Comment savoir si un article fait le tour du Web? Comment suivre son parcours et mesurer son effet sur l’audience? Pour répondre à ces questions, Buzzfeed vient de dégainer un outil de mesure, baptisé “pound“, l’acronyme de Process for Optimizing and Understanding Network Diffusion – processus d’optimisation et de compréhension de la diffusion en ligne, en VF.
“Le pound est une nouvelle technologie développée par Buzzfeed qui va nous permettre de suivre l’itinéraire d’un article partout”, m’explique Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. “Supposons que nous publions un article, que quelqu’un partage ensuite sur Facebook. Vous le voyez, vous likez, vous vous dites “j’ai envie d’écrire un truc dessus”, vous faites un post de blog à ce sujet, quelqu’un le voit, tweete l’article…”
L’itinéraire d’un contenu
Toutes les “propagations” d’un contenu vont ainsi être mesurées, y compris l’échange de liens dans les messageries instantanées et les emails.
Et c’est bigrement complexe. Car ces propagations ne sont pas linéaires. Elles suivent des chemins sinueux, qui ressemblent à des “forêts” sur le Web, décrit Dao Nguyen, la directrice de publication de Buzzfeed. L’itinéraire de chaque contenu est ainsi représenté par une forêt composée d’arbres de toutes formes et de toutes tailles – ils peuvent être grands, petits, gros, fins, etc. “La structure de la forêt et de ses arbres nous apprend de façon très détaillée comment chaque contenu se diffuse en ligne”.
Bien sûr, le pound correspond aux spécificités de l’audience de Buzzfeed, dont 75% du trafic provient des réseaux sociaux. Mais cet indice a surtout deux intérêts :
1. en analysant la radiation des contenus en ligne, les équipes vont engranger de l’expertise pour savoir comment toucher des cercles au-delà du cercle des “premiers lecteurs évidents”, sourit Cécile Dehesdin. Et donc déployer une toile encore plus étendue d’influence.
2. les statistiques recueillies vont aussi servir aux annonceurs, très preneurs de données de diffusion de leurs campagnes publicitaires, et de données sur la façon dont les utilisateurs consomment les contenus, notamment dans le cadre du “native advertising”.
Bref, pas de données, pas de chocolat. “Un média sans données pour les publicités ciblées n’a aucune chance de survie”, prévient Jeff Sonderman, le directeur adjoint de l’American Press Institute.
Le nouvel or noir des annonceurs
Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. Pour les contenus publicitaires, “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici et qui fait appel à 15 collaborateurs pour produire des contenus sponsorisés. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.
C’est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France. Si L’Express et La Croix se dotent de leurs propres plates-formes d’analyse des données (DMP, Data management platform), toutes deux financées en partie par le fonds Google de l’innovation pour la presse, c’est pour se créer des “opportunités” commerciales, non seulement pour la publicité mais aussi pour des abonnements.
A terme, le risque est de voir cohabiter deux catégories de médias en ligne: les gros poissons, qui ont la technologie pour développer leurs propres indices de suivi de l’audience, comme le fait Buzzfeed, et les petits calibres qui devront se contenter des indices déjà existants et moins ciblés.
La mesure de l’impact
Outre Atlantique, ce type de journalisme porte même un nom, le “journalisme d’impact”. Un concept plus large que la simple mesure d’audience et du trafic, précise Dick Tofel, le président de Pro Publica, car elle recoupe aussi la notion d’engagement des lecteurs et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société.
C’est ce qu’a expérimenté, à son échelle, un étudiant en journalisme de CUNY (City University of New York), après avoir écrit un article sur Pedro Rivera, 48 ans, à la fois père et grand père, habitant dans le Missouri, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d’origine, le Mexique, par les autorités américaines.
“Avant”, confie cet apprenti journaliste, “je mesurais le succès de mon travail en fonction du nombre de partages que j’obtenais sur les réseaux sociaux, du nombre de célébrités qui tweetaient mon article, et du trafic que cela drainait (…) J’ai découvert que l’on pouvait obtenir un bien meilleur résultat, un résultat qui n’a rien à voir avec les statistiques”. En l’occurrence, les services d’immigration américains ont décidé de laisser Pedro Rivera tranquille, sans doute parce que son histoire, publiée sur Quartz avec le titre “Obama avait promis d’expulser les traîtres, pas les familles – ce n’est pas ce qu’il se passe”, a été lue. Et entendue.
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Alice Antheaume
lire le billetCohabiter avec des algorithmes est inscrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014. A South by South West 2014, à Austin, le programme n’y déroge pas. Les algorithmes rêvent-ils de contenus viraux? Tel est l’intitulé d’une discussion, entre David Carr, le journaliste médias du New York Times, et Eli Pariser, le président d’Upworthy, la plate-forme lancée en mars 2012 qui, en novembre 2013, a récolté 80 millions de visiteurs uniques. Le premier, campé dans son fauteuil, manie l’ironie à la perfection. Il joue à l’ancienne garde journalistique. Le second, quelque peu désarçonné par les questions de son interlocuteur, incarne la nouvelle école. Un échange hilarant, dont voici une retranscription partielle.
David Carr
On va parler d’algorithmes. Honnêtement, je ne sais même pas ce que sont ces foutus algorithmes. De quoi se nourrissent ces bêtes-là? Que faut-il leur donner à manger?
Eli Pariser
C’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités. Ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions.
David Carr
Là, tout de suite, je ne suis pas d’humeur à lire un contenu évoquant un génocide. Que répondez-vous à cela?
Eli Pariser
…
Eli Pariser
En faisant des recherches pour mon livre, «The Filter Buble», j’ai remarqué que les contenus sur l’Afghanistan ne suscitaient guère de clics ni de partages sur les réseaux sociaux. Le New York Times les mettait pourtant en une de son site en disant aux Américains «nous sommes en guerre». Mais, en dehors du New York Times, quelle audience ces informations pouvaient-elles toucher?
David Carr
L’information sérieuse est peut-être une niche…
Eli Pariser
Lorsqu’on fait entre 50 à 60 millions de visiteurs uniques mensuels avec Upworthy, ce n’est pas une niche. Les drogués de l’information sont très bien servis. Mais selon une étude réalisée par Microsoft sur le comportement d’un million d’utilisateurs du navigateur Explorer, seulement 4% de ceux-ci voient plus de 10 informations en 3 mois. 4%! A nous de rendre les informations plus émouvantes, plus attirantes. A nous de procéder à la «gamification» de l’actualité.
David Carr
Vous ne rendez pas les informations plus intéressantes. Vous faites croire qu’elles sont plus intéressantes.
Eli Pariser
On a changé d’écosystème. Le temps où l’on se fiait aux couvertures des journaux et aux pages d’accueil des sites d’informations est terminé. Les lecteurs sont sur Facebook et Twitter, et ils attendent d’un algorithme qu’il leur indique quelles sont les informations les plus importantes pour eux. Si vous passez des semaines à écrire une formidable enquête que, à la fin, personne ne lit, cela ne colle pas avec la mission dévolue à votre enquête. Il n’y aucune pureté à produire de belles choses qui n’atteignent personne.
