Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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Les innovations éditoriales pendant le débat Barack Obama/Mitt Romney

A cinq semaines de l’élection présidentielle américaine, c’était l’heure du premier des trois débats télévisés entre Mitt Romney, candidat républicain, et Barack Obama, candidat démocrate. Comment couvrir l’événement? Comment le raconter autrement que ses concurrents? Comment faire participer l’audience alors que la moitié des Américains utilisent désormais les réseaux sociaux? Panorama des innovations éditoriales mises en place à cette occasion.

  • Le «live-GIF» (The Guardian et Tumblr)


Le live, c’est bien. Le «live-GIF», c’est mieux. Le Guardian et Tumblr ont ainsi décidé de s’associer pour produire, minute par minute, des GIFS animés tout au long des 90 minutes de débat. Gaffes, silences gênés, regards en coin, sourires email diamant… Chaque instant est ainsi mis en GIF et publié en temps réel sur GifWich et intégré au live du Guardian, qui maîtrise ce format à la perfection.

Aux platines, rien de moins que quatre créateurs de GIFS déjà zélés sur Tumblr, et un journaliste du Guardian, Adam Gabbat, pour contextualiser ces GIFS avec les informations de la soirée.

«Nous prenons très au sérieux le potentiel journalistique du GIF», résume Chris Mohney, le directeur éditorial de Tumblr, interrogé par le site journalism.co.uk. Il considère le «live-GIF» comme un nouveau moyen de décomposer l’action et le discours des politiques, et ce, en temps réel.

  • Le jeu des aimants à juxtaposer sur un frigo virtuel (The Guardian)

Autre nouveauté repérée dans le live du Guardian: la possibilité de créer des phrases chocs à partir des mots utilisés par les deux hommes politiques – rien que leurs mots.

Cela s’appelle Spin it! et se présente sous la forme suivante: en bas, une citation-clé de Barack Obama ou de Mitt Romney qui sert de «réserve» de mots et, au dessus, un espace vide dans lequel on peut juxtaposer des termes comme si on alignait des aimants sur un frigo virtuel.

«Pendant que vous regardez les débats entre Mitt Romney et Barack Obama, utilisez leurs propres termes pour construire quelque chose de complètement nouveau – ou juste une phrase plus succincte», peut-on lire dans les consignes de jeu.

  • La vidéo «clipée-collée» (CNN)

Comme le GIF animé, la vidéo bénéficie d’un très fort taux de partage sur les réseaux sociaux. Ce que CNN a bien compris. Non content d’avoir lancé iReport en 2006 pour que les internautes alertent sur ce qu’il se passe près de chez eux, la chaîne américaine souhaite maintenant que ses spectateurs deviennent des «éditeurs de CNN» et «créent leurs propres vidéos virales» sur le débat.

«Bienvenue dans la télévision du futur », annonce la présentatrice, Brianna Keilar, qui renvoie sur le direct du débat, diffusé sur leur site, et le nouvel outil qui l’accompagne, une technologie appelée «clip and share». Objectif: que les spectateurs sélectionnent leur moment préféré, le coupent dans un logiciel de montage ultra simplifié et mettent ensuite en ligne leur vidéo ainsi découpée sur les réseaux sociaux.

 

  • Le tableau de bord (The Washington Post)


Regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations… Comment tout faire à la fois au moment des débats présidentiels? Le Washington Post a installé, depuis les conventions démocrates et républicaines, un format intitulé “The Grid”, qui permet de voir, sur une grille donc, sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps» du débat, de l’instantané à l’analyse. Et, lors du débat qui s’est tenu à Denver, dans le Colorado, le résultat était plutôt bluffant, d’autant qu’on peut choisir si l’on souhaite ne voir que les vidéos, que les photos, que les articles, ou que les tweets, etc.

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Alice Antheaume

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Faites le plein sur Facebook

Crédit: Flickr/CC/Goiaba

Quels contenus obtiennent, sur Facebook, le plus de likes, de commentaires, et le plus fort taux de partage?

Alors que le trafic sur les sites d’informations en provenance des réseaux sociaux augmente, la question de la visibilité des productions journalistiques sur Facebook reste prégnante.

Entre ceux qui, comme Canal+, ont créé un pôle d’éditeurs afin d’asseoir une stratégie éditoriale sur les réseaux sociaux, et ceux qui, comme Lefigaro.fr, L’Express.fr et l’Equipe.fr, ont développé des «social readers» dans l’environnement facebookien, les éditeurs s’interrogent encore: quand et comment publier sur Facebook pour obtenir le plus fort retour sur investissement?

Grâce à une nouvelle étude réalisée sur 1,3 million de posts publiés sur Facebook et signée Dan Zarrella, un expert des médias américains, c’est l’occasion de mettre à jour les critères d’un contenu facebookable, écrit en avril 2011. Edition, timing de publication, format… Rien ne doit être laissé au hasard pour que les contenus «tournent» au mieux sur Facebook, un bassin d’audience, en France, de près de 25 millions d’inscrits.

  • Le format

Les photos sont très plébiscitées sur Facebook: c’est format qui récolte à la fois le plus de likes et de partages. Mais… concernant le nombre de commentaires, le format texte fonctionne mieux.

Contre toute attente, la vidéo ne récolte pas autant de commentaires ni de likes que la photo même si elle bénéficie d’un meilleur potentiel de partage (deuxième format le plus partagé après la photo, et avant le texte et le lien). Une résultante de l’interface de Facebook qui prévoit que les photos s’affichent plein pot dans le newsfeed (flux d’actualités de Facebook) tandis que les vidéos n’apparaissent que sous la forme de vignette, comme me l’a rappelé Vy Doan, social media editor à Arte.

Le format non facebookable par excellence? Le lien. Mauvaise nouvelle pour les éditeurs.

Crédit : Dan Zarrella

Crédit : Dan Zarrella

Crédit : Dan Zarrella

  • La longueur

Les deux extrémités de l’échelle semblent profitables: un post très court (moins de 30 caractères) ou très long (800 caractères) obtiendra un bon pourcentage de likes. Pour le taux de partage le plus important, visez un post de 450 caractères.

  • Le ton

J’avais déjà écrit que, sur Facebook, les contenus contenant des verbes d’action conjugués à l’impératif sont très prisés. Dans la nouvelle étude de Dan Zarrella, on observe que l’utilisation de la première personne du singulier constitue un ressort insoupçonné. Plus le post comprend des «je», mieux c’est! Un élément facile à utiliser pour diffuser des opinions et des éditoriaux.

