Finie l’adolescence pour Tumblr. Issu du verbe «tumble» – «faire tourner» en français -, ce mélange entre plate-forme de blogs et réseau social, créé il y a déjà 5 ans, en 2007, compte aujourd’hui 90 millions de visiteurs uniques mensuels dans le monde. L’audience de Tumblr a surtout flambé aux Etats-Unis, avec une «hausse de 218%!» en un an, s’exclame Comscore qui conclut «qu’il est grand temps de s’y intéresser».
Et ce, d’autant que Barack Obama a lui aussi lancé à l’automne son propre Tumblr pour la campagne présidentielle américaine de 2012, suivi de François Hollande, promettant de donner à voir les «coulisses de la Web-campagne» française – Martine Aubry était la première à avoir son Tumblr dès la primaire socialiste.
Cadence de publication intense et public ultra-jeune
MISE A JOUR: Coïncidence du calendrier, Tumblr vient d’annoncer vouloir monter en gamme dans le domaine éditorial et cherche des utilisateurs aux compétences journalistiques afin de mieux rendre compte de ce qu’il se passe sur sa plate-forme.
Même si seulement 3.5% du public de Tumblr provient (pour l’instant) de France, ce réseau peut valoir le détour pour éditer et diffuser des contenus journalistiques… mais pas de la même façon que sur un site d’informations traditionnel. Car la double spécificité de Tumblr, c’est 1. l’omniprésence des photos et 2. la possibilité de «rebloguer» des posts aussi vite que lorsque l’on «retweete» (republie, en VF) un message sur Twitter. En un clic, donc.
«Les utilisateurs Tumblr publient en moyenne 14 billets originaux par mois et en rebloguent 3. La moitié de ces billets sont des photos», informent les équipes de Tumblr. «Le reste se partage entre textes, liens, citations, musiques, et vidéos.»
Autres particularités de Tumblr: une interface ultra simple, que facilite encore l’application mobile qui permet de rebloguer les posts des autres et de publier les photos prises avec son smartphone en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et une audience plus jeune qu’ailleurs. Selon ce graphique publié par Alexa.com, les 18-24 et les 25-34 y sont très présents.
Incarner une voix
«Lorsque je gérais le Tumblr du magazine Newsweek, j’avais deux objectifs», me raconte Mark Coatney, qui a, depuis, été embauché par Tumblr et est devenu leur «évangéliste des médias». «Le premier, c’était de présenter Newsweek, dont les lecteurs ont en moyenne 57 ans, à une audience qui ne le lisait pas. Le second objectif, c’était de casser les barrières entre la rédaction d’un côté et le lectorat de l’autre.»
Bilan des courses: sur le premier point, «cela a bien marché, le Tumblr a drainé une nouvelle génération de lecteurs qui considérait jusque là Newsweek comme une publication pour leurs grands-parents», reprend Mark Coatney. «Mais la vraie plus-value est venue du deuxième point. J’ai publié des choses sur le Tumblr de Newsweek comme si j’étais un individu, quelque chose avec lequel les gens pouvaient communiquer facilement. J’ai reblogué des posts, répondu aux questions, et ai rebondi sur ce que les gens disaient. Cela améliore le système de publication traditionnel, où, en ligne, on relègue dans un ghetto les commentaires de l’audience, ghetto où l’on sait que la rédaction ne va vraiment.»
Contenus visuels d’abord
Et puisque la moitié des quelques 25 millions de posts publiés chaque jour sur Tumblr sont visuels, les histoires qui se racontent en images y trouvent leur compte. Exemple de Tumblr très suivi aux Etats-Unis: celui qui s’appelle «nous sommes les 99% (à n’avoir rien quand 1% de la population a tout)», où des citoyens américains se prennent en photo avec une pancarte indiquant qu’ils sont au chômage, endettés, sans assurance maladie, etc.
Ce n’est donc pas un hasard si le New York Times y publie des photos de mode très grand format et en pleine page. Pas étonnant non plus que le magazine Life exploite le filon, éditant par exemple une photo d’appel sur Tumblr de John F. Kennedy et Jackie Bouvier en tenue de mariés, qui renvoie vers un diaporama publié sur Life.com intitulé «Le jour du mariage de JFK et Jackie».
Ne pas parler que de soi
Extraire d’un contenu publié sur un média une image, une citation, une vidéo, pour mettre celles-ci sur Tumblr est sans doute l’utilisation journalistique la plus facile à mettre en place. Veille journalistique, «curation», sélection des meilleures histoires du jour, telle est la mission que s’est fixé le Tumblr de Reuters, qui renvoie vers des contenus de sa propre agence mais aussi d’autres sources.