David Carr
A Upworthy, vous dites que vous êtes ce que vous mesurez. Que mesurez-vous?
Eli Pariser
Nous mesurons l’attention par minute plutôt que les pages vues et les visiteurs uniques. Comment savoir si les gens sont encore là à lire tel ou tel contenu ou est-ce qu’ils sont déjà partis? Les algorithmes voient la réalité à travers la réaction du public. Donc nous regardons nos contenus comme le ferait un algorithme. C’est une rupture par rapport à la hiérarchie éditoriale traditionnelle.
David Carr
Quand un journaliste dit à un autre journaliste qu’il a fait du bon travail, que c’est un bel article, ils se comprennent. Une machine peut-elle savoir si un article est de bonne qualité?
Eli Pariser
La qualité est subjective. La satisfaction des lecteurs et leur engagement (le fait qu’ils cliquent sur un contenu, qu’ils le commentent, qu’ils le partagent sur les réseaux sociaux) sont des preuves objectives qu’ils aiment ce qu’ils lisent. Il s’agit là de recommandation sociale pour savoir sur quoi les gens devraient passer du temps.
David Carr
Sérieusement? Vous pensez qu’un like est un signe objectif?
Eli Pariser
Un like, pas forcément. Mais un partage, si.
David Carr
Je suis influent sur Twitter. Mais c’est comme dire qu’un groupe de rock est important au Japon. Ce n’est pas rien, mais bon… N’est-ce pas la même chose pour Facebook et Twitter?
Eli Pariser
Il y a de nombreux réseaux sociaux, dont Twitter, Instagram, Tumblr. Mais l’algorithme de Facebook est plus important que le reste. Et pour cause, les chiffres sont un peu datés, mais un Américain moyen passe, chaque mois, 2 minutes sur Twitter et 7 heures sur Facebook.
David Carr
Comment faites-vous pour vérifier que les contenus que vous publiez ne sont pas des fakes? Pour ma part, je considère qu’Internet est un four auto-nettoyant…
Eli Pariser
Si on publie un fake, c’est une catastrophe pour nous. Car la seule chose qui compte, c’est la confiance de notre communauté.
David Carr
J’adore ceux qui disent cela et qui écrivent «nous sommes désolés» en tout petit lorsqu’ils se sont trompés.
Eli Pariser
On a une charte à Upworthy à ce sujet. Celle-ci stipule que l’on se doit de publier les corrections dans une typographie aussi grande que celle qui a servi à publier l’histoire originale. Et on doit mettre le même soin à rendre virales nos excuses que nos autres productions.
Alice Antheaume
lire le billetIl a beau faire froid dehors, la météo réchauffe les audiences médiatiques. Filet à internautes, attrape-téléspectateurs, elle ne connaît pas la crise que traverse la presse. Une manne pour les éditeurs qui négligent trop souvent l’apport éditorial des contenus liés au temps. Leur réserve peut se comprendre. Ils craignent sans doute de verser dans de l’information servicielle et de multiplier des contenus ras-les-pâquerettes, comme des micros-trottoirs sur le temps qu’il fait en avril.
Politique météorologique
Pourtant, la météo peut donner lieu à des traitements éditoriaux originaux. Passons sur l’art de cuisiner la neige, une recette publiée par le Guardian, ou sur cette animation interactive qui propose aux internautes de fabriquer un bonhomme de neige derrière un écran, là encore sur le Guardian. Il y a de quoi faire du sérieux, chiffres à l’appui.
Jean Abbiateci, journaliste de données indépendant, s’est amusé à compiler la pluviométrie et les températures en fonction des gouvernances des chefs de l’Etat français. Résultat, “François Hollande fait pleuvoir (+ 22%), Nicolas Sarkozy a provoqué la sécheresse (-15 %) (…) Jacques Caliente Chirac a fait monter la température (+ 11 %) tandis que François Mitterrand a bien refroidi l’ambiance (- 7%).”
Comparer la météo et la politique, c’est “totalement absurde”, juge le journaliste, même si la démarche est inspirée par la lecture d’un article du Guardian, “Is the weather worse under the Coalition?”, qui montre que “l’arrivée au pouvoir de Margaret Tatcher a entraîné une hausse de la pluie dans le Royaume tandis que, sous Gordon Brown et David Cameron, les températures ont chuté, en comparaison avec les années du bouillant Tony Blair…”
Jean Abbiateci a publié son travail le 1er avril, comme un poisson d’avril donc, pour “s’éviter la peine de recevoir des mails au premier degré comme “Mais vous croyez vraiment que les politiques sont responsables de la météo? Mais vous êtes idiot mon pauvre ami…”, m’explique-t-il. Pas si idiot, car les données de départ sont justes, elles proviennent des archives météorologiques du site Infoclimat sur la ville de Paris. Banco, donc, car ce contenu est davantage consulté que la moyenne des autres contenus diffusés sur son blog, Papier Brouillon, m’indique encore Jean Abbiateci.
La manne météo
La météo, pourvoyeuse officielle de données journalistiques? C’est ce que croit David Kenny, le président de The Weather Company, l’équivalent américain de Météo France, un producteur de contenus présent via une chaîne de télévision câblée, The Weather Channel, un site Web, weather.com, et des applications pour mobile et tablette. Il s’était exprimé à ce sujet lors du Monaco Media Forum de novembre 2012 et avait détaillé l’offre immense de son média: des prévisions météo, des analyses, mais aussi des données en temps réel, des vidéos – «toujours en live», sans replay, «car personne ne souhaite voir le temps qu’il faisait la semaine dernière», a stipulé David Kenny – sans oublier des breaking news et des tweets en continu.
Lorsque l’ouragan Sandy débarque sur la côte Est des Etats-Unis, les chiffres d’audience sont faramineux sur la seule journée du lundi 29 octobre 2012: plus de 2 millions de personnes ont regardé The Weather Channel, le site a enregistré 300 millions de pages vues, l’application mobile 110 millions de pages vues et il y a eu 9.6 millions de connections au «live».
Après coup, David Kenny s’est réjouit à mots voilés. «Sandy, c’est tragique, mais cela a été un grand moment pour nous». Et d’ajouter que le public a davantage regardé la chaîne The Weather Channel depuis tablette pendant Sandy plutôt que sur la télévision… jusqu’à ce que la batterie de la tablette soit à plat – les coupures d’électricité ont été nombreuses à ce moment-là.
Mobile toute
Les rapports l’attestent: la météo est faite pour les outils mobiles – bien plus que sur ordinateur – si ce n’est pas l’inverse. Selon l’étude Comscore intitulée “Mobile Future in Focus 2013“, 67.1 % des interrogés déclarent consulter la météo depuis leur smartphone quand 64.6% d’entre eux le font via leurs tablettes. Preuve de cet engouement, en février 2013, l’application de la chaîne Météo – appartenant au Figaro (merci Benjamin Ferran pour la correction) – figure en deuxième place pour les tablettes et en troisième place pour les téléphones du classement des applications de l’OJD.
