New York Times est lu par des lecteurs très influents qui n’ont de cesse de proposer des tribunes – environ 12 par jour qui, bien sûr, ne peuvent pas être toutes éditées dans la section “Opinions”. Pourquoi ne pas lancer des plates-formes hébergeant ces propositions écrites par des invités?, demandent les auteurs du rapport, rappelant que “beaucoup d’éditeurs en tirent une hausse d’audience”, comme Medium.
L’une des pistes avancées pour renouer avec la communauté du New York Times? Créer des événements – comme Libération et ses forums et le nouveau festival lancé par Le Monde. “On se demande pourquoi les conférences TED, dont le ticket d’entrée aux Etats-Unis coûte 7.500 dollars, n’auraient pas pu être imaginées par le New York Times”, déplorent les auteurs, citant la théorie selon laquelle l’engagement en ligne s’apparenterait à un cocktail. “Les gens ne veulent pas parler à des étrangers, ils veulent parler à leurs amis et à des personnalités importantes”. Et de conclure: “si Facebook s’occupe de la partie amis, le New York Times pourrait gérer la partie VIP” avec, par exemple, un festival payant qui aurait lieu chaque année et proposerait des tables rondes sur les informations les plus importantes de l’année, des interviews avec les reporters du New York Times, des séances vidéos et photos, etc.
Autre lacune identifiée dans le rapport: les contenus du New York Times ne sont pas tagués correctement. Et pourtant, il y en a beaucoup – 14,7 millions de contenus, de 1851 à nos jours. De plus, chaque jour, le New York Times génère environ 300 liens supplémentaires. Une richesse inouïe d’archives qui pourraient être ressortis facilement si tant est qu’on puisse les identifier via des métadonnées associées. Or “vos archives sont remplis de trucs qui n’ont aucune valeur puisque vous ne pouvez pas les retrouver et vous ne savez pas de quoi ces trucs parlent”, juge John O’Dononvan, du Financial Times.
Sans structure organisée à la Netflix, et “même s’ils sont difficiles à trouver lorsqu’ils datent de plus d’une semaine”, les contenus arts et culture sont parmi les plus lus bien après leur publication, selon une étude effectuée sur les six derniers mois de 2013. C’est logique puisque les lecteurs ont besoin de la critique d’un film, d’un spectacle, au moment où ils souhaitent les voir – et pas forcément quand le journaliste a rendu son papier.
Les auteurs du rapport proposent que, lorsqu’un lecteur arrive à proximité d’un restaurant sur lequel le New York Times a écrit, il se voit proposer automatiquement sur son smartphone ce contenu – comme le fait Foursquare, qui sait dans quel coin vous êtes et peut vous proposer des commentaires de vos amis sur les lieux avoisinants. “Alors que 60% de nos lecteurs nous lisent via mobile, nous ratons l’occasion de leur servir des contenus pertinents en fonction de l’endroit où ils se trouvent, parce que nous n’avons pas tagué nos contenus avec des coordonnées GPS.”
L’exemple de Circa, l’application mobile dont j’ai déjà parlé ici, est encore plus abouti: non seulement les contenus ont chacun des métadonnées mais ils sont même séquencés en atomes qui ont, eux aussi, des métadonnées associées. Cela signifie que, plutôt que de ressortir le contenu en intégralité, on peut faire remonter seulement un paragraphe, un graphique, une vidéo du contenu en fonction de l’actualité.
Enfin, les auteurs estiment qu’il leur faut vite avancer les pions d’une stratégie éditoriale adaptée aux différentes temporalités du Web, en jonglant entre le temps du “breaking news”, comme cela a été le cas lorsque le joueur de football américain Michael Sam a révélé en exclusivité son homosexualité, le temps de l’opinion, en pensant à caler une tribune d’invité sur le sujet pour le jour-même, l’agrégation de tweets-réactions à la révélation du sportif, et le long format à ressortir des archives (il y en avait un datant de 2011 sur les coming out). Toutes les ressources sont déjà là, il n’y a plus qu’à…
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Alice Antheaume
lire le billet«Ceci est l’un des derniers billets de ce blog. D’ici quelques jours (…), nous cesserons de l’alimenter», pouvait-on lire vendredi dernier sur Les Décodeurs, le blog de fact checking participatif du Monde.fr. Né en 2009, cet espace s’inspirait du site américain Politifact.com et son célèbre «truth-o-meter» (le véritomètre) pour jauger la crédibilité de la parole politique.
