Pourquoi tant de haine?

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Derrière des messages d’insultes qui pullulent en ligne, il y a souvent une initiative journalistique. Une couverture d’hebdomadaire, une nouvelle émission de télévision, un  titre d’article, un sujet d’actualité, un journaliste en particulier ou les médias en général… A peu près tout peut déclencher une poussée de réactions ulcérées sur le réseau. Il y a souvent de quoi, c’est vrai. Mais, parfois, la teneur de ces messages ne fait plus la différence entre ce que l’on pourrait se dire intérieurement et ce que l’on formule au vu et au su de tous. Pourquoi? Est-ce là le signe d’un climat de défiance généralisée? La preuve que prolifèrent les “haters“, ces gens qui ne “peuvent pas se réjouir du succès des autres” et préfèrent épingler leurs travers? Sont-ils les nouveaux chiens de garde des journalistes? Explications avec Vincent Glad, journaliste indépendant, contributeur de Slate.fr, ancien chroniqueur pour Le Grand Journal de Canal +, Antonio Grigolini, responsable de la Social TV à France Télévisions, et Michaël Szadkowski, journaliste et social media editor pour lemonde.fr.

Y a-t-il vraiment une escalade d’insultes en ligne contre les médias?

Oui, répond Michaël Szadkowski, du Monde.fr, pour qui “on assiste à une radicalisation des commentaires liés au Monde.fr, directement sur le site, ou dans nos discussions avec nos lecteurs sur les réseaux sociaux”. Non, pour Vincent Glad et Antonio Grigolini, qui estiment que les “haters” sont vieux comme le Web – en témoigne ce mème “hater gonna hate”.

“Ce qu’on appelle aujourd’hui le hater, c’est simplement le râleur d’avant”, continue Vincent Glad. Il y a le blasé, le compulsif, le justicier, celui qui se croit drôle, mais “le hater, c’est aussi celui qui regarde sa télévision, trouve que l’animateur ou l’animatrice est nulle, le dirait simplement à sa femme sur le canapé, et, en son absence, il le tweete”, détaille Vincent Glad. Même si le tweet est emporté, voire brutal, l’intention de nuire n’est pas toujours manifeste. Pourtant, il va provoquer, effet boule de neige oblige, une cascade de réactions courroucées. Et pour cause, la colère se propagerait plus vite et plus largement en ligne que la joie, selon cette étude réalisée sur le réseau social Weibo, qui ressemble à Twittter en version chinoise.

Pourquoi ces messages ont-ils autant de portée aujourd’hui?

Parce que ces messages sont plus visibles qu’autrefois. Aujourd’hui, la “sphère publique a englobé les réseaux (ou s’est étendue aux réseaux), donc cela se voit et s’entend davantage”, m’explique Antonio Grigolini, de France Télévisions. “Quand le Figaro décide de publier une revue de tweets pour le lancement de l’émission Alcaline, sur France 2, on comprend que les réactions dans les réseaux sont scrutées et analysées comme jamais”. Les messages postés en ligne sont devenus un baromètre, ils donnent à voir – en partie et en instantané – la réception qu’ont les utilisateurs de nouvelles émissions et des nouvelles formules des sites d’informations et journaux. Il y a donc un effet loupe, parfois “grotesque”, reprend Antonio Grigolini. Surtout quand, à bien compter, le nombre de tweets sur l’émission est assez réduit.

Pour Vincent Glad, des sites comme le Huffington Post ou Melty jouent un rôle clé dans la “médiatisation de cette colère”. Ils considèrent Twitter comme un “laboratoire des réactions des gens face à une émission, un nouveau clip, une petite phrase et rédigent souvent des articles titrés “Twitter dénonce…” ou “Twitter s’enflamme contre…”, agrégeant ainsi des discussions de canapé pour en faire un mouvement d’opinion. La vraie montée en puissance des haters, elle est là. Dans leur mise en lumière médiatique.”

Les journalistes sont-ils les nouveaux souffre-douleur?

Et si les sermons adressés aux journalistes feraient partie d’une riposte plus globale visant le pouvoir exécutif? L’hypothèse n’est pas aussi tordue qu’elle en a l’air. “L’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012 a amplifié les critiques en ligne contre les médias”, estime Michaël Szadkowski, du Monde.fr. “Les commentateurs de droite et d’extrême-droite sont particulièrement virulents, et mettent dans le même panier “médias” et “gouvernement”. Ils critiquent soit l’un, soit l’autre, soit les deux, dès qu’ils en ont l’occasion, dans chaque espace où ils auront une visibilité”, observe-t-il. C’est, en effet, le résultat des consignes données par différents partis, l’UMP, le FN, et aussi le Front de Gauche, à leurs sympathisants: il s’agit d’investir le Web pour répandre idées et messages dans toutes les interstices.

Et ils tapent fort pour se faire entendre, sachant que la blogosphère politique française se compose à 14% de partisans de l’extrême droite, à 18% de sympathisants de la droite républicaine, face à une gauche majoritaire à 46,8% selon une cartographie réalisée par l’agence Linkfluence. Ces commentaires sont “souvent extrêmement violents” contre le pouvoir en place, analyse Michaël Szadkowski, qui en a retranscrit la tonalité dans cet article. “Cela n’encourage pas les autres commentateurs moins engagés à rentrer dans la discussion et à calmer le jeu. Il n’y a souvent personne pour les contredire vraiment. D’où l’impression d’une radicalisation des haters qui ont systématisé leurs attaques. Ils ne sont peut-être pas beaucoup plus nombreux qu’avant (il est impossible d’avoir des chiffres), mais ceux qui sont là sont très actifs.”

Pour Antonio Grigolini, en plus des ressorts classiques de la haine (racisme, démagogie…), “il y a clairement un sentiment anti-élite” qui émane des commentaires les plus violents. “Il suffit de songer à la “dieudonnisation des esprits“, ou encore à l’explosion de Beppe Grillo en Italie. Tout le discours de Beppe Grillo et de ses supporters sur les réseaux est un énorme hymne à la haine contre les élites et les castes, à base d’insultes et de virulence verbale.”

Comment répondre aux critiques quand on est journaliste?

La règle d’or, c’est de rester calme. Même si l’attaque fait mal. Pour digérer les attaques, tous les stratagèmes sont bons: aller faire un tour, respirer un grand coup, en parler à ses collègues – y compris ceux qui ne sont pas toujours d’un grand soutien, ils seront peut-être plus justes – pour dédramatiser…

Deuxième principe, accepter que le “traitement” prenne du temps. Il faut d’abord se demander si la critique émise nécessite une réponse ou non. Si celle-ci est légitime, porte sur le contenu de l’article, et non sur son auteur, alors oui, il vaut mieux répondre et préciser ce qui doit l’être. Si, en revanche, la critique concerne les médias en général, du genre “tous pourris”, “tous gauchos”, “tous fascistes”, elle est “manifestement guidée par des idéaux politiques et est évidemment plus compliquée à prendre en compte”, estime Vincent Glad, qui prône alors de ne pas se jeter dans l’arène.

De même, Michaël Szadkowski s’en tient, lorsqu’il répond au nom du Monde.fr sur Twitter, Facebook ou Google+, “à la règle 14 des Internets qui stipule de ne pas argumenter avec les trolls si leurs critiques ne sont pas constructives et ne sont pas en lien spécifique avec des éléments précis d’un article”. Et de citer son collègue Samuel Laurent, journaliste du Monde.fr qui se qualifie sur Twitter d'”appeau à trolls”, lequel “s’emploie à répondre fermement à toutes les personnes qui l’attaquent – il leur explique par A+B qu’elles ont tort, ou les tourne en ridicule pour prouver l’ineptie de leurs critiques”.

Autres conseils utiles: pour répondre à un détracteur, “demandez lui plus d’informations”, recommande Deanna Zandt, sur le site de Forbes. “Ecrivez-lui par exemple en réponse “d’où vous vient cet avis?”, c’est une question sûre, elle n’offre pas de jugement de valeur sur l’opinion de la personne en question, et elle créé l’espace pour qu’une conversation puisse avoir lieu.”

Il ne faut pas hésiter non plus à bloquer les utilisateurs qui sont trop acharnés et excessifs. “Les réseaux sociaux n’ont pas à être des démocraties où chaque message serait valorisé, quel qu’en soit le prix le payer. Sentez-vous libre d’être le dictateur de votre domaine de conversation”, sourit Deanne Zandt. Inutile, donc, de s’emporter. Mieux vaut marquer le pas et ne surtout pas être dans la même tonalité. Ou, mieux, regarder ces célébrités qui lisent, face caméra, les plus méchants tweets qu’elles aient reçu, face caméra. Salutaire.