Dernier point intéressant pour les éditeurs: la météo est l’un des sujet d’interaction préféré des internautes. Et pour cause, chacun a un avis sur la météo et est capable de prendre une photo d’un paysage sous la pluie ou au soleil. En témoigne le nombre inouï de photos déversées sur les réseaux sociaux au mois de mars, et notamment à Paris, lorsque la neige a recouvert voitures et rues. Les internautes vont même jusqu’à poser des webcams pour filmer, depuis un toit, les bourrasques ou autres événements du quotidien.
Etes-vous passionné par la météo? Considérez-vous que c’est de l’information?
Alice Antheaume
lire le billetAprès le plantage de quelques médias américains, New York Times compris, au moment de donner le nom de l’auteur de la tuerie de Newtown – le nom de Ryan Lanza est d’abord apparu avant que la correction soit faite pour attribuer le meurtre à son frère Adam Lanza, les techniques de fact-checking ont été très débattues à South by South West 2013, le festival des nouvelles technologies qui se tient chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Journalisme de niche, le fact-checking politique est devenu une vraie spécialité, estime Bill Adair, le fondateur de Politifact, un projet lancé en 2007, récompensé par un prix Pulitzer, qui veut disséquer les propos des responsables politiques du pays afin d’en distinguer le vrai du faux.
>> Lire aussi: à SXSW2013, leçon pour informer sur une tablette >>
Comment ça marche dans les cuisines de Politifact? Comme dans un fast-food, détaille Bill Adair lors d’une table ronde intitulée “Fast food and fact checking”, avec des procédures éditoriales pour garantir la “fraîcheur” du produit, des “mesures de sécurité”, et une “recette secrète” pour composer les contenus.
1. Le sujet de la déclaration qu’on s’apprête à vérifier peut-il intéresser quelqu’un?
Il faut une audience pour tout contenu.
2. La déclaration de tel ou tel homme politique est-elle vérifiable et mérite-t-elle de l’être?
Selon Bill Adair, “si on est sûr que c’est vrai, et que cela n’apporte rien que de procéder à un fact-checking, on laisse tomber”.
3. Est-elle vérifiable dans un temps “raisonnable”?
“On ne passe pas plusieurs semaines sur une phrase”, tranche Bill Adair.
4. La déclaration est-elle un jugement de valeur?
Si oui, passez votre chemin, car “les opinions ne se vérifient pas”, reprend le patron de Politifact.
Chaque contenu sur Politifact est composé de plusieurs ingrédients, comme les couches qui forment un hamburger.
* Le pain –> le titre.
* La moutarde –> le descriptif de la situation au cours de laquelle le responsable politique a prétendu telle ou telle chose.
* La salade –> la déclaration qui va être passée au crible.
Celle-ci est citée in extenso et est complétée par le “plus de contexte possible”, souligne Bill Adair.
* La tranche de tomate –> la transition.
Elle permet de passer de la déclaration aux paragraphes suivants, qui concernent les faits.
* Le steack –> l’exposé des faits et l’analyse qu’en tire le journaliste.
* Les grains de sésame sur le pain –> la conclusion.
Elle tient en deux lignes et indique au lecteur si la déclaration politique examinée est vraie ou fausse.
Pour Bill Adair, il importe aussi que chaque contenu soit correctement tagué: “il faut assigner à chaque fact-checking le nom d’un homme politique (celui qui a fait la déclaration), d’une campagne électorale (le contexte), d’un sujet (ce sur quoi porte la déclaration), d’un reporter (l’auteur du fact-checking) et un vote (son nombre de likes et de retweets)”, développe-t-il, pas peu fier d’avoir pensé à cette structure, car au moment de lancer l’application mobile de Politifact, le “rangement” était d’autant plus simple à mettre en place avec des catégories déjà installées.
Alice Antheaume
lire le billetAu rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Outre le mot “moment”, en passe de devenir le terme-valise pour qualifier une actualité/un partage/une expérience médiatique, sur quoi miser?
#STRATEGIE
L’année dernière, à la même date, j’avais parié – bien sûr sans le souhaiter – sur des disparitions parmi les médias du Web. La faute à un nombre exceptionnel d’initiatives en ligne, lancées en France, qui se cannibalisent sans doute les unes et les autres et n’ont que le marché francophone comme terrain de jeu. On ne va pas faire semblant de vivre au pays des Bisounours alors que nombreux sont les médias qui, dans l’hexagone, serrent les dents. Citizenside, l’agence de photos communautaires, est en cessation de paiement. Le Monde prétend que le site Rue89 serait en «crise d’identité» un an après son rachat par Le Nouvel Observateur, en décembre 2011, alors que tout va bien, merci, rassurent les équipes. Bref, chacun attaque son concurrent, sa stratégie et ses ressources. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter.
Ce serpent de mer n’a jamais vraiment disparu, mais en 2013, «on verra une grande quantité de producteurs de contenus passer d’un modèle économique basé sur la publicité à un modèle d’abonnements ou de paiement à la consultation», annonce le rapport «Digital and Media predictions 2013» publié par l’agence Millward Brown.
«Il ne s’agit pas tant de faire en sorte que les gens paient pour consulter des contenus. Il s’agit de faire en sorte que les plus actifs de ces gens paient», me précise Andrew Gruen, chercheur à l’Université de Cambridge, ancien journaliste pour CNet et la BBC. «Cela peut se traduire par des paywalls qui marcheraient comme des compteurs ou par des publications additionnelles calibrées pour une audience de niche comme Politico Pro».
Le Guardian a sa conférence, «The Changing Media Summit». Mashable a la sienne, intitulée «Mashable Media Summit». All Things Digital en a une série également. En France, Les Echos en organisent, et Libération, dont les ventes en kiosque ont baissé, annonce vouloir miser en 2013 sur le numérique et sur l’organisation de… 23 conférences.
A quoi cela sert-il, pour un média, d’organiser des événéments? A s’offrir, si le programme de la conférence s’avère bien conçu, une campagne d’image pour sa marque. A faire venir des interlocuteurs de renom et à avoir de quoi alimenter des articles en restant à demeure. Et à inviter d’éventuels annonceurs à l’événement.
#FORMAT
J’en ai déjà parlé beaucoup ici. La vidéo en live et/ou découpée en petite séquence pourrait devenir la nouvelle façon de raconter l’information pour l’année à venir. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal s’est allié pour lancer sa plate-forme, WorldStream.
Le saut supersonique de Felix Baumgartner, le 14 octobre dernier, à 39 kilomètres de la Terre, a été vu en direct par des millions de personnes – avec un pic de 8 millions de personnes en simultané sur YouTube et une vague d’enthousiasme sur les réseaux sociaux. Derrière cet exploit, une marque de boissons énergisante, Red Bull, qui s’est offert une publicité à vie.
Quant au site américain Buzzfeed, il mélange publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Il s’agit de contenus créés par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Des contenus qui bénéficient parfois du même taux de partage que des contenus journalistiquement “purs”.