Pour Mark Coatney, ce qui fonctionne, c’est lorsque, sur Tumblr, une «voix» incarne de façon personnelle la publication. «Une voix qui dit des choses intéressantes, qui ne parle pas que d’elle-même, qui répond aux autres utilsateurs de Tumblr et qui pose des questions», insiste-t-il. Exemple avec le Tumblr sur les coulisses de l’émission d’Anderson Cooper sur CNN, où les membres de son équipe sont photographiés et interviewés, les invités aussi, les apéritifs et autres festivités sont racontés, et Anderson Cooper lui-même fait l’objet de quelques railleries, notamment lorsque qu’il est saisi sur le vif en train de grimacer au moment de goûter un aliment sur le plateau de télévision.
Ambiance potache
Gifs animés, légendes ajoutées à la va-vite sur des photos – par exemple pour indiquer l’humeur de l’acteur Louis Garrel en fonction de sa tête, archivage d’images rigolotes – comme ce Tumblr sur François Hollande… Les blagues potaches sont le cœur de Tumblr. Atlantic note que «c’est hilarant». Ecrans y voit le «nouveau bastion de la Web culture».
«Tumblr est un outil fantastique pour couvrir la culture numérique du Web», acquiesce Mark Coatney qui regrette de ne pas avoir vu cette possibilité-là du temps où il travaillait encore pour Newsweek. Ce qu’a bien compris la rédaction de CNN Money, qui a lancé un Tumblr sur les nouvelles technologies dont le slogan est «tout ce qui se trouve dans nos carnets, nos emails et nos messageries instantanées».
Car oui, Tumblr peut aussi faire office de vide-poche journalistique: citations ou chiffres laissés de côté au moment de rédiger un article au nombre de signes limité, extrait d’une vidéo, photos prises en coulisses… Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, avait mis le doigt sur cette maximisation des ressources lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le 2 décembre 2011 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po: «Avant, lorsque je suivais un procès, je remplissais des carnets de notes et je ne publiais que 20% (dans le quotidien imprimé, ndlr). Avec mon blog Chroniques judiciaires, j’en publie maintenant entre 80 et 90%.»
Et demain, avec Tumblr, cela pourrait être 100% noté = 100% publié? A une condition: que la matière première recueillie par le journaliste soit, bien sûr, de premier choix.
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Alice Antheaume
lire le billetLe terme «visiteur unique» est un faux ami. Car le visiteur unique (VU) n’est pas vraiment unique. Cette unité de mesure de l’audience, graal des sites Web pour le marché publicitaire, désigne un «individu qui a cliqué sur le contenu d’un site au moins une fois pendant la période mesurée (généralement un mois, ndlr)», m’explique Berit Block, analyste européen pour l’institut Comscore, qui évalue le trafic des sites Web. Alors pourquoi s’appelle-t-il unique? «Parce plusieurs clics faits par une même personne n’augmente pas le nombre de visiteurs uniques».
Rien compris? Je reprends. Un visiteur unique sera compté une seule fois même s’il surfe deux fois sur le même site dans la journée, la semaine ou le mois. Mesurer le nombre de VU, c’est le travail que fournissent plusieurs instituts de mesure de l’audience en ligne, comme Médiamétrie/Nielsen Net Ratings, Comscore ou At Internet (anciennement Xiti), voire Google Analytics. Pour ce faire, soit ils projettent ce que fait leur panel d’internautes sur la population internaute globale (on parle alors de «user centric», de mesure centrée sur l’utilisateur) soit ils repèrent par des tags mis dans les pages des sites mesurés les mouvements de leur audience (on parle alors de «site centric», de mesure centrée sur le site, moins précise pour connaître l’utilisateur).
>> A ce stade de l’article, j’ai peut-être perdu du monde. Accrochez-vous, c’est maintenant que ça devient concret >>
Sur plus de 35 millions d’internautes en France que compte Médiamétrie, 22,7 millions d’internautes (2 sur 3) ont surfé, en mars 2010, sur un site d’info au moins — un site d’info peut être un agrégateur (Google actualités, Yahoo! actualités), le site d’un journal imprimé (lemonde.fr, liberation.fr, leparisien.fr, lefigaro.fr), un pure player (mediapart.fr, lepost.fr, slate.fr), ou la rubrique «actualités» d’un site de radio ou télé (europe1.fr, TF1 news, France 24).
Mais qui est le visiteur unique moyen des sites d’informations français? La question est simple, la réponse complexe, car selon les instituts de mesure d’audience, les chiffres ne sont pas les mêmes. A la fois sur le profil socio-démographique des internautes et sur leur comportement en ligne. La faute à des méthodologies et/OU des panels d’internautes différents (voir plus haut, pour les débats sur le sujet, voir ici). Mais avançons.
43 minutes par mois
«Le visiteur unique type d’un site d’informations, en France, a un peu plus de 55 ans, répond pourtant Berit Block, de Comscore. Aucun indicateur ne montre qu’il serait plutôt de sexe masculin ou de sexe féminin. La plupart des visiteurs uniques du Monde.fr ont entre 45 et 55 ans, voire plus de 55 ans. Mêmes catégories d’âge pour leparisien.fr et pour lefigaro.fr. Quant à Liberation.fr et Slate.fr, ils ont, eux, la majorité de leurs internautes dans la catégorie des 25-34 ans.»
