La campagne américaine de 2008 a été un moment charnière pour les réseaux sociaux. Celle de 2012 devrait être celle de la vidéo, a annoncé Emily Bell, de l’Ecole de journalisme de Columbia, à New York, le 4 septembre (1). 13 jours plus tard, l’actualité lui donne raison. Lundi 17 septembre est ainsi publiée la vidéo pirate montrant Mitt Romney, candidat républicain à la présidentielle des Etats-Unis, s’en prendre aux 47% d’Américains qui “voteront pour Obama quoiqu’il arrive” parce qu’ils “dépendent du gouvernement” et “pensent qu’ils sont des victimes”…
La vidéo, dont les rushs originaux ont été filmés en mai dernier en Floride lors d’un dîner de levée de fonds privé, a été récupérée par le site Mother Jones, qui l’a contextualisée, sous-titrée et éditée. Résultat, la vidéo figure parmi les plus vues de la semaine dernière, selon Viral Video Chart, avec plus de 3 millions de clics en 7 jours, et un taux de partage exceptionnel sur les réseaux sociaux.
“Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”
Si cette vidéo a ainsi explosé, c’est parce qu’elle est l’illustration parfaite du postulat suivant: les contenus vidéos produits par les éditeurs en ligne ne sont pas de la télévision, et doivent s’en distinguer en tout point.
“La vidéo pour le Web n’est pas celle que l’on fait pour la télévision. Il faut tout désapprendre. Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”, considère Vivian Schiller, ex du New York Times, aujourd’hui directrice des activités numériques de NBC News.
Comment expliquer que la vidéo pirate sur Mitt Romney soit le paradigme de la bonne vidéo sur le Web? En quoi se distingue-t-elle des règles télévisuelles?
Outre le document en vidéo, les autres formats vidéo pertinents sur le Web sont :
Exemple: HuffPost Live, Ustream, Livestream
Exemple: “Patriot game”, cette vidéo qui montre l’affrontement de Mitt Romney et Barack Obama sous la forme d’un jeu vidéo (New York Times)
Exemple: Compilation des vidéos d’amateurs s’exerçant au Moonwalk (Slate V)
Exemple: la crise de l’Euro expliquée en 1 minute de vidéo
“Le but du jeu est d’aider les gens”
“Sur le Web, on ne peut pas dupliquer ce qui existe déjà sur un autre média”, reprend Josh Tyrangiel, éditeur de Bloomberg Business Week, ex de Time.com. “Le but du jeu est d’aider les gens et de leur faire gagner du temps.”
Pour “leur faire gagner du temps”, donc, un bon format vidéo doit être efficace et donner l’information tout de suite, dès les premières secondes de la séquence. Mieux, et Mother Jones y a songé: la vidéo doit être compréhensible sans le son, grâce à des synthés et des sous-titres, afin que les utilisateurs puissent la visionner depuis leur bureau en open space sans casque ni haut parleur branché, un cas plus fréquent qu’on ne croit.
La vidéo constitue bien plus qu’une tendance journalistique en 2012, c’est un environnement dans lequel les consommateurs d’informations baignent. La preuve, 72h de vidéos sont téléchargées chaque minute sur YouTube. Et même le GIF animé revient dans la course, cette fois comme outil de storytelling pour le journalisme numérique.
“Parler de vidéo est devenu l’équivalent de parler de l’Internet”, glisse Amy Webb, la présidente de Webbmedia Group, évoquant les nouvelles tendances à venir à la conférence ONA12, à San Francisco.
La vidéo est le nouveau tweet
Facebook avec Facebook Stories, Tumblr avec StoryBoard, Twitter avec Twitter Stories, Google avec sa vidéo “Parisian Love”… Les mastodontes américains de la technologie se sont tous lancés dans la production de vidéos, pour mettre en scène les histoires de leurs utilisateurs et “montrer qu’il y a quelque chose de romantique à leur algorithme”, écrit The Altlantic.