Et vous, comment faites-vous pour répondre aux critiques?

Alice Antheaume

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Vizibee, l’assurance vidéo des journalistes

On connaissait déjà le site intitulé “stuff journalists like” qui répertorie les des choses que les journalistes aiment, “Journalist’s toolbox“, la boîte à outils pour journalistes, et “Jol social“, le réseau social des journalistes professionnels. Voici désormais Vizibee, la plate-forme de vidéos réservée aux journalistes. Comme Tout.com, comme Vine, l’application Vizibee, créée à Londres par une équipe dont une partie travaille à la BBC, propose d’enregistrer des séquences de 75 secondes maximum sur l’actualité depuis un téléphone. Interview de Samantha Barry, journaliste et productrice à la BBC, co-fondatrice de Vizibee.

Pourquoi avoir décidé de lancer cette application?

Samantha Barry : Nous avons développé Vizibee après avoir compris qu’il y avait un vrai besoin, le besoin de trouver, au même endroit, des vidéos de multiples sources et, surtout, de qualité. La plupart des plates-formes communautaires regorgent d’une multitude de vidéos, dont certaines sont vraiment inintéressantes. Nous offrons à notre audience des vidéos formidables, déjà triées, faites par des journalistes et des professionnels de la production de contenus. En même temps nous avons constitué une communauté où l’audience se retrouve, dont beaucoup de journalistes, pour partager et commenter ces contenus. Et nous ne laissons pas les diffuseurs de côté. L’application est dotée de fonctionnalités qui permet à chaque média pour lequel le journaliste travaille de récupérer tout le matériel que celui-ci filme. Nous créons le lien entre eux.

Quels producteurs de contenus comptez-vous sur Vizibee? Quel type de vidéos fonctionne le mieux?

Samantha Barry : Nous n’avons encore que quelques mois d’existence (l’application a été mise en service en décembre 2012, ndlr), mais nous pouvons nous targuer de compter déjà, parmi nos utilisateurs, quelques grands noms du journalisme et de la BBC tels que Jon Sopel, Katty Kay à BBC America, Tim Willcox et bien d’autres. La journaliste Mishail Husain a dévoilé les coulisses de son interview avec Sheryl Sandberg, de Facebook. Lyse Doucet, l’une des rares journalistes occidentales à avoir pu pénétrer dans la ville de Qousseir, en Syrie, alors que le gouvernement syrien venait de ravir la cité aux rebelles, a filmé, en live, les événements depuis son mobile et les a partagés sur Vizibee. Ces documents témoignent de la violence de l’assaut et montrent à quel point la ville a été détruite. Parmi les séquences les plus remarquables figure l’exact moment, filmé par une équipe de la BBC à Rome, où la fumée blanche s’échappe de la chapelle Sixtine pour annoncer l’élection du nouveau pape, en mars 2013.

Au delà de la BBC, nous voulons établir des liens auprès des différentes rédactions et – pourquoi pas? – embarquer un groupe de médias ou de journalistes français à bord. Notre objectif est évidemment d’augmenter notre production, l’audience avec, et de devenir la plate-forme référente pour tout le monde lorsqu’il s’agit de regarder des vidéos courtes, de qualité, à la fois sûres et fiables.

Tout.com permet de filmer 15 secondes, Vine 6 secondes. Pourquoi 75 secondes?

Samantha Barry : Nous savons que les gens ont pris l’habitude de regarder leur téléphone lorsqu’ils attendent le train, avant d’aller à une réunion, bref, lorsqu’ils ont quelques minutes devant eux à meubler. Vizibee leur permet de regarder pendant ce temps-là des vidéos intéressantes – coulisses de l’actualité, vidéo “breaking news”, extraits d’interviews, et autres. Vous seriez étonnés de constater à quel point on peut compiler une foule d’informations en 75 secondes – on a même des vidéos pédagogiques, qui expliquent et analysent des événements, avec cette durée!

Comment pouvez-vous rivaliser avec Tout, Capture et Vine, d’autres applications de vidéos sur mobile?

Samantha Barry : Nous sommes différents, pour la simple raison que nous ne proposons que des vidéos de qualité. Ici, nul besoin de perdre du temps à chercher dans tous les sens pour tomber sur du bon contenu. Nous espérons que combiner qualité des vidéos à une durée qui fait sens, proposer une expérience de second écran pertinente et un “hub” pour les médias afin qu’ils gèrent mieux tout ce que les journalistes produisent nous aidera à rivaliser avec nos compétiteurs, qui sont plus axés sur le partage de vidéos.

Quelle est l’implication de la BBC dans ce projet?

Samantha Barry : La BBC est embarquée dans l’expérimentation avec nous. Ce sont des journalistes de la BBC, en Angleterre et à l’étranger, qui ont, les premiers, commencé à utiliser Vizibee. Sans révéler la nature exacte de notre partenariat avec la BBC, je peux vous dire que, à la fois techniquement et éditorialement, Vizibee respecte la même charte et la même politique que la BBC en ce qui concerne les standards journalistiques, et s’est dotée des mêmes droits et devoirs pour informer.

Une rédaction telle que la BBC peut-elle encore innover, en interne, sans recourir à des applications créées à l’extérieur de la maison?

Samantha Barry : Honnêtement, et à mon avis, la BBC, tout comme n’importe quelle autre rédaction, doit innover à la fois en mobilisant ses troupes en interne et en recourant à des ressources extérieures pour partager ses contenus à plus grande échelle et auprès d’une audience un peu différente de celle qui la suit habituellement. Nous vivons dans un monde connecté où on utilise tous une grande variété d’applications, de sites d’informations, et même de façons de s’informer. Les rédactions doivent recourir au plus grand nombre d’applications et de plates-formes possible pour diffuser leurs contenus, comme les vrais gens dans la vraie vie !

Propos recueillis par Alice Antheaume

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Mise à jour: Engagez-vous, qu’ils disaient…

Crédit: Flickr/CC/Sourcefabric

A chaque conférence sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi, que ce soit en français ou en anglais. Compter ses occurrences lors des tables rondes est un exercice éloquent. Dans les articles publiés sur ce blog, j’ai moi-même utilisé ce terme une bonne dizaine de fois. A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’un des cours, socle de la deuxième année de master, s’intitule «engagement avec l’audience». Or que signifie exactement le terme «engagement»? Sachant qu’à l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles, qualifie-t-il la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs? Ou les types d’interactions de l’audience avec les contenus? Leur mesure (taux de partage d’un article, nombre de vidéo vues)? Ou un peu de tout à la fois? Pour le savoir, j’ai posé la question à des professionnels des médias, en France, en Angleterre, en Belgique, et aux Etats-Unis.

Samantha Barry, journaliste et productrice à BBC News et BBC World News (Angleterre)

«L’engagement est central pour comprendre et servir l’audience. Il ne faut pas seulement se fier à ce qui est populaire ou ne compter que sur des utilisateurs numériquement avertis. Engagez-vous avec tout le monde, n’excluez personne. A l’ère où les rédactions ont des budgets très serrés, il faut bien réfléchir à ce que le retour sur investissement d’un bon engagement pourrait être. A mon avis, il est inestimable. Audience et engagement sont la clé de tout et m’occupent à chaque moment de la journée. En plus de mon rôle de journaliste et productrice à la BBC, je forme aussi des journalistes dans des pays en voie de développement et dans des zones de conflit et participe à une start-up de partage de vidéos pour les journalistes, appelée Vizibee. Améliorer notre engagement au sein de la rédaction veut dire que notre audience est entendue. Nous réajustons les informations que nous donnons et les sujets que nous couvrons en fonction des réactions de l’audience. Lors des formations, notamment en Birmanie et au Nigeria, nous développons des liens avec des audiences locales afin de comprendre leurs besoins médiatiques. Et enfin, avec Vizibee, l’interaction avec les utilisateurs a défini et redéfini ce qu’est devenue l’application depuis un an.»

Nick Wrenn, rédacteur en chef de CNN.com/international (Etats-Unis)

«A CNN, l’engagement regroupe plusieurs ingrédients de mesure de l’audience: le nombre de pages vues, le nombre de visiteurs uniques par mois, et le temps passé par visite. L’engagement se mesure aussi au taux de complétion observé sur les vidéos. Comme ailleurs, notre objectif est de réduire notre taux de rebond (cela concerne les internautes qui n’ont vu qu’une seule page du site et n’ont pas souhaité visiter d’autres pages, ndlr).»