C’est Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab, qui a insisté sur ce point lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po le 10 décembre. Fleurissent des applications qui permettent de calibrer les contenus en fonction du support depuis lesquels on les lit. Ainsi, l’application Circa pioche à droite et à gauche les informations les plus importantes du jour et les ré-édite afin qu’elles soient lisibles sur un petit écran de smartphones, avec les faits d’un côté, les photos de l’autre, les citations. Pour ne plus avoir besoin de zoomer, de dézoomer et de scroller sur son téléphone pour espérer lire une histoire. Summly, une autre application mobile, fait des résumés des sources que l’utilisateur sélectionne, en les formatant pour une lecture mobile.
Les contenus «évolutifs» ne sont pas qu’une question de supports. Il s’agit aussi des temps de lecture: si un lecteur vient pour la première fois sur un site, il ne verra pas la même chose que celui qui est déjà venu plusieurs fois, et qui veut donc repérer d’un coup d’œil ce qui est nouveau depuis sa dernière venue, ainsi que le théorise cette start-up appelée Aware.js «Et si on pouvait proposer différents éléments d’un même contenu en fonction de ce que le lecteur sait ou ne sait pas?».
Impossible d’y échapper. Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
#UTILISATEURS
De plus en plus de monde sur les réseaux sociaux (25,6 millions de Français inscrits sur Facebook selon Social Bakers, et plus de 7 millions sur Twitter selon Semiocast), cela finit par faire beaucoup de bruit. Le rôle de filtre du journalisme, qui fait le ménage dans ce gigantesque flux, devient crucial. Problème: les erreurs commises lorsque se déroule un événement en temps réel, comme cela a été le cas avec la publication sur les réseaux sociaux de photomontages clownesques lors de l’ouragan Sandy sur la côte Est des Etats-Unis ou avec la désignation erronée du tueur de Sandy Hook, dans le Connecticut. Des erreurs qui entachent la crédibilité des réseaux sociaux, jugent leurs détracteurs, et soulèvent des questions d’éthique journalistique.
Qu’importe, c’est ainsi que se déroule l’actualité désormais, écrit Mathew Ingram, sur le site GigaOM. «Autrefois, la fabrication de la matière journalistique faisait déjà l’objet d’un processus chaotique mais il ne se déroulait pas sous les yeux du public. Au sein des rédactions, les journalistes et rédacteurs en chef se démenaient pourtant désespérément pour recueillir des informations auprès des agences de presse et d’autres sources, pour les vérifier tant bien que mal, avant de les raconter. L’avènement de l’information en continu, par exemple sur CNN, a levé une partie du voile sur ce processus, mais les médias sociaux ont retiré tout le voile – maintenant, la publication des nouvelles se passe en temps réel, au vu et au su de l’audience.»
Le problème numéro 1 des utilisateurs de smartphones – et surtout d’iPhones: recharger leur batterie de téléphone, à plat après quelques heures d’utilisation. Les prises d’électricité, promesses d’une recharge salutaire, n’ont jamais été aussi séduisantes et les chargeurs aussi sexys. «Bientôt, on posera nos smartphones sur une table et cela les rechargera sans que l’on ait besoin de les raccorder à une prise», espèrent les optimistes. Fourmillent déjà quelques bonnes idées d’accessoires pour accompagner l’utilisation du mobile en déplacement, comme cette coque ou cette trousse dans lesquelles il suffit de glisser son téléphone pour que celui-ci se recharge.
L’idée est évoquée dans le rapport «Digital and Media predictions 2013» de l’agence Millward Brown: le mobile, avec ses capacités de stockage exceptionnelles, «devient la télécommande qui contrôle nos vies (…). Imaginez que vous entriez dans une pièce et que l’ambiance s’adapte soudain à vos préférences personnelles – lumière tamisée, musique jazz qui s’enclenche, et photos de votre plage favorite qui s’affichent sur les murs».
Bref, tout est là, à portée de doigt. Et au fond, votre mobile sait mieux que vous ce qui vous convient puisqu’il connaît tout de vous: qui vous appelez, à qui vous écrivez, quels mots vous employez, quelle musique vous écoutez, à quelle heure vous vous réveillez, quelles photos vous regardez, quels sites vous consultez…
Sur quoi misez-vous pour 2013? Dites-le dans les commentaires et sur les réseaux sociaux. En attendant, très bonnes fêtes à tous !
Alice Antheaume
lire le billetA l’entrée de Buzzfeed, au 11ème étage d’un immeuble new-yorkais à la façade non ostentatoire, trône un immense badge jaune vif sur lequel est écrit en lettres noires «LOL». C’est ce même macaron qui orne le site, ainsi qu’une ribambelle d’autres, tels que OMG (Oh My God), geeky, cute, fail, etc. Ces badges au look très années 80 sont un moyen de classer les contenus en fonction des émotions de l’audience: alors que les lecteurs peuvent «badger» une vidéo, une liste, une image ou un lien avec l’une des catégories proposées, un algorithme répartit ensuite les contenus dans telle ou telle section.
Bienvenue dans les entrailles d’un drôle de site qui se considère moins comme une rédaction que comme une société de nouvelles technologies. A sa tête, Jonah Peretti, une star de la viralité et du mobile, et Scott Lamb, le directeur de la rédaction, à l’origine du compte Twitter moquant la jambe de grenouille d’Angelina Jolie lors des Oscars, et invité de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).
Tout est fait maison
Ni l’un ni l’autre ne prétendent faire du journalisme, mais du «contenu social», oui. Pour alimenter la machine, une cinquantaine de producteurs de contenus, les «buzzfeeders», appelés aussi des éditeurs – «même si on se déteste de ne pas avoir trouvé de meilleur qualificatif», confie Ben Smith, le rédacteur en chef – plus une trentaine de développeurs, la «plus grosse équipe de dév’ qui existe sur le marché» de l’information en ligne, et, enfin, une équipe intitulée «Growth» dédiée à la croissance de l’audience. Celle-ci, dirigée depuis un mois par Dao Nguyen, une ancienne du Monde.fr, veut travailler davantage sur des ressorts technologiques que sur du marketing ou du SEO (search engine optimization, ou référencement) pour analyser le trafic et le «booster».
Car, à Buzzfeed, tout est fait maison, rien n’échoie à des prestataires de services. Les serveurs leur appartiennent, le CMS est développé en interne, les formats et applications aussi, et même les pubs…
«Les rédactions traditionnelles sont un peu ennuyeuses», soupire Ben Smith, qui a pourtant travaillé pendant des années au New York Observer, au New York Daily News puis à Politico, et, à chaque fois, pour y couvrir la politique américaine. Depuis qu’il a rejoint Buzzfeed en janvier 2012, il semble ne pas avoir encore posé ses valises. Dans le bureau en verre qu’il occupe, attenant à la rédaction, rien n’est encore installé, à l’image du média qu’il dirige. Des cartons non déballés stagnent dans un coin, et les fauteuils ont encore leurs étiquettes.
Après son arrivée, il a monté la section politique du site, présidentielle américaine oblige. S’il n’y a pas (encore) de section économie ni finance sur Buzzfeed, la culture Web y règne en maître, avec des «verticaux» pour la cuisine, la technologie, lifestyle, la musique, les animaux, et des intitulés inédits, comme «rewind» (en gros, des agrégats de souvenirs) et LGBT, l’acronyme de « lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres».