Mais que faire, dans ce cas, des «news», ces articles relatant des faits et écrits sur un ton qui n’engage pas son auteur?

Les «posts ayant un ton neutre ont tendance à obtenir moins de likes», confirme cette étude. A croire que l’information écrite façon agence n’est vraiment pas adaptée à Facebook.

En 2011, les contenus les plus partagés étaient ceux qui sont «positifs», rigolos et pédagogiques, tandis que les moins partagés étaient ceux qui provoquent la colère, l’anxiété ou la tristesse.

En 2012, les commentaires sur Facebook sont générés avant tout par des posts dits «très négatifs» plutôt que par des posts empreints de bons sentiments. Cela vous rappelle quelque chose? Les trolls l’ont déjà montré: indépendamment de la qualité des contributions, le volume des commentaires est moindre pour s’émerveiller que pour râler.

  • Le jour de publication

Préférez le week-end pour poster des contenus: les samedi et les dimanche offrent davantage de retours de la communauté, sans doute parce qu’il y a moins de concurrence pendant les week-end que pendant la semaine. Les contenus sont donc plus visibles à ce moment-là.

Le pire jour pour publier sur Facebook? Le jeudi.

  • L’heure de publication

Rien de nouveau depuis l’année dernière: soirées et aurores restent les meilleurs moments de la journée pour publier sur Facebook. La fenêtre du matin peut en outre être subdivisée en deux temps, selon l’effet souhaité: avant 6 heures du matin, le contenu sera mieux partagé ; avant 8 heures, il sera plus «liké».

Merci de partager/liker/commenter ce post sur Facebook.
PS: j’ajoute un «je» pour la forme…

Alice Antheaume

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La pop-up, le retour…

On croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.

«La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».

De la pub à l’info

Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.

«Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»

De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».

La vitrine du «live»

En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.

Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.

Clics et allergies

Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.

Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.

Questions d’ergonomie

Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.

Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.

Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.

Et… autres lectures recommandées

D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.

Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:

 

Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:

Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…

Alice Antheaume

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Les commentaires dans l’impasse?

Crédit: AA

Si les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker, invité à tenir à tenir une conférence, «l’échec des commentaires», au festival South by South West (SXSW), à Austin.

«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité».

Capter l’intelligence des foules? Raté!

«A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», commence Nick Denton. Quant au ratio commentaires utile/inutile, il s’avère désolant. «Si deux commentaires pertinents émergent, c’est qu’il y en a huit hors sujets ou toxiques», comptabilise le patron de Gawker.

Mary O’Hara, journaliste au Guardian, se dit elle aussi déçue par le niveau des commentaires. Lors d’une autre conférence de South by South West, elle a fustigé les préjugés qu’ont ceux qui commentent ses articles. «Mon nom de famille rappelle celui de vieilles familles catholiques irlandaises. Sans même avoir lu mes papiers, des lecteurs prétendent que mon travail est biaisé, juste parce qu’ils ont des croyances sur mon patronyme.»

Et cela n’arrive pas que dans la partie dédiée aux commentaires des sites de contenus. Sur Facebook aussi, et Twitter également.

>> Lire aussi ce WIP, écrit en 2010, sur les communautés des sites d’infos qui ont migré sur les réseaux sociaux >>

Inhibition face à l’innovation

L’heure serait donc grave. Pour Nick Denton, les journalistes, anticipant les railleries qu’ils pourraient provoquer, en viendraient à «avoir peur d’écrire certains articles». Bref, la crainte de recueillir des commentaires négatifs provoquerait même, dans les rédactions, de «l’inhibition», les journalistes se censurant pour éviter les tacles. Telle serait la véritable tragédie des commentaires.

Impossible, pour autant, de laisser en rade ceux qui ont pris l’habitude de commenter, souvent plus dans l’optique de passer le temps que pour vraiment débattre.

Surtout qu’ils sont nombreux. Entre 1.100 et 1.300 commentaires quotidiens sont écrits en moyenne sur lemonde.fr; 15.000 pour Le Figaro, sans compter les réactions sur les réseaux sociaux. 250 millions de messages sont désormais postés chaque jour sur Twitter.

Parmi ces millions de messages, une partie (non quantifiée) réagit à des contenus produits par des journalistes, et une partie (plus rare) peut même servir d’alerte sur l’actualité, comme l’a prouvé Sohaib Atha, également présent à South by South West, ce Pakistanais qui a, le premier, entendu un hélicoptère tourner, lors du raid ayant provoqué la mort de Ben Laden, il y a un an, et l’a tweeté.

Explosion de commentaires

«Un commentaire est posté toutes les 6 secondes sur notre site», m’explique Thomas Doduik, directeur des opérations au Figaro. «Bien entendu avec de tels volumes, tout n’est pas du même niveau. Mais je n’imagine pas un site d’infos qui ne donnerait pas la parole à son audience. Cela fait partie intégrante de l’expérience de consommation de l’information, qui depuis plusieurs années, n’est plus du haut vers le bas mais se construit avec cette audience».

Le problème, c’est que, plus l’audience des sites augmente, plus il devient difficile d’organiser les discussions autour des contenus, de façon à ce que le «meilleur» arrive en haut du panier, sans que cela ne prenne un temps démesuré.

Le nouveau système de Gawker

Gawker, après avoir tenté de taguer ses commentaires (cf ce précédent WIP), va donc lancer un nouveau système de gestion de commentaires dans six semaines.

Comment cela va-t-il fonctionner? Le premier lecteur qui commente un contenu détiendra la responsabilité du fil de discussion qui s’en suivra. Et aura le droit de modérer les autres, d’inviter des experts à participer, et de maintenir la discussion autour d’une seule idée – ce que Denton appelle le «commentaire fractionné». De quoi augmenter le nombre de pages vues. Car cela veut dire plusieurs fils de discussions sous un même article, donc plusieurs modérateurs, et des URL dédiées.

«L’idée principale de ce nouveau système, c’est de sentir propriétaire de la discussion», car, résume Denton, «sans la contrainte de la responsabilité», cela part dans tous les sens.