Non, cela ne signifie pas ce genre journalistique n’a plus de sens. Au contraire. Alors que la désinformation en ligne augmente, au point que des chercheurs européens travaillent à la construction d’un détecteur de mensonges sur Twitter, Les Décodeurs sortent de l’espace limité d’un blog pour renaître au Monde.fr au sein d’un service du même nom composé de neuf personnes (un éditeur dédié, deux data journalistes, deux infographistes, trois rédacteurs, et un coordinateur du projet). Lesquelles feront du fact checking – pas que politique – toute la journée. Et ce, dès lundi prochain.
Vérifications, data visualisations et décryptages
«Nous voulons être le Buzzfeed du fact checking et démonter les rumeurs que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux en repartant des faits, en donnant du contexte, et en s’appuyant sur des données et des graphiques», m’explique Samuel Laurent, le coordinateur du projet. Il confie en avoir eu l’idée en novembre dernier, lors des Assises du journalisme de Metz, en discutant avec Cory Haik, une journaliste du Washington Post. Celle-ci venait parler du Truth-Teller, un robot dont la mission est de vérifier automatiquement les discours des politiques américains au moment même où ils les déclament.
Pour Samuel Laurent, ça a fait tilt. Il était temps de dresser le bilan de cinq années de fact checking et de passer à l’étape suivante.
Parmi les enseignements tirés, il apparaît qu’il ne suffit pas d’apposer un tampon vrai ou faux sur une déclaration d’un homme ou d’une femme politique. «La vérité est chose complexe et exige des nuances», apprend-t-on sur feu le blog Les Décodeurs. «D’autant qu’elle varie selon les tendances politiques: aux extrêmes l’outrance et le faux complet; la droite, elle, affectionne les discours chiffrés, là où la gauche s’est spécialisée dans le flou et la langue de bois…».
Autre constat, partagé à la fois aux Etats-Unis et en France: la politique ne doit pas être le seul objet des décryptages. Le Washington Post a adapté la technologie du Truth-Teller politique aux bandes annonces afin de distinguer dans les films ce qui relève de la fiction et ce qui est de l’ordre du réel – cela s’appelle le Truth-Teller pour les trailers.
De même, Les Décodeurs du Monde.fr veulent proposer du fact checking au sens large, au delà de la politique. Lorsqu’en janvier, François Hollande annonce une baisse des charges patronales, «nos lecteurs ne se disent pas “mais bon sang, quel est ce tournant libéral du président de la République?”. Ils se demandent “c’est quoi, les charges patronales?”», reprend le journaliste du Monde.fr, qui y voit là le signe qu’il faut davantage fournir des explications et des clés à l’audience.
Les discussions émanant des réseaux sociaux seront scrutées de près, et guideront en partie les choix de sujets des Décodeurs. C’est là une petite rupture par rapport à la culture journalistique traditionnelle. Lorsqu’est annoncée par erreur la mort d’une personnalité en ligne, nombreux sont les journalistes qui, d’abord, ne le voient pas, et, ensuite, estiment qu’il vaut mieux ne pas en parler, au risque de donner de l’écho à une information erronée. Or il n’y a plus d’un côté Internet et de l’autre la vie, juge Samuel Laurent. En témoigne selon lui l’intox autour du soi-disant enseignement du genre dans les écoles qui a poussé certains parents à retirer leurs enfants de l’école en janvier: «c’est notre rôle que de s’attaquer à ces fakes à condition que nous soyons capables de les démonter».
S’adresser à une audience vivant sur les réseaux sociaux
L’autre objectif affiché de ce projet, c’est de rattraper par le col de la chemise ceux qui n’ont pas pour habitude de se connecter au Monde.fr. Voire qui ne s’informent que via les réseaux sociaux. Le circuit de diffusion se voit donc modifié afin d’aller trouver l’audience là où elle se trouve, en partageant d’abord des briques d’informations sur Twitter puis sur Facebook avant de publier ensuite sur lemonde.fr un contenu chapitré et composé des briques déjà disséminées sur les réseaux sociaux. «Notre temps 1 de l’info, c’est Twitter. Notre temps 2, c’est Facebook. Notre temps 3, c’est la publication sur le site. Notre temps 4 sera la publication dans notre futur journal du soir. Notre temps 5, c’est le journal quotidien. Et notre temps 6, c’est Le Monde Magazine.»