Pour les journalistes, la vidéo est en train de devenir le nouveau tweet. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal vient de s’allier pour lancer sa plate-forme, WorldStream.
Quelles sont les meilleures vidéos sur le Web que vous ayez vues? Partagez-les dans les commentaires ou sur Facebook et Twitter.
Alice Antheaume
(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po, pour laquelle je travaille, et celle de Columbia sont partenaires avec un double diplôme en journalisme.
lire le billet“Lady Gaga estomaquée par la biographie sur Steve Jobs, à lire sur Mashable”. Ce (faux) message ferait sans doute un carton sur Twitter. C’est ce que j’ai appris en lisant une étude menée par Bernardo Huberman, du laboratoire Hewlett Packard de Palo Alto, en Californie. Une étude sur… la possibilité de prédire la popularité des informations publiées sur Twitter.
Après avoir analysé l’actualité et la façon dont elle s’est répandue sur Twitter, pendant une semaine au mois d’août dernier, Huberman et deux autres chercheurs ont trouvé la formule pour prévoir – à 84% – si une information sera très diffusée (ou pas) sur le réseau social avant même qu’elle ne soit tweetée. La formule tiendrait à quatre facteurs:
1. Le sujet
Comme ailleurs, les informations concernant les scandales, le sexe, les réseaux sociaux ou la technologie, bénéficient d’une plus forte viralité sur Twitter.
2. Les personnes dont il est question dans le sujet
Sans surprise, les sujets les plus “twittables” sont ceux qui mentionnent des personnalités connues.
3. La source du sujet
Parce que les utilisateurs de Twitter sont plutôt connectés, un média de référence sur les nouvelles technologies a plus de poids qu’une autre source.
4. La subjectivité du sujet
Que le sujet soit écrit de façon “neutre” ou “engagée” n’aurait pas d’influence sur sa “tweetabilité”.
Algorithme
Il y aurait là de quoi créer un programme à installer sur les ordinateurs des journalistes, avance Huberman, interrogé sur MSNBC. Ce programme, basé sur la formule des quatre facteurs, permettrait de “scanner chacun des articles écrits par les journalistes afin de leur dire, à l’avance, comment leur article va prendre sur Twitter”, et comment, donc, ils peuvent le changer pour améliorer sa popularité sur le réseau social.
Inquiétant? Oui, répond Huberman. Plus que la liste des facteurs pour rendre un contenu journalistique “facebookable” ou visible sur Google, la formule de l’information “twittable” est catégorique. Si tout le monde utilise cette formule, “toutes les informations se ressembleront” afin d’être compatibles avec Twitter, craint le chercheur, toujours sur MSNBC. En outre, cela laissera sur le carreau d’autres informations. “Celles qui ne contiennent pas les caractéristiques (décrites ci-dessus, ndlr) seront noyées. Personne ne les remarquera. C’est triste.”
A la main
Pas si vite. Il semble, d’après les tests menés de façon empirique sur Twitter – certes non homologués par une étude, que le journaliste a aussi d’autres cordes à son arc pour améliorer la diffusion des informations sur ce réseau social:
Qu’est-ce qui, selon vous, constitue une information “twittable” ou pas? Merci pour vos commentaires et vos partages sur Facebook et Twitter!
AA
lire le billet
- «Je lis Le Monde, j’écoute France Inter et regarde Le Grand Journal»
- «Je veux devenir journaliste parce que j’aime écrire»
- «Je veux être correspondant international»
- «Je ne sais pas comment s’appelle ce journaliste»
- «Je me méfie de ce que racontent les médias»
Telles sont les cinq occurrences les plus entendues lors des oraux d’admission à l’Ecole de journalisme de Sciences Po pour le recrutement de la nouvelle promotion.