Avec des bureaux à New York, Washington DC et Los Angeles, Buzzfeed s’attache les services de journalistes habitués à faire du terrain, dont Richard Rushfield et Kate Aurthur, venus du Los Angeles Times. De quoi étoffer les équipes centrées jusque-là sur l’agrégation de perles repérées sur le réseau, sur l’édition de listes, très prisées sur le Web, et la création de GIFS animés.
Participer aux conversations
La ligne éditoriale de Buzzfeed? S’incruster dans les conversations sur les réseaux sociaux, voire créer de quoi y susciter le débat. Pour cela, cap sur des contenus qui valent la peine d’être partagés sur le Web. «On ne vient pas sur Buzzfeed pour lire, on y vient pour partager des contenus», martèle Ben Smith. Lorsque, dans des rédactions ordinaires, on surveille l’actualité avant de définir un angle, à Buzzfeed, on regarde 200 posts sur Tumblr chaque matin avant de trouver un sujet. «Le social est notre point de départ», reprend Ben Smith, qui estime que le contenu fonctionne d’autant mieux s’il est de la toute dernière fraîcheur.
«Créer un phénomène viral, ce n’est pas seulement faire en sorte que les gens cliquent sur des contenus. On veut les emmener plus loin et faire en sorte qu’ils partagent ces contenus sur les réseaux sociaux ou par email», explique Matt Stopera, l’un des éditeurs de Buzzfeed. Quant aux utilisateurs, ils sont encouragés à signaler tout élément intéressant à la rédaction via un formulaire assez strict. «Les lecteurs sont des auteurs et nous sommes l’agence de ces auteurs», dit encore Ben Smith.
Outre les histoires de chats et d’humour potache, Buzzfeed veut publier des longs formats, comme l’histoire du jeu vidéo Pong, créé en 1972, un format dont le site PaidContent se demande s’il ne devrait pas inspirer les magazines.
Pour l’instant, tout fonctionne comme sur des roulettes: le modèle Buzzfeed, avec ses 30 millions de visiteurs uniques par mois, fait l’objet de convoitises et embauche à tour de bras.
Autre spécificité notable: Buzzfeed n’a pas de scrupule à mettre les annonceurs en majesté et à mélanger publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Dans des rédactions ordinaires, la publicité est vue par la rédaction comme une quasi salissure. Chez Buzzfeed, parmi les informations mises en ligne, on trouve des contenus créés par des utilisateurs, par des éditeurs de Buzzfeed, et… par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Alors que, sur d’autres sites, les espaces publicitaires sont bien définis, avec, par exemple, des bannières publiées en colonne de droite, Buzzfeed ne s’embarrasse pas de tant de cérémonie. Le site est allé jusqu’à altérer son nom et son logo (Buzzfaux) pour les besoins d’une campagne de publicité de Campbell Soup.
Alice Antheaume
(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po et, de ce fait, à l’organisation de la conférence du 10 décembre 2012.
lire le billetSi les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker, invité à tenir à tenir une conférence, «l’échec des commentaires», au festival South by South West (SXSW), à Austin.
«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité».
Capter l’intelligence des foules? Raté!
«A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», commence Nick Denton. Quant au ratio commentaires utile/inutile, il s’avère désolant. «Si deux commentaires pertinents émergent, c’est qu’il y en a huit hors sujets ou toxiques», comptabilise le patron de Gawker.
Mary O’Hara, journaliste au Guardian, se dit elle aussi déçue par le niveau des commentaires. Lors d’une autre conférence de South by South West, elle a fustigé les préjugés qu’ont ceux qui commentent ses articles. «Mon nom de famille rappelle celui de vieilles familles catholiques irlandaises. Sans même avoir lu mes papiers, des lecteurs prétendent que mon travail est biaisé, juste parce qu’ils ont des croyances sur mon patronyme.»
Et cela n’arrive pas que dans la partie dédiée aux commentaires des sites de contenus. Sur Facebook aussi, et Twitter également.
>> Lire aussi ce WIP, écrit en 2010, sur les communautés des sites d’infos qui ont migré sur les réseaux sociaux >>
Inhibition face à l’innovation
L’heure serait donc grave. Pour Nick Denton, les journalistes, anticipant les railleries qu’ils pourraient provoquer, en viendraient à «avoir peur d’écrire certains articles». Bref, la crainte de recueillir des commentaires négatifs provoquerait même, dans les rédactions, de «l’inhibition», les journalistes se censurant pour éviter les tacles. Telle serait la véritable tragédie des commentaires.
Impossible, pour autant, de laisser en rade ceux qui ont pris l’habitude de commenter, souvent plus dans l’optique de passer le temps que pour vraiment débattre.
Surtout qu’ils sont nombreux. Entre 1.100 et 1.300 commentaires quotidiens sont écrits en moyenne sur lemonde.fr; 15.000 pour Le Figaro, sans compter les réactions sur les réseaux sociaux. 250 millions de messages sont désormais postés chaque jour sur Twitter.
Parmi ces millions de messages, une partie (non quantifiée) réagit à des contenus produits par des journalistes, et une partie (plus rare) peut même servir d’alerte sur l’actualité, comme l’a prouvé Sohaib Atha, également présent à South by South West, ce Pakistanais qui a, le premier, entendu un hélicoptère tourner, lors du raid ayant provoqué la mort de Ben Laden, il y a un an, et l’a tweeté.
Explosion de commentaires
«Un commentaire est posté toutes les 6 secondes sur notre site», m’explique Thomas Doduik, directeur des opérations au Figaro. «Bien entendu avec de tels volumes, tout n’est pas du même niveau. Mais je n’imagine pas un site d’infos qui ne donnerait pas la parole à son audience. Cela fait partie intégrante de l’expérience de consommation de l’information, qui depuis plusieurs années, n’est plus du haut vers le bas mais se construit avec cette audience».
Le problème, c’est que, plus l’audience des sites augmente, plus il devient difficile d’organiser les discussions autour des contenus, de façon à ce que le «meilleur» arrive en haut du panier, sans que cela ne prenne un temps démesuré.
Le nouveau système de Gawker
Gawker, après avoir tenté de taguer ses commentaires (cf ce précédent WIP), va donc lancer un nouveau système de gestion de commentaires dans six semaines.
Comment cela va-t-il fonctionner? Le premier lecteur qui commente un contenu détiendra la responsabilité du fil de discussion qui s’en suivra. Et aura le droit de modérer les autres, d’inviter des experts à participer, et de maintenir la discussion autour d’une seule idée – ce que Denton appelle le «commentaire fractionné». De quoi augmenter le nombre de pages vues. Car cela veut dire plusieurs fils de discussions sous un même article, donc plusieurs modérateurs, et des URL dédiées.
«L’idée principale de ce nouveau système, c’est de sentir propriétaire de la discussion», car, résume Denton, «sans la contrainte de la responsabilité», cela part dans tous les sens.
Le rêve de Denton derrière cette refonte? Que des personnalités citées dans les articles de Gawker, comme Dov Charney, le fondateur d’American Apparel, viennent eux-mêmes se défendre dans les commentaires. Il réfléchirait également à la possibilité d’avoir des «commentateurs invités», comme il y a des blogueurs invités ailleurs.