D’après les données récoltées lors d’une enquête sur l’état des pages d’accueil des sites d’informations français, 10% du trafic du Monde.fr provenait des réseaux sociaux en novembre 2013. Pour tenter de booster ce pourcentage, Les Décodeurs ont conçu un nouveau format intitulé Nanographix, une infographie présentée sous la forme d’un carré, qui, espère l’équipe, aura un «potentiel viral» important.
>> Ci-dessous un exemple de Nanographix sur la greffe du coeur >>
A venir, donc, dès ce lundi dans le panier de ces nouveaux Décodeurs: des graphiques pour savoir à coup sûr si un sondage est sérieux ou non, des enquêtes pour, par exemple, identifier les communes les plus endettées, données à l’appui, et de quoi détecter si une ville est de droite ou de gauche.
«L’information sérieuse n’est pas forcément rasante», sourit Samuel Laurent. Au Monde.fr, les papiers pédagogiques – que l’on appelle outre Atlantique des explainers – dont le titre est bâti sur le modèle «comprendre (sujet) en (X) minutes» (JO de Sotchi: Comprendre la situation dans le Caucase en 3 minutes ou La maladie d’Alzheimer expliquée en 3 minutes) font des cartons d’audience. Parce que c’est la promesse d’une explication simple, pré-mâchée, qui permet aux lecteurs de briller ensuite en société ou en famille en ayant l’air d’avoir compris l’essentiel d’une actualité. Et c’est l’assurance que le temps passé à comprendre cette actualité n’excède pas quelques minutes, un délai raisonnable pour qui souhaite garder prise sur son temps.
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Alice Antheaume
lire le billetA quoi aurait ressemblé The Economist s’il avait été lancé en 2013 plutôt qu’en 1843? Répondre à cette question a donné naissance à Quartz, le 24 septembre 2012. Ce pure-player aux allures de start-up, installé dans un modeste immeuble de New York, raconte le monde des entreprises à ses lecteurs, porte une attention particulière à l’économie des nouvelles technologies et recourt – presque systématiquement – aux graphiques. Un an (et trois mois) et 21 millions de visiteurs plus tard, Kevin Delaney, le rédacteur en chef, transfuge du Wall Street Journal, détaille la recette de Quartz. Il était l’un des speakers de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 3 décembre.
1. Le mobile d’abord
«Nous voulions que Quartz soit à la fois mobile first, digital et journalistique», explique Kevin Delaney. C’est pourquoi Quartz est d’abord né sur tablette, puis sur smartphone avant que son design ne soit ensuite adapté à l’interface d’un ordinateur.
2. Un design épuré
Quartz a mis un point d’honneur à radicaliser son design pour ne surtout pas ressembler à ses concurrents. «Nous voulions nettoyer tout ce que les sites d’informations avaient empilé au fur et à mesure», continue Kevin Delaney. «Nous sommes partis d’une page blanche, et nous avons mis la pub au centre de cette page, sachant que personne ne regarde les bannières de la colonne de droite». Résultat, la home page n’est plus. «Les home pages sur lesquelles il y a 250 liens, cela représente trop de choix pour le lecteur». A la place, une page avec deux colonnes seulement. Une colonne centrale et une colonne de menu à gauche. Point.
3. Les réseaux sociaux comme porte d’entrée
60% de son trafic provient des réseaux sociaux, 10% seulement se fait par un accès direct à quartz.com. Quant au 30% restants, ils proviennent de Google et de liens «amis». «Il faut produire du contenu unique pour les réseaux sociaux, pour des lecteurs dont l’écran est déjà truffé d’informations», reprend Kevin Delaney. «Quand on écrit un contenu, il faut partir de l’idée que personne ne le lira si son titre ne retient pas l’attention sur Twitter.»
4. Le pouvoir des graphiques
A Quartz, les infographies sont reines. Et pour les fabriquer, la rédaction utilise un outil appelé Chartbuilder, développé en interne par l’un de ses journalistes, David Yanofsky. Open source, cet outil est disponible sur la plate-forme d’hébergement des projets Github et est, désormais, aussi utilisé aussi par la rédaction de NPR, le réseau de radios américaines. A l’origine, Chartbuilder a été conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques», selon les mots de son concepteur.