Le rêve de Denton derrière cette refonte? Que des personnalités citées dans les articles de Gawker, comme Dov Charney, le fondateur d’American Apparel, viennent eux-mêmes se défendre dans les commentaires. Il réfléchirait également à la possibilité d’avoir des «commentateurs invités», comme il y a des blogueurs invités ailleurs.

Leçons du passé

Au final, Nick Denton semble tirer deux leçons des systèmes de commentaires existants:

  1. La «gamification» des systèmes de modération – le fait de donner des points aux commentateurs qui gravissent des échelons et obtiennent ainsi de plus en plus de pouvoirs – ne donne par les résultats escomptés. «Les meilleurs commentateurs se contrefichent d’avoir des badges (comme sur Foursquare, ndlr) et de passer des niveaux», estime Nick Denton.
  2. Les bons commentateurs ne sont pas des habitués de cet exercice. La plupart du temps, les meilleures contributions sont signées par des lecteurs qui viennent commenter pour la première fois et le font de façon anonyme, note encore Denton.

La médiocrité des commentaires, juste retour de bâton?

Et si la médiocrité des commentaires était le fruit du ton quelque peu cavalier employé par Gawker?, demande l’un des participants. Réponse de l’intéressé: «C’est vrai que de gentils sites tenus par de gentilles personnes encouragent un bon comportement. Mais ce n’est pas comme si l’auteur d’un article donnait le ton à tous les commentaires. Parfois, ce sont les commentaires qui donnent le ton à l’auteur.»

Trop facile? Evidemment que «les lecteurs ne rédigent pas de dissertations bien argumentées dans la section commentaires», écrit Dave Thier, qui collabore à Forbes. Pour ce dernier, gérer les commentaires sur des sites populaires est une tâche «difficile, mais pas impossible».

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Alice Antheaume

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Journalisme et Tumblr, le réseau qui monte qui monte

Crédit: DR

Finie l’adolescence pour Tumblr. Issu du verbe «tumble» – «faire tourner» en français -, ce mélange entre plate-forme de blogs et réseau social, créé il y a déjà 5 ans, en 2007, compte aujourd’hui 90 millions de visiteurs uniques mensuels dans le monde. L’audience de Tumblr a surtout flambé aux Etats-Unis, avec une «hausse de 218%!» en un an, s’exclame Comscore qui conclut «qu’il est grand temps de s’y intéresser».

Et ce, d’autant que Barack Obama a lui aussi lancé à l’automne son propre Tumblr pour la campagne présidentielle américaine de 2012, suivi de François Hollande, promettant de donner à voir les «coulisses de la Web-campagne» française – Martine Aubry était la première à avoir son Tumblr dès la primaire socialiste.

Cadence de publication intense et public ultra-jeune

MISE A JOUR: Coïncidence du calendrier, Tumblr vient d’annoncer vouloir monter en gamme dans le domaine éditorial et cherche des utilisateurs aux compétences journalistiques afin de mieux rendre compte de ce qu’il se passe sur sa plate-forme.

Même si seulement 3.5% du public de Tumblr provient (pour l’instant) de France, ce réseau peut valoir le détour pour éditer et diffuser des contenus journalistiques… mais pas de la même façon que sur un site d’informations traditionnel. Car la double spécificité de Tumblr, c’est 1. l’omniprésence des photos et 2. la possibilité de «rebloguer» des posts aussi vite que lorsque l’on «retweete» (republie, en VF) un message sur Twitter. En un clic, donc.

«Les utilisateurs Tumblr publient en moyenne 14 billets originaux par mois et en rebloguent 3. La moitié de ces billets sont des photos», informent les équipes de Tumblr. «Le reste se partage entre textes, liens, citations, musiques, et vidéos.»

Autres particularités de Tumblr: une interface ultra simple, que facilite encore l’application mobile qui permet de rebloguer les posts des autres et de publier les photos prises avec son smartphone en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et une audience plus jeune qu’ailleurs. Selon ce graphique publié par Alexa.com, les 18-24 et les 25-34 y sont très présents.

Incarner une voix

«Lorsque je gérais le Tumblr du magazine Newsweek, j’avais deux objectifs», me raconte Mark Coatney, qui a, depuis, été embauché par Tumblr et est devenu leur «évangéliste des médias». «Le premier, c’était de présenter Newsweek, dont les lecteurs ont en moyenne 57 ans, à une audience qui ne le lisait pas. Le second objectif, c’était de casser les barrières entre la rédaction d’un côté et le lectorat de l’autre.»

Bilan des courses: sur le premier point, «cela a bien marché, le Tumblr a drainé une nouvelle génération de lecteurs qui considérait jusque là Newsweek comme une publication pour leurs grands-parents», reprend Mark Coatney. «Mais la vraie plus-value est venue du deuxième point. J’ai publié des choses sur le Tumblr de Newsweek comme si j’étais un individu, quelque chose avec lequel les gens pouvaient communiquer facilement. J’ai reblogué des posts, répondu aux questions, et ai rebondi sur ce que les gens disaient. Cela améliore le système de publication traditionnel, où, en ligne, on relègue dans un ghetto les commentaires de l’audience, ghetto où l’on sait que la rédaction ne va vraiment.»

Contenus visuels d’abord

Et puisque la moitié des quelques 25 millions de posts publiés chaque jour sur Tumblr sont visuels, les histoires qui se racontent en images y trouvent leur compte. Exemple de Tumblr très suivi aux Etats-Unis: celui qui s’appelle «nous sommes les 99% (à n’avoir rien quand 1% de la population a tout)», où des citoyens américains se prennent en photo avec une pancarte indiquant qu’ils sont au chômage, endettés, sans assurance maladie, etc.

Ce n’est donc pas un hasard si le New York Times y publie des photos de mode très grand format et en pleine page. Pas étonnant non plus que le magazine Life exploite le filon, éditant par exemple une photo d’appel sur Tumblr de John F. Kennedy et Jackie Bouvier en tenue de mariés, qui renvoie vers un diaporama publié sur Life.com intitulé «Le jour du mariage de JFK et Jackie».

Ne pas parler que de soi

Extraire d’un contenu publié sur un média une image, une citation, une vidéo, pour mettre celles-ci sur Tumblr est sans doute l’utilisation journalistique la plus facile à mettre en place. Veille journalistique, «curation», sélection des meilleures histoires du jour, telle est la mission que s’est fixé le Tumblr de Reuters, qui renvoie vers des contenus de sa propre agence mais aussi d’autres sources.