Leçons du passé
Au final, Nick Denton semble tirer deux leçons des systèmes de commentaires existants:
La médiocrité des commentaires, juste retour de bâton?
Et si la médiocrité des commentaires était le fruit du ton quelque peu cavalier employé par Gawker?, demande l’un des participants. Réponse de l’intéressé: «C’est vrai que de gentils sites tenus par de gentilles personnes encouragent un bon comportement. Mais ce n’est pas comme si l’auteur d’un article donnait le ton à tous les commentaires. Parfois, ce sont les commentaires qui donnent le ton à l’auteur.»
Trop facile? Evidemment que «les lecteurs ne rédigent pas de dissertations bien argumentées dans la section commentaires», écrit Dave Thier, qui collabore à Forbes. Pour ce dernier, gérer les commentaires sur des sites populaires est une tâche «difficile, mais pas impossible».
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Alice Antheaume
lire le billetSi la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, «Facebook aurait été une application mobile», et non un site pensé pour l’ordinateur, lâche Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook, lors du Mobile World Congress, l’immense raout annuel de la téléphonie organisé à Barcelone. Pendant quatre jours, plus de 60.000 personnes venues du monde entier se réunissent pour parler téléphones, tablettes, processeurs, écrans, applications, Web et usages.
De Facebook à Google, en passant par les opérateurs de télécoms et les producteurs d’informations, les avis sont unanimes: le mobile, considéré comme le nouvel eldorado de la consommation de contenus, serait sur le point de reléguer l’ordinateur au rang de brontosaure.
Revue des signaux, entendus pendant le Mobile World Congress, qui veulent faire du mobile (smartphone ou tablette) une extension du futur.
«La révolution du smartphone va être universelle», prédit Eric Schmidt, de Google, lors de son discours le mardi 28 février. Et elle ne ferait que commencer. Seul 1 milliard d’happy few possède un téléphone. Sur les 7,3 milliards d’habitants que compte le monde, cela fait beaucoup qui n’ont en pas. «Des milliards de gens n’ont jamais téléchargé d’application, jamais joué à Angry Birds, jamais utilisé le GPS depuis leur mobile pour rentrer chez eux», énumère Eric Schmidt.
Pourtant, «si Google voit juste, il y a aura bientôt un téléphone Android dans toutes les poches», poursuit-il, citant 300 millions d’Android déjà en circulation, dont 850.000 téléphones seraient activés chaque jour. D’après une étude Cisco, le nombre de terminaux mobiles devrait atteindre 10 milliards en 2012, dépassant ainsi le nombre d’habitants de la planète (1). A ce rythme, Google va bientôt «fabriquer des gens» pour faire face à la croissance des mobiles, blague le dirigeant de Google.
Dans le futur, «la technologie doit disparaître», théorise Eric Schmidt. C’est-à-dire ne pas se voir, se fondre dans des outils de plus en plus petits, de plus en plus intégrés à nos vies. «Fini le temps où l’on devait chercher quel câble va avec quel ordinateur, le temps où l’on devait trouver pourquoi votre PC bugue. Désormais, la technologie doit juste être là. Le Web sera à la fois tout, et rien. Comme l’électricité. Toujours là.»
J’ai déjà parlé ici du volume de données auquel on est soumis, en ligne. J’ai moins parlé du déluge d’applications mobiles. Sur ce plan, il y a de quoi dresser un tableau vertigineux: 500.000 applications disponibles sur l’App Store, 400.000 sur l’Android Market. Plus de 19.000 nouvelles applications viennent s’y ajouter chaque semaine, d’après les chiffres de la société d’analyse Distimo.
Ingérable!, fustige Scott Jenson, directeur artistique de Frog, lors d’une conférence au Mobile World Forum sur l’évolution des applications mobile. Celui-ci note que, à cause de ce débordement d’applications, nous «jardinons dans nos téléphones». Métaphore pour montrer que nous y plantons des graines (télécharger des applications), nous arrosons (mettre à jour ces applications), faisons pousser des plantes (lancer ces applications), et désherbons (supprimer celles qui ne conviennent plus).
Pour Scott Jenson, si Google a su installer la recherche sur des pages Web, à l’aide d’un «page rank», le futur sera au classement des applications sur le même principe.
En attendant, et d’après Médiamétrie, les applications mobiles les plus consultées en France sont Google (10,4 millions de visiteurs uniques au cours du mois de janvier 2012), YouTube (8 millions de VU), iTunes (7 millions de VU), Google Center (3,8 millions de VU) et… Facebook (3,2 millions de VU).
Quelles informations sont calibrées pour le mobile? Celles qui sont faites pour être lues à l’instant T, en situation de mobilité, celles qui sont urgentes, celles qui sont produites tôt le matin et tard le soir, celles qui sont visibles sur de petits écrans, celles qui pensent social et référencement. Telle était la liste des critères définis dans un précédent WIP.
En 2012, il faut ajouter à cette liste un nouveau format: la vidéo. C’est ce qui a été répété, à maintes reprises, lors de cette édition 2012 du Mobile World Congress.
Et les chiffres l’attestent: en 2011, le trafic lié à la vidéo a représenté 52% du trafic Internet sur mobile, constate Cisco. «La vidéo, c’est la nouvelle façon des utilisateurs de communiquer», pense John Chambers, le président de Cisco. Et de rassurer ses homologues: à l’avenir, «nos revenus proviendront de ces vidéos».
Côté médias, même tendance à considérer la vidéo comme le nouveau parangon du contenu mobile. Safdar Mustafa, le directeur des activités mobiles d’Al-Jazeera, atteste que la vidéo, oui, ça marche, mais surtout la vidéo en live. «Le live stream de vidéos est un format primordial pour Al-Jazeera, sur mobile et sur d’autres plates-formes».
Les spécificités de ce live stream en vidéo? Image de haute qualité et flux disponible gratuitement, détaille-t-il. Et si, pour Al-Jazeera, le mobile compte tant, c’est que cette plate-forme correspond aux usages de tous ces particuliers qui ont, pendant les révolutions arabes, envoyé des informations, notamment vidéos, par ce biais. «Dans un contexte où il est très difficile, en ce moment, d’obtenir des informations, notamment en Egypte et en Syrie, les contenus que l’on reçoit d’amateurs sont envoyés par mobile. A nous d’intégrer ces usages dans nos applications mobiles».
Au Mobile World Congress, le mot «cloud» est sur toutes les lèvres. Le «cloud», ce nuage qui flotterait en permanence au-dessus des têtes et garderait à disposition toutes les données dont on pourrait avoir besoin, est «le nouveau paradigme», estime René Obermann, le président de Deutsche Telekom. Un état de fait, et non un privilège. «C’est perçu comme une commodité, qui doit être accessible tout le temps, sans faille», reprend René Obermann.
«On a vendu de la voix (au sens d’appels téléphoniques, pas au sens de contrôle vocal, ndlr) pendant des années, et maintenant, on vend de l’accès à Internet, en mobilité», résume Jo Lunder, de VimpelCom. Le smartphone, cordon ombilical, relie son propriétaire au Web et donc au monde. Tel est l’axiome sur lequel capitalise déjà toute une industrie. Un axiome qui offre aux producteurs d’informations une nouvelle lucarne.