Un vrai enjeu pour Quartz alors que la moitié des contenus publiés sur Quartz contiennent des graphiques. Dont celui-ci, excellent, montrant «le graphique que Tim Cook ne veut pas montrer» sur l’évolution des ventes d’iPhones. Ou celui-là, préconisant de ne pas détester le lundi puisque c’est le meilleur jour pour postuler à un nouveau travail.
«Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney. D’ailleurs, il n’y a pas de service dédié à l’infographie à Quartz – même s’il existe un «département des choses», traduction approximative de l’équipe «Quartz Things», qui créé des de la visualisation intégrant des données et du code.
Quartz le fait savoir sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, les journalistes sont priés d’ajouter à leurs liens pointant vers leurs contenus une capture d’écran du graphique associé.
5. La longueur des contenus… Ni trop peu ni pas assez…
Puisque tous les sites d’informations publient en masse des contenus entre 500 et 800 mots, Quartz préconise de produire soit des contenus courts de moins de 500 mots soit des contenus longs de plus de 800 mots.
6. Une audience qualifiée
En moyenne, Quartz a 3,3 millions de lecteurs par mois, dont 60% se connectent depuis les Etats-Unis. Mieux, 61% d’entre eux sont des cadres et dirigeants, et 15% travaillent dans les médias ou sur le Web, selon les données récoltées par les équipes de Quartz. Une audience qui est attirée par le triptyque tech/business et design.
7. Des commentaires autrement
Pas de commentaires sous les articles de Quartz. A la place des annotations sur un paragraphe d’un article disposés sur le côté, comme si l’on commentait un document sur Google Drive. «Nous avons commencé seulement il y a quelques mois, nous n’avons pas encore beaucoup d’annotations, mais celles que nous avons sont de très bonne qualité».
8. Un business model sans mur payant
Quartz est financé par les conférences, sponsorisées par des marques, et de la publicité. Adieu vieux modèles, 37 annonceurs se partagent l’espace, via des campagnes de contenus sponsorisés et de «native advertising», des formats publicitaires qui «paient bien plus» que les bannières traditionnelles, confie Kevin Delaney, sans donner de chiffres. «En partant de zéro, on n’avait aucune chance de survivre en installant un mur payant ou un système d’enregistrement en ligne». D’ici 2015, Quartz espère être profitable.
Alice Antheaume
lire le billetDigital journalism is expected to undergo major changes in the coming year.
>> Lire cet article en français >>
In France, the number of pure players (i.e. websites with no print counterparts) per person is higher than anywhere else – kind of a “French exception” in the European media landscape. Atlantico, Le Plus, Newsring, Quoi.info were all launched in 2011 and the French version of the Huffington Post is due in the coming weeks. The trend is gaining momentum with the presidential election drawing near (when better to launch a news website than in such an exciting period newswise?).
According to Nicola Bruno, a journalist currently co-writing a research on pure players in France, Germany and Italy to be published next year by the Reuters Institute for the Study of Journalism, this French dynamism is visible on three levels: “1. the number of pure players in France (I counted 12 of them, all resulting from independent initiatives), 2. their maturity (France saw the first pure players in Europe, such as Agoravox in 2005, followed by Rue89, Médiapart and Slate.fr) 3. their diversity in terms of both editorial orientation (focus on data, investigation, niche markets, community sites) and economic models (subscription-based, free…)”.
So, are there too many actors on too small a market? For Julien Jacob, head of Newsring, “there will be blood”. Nicola Bruno says that “there is no definite answer to that question. At the moment, no European pure player seems able to achieve high profits, as it is happening in the US with Huffington Post and Politico. The reason is simple: audiences in France and the rest of Europe are much smaller than in the US, and advertising markets are not mature enough to sustain purely web-based projects”.
Is it a lost cause then? “Not quite, Nicola Bruno says. History showed that profitability is not always the main goal of these journalistic projects”. History also showed that small entities are sometimes absorbed by much bigger ones, as were the Huffington Post by AOL, the Daily Beast by Newsweek, and… Rue 89 by Le Nouvel Observateur.
Which contents do you read at once? Which ones do you post on Twitter? Which ones do you share on Facebook? Which ones do you save for later reading using tools such as Instapaper or Read It Later? Users now act like human algorithms and keep sorting and classifying contents. However, the criteria they use to do so are not clear.