Pour Mark Coatney, ce qui fonctionne, c’est lorsque, sur Tumblr, une «voix» incarne de façon personnelle la publication. «Une voix qui dit des choses intéressantes, qui ne parle pas que d’elle-même, qui répond aux autres utilsateurs de Tumblr et qui pose des questions», insiste-t-il. Exemple avec le Tumblr sur les coulisses de l’émission d’Anderson Cooper sur CNN, où les membres de son équipe sont photographiés et interviewés, les invités aussi, les apéritifs et autres festivités sont racontés, et Anderson Cooper lui-même fait l’objet de quelques railleries, notamment lorsque qu’il est saisi sur le vif en train de grimacer au moment de goûter un aliment sur le plateau de télévision.

Ambiance potache

Gifs animés, légendes ajoutées à la va-vite sur des photos – par exemple pour indiquer l’humeur de l’acteur Louis Garrel en fonction de sa tête, archivage d’images rigolotes – comme ce Tumblr sur François Hollande… Les blagues potaches sont le cœur de Tumblr. Atlantic note que «c’est hilarant». Ecrans y voit le «nouveau bastion de la Web culture».

«Tumblr est un outil fantastique pour couvrir la culture numérique du Web», acquiesce Mark Coatney qui regrette de ne pas avoir vu cette possibilité-là du temps où il travaillait encore pour Newsweek. Ce qu’a bien compris la rédaction de CNN Money, qui a lancé un Tumblr sur les nouvelles technologies dont le slogan est «tout ce qui se trouve dans nos carnets, nos emails et nos messageries instantanées».

Car oui, Tumblr peut aussi faire office de vide-poche journalistique: citations ou chiffres laissés de côté au moment de rédiger un article au nombre de signes limité, extrait d’une vidéo, photos prises en coulisses… Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, avait mis le doigt sur cette maximisation des ressources lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le 2 décembre 2011 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po: «Avant, lorsque je suivais un procès, je remplissais des carnets de notes et je ne publiais que 20% (dans le quotidien imprimé, ndlr). Avec mon blog Chroniques judiciaires, j’en publie maintenant entre 80 et 90%.»

Et demain, avec Tumblr, cela pourrait être 100% noté = 100% publié? A une condition: que la matière première recueillie par le journaliste soit, bien sûr, de premier choix.

Utilisez-vous Tumblr? Si vous avez aimé cet article, merci de le facebooker, le tweeter et/ou le tumbleriser !

Alice Antheaume

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#Npdj11: «Connaître l’audience doit aider à faire du bon journalisme»

Crédit: Olivier Lechat

Innovation, audience, gestion des contenus créés par des utilisateurs, vérification en temps réel, télévision connectée aux réseaux sociaux… Tels ont été les sujets abordés lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le vendredi 2 décembre par l’École de journalisme de Sciences Po, où je travaille, en partenariat avec la Graduate School of Journalism de Columbia. Résumé des interventions.

>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets. Cet article a été rédigé en s’appuyant notamment sur leur live!) >>

Mesure de l’audience et ligne rédactionnelle

Emily Bell, directrice du centre de journalisme numérique à Columbia, ex-The Guardian

«L’audience n’est plus l’apanage du service marketing, elle est dans les mains des journalistes. En cours, à la Columbia, je pose la question à mes étudiants: “pour qui écrivez-vous?”. C’est une question nouvelle – avant, on ne le leur demandait pas car il y a encore ce syndrome, très ancré dans la culture journalistique traditionnelle, selon lequel il ne faudrait pas trop faire attention à ce que dit le public, car cela risquerait de contaminer la pensée des journalistes, et de leur faire croire que le public préfère lire des sujets sur Britney Spears plutôt que sur la crise de la Grèce.

Il faut donc connaître son public: qui est-il? D’où vient-il? Comment interagit-il avec les articles? On ne peut pas ignorer ce que dit l’audience, ni ce qu’elle pense, sinon on met en péril son activité journalistique. Il faut utiliser la connaissance et la mesure de l’audience pour faire du bon journalisme.»

>> Lire Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? sur WIP >>

Ce que les statistiques nous apprennent sur l’audience et sa façon de consommer des informations

Dawn Williamson, de Chart Beat

«Le journalisme d’aujourd’hui ressemble à l’industrie sidérurgique d’il y a 50 ans. Avant les années 60, la sidérurgie était exploitée dans d’immenses et coûteuses usines. Jusqu’à ce qu’apparaissent d’autres exploitations, plus rapides, plus petites et moins coûteuses. Au début, les grosses usines d’acierie refusaient de travailler avec ces nouvelles petites usines, de peur qu’elles produisent de la moins bonne qualité. On peut dire qu’aujourd’hui, des sites comme le Huffington Post sont comme les mini-aciéries des années 60. Ils produisent du contenu journalistique pour moins cher que les rédactions comme le New York Times.

Au départ, pour se lancer, le Huffington Post (mais aussi Gawker et Business Insider) ne s’est pas intéressé à la qualité mais à sa plate-forme. Le Huffington Post s’est d’abord créé une place, en révolutionnant le marché, puis est monté dans la chaîne de valeur, au point d’embaucher parfois des journalistes du… New York Times.

Pour prendre des décisions éditoriales, ces nouveaux sites donnent accès, pour leurs journalistes, aux données de mesure de l’audience. Et ce, via des outils, dans le backoffice, comme ChartBeat, et NewsBeat, afin qu’ils puissent voir, en temps réel, ce qui intéresse l’audience. Exemple aux Etats-Unis, concernant la députée américaine démocrate Gabrielle Giffords, qui a reçu une balle dans la tête lors d’un meeting, en janvier 2011. Fox News a pu voir, via l’analyse des termes de recherche liés à cette fusillade sur ChartBeat, que le public cherchait à en savoir plus sur le mari de Gabrielle Giffords. Surveiller les intérêts de l’audience, ce n’est pas une course vers le bas de gamme, ni un fichier Excel à lire, c’est un environnement dans lequel les journalistes doivent vivre.»