David Cohn, fondateur de l’application Circa, qui permet de s’informer depuis un mobile (Etats-Unis)

«Je pense qu’il s’agit moins de la mesure des interactions (comment mesurer l’engagement et qu’est-ce que cela signifie?) que du sens éditorial de l’engagement (qu’est-ce que cela veut dire d’avoir une relation avec un lecteur?). Autrefois, c’était simple: nous produisions du contenu, le lecteur le consommait. Désormais, le nombre d’actions reliant le média à son audience s’est multiplié. Le lecteur peut partager, commenter et même contribuer à redéfinir le contenu. Toutes ces actions, déterminées par l’équipe rédactionnelle d’un média, sont des actes d’engagement. Une personne désengagée ne commente pas, ne partage pas, ne contribue pas. Ceci considéré, regardez comment, à l’inverse, il est excitant de voir des utilisateurs s’engager avec un média. Cela signifie que le contenu a, pour eux, de la valeur. Faire en sorte que son audience contribue, de quelque manière que ce soit, a plus de valeur que de n’avoir aucune réaction. C’est préférable pour le journalisme en tant que tel. Cela requiert d’être honnête intellectuellement, franc et transparent avec l’audience.»

MISE A JOUR Jack Sheper, directeur éditorial de Buzzfeed (Etats-Unis)

«A Buzzfeed, quand on parle d’engagement, on parle d’abord d’engagement émotionnel. On a découvert que provoquer une forte émotion – au sens positif – à la lecture d’une publication est de loin le moyen le plus efficace de s’assurer que celle-ci va être partagée. Créer du contenu qui “engage émotionnellement” l’audience, au point qu’elle va partager ce contenu (le tweeter, le poster sur Facebook, l’envoyer par email à des amis, etc.) est une forme d’art. C’est le coeur de ce que l’on fait, et on ne peut pas faire semblant. Recueillir un haut degré d’engagement signifie surtout que l’auteur du contenu a réussi à proposer une approche empathique du sujet – par exemple en anticipant la manière dont les lecteur vont réagir, plutôt que de se contenter de diffuser l’information, ce qui est une façon obsolète de faire de la distribution de contenus à l’ère de Facebook. Cela n’a plus de sens aujourd’hui. Dans cette optique, l’engagement est crucial pour qui s’efforce d’être un éditeur accompli à l’heure des réseaux sociaux.»

Thomas Doduik, éditeur du Figaro.fr (France)

«La notion d’engagement recouvre toutes les actions réalisées par un internaute au contact d’un média, d’un réseau social, d’une marque, lorsqu’il dépasse le stade de simple consommateur d’informations pour en devenir un acteur. Concrètement au Figaro, cela se traduit par la mise en oeuvre d’une stratégie dite “d’entonnoir”. Si la majorité de notre audience se contente d’une relation “passive” (consulter nos contenus), une partie a lien plus étroit avec Le Figaro et peut réaliser un acte d’engagement plus ou moins impliquant: s’abonner à une newsletter gratuite, participer à la conversation en déposant un commentaire, acheter une édition électronique du quotidien ou bien s’abonner à l’une de nos offres digitales. Toutes ces actions nécessitent la création d’un compte “Figaro Connect”. Après trois années d’existence, nous comptons 1,3 millions de membres.

Ce système est extrêmement vertueux pour trois raisons:
1. il renforce le lien entre la rédaction et son audience (au travers notamment des commentaires sélectionnés par les journalistes);
2. il augmente significativement la consultation de nos sites. Un membre Figaro Connect consulte en moyenne six fois plus de contenus qu’un internaute non identifié et passe trois fois plus de temps sur le site;
3. il nous permet de mieux connaitre nos internautes, via les données de surf que nous collectons. Nous sommes ainsi en mesure de leur apporter des informations et services autour de leurs thématiques favorites.»

Michaël Szadkowski, social media editor au Monde.fr (France)

«L’engagement de nos lecteurs recouvre tout ce qui dépasse la simple lecture d’un contenu du Monde.fr. Cela peut se faire de manière assez basique. Un lecteur qui “aime” un article sur Facebook ou Google+, retweete Le Monde.fr ou tweete un de nos articles, s’engage, dans la mesure où il diffuse notre travail d’information. L’engagement plus construit, et plus qualitatif, peut concerner les conversations liées à l’actualité, entre les lecteurs eux-mêmes, mais aussi entre les lecteurs et les journalistes. Il s’agit, à mon sens, d’un nouveau format journalistique, et ce sont les prises de paroles de nos lecteurs qui en est la source. Le lecteur “engagé” réagit au fait d’actualité en lui-même (“Je trouve ça scandaleux”, “Je trouve ça génial”, “Je fais une blague”, etc…), mais peut aussi nous poser des questions (sur notre traitement éditorial, ou sur un point qu’il n’a pas compris), et nous donner des précisions et informations supplémentaires (liens, expertise, etc). A nous, journalistes, de cultiver ensuite cet engagement en valorisant les meilleurs prises de paroles de l’audience, et en répondant aux questions et aux commentaires. Le format, tout comme la qualité, de cet engagement dépendent de l’endroit et des cadres dans lesquelles les conversations ont lieu.

Sur notre page Facebook, il s’agit par exemple des commentaires sous un de nos posts, ou des mails échangés sur la messagerie de la “fan page”. Sur Twitter, il s’agit des gens qui nous interpellent en mentionnant “@lemondefr”, et qui discutent avec nos journalistes sur tel ou tel fait d’actualité. Sur le site, nos lecteurs prennent particulièrement la parole au moment des “lives” et des chats (avec un volume très important de commentaires et de questions postés dans nos fenêtres Cover It Live), et des appels à témoignages (où ils racontent leurs expériences avec des textes, des photos, etc). Nous réfléchissons en ce moment à de nouveaux formats pour dynamiser, et enrichir, ce type d’engagement. Et ce, dans un souci d’enrichissement éditorial, pour nous et pour l’audience. Mais il ne faut pas se leurrer: cela sert aussi à ce que les lecteurs passent plus de temps sur le site, et restent en contact avec “Le Monde.fr” sous toutes ses formes.»

Erwann Gaucher, journaliste à France Télévisions (France)

«Je ferais une distinction entre engagement et interaction. L’interaction, c’est l’audience qui discute d’un sujet traité dans un média, ou d’une émission de télévision par exemple. L’engagement, c’est l’interaction active, poussée et fidélisée, avant, pendant et après la publication ou la diffusion d’un contenu. Cela résulte des mécanismes d’animation de communauté que l’on met en place, via des fonctionnalités et des rendez-vous complémentaires et parallèles aux émissions télévisées, afin que l’audience recommande, partage et agisse concrètement avec le média. Devant l’émission Envoyé Spécial sur France 2, par exemple, l’audience peut interroger, sur Twitter, les présentatrices Françoise Joly et Guilaine Chenu pendant la diffusion des reportages à l’antenne. Celles-ci leur répondent en direct. Capter une conversation pour en publier / passer à la télévision des extraits, c’est pour moi de l’interaction. Proposer à l’audience de sélectionner elle-même l’extrait de l’émission ou de l’événement sportif via un bouton de “snapshot” (les vidéos à la volée, ndlr) et de le partager avec son propre réseau, c’est de l’engagement.»

Damien Van Achter, développeur éditorial, fondateur de Lab.Davanac (Belgique)

«De ma perspective, l’engagement est la résultante d’une processus plus ou moins long d’insertion d’individus, de marques, de médias au sein de communautés d’intérêt. L’engagement se révèle quand des utilisateurs participent de manière pro-active à des processus de co-création de valeur ajoutée, partagent leurs idées, leur énergie et leur temps afin d’entretenir des liens sociaux et affectifs forts, voire à ouvrir leur porte-monnaie pour acquérir des produits ou des services devenus légitime et signes d’appartenance à une ou plusieurs de ces communautés d’intérêt. L’engagement n’est pas une fin en soi, mais aucun projet porté par un individu, une marque ou un média, n’a de chance de récolter un retour sur investissement sans qu’il y ait engagement des communautés auxquelles ils s’adressent.»

Aude Baron, rédactrice en chef du Plus au Nouvel Observateur (France)

«L’engagement est un terme que j’entends surtout dans la bouche des services marketing, pour désigner toutes les actions de l’internaute par rapport au contenu, qu’il s’agisse de lectures, commentaires, likes, partage sur les réseaux sociaux, envoi par mail… J’emploie rarement ce mot, qui reste un peu flou. Dans les faits, je fais attention à toutes les actions des lecteurs pour évaluer le succès, et surtout, la qualité de lecture d’un article, par ordre croissant: vu / lu / liké / partagé / envoyé / commenté. Ainsi, un article qui est beaucoup “vu” peut juste avoir été pris par Google Actu, ça ne voudra pas dire pour autant qu’il a été “lu”. Etre vu, c’est bien pour les stats, mais être lu, c’est quand même ce qu’on recherche. Le nombre de shares et commentaires permet d’évaluer la qualité de lecture avec un peu plus de précision. Ainsi je préfère voir un billet affichant 10.000 vues, 120 commentaires et 1K de partages Facebook, qu’un billet avec 150.000 vus mais 20 partages Facebook et 2 commentaires: la lecture n’aura pas du tout été qualitative.»