Consommation
A la question «quels sont les médias que vous lisez/écoutez/regardez/consultez?», la plupart des candidats répondent, dans l’ordre, l’édito politique de Thomas Legrand sur France Inter, puis C’est dans l’air sur France 5, puis Le Grand Journal sur Canal+, puis «Le Monde en ligne».
Parmi les quelque 110 étudiants admissibles vus lors de ces jurys, une poignée seulement dit consulter lequipe.fr – 70.586.309 visites en avril 2011 selon l’OJD, un seul déclare lire La Voix du Nord, et trois personnes citent Closer – c’était le jour où le magazine assurait que Carla Bruni-Sarkozy était enceinte. A part ces quelques «extravagances», les candidats, sans doute soucieux de se conformer à l’idéal d’aspirant journaliste qu’ils se sont façonnés, témoignent de consommations de médias qui se ressemblent comme des gouttes d’eau.
Côté lecture, alors que, l’année dernière, Le Quai de Ouistreham (éd. L’Olivier), de Florence Aubenas, était sur toutes les lèvres des candidats, le livre le plus cité cette année est M. le président (éd. Flammarion), de Franz Olivier Giesbert. «Parce que la connivence entre journalistes et politiques me fascine», avancent les étudiants.
Motivation
Il y a un an, déjà, je m’étais étonnée de voir autant de candidats donner les mêmes références et utiliser les mêmes arguments. La phrase que j’ai le plus souvent entendue de la part des étudiants – et c’était déjà le cas l’année dernière – est «je veux être journaliste parce que j’aime écrire» ou bien sa variante «je veux être journaliste parce que je suis curieux». Pas très original dans le cadre d’un oral dont la dynamique est celle d’un concours, pas celle d’un examen.
Car ce que cherche un jury d’une école de journalisme comme celle de Sciences Po, ce sont des candidats ayant des profils variés, des goûts et des usages qui ne soient pas tous les mêmes ET qui soient capables de les justifier – dire «j’aime/je n’aime pas» ne suffit évidemment pas à ce niveau-là. Le but est de composer une promotion avec des étudiants ou scientifiques ou littéraires ou économistes ou ingénieurs, une promotion qui va vivre comme une rédaction pendant deux ans, et dont aucun élément ne doit ressembler à un autre.
Sortez du conformisme, s’il vous plaît, tonne le rapport de jury de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), remarqué par le blog «Il y a une vie après le bac». «Beaucoup de candidats ne semblent pas avoir compris que dans un concours il faut “faire la différence” et non essayer d’avoir la moyenne». Idem aux oraux d’admission de journalisme de Sciences Po, pour lesquels il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus.
Certes, il y a des critères de sélection, écrits noir sur blanc sur le site de l’Ecole de journalisme. Pourtant, non, il n’y a pas de profil idéal. Etre un bon candidat pour une école de journalisme n’est pas une question de filière, sinon une question de conciliation de compétences: excellence académique quel que soit le parcours d’origine, très bonnes connaissances de l’actualité, candidats capables de se démarquer par leur personnalité et – ce n’est pas le moindre – démontrant une compréhension du métier de journaliste et de ses évolutions. Fondamental pour être en mesure de S’ADAPTER. A toutes les situations, toutes les urgences, tous les changements économiques.
Projet professionnel
«Plus tard, je veux être correspondant international», constitue un autre des leitmotivs de ces oraux. «Où cela?», interroge le jury. «Je ne sais pas encore où, mais à l’étranger». Une réponse qui manque de précision et qui peut faire douter de la réelle appétence du candidat pour ce métier, tel qu’il se vit au 21e siècle, à l’ère des audiences de l’affaire DSK racontées en temps réel, du fact checking et des live-tweets. Faut-il le rappeler? Contrairement à ce que vit Tintin et ses «aventures», le journaliste ne fait pas de tourisme. L’important, c’est davantage l’événement et ses enjeux que le lieu.