>> Lire Accro aux statistiques sur WIP >>

Innover dans une rédaction, discours de la méthode

Gabriel Dance, éditeur interactif pour The Guardian US, ex-directeur artistique pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch, et ex-producteur multimédia au New York Times

«Les clés pour innover? D’abord être “fan” de quelqu’un qui vous inspire, un génie que vous ne perdrez jamais de vue. Le génie que je suis de près? Adrian Holovaty, fondateur du site EveryBlock. Ensuite il s’agit de surveiller ce que font les autres rédactions. Il ne suffit pas de copier les innovations des autres, car votre audience le saura et aura l’impression d’être trompée, il faut améliorer la copie en allant plus loin, en essayent d’imaginer ce que pourrait être l’étape suivante. Etre dans la compétition, ce n’est pas négatif, ce n’est pas mettre quelqu’un à terre, c’est faire monter son propre niveau.

Pour trouver l’inspiration, il faut regarder ce qu’il se passe en dehors du journalisme, comprendre ce qui excitent les gens et pourquoi. L’interface des jeux vidéos peut être une bonne source d’inspiration. Qu’est-ce qui fait que cela marche? Et comment pourrais-je adapter cette interface pour raconter une histoire journalistique? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour réussir à inventer d’autres formats.

Autre clé pour innover: connaître ses limites (taille de l’équipe, temps, technologie, concurrence). Car oui, des contraintes peuvent sortir de la créativité. Et puis, l’innovation ne vient pas en une fois. Pour ma part, je fais des dizaines et des dizaines de brouillons avant de publier quoique ce soit.»

La TV sociale, ce que cela change pour l’information et la programmation

Mike Proulx, co-auteur du livre Social TV

«Nombreux sont ceux qui ont prédit la mort de la télévision, mais en fait, on ne l’a jamais autant regardée. Aux Etats-Unis, on la regarde en moyenne moyenne 35h par semaine, selon Nielsen. En outre, la convergence entre Web et télévision a une très grande influence sur la façon dont on regarde la télévision. C’est ce que j’appelle la télévision sociale, c’est-à-dire la convergence entre réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, et télévision. On regarde un même programme sur deux écrans, le premier (l’écran télé) pour voir le programme, le deuxième (ordinateur, tablette, mobile) pour commenter et réagir au programme.

C’est la force de Twitter. Au moment où Beyoncé a montré son ventre rond lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles en août, il y a eu un pic sur Twitter avec 8.868 tweets par seconde, tweets liés à l’annonce de sa grossesse. Un record. Twitter, qui compte 100 millions de comptes actifs, a de l’impact sur la production des informations. Et ce, sur quatre tableaux:

1. Les “breaking news” de toute sorte arrivent d’abord – et de plus en plus – sur Twitter, de l’amerrissage en catastrophe de l’avion sur l’Hudson, au tremblement de terre au Japon, en passant par la mort de Ben Laden – au point que Twitter en a fait sa publicité avec ce slogan, “Twitter plus rapide que les tremblements de terre”.

2. Pour trouver des sources. Twitter est un outil très utile pour les journalistes qui cherchent à contacter des gens qui pourraient leur raconter des histoires, comme l’a fait Jake Tapper d’ABC.

3. Pour rester connecté en permanence, et faire du journalisme tout le temps.

4. Pour intégrer des tweets à l’intérieur des programmes télévisuels, comme l’a fait l’émission 106 & Park, dans laquelle les questions venant de Twitter sont posées aux invitées pendant le show. Twitter peut vraiment être considéré comme une réponse directe de l’audience à ce que s’il se passe à la télévision. Exemple avec le débat du candidat républicain Rick Perry qui a eu un trou de mémoire au moment de citer le nom de l’agence gouvernementale que son programme prévoit de supprimer. C’est “l’effet Oups”, aussitôt répercuté sur Twitter. Jusqu’à présent, on était habitués à regarder la télévision avec votre famille et vos amis, désormais, on la regarde avec le monde entier.»

>> Lire le mariage royal de la télévision et de Twitter sur WIP >>

Le fact checking en temps réel, comment ça marche?

Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-lefigaro.fr

«Le fact checking doit se faire de plus en plus rapidement, c’est une réponse à la communication politique. Le fact checking publié une semaine après n’aura pas le même impact que s’il est réalisé très vite. Au Monde.fr, notamment via le blog Les Décodeurs, nous faisons du fact checking participatif. Non seulement les lecteurs peuvent nous poser des questions, mais nous faisons aussi appel à eux pour leur demander de nous aider à trouver des chiffres, ou au moins, des pistes.

Autre moyen de faire du fact checking en temps réel: le live. Pour Fukushima ou pour des débats politiques, comme lors de la primaire socialiste. Le but est de vérifier la véracité de ce que disent les politiques sur le plateau télé. Par exemple, au deuxième débat de la primaire socialiste, 65.000 personnes étaient connectées à notre live. A la rédaction, nous étions quatre journalistes à animer ce live, dont deux uniquement sur le fact checking. Il faut vraiment se préparer en amont, avoir des fiches, des bons liens sur les sujets qui vont être abordés, et se nourrir de sites avec des chiffres comme vie-publique.fr par exemple. Le fact checking en temps réel est un vrai plus, et le sera encore davantage lorsque la télévision connectée sera installée dans les foyers.

Après, dire que l’on fait du fact checking en live, tout le temps, serait prétentieux. Parfois, cela nécessite un travail de fond que l’on ne peut pas réaliser en 3 minutes. Faire un vrai décryptage c’est ne pas se contenter de la parole politique. Mais en vrai, c’est un exercice sans filet, où le fact checking est parfois sujet à interprétation. Ce ne sont pas des maths, il y a parfois des zones grises (cf les “plutôt vrais”, “plutôt faux” du blog Les Décodeurs). Néanmoins, Nicolas Sarkozy a pu dire pendant deux ans qu’un bouclier fiscal existait en Allemagne avant que l’on vérifie et qu’on écrive que ce n’était pas le cas».

>> Lire le fact checking politique sur WIP >>

Comment vérifier les informations venues des réseaux sociaux?

Nicola Bruno, journaliste, auteur pour le Reuters Institute Study of Journalism d’un travail de recherche intitulé “tweet first, verify later”

«Maximilian Schäfer, du journal allemand Spiegel, l’a dit: le fact checking ne concerne pas la vérification des faits, mais la fiabilité des sources. Or il est de plus en plus difficile de s’assurer de la fiabilité de ses sources, parce que l’on a moins de temps pour cela, parce que les sources sont multiples et disséminées sur les réseaux sociaux, et aussi, parce que, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. Enfin, si, selon Paul Bradshaw, du Guardian, qui assure qu’on laisse tant de traces sur le Net que, même si l’on ne connaît pas la source, on peut déterminer son sérieux en fonction de son empreinte numérique.