Propos recueillis par Alice Antheaume

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Chers éditeurs, voici les questions que vous devriez vous poser

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Quelles questions devrait se poser un éditeur en 2013 ? Il y a en a dix et il serait temps de s’y intéresser, a lâché Matt Kelly, ancien responsable des publications numériques du Daily Mirror, à Londres, aujourd’hui co-directeur de l’agence Sol 361, lors du sommet organisé par le GEN (Global Editors Network) sous les dorures de l’Hôtel de ville à Paris, le 20 juin 2013. Un réquisitoire sévère pour dénoncer l’”attentisme” de quelques acteurs reclus, selon Matt Kelly, dans des mécaniques qui n’ont plus lieu d’être à l’ère numérique.

1. Connaissez-vous vraiment votre audience?

Sous-titre : si vous la connaissiez vraiment, “vous devriez savoir qu’à Londres, à partir de 74°F (soit 23-24 degrés), l’audience achète des barbecues”, explique-t-il. Aux éditeurs britanniques, donc, de savoir quand placer des publicités pour les barbecues en fonction de la météo pour générer des revenus.

2. Pourriez-vous imaginer des flux sur mobile qui soient encore plus mal conçus?

Sous-titre : la plupart des contenus proposés sur mobile sont des copiés-collés de ceux publiés sur les sites Web d’informations. Une aberration qui ne tient pas compte des usages observés auprès des consommateurs d’infos sur mobile.

3. Combien de vidéos votre audience peut-elle vraiment digérer?

Sous-titre : pas besoin de faire autant de volume avec des vidéos mal fagotées et peu adaptées à l’audience visée.

4. Quand était-ce, la dernière fois que vous avez créé une marque?

Sous-titre : regardez Buzzfeed, créé en 2006, et Flipboard, lancé à la fin de l’année 2010, qui agrège aujourd’hui 6 milliards de contenus par mois. Ces nouveaux noms ont réussi à se faire une place au soleil dans le paysage médiatique.

5. Comprenez-vous où se joue la compétition aujourd’hui?

Sous-titre : pas besoin d’être un éditeur de presse pour produire du contenu. Le club de foot de Liverpool, pour ne citer qu’un exemple, a “quinze journalistes dans son équipe! Quinze journalistes pour un seul club”, répète Matt Kelly. Quinze producteurs de contenus, donc, qui font exactement ce que ferait un journaliste sportif: des infograghies avec des statistiques sur les actions des joueurs pendant les matchs, font des reportages dans les coulisses, des interviews en vidéo, créent des sondages en ligne pour les fans, etc.

6. Savez-vous regarder au-delà de l’actualité?

Sous-titre : “vous êtes obsédé par la production de news”, diagnostique Matt Kelly, or il faut se sortir la tête du guidon pour observer les habitudes de son audience, adapter sa stratégie, et innover sur l’interface et le rôle d’un média dans le contexte actuel.

7. Pourquoi ne construisez-vous pas l’audience avant le produit?

Sous-titre : mieux vaudrait s’inspirer de ce qu’a fait Mollie Makes qui, avant de créér son magazine, a d’abord lancé une page Facebook. Objectif: comprendre ce que sa future audience peut attendre d’un média et capitaliser sur ces utilisateurs dégotés via un réseau social.

8. Ne serait-ce pas le moment de se ruer sur la technologie?

Sous-titre : la plupart des éditeurs sont trop souvent focalisés sur les aspects journalistiques et pas assez sur le développement. Pourtant, il devient urgent de réfléchir à l’interface des applications sur mobile, de lancer des éditions multiples sur tablette, et de mieux plonger dans les “templates”, le code, et autres éléments indispensables aujourd’hui pour survivre sur le réseau.

9. Est-ce que vous monétisez chaque centimètre d’espace?

Sous-titre : ne vous contentez pas des bannières classiques ni des seuls pre-rolls dans les vidéos. Pour augmenter vos revenus, continue Matt Kelly, intéressez-vous aux propositions de Kalooga, qui insère automatiquement des diaporamas de photos en fin d’articles, ce qui augmente le temps passé sur chaque page et peut promettre des revenus supplémentaires, ou aux suggestions de liens d’Outbrain – comme ci-dessous.

10. Etes-vous êtes prêt à cliquer sur le bouton?

Sous-titre : une bonne stratégie numérique est à la portée de celui qui saura oublier ses vieux réflexes pour embrasser les questions énoncées ci-dessus, conclut Matt Kelly.

Alice Antheaume

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Qui es-tu, consommateur d’informations français?

Crédit: Flickr/CC/gothopotam

L’année dernière, les Français étaient très actifs pour commenter les informations en ligne et répondre à des sondages portant sur l’actualité. Cette année, ils ne participent plus autant. Ils disent préférer s’informer par les médias traditionnels, tout en ne boudant pas leur plaisir lorsqu’il s’agit de suivre un “live”, ce format qui permet de raconter en ligne, au fur et à mesure, via texte, son, vidéo, image et interaction avec l’audience, un événement.

C’est ce que révèle la nouvelle étude intitulée “digital news report” publiée par le Reuters Institute for the Study of Journalism ce 20 juin 2013. En comparant les usages des consommateurs d’informations en France, en Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie, Danemark, aux Etats-Unis, au Brésil et au Japon, elle dégage les spécificités des consommateurs d’informations en fonction de leur pays d’appartenance. Et donne à voir un portrait réactualisé du consommateur d’informations en France.

  • Le Français reste attaché à la télévision

Le Français, donc, se fie volontiers aux médias traditionnels pour accéder aux actualités, et notamment à la télévision, alors que le pays bénéficie d’un taux de pénétration d’Internet important (80%) et d’un nombre de pure-players exceptionnel. Paraxodal? La France est le seul pays étudié où même les moins de 34 ans conservent une forme de “loyauté envers la télévision”, note le rapport, et ce, alors que, partout ailleurs, Internet est la principale source d’informations pour les moins de 45 ans.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

L’attachement aux médias traditionnels se retrouve en Allemagne où les habitants, bien que très connectés (83% de taux de pénétration d’Internet), restent fidèles à la télévision et continuent à lire des journaux imprimés chaque semaine. Pour s’informer, les Japonais et les Américains, eux, utilisent plutôt des pure-players et des agrégateurs en ligne tandis que les Brésiliens – l’échantillon porte sur ceux qui vivent en ville – se tournent en majorité vers les réseaux sociaux.

  • Le Français participe moins à l’actualité en ligne depuis que l’élection présidentielle est terminée

L’engouement pour l’élection présidentielle étant passé, la verve française serait retombée alors que la France était en 2012 le pays européen “le plus engagé” en ligne, participant à la construction de l’information et répondant à qui mieux mieux à des sondages sur l’actualité. Un engagement qui, d’après l’étude, s’est effondré en 2013. Autant dire que ni l’affaire Cahuzac ni le débat sur le mariage pour tous n’ont suffi à re-mobiliser les commentaires des internautes.

Cette année, pour discuter de l’actualité, le Français en parle avec sa famille et ses amis, en envoyant l’information qu’il a repérée par email ou, encore, en la recommandant sur un réseau social. Sur le créneau de la participation, les Français se font donc distancer par les Américains et les Espagnols, les plus actifs dans le partage de liens, et par les Brésiliens, les plus gros commentateurs d’articles sur les sites d’informations.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français aime les listes et les “lives”

Les Français apprécient avant tout les articles de type “liste” – vous êtes vous-même en train d’en consulter un exemple ici -, les blogs, les vidéos et les sons, et, spécificité hexagonale, les “lives” qui privilégient l’instantanéité et sont réactualisés en temps réel pour raconter un événement inopiné ou un match sportif. Sur ce point, ils talonnent les Japonais, très friands de ce type de format. A l’opposé, les Danois et les Allemands se tournent plus volontiers vers des contenus plus longs.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français lit des informations nationales

Le Français aime la politique, les actualités qui concernent son pays, les informations internationales, mais il aime beaucoup moins les informations locales, notamment sur sa ville, les informations people ou l’“entertainment”, ainsi que les informations sur la bourse et la finance. En outre, exception culturelle française ou pas, il ne semble pas non plus se ruer sur les informations concernant l’art et la culture.