Lorsque le jury demande, pour juger de ce goût pour la marche du monde et dépasser le lieu commun énoncé, «quel journaliste ou reportage vous a marqué ces derniers jours?», rares sont ceux qui esquissent une réponse. Le candidat ne lit-il pas assez la presse? Est-il blasé? Ou bien est-ce ringard de la part d’un jury de demander aux élèves de connaître les noms de «plumes» et autres acteurs du métier auxquels ils se destinent?
Défiance
En fait, poser la question inverse, «quel média vous énerve?», s’avère beaucoup plus productif. C’est dire si la défiance à l’égard des journalistes est toujours vivace. Selon le dernier baromètre de confiance dans les médias, les Français sont 63% à estimer que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir, et 58% d’un même avis en ce qui concerne les pressions financières.
Ce septicisme ne concerne pas que les titres français, mais aussi les médias internationaux, comme en témoigne, toujours lors des oraux d’admission, la réaction d’une poignée d’étudiants, en échange universitaire en Egypte au moment des révolutions arabes.
>> Le dialogue qui va suivre est une retranscription raccourcie mais réelle >>
«Vous vous trouviez au Caire en février 2011? Vous y étiez à un moment historique. Qu’avez-vous vu?
– Les médias ont été nuls. CNN n’arrêtait pas de dire que les manifestations étaient violentes, c’était n’importe quoi.
Vous êtes sûr? Il y a pourtant eu des morts. Avez-vous été dans les manifestations?
– Non.
Alors comment dire qu’il n’y a eu aucune violence? Cela n’a quand même pas été une révolution pacifique, si?
– Certes, mais pas violente à ce point…
Si vous n’avez pas apprécié la couverture par les médias, avez-vous écrit quelques lignes sur ces événements? Sur un blog? Sur Facebook peut-être?
– Non. Je ne me sens pas légitime pour ouvrir un blog.
Avez-vous pris une photo des événements?
– Non. Aucune.»
Est-ce une façon, pour ces étudiants, de marquer leur désapprobation face à la couverture médiatique d’un événément qui a fait le tour du monde? Ou bien cela marque-t-il un désintérêt plus profond pour ce métier? Une chose est sûre: vouloir devenir journaliste sans ressentir le besoin de témoigner de ce qui se déroule sous ses yeux, cela présage a priori d’une erreur d’aiguillage.
Expérimentation
Oui, c’est extrêmement difficile de faire face, seul, du haut de ses parfois 20 ou 21 ans, aux questions incessantes d’un jury composé de trois personnes, rompues à l’exercice, qui ont entre 10 et 40 ans d’expérience. C’est dur de surmonter son trac pour parler de son projet professionnel avec détermination. Dur de répondre en donnant des faits précis sans pouvoir les chercher sur Google et en en tirant une analyse personnelle de surcroît. Bref, dur d’aligner en 45 minutes les critères requis et de témoigner d’une touche d’originalité qui finit de convaincre.
Alors quand le jury voit la passion s’allumer dans les yeux d’un candidat quand celui-ci a ouvert un «blog pour s’entraîner», se présente comme «télévore», sait ce qu’est un «live» ou un «flash», tweete pour «voir ce que cela donne», cite un reportage récent qui l’a bouleversé, prend les «gratuits dans le métro parce que cela (lui) donne un aperçu de l’actualité pour pas cher», connaît le chemin du fer du Point ou du Nouvel Observateur comme sa poche, ainsi que l’écosystème médiatique, des pure-players aux chaînes d’information en continu en passant par les matinales des radios, oui, le jury a envie d’y croire. De croire au potentiel de ce candidat et à sa capacité à – au moins – survivre dans le monde, à la fois en crise et en pleine refonte, du journalisme.
Un conseil, enfin, pour les étudiants qui rêvent d’entrer à l’Ecole de journalisme de Sciences Po: ce qui est écrit ci-dessus n’est pas un manuel. En rencontrant votre jury, n’oubliez pas d’être, avant tout, vous-même.
Alice Antheaume
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