Do we read “later” long contents, as this presentation would suggest? Not necessarily. According to a ranking by Read It Later, which was quoted in Frédéric Filloux’s Monday Note, most saved contents (mainly editorials and new technologies-related contents) are less that 500-word long (about 2,700 signs). “No doubt that people find these tools useful, whatever the length of the article”, the Nieman Lab adds. This approach to news could change the way journalists produce information, because each article can now have two “lives”. It can be all consumed right away – in real time, but also later on when the reader has more time to enjoy it without hurrying.
“You can now talk TO your phone rather than INTO your phone”, said Nikesh Arora, from Google, at the Monaco Media Forum. And for Pete Cashmore, from Mashable, the use of voice for controlling contents will be a must in 2012.
That is already the case with the Dragon Dictation application, which allows to dictate SMS to your cell-phone or to pronounce a key word for your phone to automatically run a Google search. Siri, on the iPhone 4S, is also a kind of assistant obeying your oral commands. What next? Human voice should soon be used as a remote control, for example with Apple’s television.
In its blog about new technologies, the New York Times posted a story titled Cellphones Are the New Junk Food. In the US, teenagers spend less and less time talking on the phone (685 minutes per month on average last year as opposed to 572 minutes in 2011), but they send more and more text messages (SMS and MMS): 13-to-17-year-old Americans send and receive 3,417 messages a month and around 7 messages an hour in daytime.
The same trend is observed in France, according to a study by Pew Research focused on the behavior of phone users in various countries. With the Internet being extensively used and phones appearing as very promising, news publishers tend to create contents readily usable on mobile phones.
The amount of digital data in the world is expected to reach 2.7 zettabits in 2012. For those who feel a bit lost between bits, terabits and zettabits, that is a lot of data (find more about these units here).
France is at the forefront of this massive data production. In early December 2011, the public data website data.gouv.fr was launched: an incredible amount of numerical data, very difficult to understand (if you can understand them at all) for most people. It is precisely the job of a data journalist to free these figure from their Excel spreadsheets and to make “information immediately understandable”, as stated in a former WIP. Not all journalistic topics are based on figures but that’s an effective approach when dealing with the State’s budget for 2012 or the sharing out of resources according to budget items. Just to give you an idea, the file downloaded from data.gouv.fr looks like this:
And this is the visualization of this budget created by Elsa Fayner on her blog «Et voilà le travail»:
The death of Muammar Gaddhafi, the G-20 meeting in Cannes, soccer games, political debates… Live blogging the news, allowing to report on a event in real time using texts, pictures, videos, contents from social networks and interaction with the public, are irresistibly appealing to readers. Just two facts to prove that point: 1. Live news attract an estimated 30% of the whole traffic on a generalist news website. 2. Live news are an important engagement factor as people spend much more time on this type of contents.
>> Read this WIP about live news (again)>>
With the presidential election drawing closer, most French editorial offices are getting ready to fact check in (quasi) real time (a journalistic technique widely used in the Anglo-Saxon media to assess politicians’ credibility). One of the best examples is the American website Politifact.com, which launched a tool called “truth-o-meter” and was awarded the Pulitzer Prize, the holy grail of the journalistic world.
>> Read this WIP about fact checking (again)>>
In its list of 10 things every journalist should know in 2012, the journalism.co.uk website predicts that, after the closure of News of the World and the phone-hacking scandal in England, intellectual honesty will prevail. “Journalists need to be sure that the means really do justify the ends for a story and must be crystal clear about the legalities of their actions. And they need to be more transparent about the sources of stories, where the source will not be compromised. If a story originates from a press release, acknowledge it.”
>> Read the WIP about the use of anonymous sources again>>
Other important trends:
What trend do you expect to prevail in 2012? Merry Christmas and best wishes to all of you for 2012.
Alice Antheaume
lire le billet“Vous êtes ce que vous tweetez”. Tel est le slogan de cette application créé par Visual.ly, un site qui permet de créer des graphiques à partir de données.
Ainsi, en scannant les messages postés sur un compte Twitter indiqué, les interactions, le nombre de followers et de followés, et la sémantique utilisée, l’application génère une infographie, comme celle ci-dessous, créée pour l’exemple à partir de mon compte Twitter, @alicanth.