  • Le Français accède à l’actualité via des moteurs de recherche

Pour trouver des informations en ligne, les Français passent par les moteurs de recherche, un chemin d’accès majoritaire – un Français effectue en moyenne 134 recherches en ligne par mois -, bien loin devant la recommandation sociale et les agrégateurs. Au Japon, à l’inverse, ce sont en majorité les agrégateurs qui permettent d’accéder aux informations, quand, au Brésil, ce sont les réseaux sociaux qui y mènent.

  • Le Français préfère toujours son ordinateur fixe pour s’informer

Ordinateur? Tablette? Smartphone? Tout à la fois? Dans tous les pays sondés, de plus en plus d’utilisateurs s’informent via une combinaison de plusieurs outils. Un tiers des répondants utilisent au moins deux supports, et c’est le plus souvent l’ordinateur et le smartphone. Est aussi en vigueur l’alliance de l’ordinateur et la tablette, voire l’utilisation des trois (ordinateur, téléphone et tablette) en même temps. Tandis que les Danois dégainent par réflexe leur smartphone pour accéder aux informations, les Français sont toujours, pour la majorité d’entre eux, des usagers fidèles de l’ordinateur, avant le smartphone, et avant la tablette.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français prêt à payer pour de l’information en ligne s’il a entre 25 et 34 ans et gagne plus de 50.000 euros par an

En 2012, seuls 8% des Français sondés avaient payé pour accéder à des informations en ligne, selon la précédente étude du Reuters Institute. En 2013, ils seraient désormais 13% à avoir franchi le cap. Fait notable, les utilisateurs les plus enclins à passer à l’acte ont entre 25 et 34 ans. Et ils le font davantage depuis une tablette, ainsi que depuis un smartphone, plutôt que via un ordinateur fixe.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

En France et Allemagne, relève l’étude, il y a une corrélation entre le montant des revenus et l’acte d’achat: les foyers gagnant plus de 50.000 euros par an sont deux fois plus prêts à acheter de l’info en ligne que ceux qui gagnent moins de 30.000 euros par an. Enfin, en France, l’achat d’une application constitue l’acte de paiement le plus fréquent pour accéder à des infos en ligne, alors que s’abonner aux sites d’informations prévaut aux Etats-Unis et au Danemark.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Alice Antheaume

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Razzia sur les vidéos en ligne

Crédit: Flickr/CC/casasroger

Sur le front des vidéos en ligne, “c’est la guerre”, déclare Clémence Lemaistre, rédactrice en chef du site de BFMTV.com. C’est une “jungle où chacun fait ce qu’il veut”, ajoute Célia Meriguet, rédactrice en chef de France TV Info.

Alors que les sites d’information cherchent la formule des vidéos qui ne soit pas de la télévision à la papa, certains acteurs se livrent à une bataille sans merci du “qui-a-rippé-quoi”. Ripper, dans le jargon, cela veut dire subtiliser une vidéo produite par un autre pour l’intégrer dans son lecteur. Pour ce faire, il suffit d’enregistrer le flux d’une chaîne de télévision, ou une simple émission, afin de stocker la matière dans laquelle puiser, puis d’y découper un extrait – plus ou moins long -, insérer un générique de début et de fin aux couleurs et au logo du “fauteur”, l’encoder dans son lecteur et le publier. A ce jeu-là, Full HD ready, un ancien de feu Lepost.fr, a été l’un des pionniers.

Ce qu’il y a dans la loi

De “l’encodage sauvage” et illégal, juge Marc Lloyd, responsable de la distribution vidéo à BFM TV. C’est vrai. Même si la législation française en la matière est élusive, il est écrit dans le code de propriété intellectuelle qu’un média a le droit de reproduire la vidéo (ou un extrait de cette vidéo) d’un concurrent à condition que :

  1. la vidéo ait déjà été publiée – si non, il faut l’autorisation de l’auteur,
  2. la source et l’auteur soient mentionnés (avec un lien qui renvoie à la source, c’est mieux),
  3. la reprise soit justifiée “par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées”,
  4. et que la citation soit “courte”.

Or les points 3 et 4 sont flous.

  • concernant le point 3, le droit d’informer peut justifier que soient diffusés intégralement “les discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles”. En clair, lorsque François Hollande parle aux Français depuis l’Elysée, n’importe qui pourrait a priori ripper la vidéo. En revanche, lorsque Jérôme Cahuzac est interviewé par Jean-François Achilli dans un studio, le 16 avril 2013, on ne peut pas vraiment penser que cela soit une cérémonie officielle, même s’il est évident que son discours est destiné au public.
  • concernant le point 4, on ne sait pas ce que signifie une “courte” citation. Le nombre de signes, de minutes, ou de secondes n’est pas précisé.

Ambiance Far West

En réalité, de telles ambiguïtés en arrangent plus d’un. Dans ce Far West, le site de Jean-Marc Morandini a une rubrique intitulée le Morandini Zap, avec un extrait provenant ici du JT de France 2, là d’une émission de M6, à chaque fois précédés d’une séquence publicitaire et d’un générique fait maison. “Vous avez déjà vu, vous, un zapping avec un unique extrait? Il ne faut pas se moquer du monde!”, tempête Marc Lloyd. “Je suis désolé, mais un zapping digne de ce nom devrait comporter un vrai travail éditorial” de sélection, de hiérarchisation et de montage.

D’autres éditeurs arguent qu’ils s’autorisent à piquer la vidéo quand le diffuseur traîne à la mettre en ligne. Un argument qui n’est pas recevable au regard de la loi (cf le point 1 ci-dessus). “L’idée, c’est d’être le plus rapide, c’est clair”, m’explique Julien Mielcarek, passé par le site PureMédias, devenu en janvier dernier chef du service vidéos du Figaro.fr. Et cela se joue à dix minutes près. “On enregistre tous les flux des émissions politiques des chaînes de télévisions, des matinales des radios, pour que les extraits intéressants soient le plus vite possible en ligne sur lefigaro.fr”, continue-t-il.

Un phénomène qui rappelle la lutte, en 2008, entre les sites d’informations pour éviter les copiés-collés de leurs articles au profit, là encore, d’une “courte citation” suivie d’un lien vers la source originelle…

L’appât publicitaire

“Leur logique n’est pas d’avoir l’info”, décrypte Célia Meriguet, “mais d’avoir la vidéo dans leur lecteur” pour y bénéficier de 100% des revenus provenant d’un pre-roll publicitaire. Insérer le lecteur vidéo “embedabble” d’un autre dans ses pages n’est pas intéressant de ce point de vue, car dans un “embed” il y a certes le contenu vidéo mais aussi… la publicité de la source qui en empoche les revenus.

Tel est donc le nerf de la guerre: l’appât publicitaire. “C’est un problème industriel”, regrette Clémence Lemaistre. “Il suffit de comparer les revenus générés par les pre-roll dans les vidéos (environ 15 euros) et ceux des displays (les bannières disposées sur les sites d’infos, ndlr), très inférieurs (entre 1 et 6 euros, ndlr), pour comprendre…”

Parce qu’il y a une audience friande du format vidéo (jusqu’à 10 millions de consommateurs de vidéos quotidiens, selon Médiamétrie), parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) y est plus élevé que sur les formats publicitaires classiques, et parce que le nouvel indicateur sur lequel louchent annonceurs et éditeurs se compte en vidéo vue – plutôt qu’en visiteur unique -, tous les grands médias en ligne ont mis le cap sur le format vidéo.

Lemonde.fr poste sur Instagram des photos de son studio “tout neuf” dans lequel sont réalisées des séquences “éclairages” avec des journalistes maison. Lefigaro.fr a un service doté de sept journalistes et trois techniciens dont “la politique, c’est de mettre un maximum de vidéos sur tous les sujets”, reprend Julien Mielcarek. Avec une production actuelle de 50 à 60 vidéos par jour dont trois ou quatre zappings quotidiens, il veut atteindre les 100 vidéos par jour d’ici quelques mois. De son côté, BFMTV.com met en ligne jusqu’à 80 vidéos par jour, dont des “replay” comme l’interview matinale de Jean-Jacques Bourdin, et des séquences tirées de sujets diffusés à l’antenne. A France Télévisions, en dehors du million de vidéos vues par mois en télévision de rattrapage, la plate-forme d’informations en continu France TV Info produit une grosse vingtaine de vidéos au quotidien.

Le sport, chasse gardée

Il y a donc de quoi se servir. Pourtant, aucun média n’a encore intenté d’action en justice auprès des pirates de vidéos. Plutôt attentistes, beaucoup disent réfléchir sérieusement à taper du poing sur la table.