Toujours selon Cisco, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles mondiaux devrait être multiplié par 18 d’ici 2016. Difficile de renoncer, une fois que l’on y a goûté, à cette connexion permanente. Même l’eau n’est plus supposée être un obstacle à l’utilisation du mobile, à en voir ces tablettes et téléphones étanches, plongés dans un aquarium, sur le stand de Fujitsu. Le démonstrateur fait voir aux curieux que, même dans l’eau, le téléphone reçoit des appels – il n’a pas montré comment on pouvait parler à son interlocuteur, dans cette configuration.
Attention à ne pas transformer le téléphone en Frankenstein de nous-mêmes, éclate Andrew Keen, l’auteur du «Culte de l’Amateur», qui s’apprête à sortir «Vertige numérique». «Avec notre addiction croissante à nos téléphones portables, nous risquons de créer un monstre que nous serons de moins en moins capables de contrôler», écrit-il. «J’exagère? A quel point vous sentez-vous nu sans votre téléphone?».
Cette angoisse a désormais un nom: la «nomophobie», qui désigne la peur de perdre son téléphone ou d’être sans téléphone. Selon une étude réalisée au Royaume Uni, 66% des personnes interrogées souffriraient de ce nouveau mal.
(1) En France, selon le rapport Comscore intitulé Mobile Future in Focus, le taux de pénétration des smartphones, ces téléphones dotés de connexions à Internet, serait de 40% en décembre 2011 – moins que pour l’Angleterre (51,3%) et l’Espagne (51%).
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Alice Antheaume
lire le billetAvant l’arrivée du nouveau Facebook, la question était déjà sur toutes les lèvres des éditeurs: quels sont les critères d’un contenu facebookable?
A voir la liste des 40 articles les plus partagés au cours de l’année 2011 aux Etats-Unis, liste publiée sur le compte Facebook and Media, Yahoo! est le mieux placé en termes de taux de partage de ses contenus sur le réseau social, avec 11 articles parmi les 40 les plus partagés sur l’ensemble de l’année, suivi de CNN (10 articles sur 40) puis, ex-aequo, le New York Times et le Huffington Post avec 7 articles.
“La gamme des histoires va du mignon au cérébral et représente le type d’informations que les gens ont partagé et découvert entre amis en 2011”, écrivent les équipes de Facebook.
Voici le podium:
1. Photos par satellite du Japon, avant et après le passage du tremblement de terre et le tsunami (New York Times)
2. Ce que les profs voudraient vraiment dire aux parents d’élèves (CNN)
3. Non, votre signe astrologique n’a pas changé (CNN)
AA
lire le billetComment être sûr qu’un témoignage, publié sur un réseau social, est authentique? Comment s’assurer qu’une image n’est pas un photomontage ou un vieux cliché ressorti des limbes? En glanant, sur le Web , des éléments pour couvrir l’actualité en temps réel, les journalistes doivent repérer les «fakes», ces faux (messages, photos, vidéos, comptes) qui cohabitent, en ligne, avec de vraies infos. Sans précaution ni vérification, c’est la faute de carre. Aussitôt relayée – et moquée – à son tour.
L’enjeu, pour un journaliste, c’est de vérifier que, par exemple, le tweet publié par un étudiant annonçant l’arrestation de Dominique Strauss-Khan, en mai 2011, ou la photo de l’avion sur l’Hudson diffusée sur Twitter par un citoyen américain, en janvier 2009, correspondent à la réalité.
«Il n’y a pas de recette miracle, la vérification des contenus trouvés en ligne passe par un travail d’enquête journalistique», m’explique Julien Pain, responsable du site Les Observateurs pour France 24. Outre Atlantique, les journalistes de Times Union considèrent «les propos glanés sur les réseaux sociaux de la même façon qu’un email anonyme, une information entendue à la télévision, ou un témoignage d’un homme dans la rue: toutes ces sources peuvent nous alerter sur un sujet potentiel, ou sur les détails d’un sujet. Dans tous les cas, nous vérifions tout de façon indépendante avant de le raconter dans le journal ou sur notre site.»
Voilà pour la théorie. Mais en pratique, comment faire? Y a-t-il des outils spéciaux? Faut-il recouper les sources comme le veut la méthode traditionnelle d’enquête? Voici cinq étapes, basées sur les pratiques de journalistes professionnels, en France et à l’étranger, pour vérifier une potentielle information venue du Web.
C’est le premier réflexe à avoir. Il faut d’abord repérer le compte (sur Twitter, sur YouTube, sur Facebook, sur un site de presse, etc.) de celui ou celle qui, en premier, a évoqué un élément d’info. Puis découvrir si le nom affiché sur ce compte est un pseudonyme ou le vrai patronyme de cette personne. Ensuite récupérer son numéro de téléphone, son compte Facebook ou son adresse email pour entrer en contact avec elle, et espérer pouvoir rapidement procéder, via téléphone, à une interview.
Ce premier contact permet de vérifier l’élémentaire, via des questions basiques 1. Le témoin se trouve-t-il bien sur les lieux de l’événement dont il parle en ligne? (si un témoin prétend sur Facebook qu’il y a le feu dans un immeuble du 18e arrondissement de Paris et qu’il est joignable sur un numéro de l’Est de la France, méfiance) 2. Le témoin peut-il donner des détails sur ce qu’il s’est passé (date, heure, circonstances, nombre de personnes présentes)? 3. Le témoin peut-il décliner son identité? 4. Le témoin peut-il dire avec quel matériel il a publié son contenu en ligne?
«C’est toute la question du crédit que l’on apporte à celui qui aurait posté une vidéo sur YouTube», reprend Julien Pain. «Pour m’assurer que mon contact est bien celui qui a filmé la scène, je lui demande de m’envoyer son fichier original, avant encodage sur YouTube. Si c’est bien lui qui a produit le contenu, il doit avoir ce fichier. Si le type me dit “euh, je ne sais pas où je l’ai mis”, il n’est pas une source fiable.»
Même processus du côté de la BBC, qui dispose de journalistes regroupés dans une section spéciale, l’«UGC Hub» (UGC= user generated-content, c’est-à-dire les contenus générés par les utilisateurs). Ceux-ci traquent et vérifient tout ce qui vient du Web, comme le décrit Nicola Bruno dans son excellente recherche «Tweet first, verify later» pour le Reuters Institute for the Study of Journalism. On peut y lire que, pour James Morgan, un journaliste de la BBC, «le meilleur moyen pour authentifier une personne est de lui parler. Si cette source n’est pas légitime, elle buttera très vite pour répondre à des questions factuelles», comme par exemple «qu’est-ce que vous voyez autour de vous?».