Et dans les rédactions comme la BBC, le Guardian ou CNN, les approches sont différentes. Au Guardian, ils privilégient la vitesse, donc ils publient d’abord, ils vérifient après. A CNN, qui s’appuie sur iReport, une partie du site où des amateurs peuvent partager leurs infos (environ 10.000 iReports/mois), le contenu n’est pas vérifié tant qu’il n’a pas été sélectionné par la rédaction. Côté BBC, qui reçoit environ 10.000 contributions par jour de la part des utilisateurs, la vérification des contenus venus des réseaux sociaux est beaucoup plus stricte. Une équipe surveille les réseaux sociaux 24h/24, cherche et appelle des sources éventuelles. Leur principe? Vérifier d’abord, publier après. Twitter s’est révélé une très bonne source pour la couverture du tremblement de terre à Haïti. Ça, on peut le dire aujourd’hui, mais à l’instant T, comment en être sûr?

Concernant les outils, pour vérifier les contenus générés par les utilisateurs, il y a TinEye pour les images, et Exif pour savoir avec quel appareil celles-ci ont pu être prises, mais aussi Google Maps et Street View pour les lieux. Et pour savoir si une photo a été retouchée? Le site Errorlevelanalysis.com. Il n’y a pas de secret, on utilise toujours les mêmes principes de vérification, issus du journalisme traditionnel, le tout boosté par les nouveaux outils et les réseaux sociaux.»

>> Lire la présentation sur Storify de Nicola Bruno >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

Internaute, mon semblable, mon frère?

Julien Pain, journaliste à France 24, responsable du site et de l’émission les Observateurs

«Notre force, à France 24, c’est d’avoir une base de données de 20.000 personnes dans le monde, dont 3.000 sont labelisées “observateurs” parce qu’on les a jugées fiables. Tous les contenus des utilisateurs sont vérifiés avant publication, mais le plus difficile à vérifier pour nous, depuis Paris, ce sont les vidéos. Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, la rédaction à Paris passe en revue les observateurs présents dans la région concernée et les appelle.

Que peut-on demander à des amateurs? Nous “alerter” sur des choses qui se passent, “capter” des bribes d’actu et “vérifier” des éléments. Que ne peut-on pas leur demander? Fournir des papiers clés en main avec le titre le chapeau et l’information présentée de façon concise, ou de se déplacer sur commande (et gratuitement). Mon travail est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne des pays où il n’y a pas de journalistes, surtout lorsque les amateurs nous montrent des images que les autorités ne veulent pas que l’on voit. Le problème, c’est que les bons contenus n’arrivent pas tout seuls sur le site de France 24, il faut aller les chercher.

Quant à la vérification, elle n’est seulement le fait des journalistes. Les amateurs peuvent nous aider à vérifier des images, et leur connaissance culturelle du pays est inestimable dans cette tâche. Les contenus amateurs explosent dans les lives, et s’entremêlent aux contenus professionnels. On l’a vu à France 24, et même à Reuters qui le fait dans ses lives. L’avenir? L’image amateur diffusée en live… Et le risque de commettre des boulettes.»

>> Lire Le type du Web répond au grand reporter, la tribune de Julien Pain sur WIP >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

NB: Cette conférence a aussi été l’occasion de remettre le prix de l’innovation en journalisme Google/Sciences Po et des bourses de mérite aux étudiants. Félicitations aux lauréats!

Alice Antheaume

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Prédire, partager et expérimenter: les mots du Monaco Media Forum


«Télévision», «deuxième écran» et «utilisateurs» ont été parmi les mots les plus prononcés au Monaco Media Forum, cette conférence annuelle sur l’économie des médias, dont l’édition 2011 s’est tenue les 9, 10 et 11 novembre. Citations à retenir.

Prédiction

Michael Wolff, Wired

«Twitter a changé le monde et va jouer sur la façon dont on pense et reçoit les informations à l’occasion des prochaines élections présidentielles américaines. Twitter va élire le prochain président des Etats-Unis.»

Nikesh Arora, Google

«Vous pouvez parler A votre téléphone plutôt que de parler DANS votre téléphone. On l’avait prédit il y a quelques temps, c’est désormais devenu une réalité.»

Le partage

Dick Costolo, Twitter

«Nous voulons que Twitter soit le monde dans votre poche. C’est-à-dire que Twitter permette, en instantané, de savoir ce qu’il se passe dans LE monde et dans VOTRE monde. Twitter réduit la distance entre les gens. Je ne parle pas de distance géographique, je veux dire que cela réduit les barrières artificielles entre les gens, les barrières liées au statut entre citoyens et politiques, people et anonymes. Cela aplanit le paysage, et met tout le monde au même niveau. Les gens peuvent “se voir” avec Twitter, cela a des implications sociales importantes.»

«Alors que le flux d’informations circule en continu chaque jour, chaque personne peut faire entendre sa voix. Une simple photo est une contribution à ce qui se passe dans l’actualité du jour, à l’histoire plus globale. Chacun participe à l’histoire du jour.»

 

Nikesh Arora, Google

«Nous vivons tous dans le “cloud”. Si vous proposez à vos enfants un ordinateur non relié à Internet, ils n’en voudront pas. A quoi ça sert, pour eux, un ordinateur sans connexion? Ils ne peuvent pas partager.»

Christian Hernandez, Facebook

«Si on partage des contenus sur Facebook, c’est qu’il y a une raison. C’est pour avoir une réponse…»

Deuxième écran

Rich Riley, Yahoo!

«Lorsque nous regardons un écran de télévision, nous faisons souvent autre chose en même temps, en utilisant parfois sur un autre support. C’est une seconde expérience sur écran. Certaines expériences sur ordinateur seront intéressantes à vivre sur l’écran télévisuel. Nous avons 700 millions d’utilisateurs de Yahoo! par mois, et notre objectif, c’est d’offrir à nos utilisateurs une expérience entièrement personnalisée.»

Gilles Wilson, Ericsson TV

«L’interactivité peut avoir lieu en dehors de l’écran de télévision, sur un téléphone ou une tablette. Un mobile vous identifie de façon très personnelle, c’est vraiment l’outil parfait pour dire ce que vous pensez de ce que vous voyez.»