Il n’y a guère que dans le domaine du sport que personne ne se risque à ravir la vidéo d’un autre. La raison est simple: les droits sportifs sont si faramineux que le propriétaire de la vidéo n’hésiterait pas une seconde à mettre en demeure celui qui ripperait une telle vidéo, voire à lui demander des sommes astronomiques. Pour les vidéos de sport, au Figaro.fr, on se contente de reportages plus magazines produits par la rédaction et de faire un commentaire sur des images fixes d’agence, point.

Sur les sites d’informations appartenant à des groupes audiovisuels, cela se passe à un autre niveau. Le moindre écart sur une vidéo – sauf à créer un GIF animé ou à prendre les reconstitutions en 3D faites par l’AFP – montrant un but au foot se répercuterait, non au niveau du Web mais au niveau de l’antenne. En guise de représailles, outre la facture salée, Clémence Lemaistre sait que “Canal+ pourrait faire de la rétorsion d’images des matchs auprès de BFM TV, et ce serait très grave”.

Alice Antheaume

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Quelles tendances pour 2013?

Crédit: Flickr/CC/jacilluch

Au rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Outre le mot “moment”, en passe de devenir le terme-valise pour qualifier une actualité/un partage/une expérience médiatique, sur quoi miser?

#STRATEGIE

  • Crise en ligne

L’année dernière, à la même date, j’avais parié – bien sûr sans le souhaiter – sur des disparitions parmi les médias du Web. La faute à un nombre exceptionnel d’initiatives en ligne, lancées en France, qui se cannibalisent sans doute les unes et les autres et n’ont que le marché francophone comme terrain de jeu. On ne va pas faire semblant de vivre au pays des Bisounours alors que nombreux sont les médias qui, dans l’hexagone, serrent les dents. Citizenside, l’agence de photos communautaires, est en cessation de paiement. Le Monde prétend que le site Rue89 serait en «crise d’identité» un an après son rachat par Le Nouvel Observateur, en décembre 2011, alors que tout va bien, merci, rassurent les équipes. Bref, chacun attaque son concurrent, sa stratégie et ses ressources. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter.

  • Le retour du paywall

Ce serpent de mer n’a jamais vraiment disparu, mais en 2013, «on verra une grande quantité de producteurs de contenus passer d’un modèle économique basé sur la publicité à un modèle d’abonnements ou de paiement à la consultation», annonce le rapport «Digital and Media predictions 2013» publié par l’agence Millward Brown.

«Il ne s’agit pas tant de faire en sorte que les gens paient pour consulter des contenus. Il s’agit de faire en sorte que les plus actifs de ces gens paient», me précise Andrew Gruen, chercheur à l’Université de Cambridge, ancien journaliste pour CNet et la BBC. «Cela peut se traduire par des paywalls qui marcheraient comme des compteurs ou par des publications additionnelles calibrées pour une audience de niche comme Politico Pro».

  • Qui n’a pas sa conférence?

Le Guardian a sa conférence, «The Changing Media Summit». Mashable a la sienne, intitulée «Mashable Media Summit». All Things Digital en a une série également. En France, Les Echos en organisent, et Libération, dont les ventes en kiosque ont baissé, annonce vouloir miser en 2013 sur le numérique et sur l’organisation de… 23 conférences.

A quoi cela sert-il, pour un média, d’organiser des événéments? A s’offrir, si le programme de la conférence s’avère bien conçu, une campagne d’image pour sa marque. A faire venir des interlocuteurs de renom et à avoir de quoi alimenter des articles en restant à demeure. Et à inviter d’éventuels annonceurs à l’événement.

#FORMAT

  • Vidéo instantanée

J’en ai déjà parlé beaucoup ici. La vidéo en live et/ou découpée en petite séquence pourrait devenir la nouvelle façon de raconter l’information pour l’année à venir. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal s’est allié pour lancer sa plate-forme, WorldStream.

  • Des histoires sponsorisées

Le saut supersonique de Felix Baumgartner, le 14 octobre dernier, à 39 kilomètres de la Terre, a été vu en direct par des millions de personnes – avec un pic de 8 millions de personnes en simultané sur YouTube et une vague d’enthousiasme sur les réseaux sociaux. Derrière cet exploit, une marque de boissons énergisante, Red Bull, qui s’est offert une publicité à vie.

Quant au site américain Buzzfeed, il mélange publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Il s’agit de contenus créés par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Des contenus qui bénéficient parfois du même taux de partage que des contenus journalistiquement “purs”.

  • Contenus «évolutifs»

C’est Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab, qui a insisté sur ce point lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po le 10 décembre. Fleurissent des applications qui permettent de calibrer les contenus en fonction du support depuis lesquels on les lit. Ainsi, l’application Circa pioche à droite et à gauche les informations les plus importantes du jour et les ré-édite afin qu’elles soient lisibles sur un petit écran de smartphones, avec les faits d’un côté, les photos de l’autre, les citations. Pour ne plus avoir besoin de zoomer, de dézoomer et de scroller sur son téléphone pour espérer lire une histoire. Summly, une autre application mobile, fait des résumés des sources que l’utilisateur sélectionne, en les formatant pour une lecture mobile.

Les contenus «évolutifs» ne sont pas qu’une question de supports. Il s’agit aussi des temps de lecture: si un lecteur vient pour la première fois sur un site, il ne verra pas la même chose que celui qui est déjà venu plusieurs fois, et qui veut donc repérer d’un coup d’œil ce qui est nouveau depuis sa dernière venue, ainsi que le théorise cette start-up appelée Aware.js «Et si on pouvait proposer différents éléments d’un même contenu en fonction de ce que le lecteur sait ou ne sait pas?».

  • Mobile toute!

Impossible d’y échapper. Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

#UTILISATEURS

  • Plus de bruit

De plus en plus de monde sur les réseaux sociaux (25,6 millions de Français inscrits sur Facebook selon Social Bakers, et plus de 7 millions sur Twitter selon Semiocast), cela finit par faire beaucoup de bruit. Le rôle de filtre du journalisme, qui fait le ménage dans ce gigantesque flux, devient crucial. Problème: les erreurs commises lorsque se déroule un événement en temps réel, comme cela a été le cas avec la publication sur les réseaux sociaux de photomontages clownesques lors de l’ouragan Sandy sur la côte Est des Etats-Unis ou avec la désignation erronée du tueur de Sandy Hook, dans le Connecticut. Des erreurs qui entachent la crédibilité des réseaux sociaux, jugent leurs détracteurs, et soulèvent des questions d’éthique journalistique.

Qu’importe, c’est ainsi que se déroule l’actualité désormais, écrit Mathew Ingram, sur le site GigaOM. «Autrefois, la fabrication de la matière journalistique faisait déjà l’objet d’un processus chaotique mais il ne se déroulait pas sous les yeux du public. Au sein des rédactions, les journalistes et rédacteurs en chef se démenaient pourtant désespérément pour recueillir des informations auprès des agences de presse et d’autres sources, pour les vérifier tant bien que mal, avant de les raconter. L’avènement de l’information en continu, par exemple sur CNN, a levé une partie du voile sur ce processus, mais les médias sociaux ont retiré tout le voile – maintenant, la publication des nouvelles se passe en temps réel, au vu et au su de l’audience.»

  • Batterie en survie

Le problème numéro 1 des utilisateurs de smartphones – et surtout d’iPhones: recharger leur batterie de téléphone, à plat après quelques heures d’utilisation. Les prises d’électricité, promesses d’une recharge salutaire, n’ont jamais été aussi séduisantes et les chargeurs aussi sexys. «Bientôt, on posera nos smartphones sur une table et cela les rechargera sans que l’on ait besoin de les raccorder à une prise», espèrent les optimistes. Fourmillent déjà quelques bonnes idées d’accessoires pour accompagner l’utilisation du mobile en déplacement, comme cette coque ou cette trousse dans lesquelles il suffit de glisser son téléphone pour que celui-ci se recharge.

  • Télécommande mobile, dis moi ce qu’il me faut

L’idée est évoquée dans le rapport «Digital and Media predictions 2013» de l’agence Millward Brown: le mobile, avec ses capacités de stockage exceptionnelles, «devient la télécommande qui contrôle nos vies (…). Imaginez que vous entriez dans une pièce et que l’ambiance s’adapte soudain à vos préférences personnelles – lumière tamisée, musique jazz qui s’enclenche, et photos de votre plage favorite qui s’affichent sur les murs».

Bref, tout est là, à portée de doigt. Et au fond, votre mobile sait mieux que vous ce qui vous convient puisqu’il connaît tout de vous: qui vous appelez, à qui vous écrivez, quels mots vous employez, quelle musique vous écoutez, à quelle heure vous vous réveillez, quelles photos vous regardez, quels sites vous consultez…

Sur quoi misez-vous pour 2013? Dites-le dans les commentaires et sur les réseaux sociaux. En attendant, très bonnes fêtes à tous !