Problème, dans les pays arabes, c’est beaucoup plus compliqué d’entrer en contact avec le producteur du contenu en question. Et ce, pour plusieurs raisons. Parce que l’accès à Internet peut être suspendu, comme en Egypte ou en Libye, empêchant les manifestants d’envoyer eux-mêmes des nouvelles en ligne. Certains ont alors fait parvenir leurs messages par SMS à des connaissances, parfois situées à l’étranger, afin que celles-ci les transfèrent sur les réseaux sociaux via, cette fois, une connexion au Web opérante. Et, parce que la difficulté du réseau et des communications étant ce qu’elle est, cela peut prendre des heures à un journaliste pour joindre quelqu’un. A ce titre, la Syrie est très difficile à couvrir, d’autant que les journalistes professionnels ne sont pas autorisés à s’y rendre. «Sur place, les gens ont peur d’être repérés, donc ils ne cessent de changer leurs numéros de téléphone, et leurs cartes SIM. Parfois, tu passes une journée à appeler sur des numéros, et aucun n’aboutit».
Une photo d’un tremblement de terre en Chine de 2008, publiée par erreur pour évoquer le séisme d’Haïti, en 2010, c’est arrivé. Une vidéo qui prétend montrer un massacre en Côte d’Ivoire en mars 2011 alors qu’elle concerne sans doute un autre Etat africain, à une date antérieure, également.
A France 24, ce travail de contextualisation repose sur «le réseau». En clair, une base de données de 30.000 personnes dans le monde qui se sont inscrites sur le site de la chaîne «en disant qu’elles voulaient collaborer avec nous», précise Julien Pain, dont 3.000 «avec qui nous avons déjà travaillées», et dont certaines habitent dans des villages d’Afghanistan. A quoi cela sert? «Si j’ai une vidéo soi-disant tournée dans un coin reculé du Mali, j’essaie de contacter quelqu’un qui habite tout près de ce lieu, répertorié dans la base de données. Je lui envoie la vidéo, il me dira si les images correspondent à son environnement, si les codes vestimentaires des gens que l’on voit sur la vidéo sont ceux de la région, si les murs des maisons sont bien peints comme cela dans cette zone, etc.»
Outre les indications de lieu, reste à s’assurer de la date de la prise de vue, qui n’est pas forcément celle de la mise en ligne. Et bien sûr, à essayer de comprendre – et raconter – ce qui est survenu avant et après la séquence filmée. «Le contexte, c’est le plus important», reprend Meg Pickard, un journaliste du Guardian interrogé dans le cadre de la recherche du Reuters Institute for the Study of Journalism. «Sur un live, tu peux dire des choses sans avoir toutes les données, en précisant qu’il y a des éléments que l’on ne connaît pas, ou dont on n’est pas encore sûr. Si quelqu’un prétend en ligne qu’une bombe a explosé à Londres, on pourra l’utiliser dans le format du live, dont l’essence est l’instantanéité. On pourra même tweeter “quelqu’un a-t-il entendu parler de cette bombe?” pour obtenir plus d’informations. Mais ça ne fera pas, tel quel, le titre d’un article. Et cela ne sera peut-être jamais publié dans le journal».
«Nous devons toujours recouper les informations factuelles trouvées sur des réseaux sociaux, en prenant garde au risque d’histoires fabriquées de toutes pièces sur Internet», détaille l’AFP dans ses principes pour les réseaux sociaux. Selon l’agence française, une déclaration trouvée sur un réseau social «ne doit pas être utilisée comme source pour annoncer un événement ni pour décrire un événement en cours, sauf si – comme pour un autre canal d’information – nous sommes certains de l’authenticité du compte sur lequel elle est publiée».
Et de rappeler une erreur commise: «Nous nous sommes ainsi laissés prendre dans le passé à un faux compte Twitter sur lequel le ministre britannique des Affaires étrangères était censé avoir envoyé un message de condoléances après la mort de Michael Jackson, se concluant par les mots: “RIP, Michael”.»
A Times Union, près de New York, la vérification repose sur «une combinaison de plusieurs choses: interviewer une personne qui raconte l’histoire, vérifier l’histoire dans des documents officiels s’ils existent (documents judiciaires, données de la police, chiffres, etc.), et obtenir des détails auprès d’institutions, communiqués, ou conférences de presse».
La sacro-sainte règles de la concordance des sources (c’est-à-dire obtenir de plusieurs personnes la même histoire avant de publier l’information) tient-elle? Tout dépend du contexte (voir point précédent). «En Libye, c’est très facile d’avoir trois personnes qui te disent la même chose, et tu te rends compte ensuite que c’est une légende urbaine. Tes sources arguent que “tout le monde le dit ici, donc c’est vrai”», déplore Julien Pain. Dans ce cas, «avoir des sources concordantes ne veut rien dire», tranche-t-il. «Je préfère avoir la version d’une personne fiable que je connais, que trois personnes qui me disent certes la même chose mais avec qui je n’ai jamais collaboré».
Quel appareil a permis de prendre cette photo? A-t-elle été modifiée? Y a-t-il un flash? Ces spécificités, bien utiles pour comprendre l’histoire d’une image, sont parfois disponibles en faisant un clic droit sur le fichier original pour accéder à «lire les informations». Avec un peu de chance, on peut voir si c’est une application iPhone qui a permis de prendre le cliché, si l’image a transité par email, et à quelle date et heure remonte la dernière ouverture du fichier.
Cette simple opération peut se révéler caduque, les données des images trouvées en ligne n’étant pas toujours disponibles.
Autre option: rechercher le parcours d’une image (ou ligne ou téléchargée sur votre bureau) sur le site Tineye, dont se servent Associated Press et la BBC. En scannant la photo, le moteur de Tineye retrouve, sur Internet, les images qui lui ressemblent, «photoshopées» ou pas. Ce qui facilite la vie d’un journaliste lorsque celui cherche à reconstituer les divers éléments d’un montage.
Quant à l’AFP, elle s’est dotée d’un logiciel appelé Tungstène qui analyse les métadonnées des images pour «voir si un objet ou une personne ont été retirés d’une photo, si un missile a par exemple été dupliqué sur une photo de guerre, si une foule a été densifiée ou si une image a été “surdéveloppée” pour la dramatiser – comme ce fut le cas avec une photo du volcan islandais Eyjafjöll.»
Ce logiciel, très coûteux, ne résout pas tout, d’autant que les données peuvent être modifiées à dessein. Mais disons que c’est un outil supplémentaire dans la vérification de l’authenticité des clichés.
C’est l’étape la moins empirique, et pourtant… Surveiller ce qui se dit sur le réseau, sur Twitter, sur Facebook, sur les blogs, et observer ce qu’écrivent amateurs et professionnels sur les morceaux d’informations glanés en ligne permet au journaliste de cerner plus vite ce qui suscite les doutes et les questions. L’exemple de la photo truquée de Ben Laden mort est éloquent. Aussitôt l’image de cet homme au visage tuméfié mise à jour, des interrogations sur l’origine de la photo et son authenticité ont affleuré sur les réseaux sociaux, avant que le bidonnage soit révélé, relayé encore une fois en ligne.
Du contenu, du contexte et du code: telle est la loi des «3C» définie par le blog britannique Online journalism. Une règle qui pourrait supplanter celle des «5W» – who (qui), what (quoi), when (quand), where (où), et why (pourquoi) – dont les journalistes se servent pour produire leurs contenus.
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Alice Antheaume
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