David Rowan, Wired

«On suppose qu’il y aura un deuxième écran. Est-ce que la conversation en temps réel sera sur ce deuxième écran?»

Le contrôle

Nikesh Arora, Google

«Que cherchent les utilisateurs? C’est simple: ils veulent du contrôle. C’est le sens de la première télécommande: pouvoir décider des programmes tout en restant assis. Netflix, YouTube, Apple… On décide de ce que l’on veut voir, quand et où. Ceci va continuer à transformer l’industrie.»

Vidéos

Lucas Waston, Google

«La vidéo, c’est le moyen le plus facile pour émouvoir les gens et les toucher. Chaque mois, 800 millions de personnes viennent sur YouTube. Sur cette plate-forme, 3,5 millions de vidéos sont vues chaque jour, et 4 ans de vidéos sont uploadées chaque minute.»

Jim Louderback, Revision3

«Dans une vidéo, l’audio est plus important que la qualité visuelle de l’image. Si le son est mauvais, les gens vont zapper tout de suite. Donc on peut faire du “low cost”, mais pas sur le son. Pour que les gens cliquent, et restent sur une vidéo, c’est comme lorsque vous voulez séduire, vous mettez du maquillage. Après, une fois que vous êtes aimé, plus besoin de maquillage, vous êtes aimé de toutes façons, pour ce que vous êtes.»

Télévision

Maurice Lévy, Publicis

«Les journaux auront disparu avant que l’on voit la télévision s’éroder. La révolution n’est pas qu’une question de technologie, cela touche aussi à l’humain. Le plus important, ce sont les gens. Les téléspectateurs continuent à regarder les mêmes programmes de façon passive, leurs habitudes sont incrustées et perdurent. Ils n’ont pas tous envie d’interagir avec le programme, sur un autre support ou pas. On ne peut pas les “rebrancher”, on peut juste les aider à changer.»

Emma Barnett, The Telegraph

«La télévision va changer, dans les cinq années à venir, la production locale: à mesure que le marché augmente, il y a plus d’argent pour financer des productions locales professionnelles. Les Libyens ont vu la photo de Kadhafi mourant sur la télé satellite, pas sur Twitter ni sur Facebook. La télé est accessible, elle ne vaut pas cher, alors que les réseaux sociaux et l’Internet, je ne suis pas sûre que tout le monde, au Moyen Orient, y est accès.»

AA

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Liens du jour #43

C’est (bientôt) la rentrée scolaire! 10 conseils pour les étudiants en journalisme (Journalism.co.uk)

Comment engager la discussion avec les lecteurs? Des réponses dans ce guide intitulé “The Talk” (Reynolds Journalism Institute, Université de Missouri, aux Etats-Unis)

Un autre guide, sur l’utilisation journalistique de Facebook, à l’usage des débutants et confirmés (Facebook)

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Les médias à l’école DSK

Crédit: REUTERS/Allison Joyce

Il y a aura, dans les médias, un avant et un après Dominique Strauss-Kahn, accusé de «crime sexuel», de «tentative de viol» et de «séquestration» contre une femme de chambre de l’hôtel Sofitel à New York. Envergure planétaire, pics d’audience inégalés, questions juridiques inédites, et frontières du genre repoussées. Cet événement pousse les rédactions françaises à redéfinir les limites de leur exercice. Retour sur les éléments médiatiques clés nés par et autour de ce scandale.

  • Premier scoop français sur une affaire «internationale»

Ce n’est pas une première dans l’histoire médiatique de Twitter, dont les premiers «breaking news» sont apparus aux Etats-Unis dès 2007, lors de la fusillade à l’université Virginia Tech, en Floride (1), mais pour la France, cela devrait rester dans les annales. En effet, c’est sur le réseau aux messages de 140 signes qu’apparaît la première mention de la future affaire DSK.

Ainsi, le samedi 14 mai à 22h59, heure de New York, un étudiant français, Jonathan Pinet, poste le tweet suivant:

Il est le premier à annoncer ce qui va être devenir un scoop, bien avant les agences de presse et autres rédactions. «Ce n’est pas mon tweet qui a déclenché l’emballement de Twitter autour de cette information, explique-t-il après coup sur son blog, mais bien l’article du New York Post à 0h33», toujours heure new-yorkaise. Un article qui n’est plus dans les archives.

  • Premiers signes de dépendance à Twitter

Lundi 16 mai 2011: l’ex-patron du FMI passe devant la juge américaine Melissa Jackson, qui lui refuse la liberté conditionnelle dans l’immédiat – elle lui sera accordée à l’audience du 20 mai, après quatre nuits de prison. Lors de ces audiences préliminaires, les rédactions françaises – télé, radio, Web – utilisent Twitter pour réaliser leur couverture en direct, en se servant des tweets envoyés par les journalistes – Français et étrangers – présents dans la salle d’audience.

«L’affaire DSK propulse Twitter au premier plan», annonce Le Figaro. «Twitter et ses “gazouillis” s’imposent dans les salles de rédaction», titre l’AFP.

Mais comment faire autrement? Comment relayer, en temps réel, ce huis clos partiel tel que celui du tribunal pénal de Manhattan, où seuls quelques journalistes peuvent pénétrer? Ceux-ci n’ont le droit ni de téléphoner ni de filmer pendant l’audience, mais peuvent envoyer SMS ou messages sur les réseaux sociaux. Depuis Paris, ceux qui animent des émissions, radio ou télé, en direct, ou des «lives» sur les sites d’infos, suivent donc chaque tweet, même lorsque ce tweet est écrit par un confrère d’une rédaction concurrente, abolissant ainsi des frontières longtemps en vigueur. «Heureusement qu’on a Twitter», confie cette journaliste d’iTélé, au moment de l’audience du 20 mai.

  • Première interdiction de tweeter

Quatre jours après l’arrestation de DSK, on apprend que la chaîne Canal+ interdit à ses journalistes de tweeter. Première fois, il me semble, qu’un média français prend une position «officielle» à propos de ce que ses journalistes publient ou pas sur Twitter. Conséquence: Laurence Haïm, correspondante à la Maison Blanche pour la chaîne cryptée, présente aux audiences de DSK au tribunal pénal de Manhattan, «réserve “ses” informations à (sa) rédaction» plutôt qu’au réseau social, explique Rodolphe Belmer, le patron de Canal+, pour qui «les journalistes professionnels doivent leurs infos à leur public» et «les grands médias ont tout intérêt à assurer les règles de contrôle de l’information (sans) (…) reprendre à son compte des tweets sensationnalistes quand ils ne sont pas erronés».