Alice Antheaume

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MAJ : Les social readers des éditeurs sur Facebook sont-ils désertés?

MISE A JOUR 14 décembre 2012 (cet article avait été écrit en mai 2012): Le Guardian annonce vouloir tuer son social reader. La raison? L’envie de reprendre la main sur les interactions que le Guardian a avec ses lecteurs, plutôt que d’en laisser le contrôle à Facebook.

Cela vaut-il la peine, pour un média, de développer son «social reader» (lecteur social en VF), cette application conçue comme un navigateur à l’intérieur-même de Facebook qui propose aux lecteurs des articles du titre en fonction des recommandations de leurs amis et de leurs goûts? Le Washington Post en a un, le Wall Street Journal aussi, le Huffington Post de même. En France, Le Figaro, Le Monde, 20 Minutes, L’Equipe et L’Express en sont dotés. Or, selon le site américain Buzzfeed, les lecteurs fuieraient ces applications.

En témoigne la dégringolade, depuis avril, des courbes de connexion aux «lecteurs sociaux» du Washington Post, du Guardian et de Dailymotion. Une diminution qui pourrait résulter des changements opérés par Facebook sur sa plate-forme le mois dernier.

Le prix dans la balance

«Tant mieux, on n’aura peut-être finalement pas besoin de concevoir un social reader alors que l’on est déjà en retard sur d’autres développements», souffle un journaliste de sites d’informations. D’autant que la création d’un social reader pour un éditeur n’est pas gratuit. En France, il faut compter aujourd’hui entre 20 et 40.000 euros pour une interface comme celle du Washington Post, m’indique Matthieu Stéfani, consultant sur les nouveaux médias.

Mais peut-on en faire l’impasse? Pour Matthieu Stéfani, la «question n’est plus de savoir s’il faut faire ou non un social reader (cela reviendrait à se poser la question d’être ou non sur Google)» mais de comment le faire. Aucun doute selon lui, «le social reader a permis à plusieurs médias de faire exploser le trafic en provenance de Facebook, arrivant même pour certains à battre Google News».

«Les éditeurs dont la courbe de connexion baisse le plus sont ceux qui se sont lancés les premiers. Ils ont eu beaucoup de monde au début, un peu moins aujourd’hui, car il y a de plus en plus de concurrence sur ce créneau», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Mais la baisse reste relative quand on voit que Dailymotion a recruté 27 millions de membres en un mois, et Deezer 250.000 personnes par semaine». Ce que confirme Martin Rogard, de Dailymotion: «Au final, on a gagné 25% de vidéos vues en plus chaque jour».

Boosteurs d’audience

Les «social readers» seraient donc de fabuleux «boosteurs d’audience». Pour en avoir le cœur net, regardons les chiffres des lecteurs sociaux des médias français et notamment, les lignes DAU (daily active users, les utilisateurs actifs quotidiens) et MAU (monthly active users, soit les utilisateurs actifs mensuels) sur le site AppData, qui traque les audiences des applications disponibles sur Facebook.

Concernant L’Express, les feux semblent au vert avec 220.000 utilisateurs mensuels et une progression quotidienne du nombre d’utilisateurs.

Idem, du côté de L’Equipe, les courbes sont en augmentation, même si le nombre d’utilisateurs mensuels n’atteint pour l’instant que 20.000 personnes.

Le lecteur social du Figaro, lancé en avril 2012, compte certes 40.000 utilisateurs actifs mensuels après un mois d’existence mais sa courbe d’audience au quotidien baisse.

C’est pourtant bien au-delà des 9.000 utilisateurs mensuels du social reader du Monde, dont les courbes à la fois mensuelles et quotidiennes fléchissent.

Néanmoins, pour des sites d’infos qui touchent des millions de visiteurs uniques par mois, l’impact peut paraître secondaire. «Le matin, les gens ne se lèvent pas en se disant “tiens, et si j’allais sur le social reader d’un éditeur”», reprend Julien Codorniou. «Certains médias partent de zéro pour acquérir leurs utilisateurs sur un “social reader”. Et il faut réussir à trouver un moyen de les retenir, via des techniques de réengagement…».

«Boucle de la viralité» facebookienne

Ce qui signifie, selon Facebook, que le «circuit» de lecture ne devrait pas souffrir de rupture. Accrochez-vous, voici l’explication:

Vous lisez un article sur l’application mobile du Washington Post et souhaitez le partager sur Facebook depuis votre mobile. Alors s’ouvre, toujours à l’intérieur de l’application mobile du Washington Post, une fenêtre vous demandant si vous l’autorisez à vous connecter sur le social reader du Washington Post sur Facebook, vous dites oui, et vous pouvez ensuite partager votre lecture sur Facebook sans quitter l’application mobile du Washington Post. Et si quelqu’un clique, depuis son ordinateur connecté à Facebook, sur l’article du Washington Post que vous venez de partager sur Facebook, cela le renvoie vers le «social reader» du Washington Post sur Facebook.

Ce qui est décrit ci-dessus serait, selon Facebook, une expérience réussie de lecture et de partage social, c’est-à-dire sans passer d’une application à l’autre et sans se perdre en cours de route.

Outre cette «boucle de la viralité» qui n’est que rarement «bouclée», déplore Julien Codorniou, les lecteurs sociaux ont d’autres avantages. 1. Toucher un public plus jeune 2. Capitaliser sur une partie du temps passé par les inscrits sur Facebook, à savoir 7 heures en moyenne par mois pour les Américains 3. Connaître les lecteurs, connectés via leurs profils Facebook.

«Cela permet de vraiment identifier quelqu’un, avec son nom, prénom, ses goûts (tels que renseignés sur Facebook, ndlr), son adresse email», dit encore Julien Codorniou. «Si un même lecteur se connecte sur le site du Monde.fr (sans s’identifier en tant qu’abonné, ndlr), Le Monde ne sait pas qui il est, alors que, sur son social reader, Le Monde peut le recontacter. La possibilité de transformer un lecteur en prescripteur, pour la presse, ça vaut vraiment le coup!»

Question de vie privée

Et si les utilisateurs rechignaient à voir s’afficher sur leurs profils Facebook leurs lectures, pas tant celles qui concernent la vie politico-économico-internationale du monde, mais au hasard la perte de poids d’une star?

En en discutant ici et là, je m’aperçois que je ne suis pas la seule à bloquer sur l’idée que tous mes amis puissent voir, en temps réel, ce sur quoi je clique. Parmi les utilisateurs potentiels des lecteurs sociaux, il y a:

  • ceux qui, en effet, s’interdisent d’aller sur un lecteur social;
  • ceux qui acceptent d’y aller sous réserve qu’ils trouvent le bouton pour empêcher l’application de publier sur leur mur ce qu’ils lisent;
  • et enfin, ceux qui se félicitent d’en être, convaincus que leurs amis, sélectionnés avec soin, seront ravis de partager leurs clics.

A ceux qui implorent Facebook de leur permettre de choisir de partager (ou pas) les contenus lus sur un «social reader» sur leur mur, les équipes de Facebook répondent qu’il y a bel et bien un bouton on/off sur les lecteurs sociaux. «On pousse les développeurs à le prévoir». Sauf que ce bouton ne permet pas de choisir au cas par cas, et que, bien sûr, par défaut, on partage tout.

Le rapport annuel sur l’état des médias américains en 2012, réalisé par le Pew Project for Excellence in Journalism, avait prévenu: gestion de la vie privée et dépendance aux entreprises de nouvelles technologies figurent parmi les principales difficultés des éditeurs.

Utilisez-vous ou fuyez-vous les lecteurs sociaux des éditeurs sur Facebook?

Alice Antheaume

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#Npdj12: les 6 tendances du journalisme numérique

Crédit photo: Ecole de journalisme de Sciences Po/ Morgane Troadec

Mobile, audience, contenus, vidéos instantanées… En conclusion de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Joshua Benton, directeur du Nieman Lab, a énoncé six grandes tendances du journalisme numérique. Les voici.

>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets…) >>

1. L’ascension mobile

«Les rédactions sous-estiment l’importance du trafic provenant du mobile», juge Joshua Benton. Et c’est dommage, car la percée du mobile révolutionne de fond en comble la façon dont les lecteurs vont consommer de l’information. En outre, il y aura bientôt plus de connections depuis le mobile que depuis un ordinateur. C’est déjà le cas à certains moments de la journée sur le site du Guardian. En France, sur lemonde.fr, le changement s’est déjà opéré: il y a désormais plus de pages vues sur le mobile que sur le site Web d’informations. J’ai déjà écrit plusieurs WIP sur ce sujet, ici et .