L’application peut radiographier n’importe quel compte Twitter, y compris celui des personnalités, du moment que le compte est ouvert. En faisant l’exercice avec le compte Twitter de Barack Obama, le président des Etats-Unis, celui-ci révèle un comportement… “politicien” et dont les mots les plus récurrents sur Twitter sont “watch”, “live”, et “future”. Utile pour un usage journalistique.
lire le billet
«L’information vous saute aux yeux». C’est la phrase mise en exergue d’Actuvisu.fr, un nouveau site de «visualisation de l’actualité» qui a été lancé il y a quelques jours, «fruit d’un projet de fin d’études mené par trois étudiantes de Sciences Po Rennes et sept étudiants de l’HETIC (l’école des Hautes Etudes des Technologies de l’Information et de la Communication)», décrit le communiqué.
En ligne, sur ce site, un graphique bien pensé sur la «puissance» des cyclistes du Tour de France, puissance rapportée au poids de l’athlète et au temps de montée, le tout examiné sur 135 cyclistes, 88 cols et six ans de Tour de France. On y apprend que le Tour de France 2005 a connu des records de puissance sur la durée, avec celle de Lance Armstrong, établie à 5.95 W/kg sur une montée à Courchevel de 50 minutes, à égalité avec Mancebo Francisco, sur la même montée.
Filtre d’informations
Dans le jargon, on appelle cela le «journalisme de données» («data journalism» en VO). Un journalisme qui serait capable de mettre en scène des chiffres pour qu’ils racontent une histoire. Parmi les exemples notables, listons les notes de frais des parlementaires britanniques agrégées en ligne par le Daily Telegraph, les films les plus loués dans des ciné-clubs américains en 2009, et les mandats cumulés (ou pas) par les 576 députés français, classés par lepost.fr et lemonde.fr.
«Face au déluge d’informations (c’était le titre d’une couverture de The Economist, cet hiver, ndlr), nous avons besoin de filtres et d’outils», plaide Caroline Goulard, l’une des étudiantes qui a fondé Actuvisu.fr. Et d’argumenter que le journalisme de données, en mettant sous forme d’images et de graphiques des chiffres, se révèle beaucoup plus efficace pour faire comprendre le message à son lecteur: «Une image, un graphique, vaut 1.000 mots; les médias doivent arrêter de ne faire que du storytelling», argue-t-elle, citant le journaliste et développeur américain Adrian Holovaty, fondateur du site d’information locale EveryBlock («newspapers need to stop the story-centric worldview», ndlr)
Elle n’est pas la seule à le dire. «Dans un monde d’hyper commentaires, mais aussi de grande puissance de compilation et calcul, la véritable médiation avec la réalité se fait par la donnée, écrivait le consultant et blogueur Nicolas Vanbremeersch il y a un an, dans un plaidoyer pour le journalisme de données. Au lieu de tribunes de chroniqueurs, si brillants soient-ils, au lieu de blogs ou Twitter, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’en emparent.»
Equipe
Mais il ne suffit pas de le vouloir…
1. Il faut d’abord trouver des données à exploiter, rappelle Eric Scherer, directeur de la stratégie de l’AFP – en France, la ville de Rennes est en train de mettre en ligne ses données, notamment sur son réseau de transport en commun
2. Un journaliste ne peut, seul, produire ce genre d’informations. «Il faut réunir une équipe avec un développeur, un statisticien, un graphiste», reconnaît Caroline Goulard. Conséquence – logique: le journalisme de données est de ce fait plus cher à produire qu’un simple article. Mais se périme moins vite, reprennent les évangélistes du journalisme de données. «Les contenus restent valables tout le temps, il suffit de rentrer les derniers chiffres disponibles et cela prolonge le travail».
Pour donner une idée du circuit de production de ce type de contenus, Caroline Goulard et son comparse Benoît Vidal, architecte de l’information, ont balisé le processus sous la forme suivante:
ANGLE JOURNALISTIQUE >> COLLECTE DES DONNEES >> NETTOYAGE ET TRAITEMENT DES DONNEES >> ANALYSE DES DONNEES >> NARRATION >> VISUALISATION (>> Story board >> Design >> Développement >>)
NB: Un «atelier de production numérique de données» est prévu à la rentrée scolaire prochaine pour les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
Avez-vous vu des exemples réussis de journalisme de données? Donnez-les dans les commentaires ci-dessous…
AA