Laurence Haïm ne raconte donc pas en live, sur Twitter, comme son confrère Remi Sulmont de RTL, ce qu’elle entend et voit dans la salle d’audience, mais elle l’envoie par SMS aux journalistes d’iTélé (même groupe que Canal+) qui sont, au même moment à Paris, en direct en plateau. Et réalise ensuite des duplex, par exemple pour le Grand Journal de Michel Denisot.

Aux Etats-Unis et en Angleterre, déterminer via une charte rédactionnelle quel journaliste tweete et sur quel sujet est très répandu. En France, ces chartes existent mais elles évoquent avant tout la déontologie, les droits et les devoirs du journaliste, sans s’attaquer de façon frontale aux questions soulevées par l’utilisation journalistique de Twitter – sauf l’AFP qui s’est dotée en 2011 d’une charte ad hoc, focalisée pour l’instant sur la vérification des informations repérées sur les réseaux sociaux.

  • Décalage télévisuel

Dans le flux de messages postés sur Twitter et retweetés des dizaines de fois, il y a des infos et des rumeurs, du vrai et du faux. Les contraintes du direct imposent aux journalistes de les trier en quasi temps réel, afin de les commenter.

Or, lors des premières audiences de DSK au tribunal, les journalistes français ont peiné à suivre le fil Twitter tout en en parlant à l’antenne, laissant souvent passer de longues minutes entre l’apparition d’un tweet, visible par n’importe quel internaute, et son évocation en plateau. A l’heure où commenter sur Twitter ce que l’on voit à la télévision devient tendance, ce décalage peut-il être assumé? D’un côté, il peut être rassurant, si l’on estime que cet écart temporel permet à l’information vue sur Twitter d’être vérifiée avant d’être annoncée à la télévision. D’un autre, il met les journalistes dans une situation de réceptacle de l’information, en même temps qu’un internaute lambda. Quel est l’apport journalistique dans ce cas?

De fait, il y a un deuxième problème, relevé par Benjamin Ferran dans son excellent article sur le sujet: l’interprétation, sur les télévisions françaises, parfois hasardeuse de tweets qui n’ont pas toujours vocation à être relayés. «Certains “tweets” rapportés n’avaient plus grand-chose à voir avec de l’information, écrit-il. “Le juge est en train de réfléchir, semble-t-il, si j’en crois ce que je lis sur Twitter”, a lâché un journaliste de BFM TV. “Il n’y a pas de tweet, on est dans un moment de flottement. Là c’est un peu la spéculation parce que je ne sais pas ce qui a pu se passer”, a-t-on pu entendre sur iTélé.»

A CNN, «la chaîne du live» par excellence, les animateurs de la matinale sont branchés en permanence sur le réseau social aux 140 signes. Même lorsqu’ils présentent les informations. Face à la caméra, ils pianotent sur le clavier d’un ordinateur portable disposé devant eux, consultent des tweets, et y répondent.

  • Questions autour de la diffusion d’images filmées dans un tribunal

En France, il est interdit – sauf autorisation spéciale comme pour le documentaire de Raymond Depardon sur la 10e chambre, ou certains grands procès «historiques» – de filmer les audiences en vertu de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui stipule que, «dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit».

Mais aux Etats-Unis, c’est permis – avec 15 minutes de différé. Les juges américains n’autorisent souvent qu’une seule caméra dans la salle d’audience, mais ils l’autorisent. Dans ce cas, les médias intéressés par ces images se constituent alors en «pool» et désignent la chaîne qui fera office de «pool caméra» pour l’événement, c’est-à-dire qu’elle filmera pour le compte de tous les autres les images, et les redistribuera à tous ceux qui les ont demandées. C’est ce qu’il s’est passé lors de l’audience du 6 juin, lorsque DSK a plaidé «non coupable». Et cette fois, c’était CNN qui filmait.

Que faire, quand on est une télévision française bardée de l’interdiction de filmer les procès, et que l’on voit les images filmées par CNN débarquer sur les sites d’infos français, sur les réseaux sociaux, bref, n’importe où sur le Web en un clic? Se mettre des oeillères pour respecter la loi? Ou prendre le risque de les diffuser, au nom du «droit» d’informer? «Il est impossible de cacher des images librement diffusées sur les télévisions du monde entier, a expliqué au Figaro Guillaume Dubois, directeur de l’information de BFM TV. À l’heure de l’audiovisuel planétaire, la notion de frontières médiatiques n’a plus de sens.»

Pour l’instant, cet article de loi n’a été modifié que pour faire apparaître le montant de l’amende en euros plutôt qu’en francs. Mais il y des autorisations spéciales qui se demandent, et s’obtiennent, comme cela vient d’être le cas pour le procès en appel d’AZF.

  • Première plainte pour diffamation contre un tweet français

Le 1er juin, Lepoint.fr annonce que Ramzi Khiroun, ex-conseiller de DSK, va déposer plusieurs plaintes pour diffamation, dont l’une contre Arnaud Dassier, actionnaire du site Atlantico, «en raison d’un message publié sur le réseau Twitter le 14 mai» sur les activités de Khiroun.

Aux Etats-Unis, des plaintes nées d’un tweet, il y en a déjà eu. Pour la chanteuse Courtney Love, qui a insulté une styliste sur Twitter, l’affaire s’est soldée par le versement de 430.000 dollars (300.550 euros), un accord trouvé afin d’éviter le procès.

Qu’avez-vous retenu, médiatiquement parlant, de l’affaire DSK?
Et… N’oubliez pas de liker cet article, merci!

Alice Antheaume

(1) Au palmarès de Twitter, prem’s sur son rôle d’alerte, on se souvient aussi d’un autre scoop historique, fait en 140 signes, en janvier 2009, lors de l’amerrissage miracle d’un avion sur l’Hudson, à New York. Le premier à évoquer l’accident est un citoyen américain, qui s’appelle Janis Krums. Présent à bord d’un ferry juste à côté de l’endroit où vient d’échouer l’avion, il publie aussitôt sur Twitter une photo de la scène en la qualifiant de «crazy». Première photo disponible sur cet événement, celle-ci est immédiatement reprise dans les médias du monde entier.

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