2. La montée des contenus «évolutifs»

Fleurissent des applications qui permettent de calibrer les contenus en fonction du support depuis lesquels on les lit. Ainsi, l’application Circa pioche à droite et à gauche les informations les plus importantes du jour et les ré-édite afin qu’elles soient lisibles sur un petit écran de smartphones, avec les faits d’un côté, les photos de l’autre, les citations. Pour ne plus avoir besoin de zoomer, de dézoomer et de scroller sur son téléphone pour espérer lire une histoire. Summly, une autre application mobile, fait des résumés des sources que l’utilisateur sélectionne, en les formatant pour une lecture mobile.

Les contenus «évolutifs» ne sont pas qu’une question de supports. Il s’agit aussi des temps de lecture: si un lecteur vient pour la première fois sur un site, il ne verra pas la même chose que celui qui est déjà venu plusieurs fois, et qui veut donc repérer d’un coup d’œil ce qui est nouveau depuis sa dernière venue, ainsi que le théorise cette start-up appelée Aware.js «Et si on pouvait proposer différents éléments d’un même contenu en fonction de ce que le lecteur sait ou ne sait pas?».

3. L’entrée par la porte arrière

L’accès direct sur les sites, et notamment par la page d’accueil, baisse au profit d’autres entrées, par les réseaux sociaux, sur Facebook et sur Twitter. «Le partage est la nouvelle méritocratie des contenus», lance Andrew Gruen, chercheur à l’Université de Cambridge et de NorthWestern, intervenant aussi à la conférence.

«A quoi sert la page d’accueil maintenant qu’elle ne sert plus comme la porte d’entrée principale?», s’interroge Joshua Benton, qui cite l’exemple de Quartz, une rédaction américaine née en 2012 et qui a d’abord conçu son application sur tablette et sur mobile avant de dessiner son interface sur le Web. Du coup, ils n’ont plus vraiment de page d’accueil, leur page d’accueil est un flux sur lequel on peut lire les articles en intégralité et les uns à la suite des autres.

Alors que l’entrée par la page d’accueil du site du Nieman Lab ne concerne que 6% de l’audience (48% pour le New York Times et 12% pour The Atlantic), Joshua Benton parie qu’il pourrait écrire des gros mots sur la page d’accueil sans que personne ne les remarque avant un bon moment. Bref, il faut exporter sa marque et ses marqueurs d’identité sur d’autres chemins d’accès que la seule page d’accueil.

A cet effet, le New York Times a créé «TimesWire», un fil d’actualités publiées de façon chronologique, avec le plus récent en haut. «Cela s’adresse aux utilisateurs du New York Times qui se fichent de lire les éditoriaux, mais qui veulent avoir la plus récente actualité en tête», reprend Joshua Benton.

Crédit: AA

4. L’essor de la vidéo en live

Qui n’a pas sa plate-forme de vidéos en direct? UStream et LiveStream sont désormais bien installés dans le paysage, YouTube a fait une percée remarquée avec la diffusion en live du saut supersonique de Félix Baumgartner, le 14 octobre dernier, et le Huffington Post a une plate-forme de live-streaming pour les vidéos. Tout.com surfe aussi sur cette tendance: cette technologie permet de produire des vidéos instantanées, d’une durée maximale de 15 secondes, téléchargeables en moins de 30 secondes, des quasi-tweets. «Ne me parlez pas, montrez moi!», lance Michael Downing, président de Tout.com, un autre intervenant de la journée, qui rappelle que, depuis 15 ans, le Web a été dessiné par la culture du papier…

5. La nouvelle garde

La nouvelle garde journalistique arrive en ligne et ne passe pas inaperçue. Le Huffington Post a obtenu cette année un prix Pulitzer pour un sujet sur des anciens combattants américains au retour d’Irak et d’Afghanistan, Buzzfeed s’est illustré avec sa couverture politique de l’élection présidentielle américaine, et la plate-forme de publication proposée par Vox Media en scotche plus d’uns… Voilà quelques exemples qui augurent d’une nouvelle génération de journalisme numérisée.

6. La poussée de la globalisation

Le Huffington Post a un seul CMS (Content Managing System) et huit déclinaisons internationales, dont l’Italie, en Espagne, en Angleterre, en Italie, etc. Al-Jazeera veut, en plus de sa version arabe et sa version chinoise, se tourner vers la Chine et vers une audience turque. Bref, un média, même national, a intérêt à se tourner vers d’autres marchés, à parler d’autres langues…

Alice Antheaume

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L’UMP m’a cliqué

Crédit: Flickr/CC/Zimpenfish

Ras-le-bol de l’UMP? A entendre ce qui se dit dans les couloirs des rédactions françaises et à lire les réactions sur les réseaux sociaux, oui, l’usure se fait sentir – et ce n’est pas Olivier Mazerolle, fatigué de «commenter des inepties» sur le plateau de BFM-TV, qui dira le contraire. Pourtant, sur le Net, ce fiasco politique suscite des clics comme jamais. Si les journalistes, eux, se lassent, l’audience, elle, en redemande, encore et encore.

Au Plus du Nouvel Observateur, le sujet cartonne depuis le début de la crise, le dimanche 18 novembre, jour du vote pour élire le nouveau président de l’UMP. A cette date, on ne savait pas encore que ce serait le début d’une coda sans fin. «Depuis lors, dans notre top 20 des articles les plus lus figurent 9 articles sur l’UMP», me confie Aude Baron, rédactrice en chef du Plus. A Slate.fr – plate-forme sur laquelle ce blog est hébergé, l’article qui caracole en tête des statistiques depuis dix jours décrit le «feuilleton tragi-comique de l’UMP en GIFS animés».

Au même niveau que les affaires DSK et Mohamed Merah

Sur Lefigaro.fr, le live consacré aux rebondissements de la crise de l’UMP fait, en moyenne, 300.000 visites par jour. «C’est moins que le live pour l’élection présidentielle mais plus que celui pour la keynote Apple», évalue Thomas Doduik, éditeur au Figaro.fr. Le soir-même du vote, les contenus sur l’UMP ont même eu plus de succès que la rupture annoncée entre la journaliste Audrey Pulvar et du ministre Arnaud de Montebourg, ou l’agression des membres du mouvement féministe Femen en marge d’une manifestation contre le mariage homosexuel à Paris.

«Nous avons senti un réflexe “que dit Le Figaro sur l’UMP?”», poursuit Thomas Doduik. «Entre la semaine du 12 novembre et celle du 19 novembre, la rubrique politique (où sont tagués les sujets sur l’UMP, ndlr) a fait un bond de +126%». Le Figaro qui dézingue l’UMP, c’est rare, en effet, et cela suscite d’autant plus d’interêt. L’édito du directeur de la rédaction Alexis Brézet, “à rire et à pleurer”, qui crie à la “honte” et au “gâchis pour la droite”, a été mis exceptionnellement en libre accès quand, d’ordinaire, les éditoriaux du Figaro sont réservés à la zone payante.

Les ingrédients de la recette

Mais il n’y a pas que l’avis du Figaro qui explique l’appétence de l’audience pour ce sujet. Parmi les ingrédients-clés de la recette, citons:

  • le feuilleton que constitue cette histoire, avec, chaque jour, un voire plusieurs nouveaux épisodes,
  • un sujet très incarné avec des personnages connus et bien ancrés dans la vie politique française, Jean-François Copé et François Fillon, et la figure tutélaire de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République,
  • et, bien sûr, le côté Dallas de l’histoire avec trahisons, discordes et linge sale lavé en public.

Pour la plupart des rédactions en ligne, la crise de l’UMP se situe au même niveau que les affaires DSK ou Mohamed Merah. C’est-à-dire sur le podium des sujets très “clikables”, comme on dit dans le jargon. Autres indices relevés sur Le Figaro: l’UMP réalise de très bons scores aussi sur l’application iPhone (dans le top 5 des sujets les plus vus depuis le lancement de l’application) et sur l’iPad (LE sujet le plus vu).

La difficulté éditoriale sur un tel sujet? Suivre le rythme sans être suiviste. En clair, ne pas se contenter de retranscrire l’échange de piques entre Jean-François Copé et François Fillon. Pour Aude Baron, «ce qui marche sur notre site, ce sont les avis tranchés, les vrais points de vue, ou bien les articles très pédagogiques» comme l’analyse des types de recours judiciaires auxquels peut aspirer François Fillon. Il y a ainsi une vraie prime aux articles très anglés et qui s’éloignent parfois de la politique. «Si on écrit un article juste pour dire que c’est le bazar à l’UMP, merci bien, mais pas la peine, l’audience avait compris!».

Suivez-vous toujours la crise UMP en ligne? Ou en avez-vous assez?

Alice Antheaume

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