Allons voir chez Médiamétrie maintenant. En moyenne, chaque visiteur ayant surfé sur un ou plusieurs site(s) d’actualité au mois de mars 2010 y a passé 43 minutes. Voilà pour l’ensemble. Si l’on rentre dans les catégories (pure players, sites de presse, etc.), cela donne le tableau ci-dessous.
Segments de la sous-catégorie Actualités |
Audience (000) |
Temps par personne |
Sites de presse |
17 210 |
00:31:41 |
Pure players / Web informations |
6 814 |
00:08:59 |
Rubrique news des chaînes TV / Radio |
8 450 |
00:09:58 |
Rubrique news des portails / Agrégateurs |
15 984 |
00:18:05 |
TOTAL |
22 720 |
00:43:07 |
Source: Médiamétrie mars 2010
Toujours selon Médiamétrie, les internautes de catégorie socioprofessionnelle supérieure «surconsomment» les pure players. «Les CSP+ représentent 37,1% de ces sites» alors qu’ils ne forment que 26,4% de la population internet globale. Mais sur l’information, cela ne veut pas dire grand chose: «Les jeunes de milieu défavorisé, personne ne sait où ils sont, dit un connaisseur. Ils semblent ne se connecter à aucun site d’info.
Boulimique et volatile
Autre enseignement: le VU français est gourmand — d’après Comscore, la population d’internautes a augmenté de 13% en France depuis un an, le nombre de VU sur les sites des titres de presse a augmenté plus vite, avec une moyenne de 30% d’augmentation — et, surtout, volage. Il y a un assez fort taux de duplication entre les VU des différents sites Web d’infos. Ils sont par exemple 2 millions par mois, selon les chiffres de Comscore, à aller à la fois sur lemonde.fr (6,9 millions de VU en mars) et sur lefigaro.fr (4,1 millions de VU). Côté Médiamétrie, on compte 5,9 millions d’internautes qui se sont rendus non seulement sur (au moins) un site de journal mais aussi sur (au moins) un pure player dans le même mois. «La plupart des VU consomme trois ou quatre sites d’informations par mois», reprend Julien Jacob, consultant.
Parmi les 17,2 millions de visiteurs de sites de journaux (une catégorie des sites d’infos) comptabilisés par Médiamétrie, seuls 20,6% d’entre eux ont uniquement visité ces sites de journaux, et ne sont allés ni sur les portails et agrégateurs (Google, Yahoo!…), ni sur les pure players, ni sur les rubriques «news» des chaînes TV/Radio, relève Estelle Duval, directrice du développement de Médiamétrie/Netratings.
Peu de visiteurs exclusifs
«La duplication des visiteurs sur les différents sites d’actualité est terrifiante et c’est aussi une formidable opportunité pour les sites Web d’infos de se refaire un style, une marque, un ton». Car ces statistiques ne servent pas qu’à appâter les annonceurs pour qu’ils achètent de la pub en fonction de la cible qu’ils visent. «En plus d’être une mesure pour le marché publicitaire, le VU est une mesure éditoriale, souligne Estelle Duval. Cela permet de mieux penser les rubriques d’un site, de savoir d’où vient le trafic, en accès direct sur la page d’accueil ou par moteur de recherche, par exemple, et qui sont les lecteurs».
Sans dire qu’il faille concevoir des contenus en fonction de ces chiffres, ceux-ci peuvent s’avérer très utiles pour piloter les sites d’infos. En regardant de près ces statistiques, «on découvre souvent le contraire de ce que l’on croyait savoir de son audience, s’amuse Julien Jacob. Il y a un vrai décalage entre le positionnement éditorial d’un média et sa perception par le public.» C’est bien ce qu’avaient expérimenté les fondateurs du Post.fr, au lancement du site en septembre 2007. Tout avait été alors conçu pour s’adresser à un public très jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher. Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «Quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. L’audience n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Un constat qui calme ceux qui croient avoir construit une signature éditoriale unique sur leur site Web. La cause de ce taux de duplication? Probablement l’uniformisation des contenus sur les divers sites d’infos.
Cherche visiteur engagé
Désormais, avoir un grand nombre de visiteurs uniques infidèles, impersonnels et zappeurs — souvent venus via une requête dans un moteur de recherche, n’est plus une fin en soi pour les sites d’information. Il s’agit désormais de transformer ce VU en visiteur régulier et impliqué, qui se connecte souvent et le plus longtemps possible: après le «bigger is better», valse à trois temps entre éditeurs, mesureurs et annonceurs, voici venu le temps du «small is beautiful».
Alice Antheaume
Quel type de visiteur unique de site d’infos êtes-vous? A vous de raconter vos pratiques dans les commentaires…