Sur la piste du mobile à Washington

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Octobre 2012: pour la première fois, le trafic sur Internet depuis mobile (téléphone et tablette) franchit le seuil des 10% quand les connexions depuis ordinateur récoltent encore 90% du trafic global dans le monde, selon NetMarketShare. Pas étonnant quand on sait qu’il y aurait plus de smartphones sur la planète que de brosses à dents.

10%, c’est aussi le pourcentage de développeurs, au Washington Post, dédiés aux activités mobile du titre – sur une centaine de développeurs, 11 se consacrent au mobile. Côté journalistes, en revanche, il n’y a pas foule. 2 éditeurs seulement tournent sur les contenus mobiles dans la rédaction washingtonienne. Ce qui n’est pas suffisant pour avoir une rotation 7 jours sur 7. D’autant que le Washington Post n’a pas ménagé ses efforts sur le mobile: il est en effet visible sur un site mobile, une application Android, une application Iphone, une application iPad. Voilà pour les informations généralistes. En outre, le Washington Post dispose d’une batterie d’applications annexes. L’une, pour iPhone, pour suivre l’équipe de football américain de Washington DC, les Redskins («The Insider») ; une autre – également pour iPhone – sur le trafic du métro de Washington («DC Rider») ; une autre sur les adresses et sorties de la ville («Going out Guide»), une autre encore pour faire du tourisme dans la cité («Explore DC») ; et, enfin, une application iPad sur la politique, présidentielle américaine oblige.

Une unique appli ou plein d’applis?

En France, les éditeurs rechignent à multiplier les entrées de la sorte. En général, chaque site d’informations a son application et son site mobile, mais pas d’applications consacrées à des thématiques spécifiques. Le dilemme reste entier: faut-il mettre tous ses contenus dans une seule et même application ou créer diverses applications en fonction des sujets? Julia Baizer, responsable de la stratégie mobile du Washington Post, ne veut pas s’interdire de produire, pour mobile, ce qu’elle appelle du journalisme de «niche»: «notre application foot n’attire quasiment aucun lecteur, c’est vrai. Mais l’application iPad sur la politique séduit une petite audience très engagée, des geeks de la politique.»

Comme souvent, les grands moments de l’actualité sont des moteurs d’innovation éditoriale. L’élection présidentielle américaine a permis au Washington Post de calibrer ses contenus pour mobile et même d’imaginer de nouvelles interfaces. En témoigne The Grid, dont j’ai déjà parlé ici, qui veut «permettre aux utilisateurs de garder en mémoire les moments forts qui ont fait l’élection» sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps». Le lecteur multi-tâches peut, sans effort, regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations.Tout cela sans avoir l’impression d’être dans un format de «live-blogging».

Innovations mobiles à venir

«Comme toutes les innovations, The Grid est né d’un problème. Comment faire pour raconter pendant toute la journée des débats, et sans nouvelle information particulière, que Mitt Romney et Barack Obama vont bientôt s’affronter à la télévision?». Et c’est ainsi qu’est née cette drôle de grille, que consulte une audience qui, à hauteur de 20%, combine deux écrans pour regarder les débats présidentiels, la télévision et un téléphone par exemple. A venir, promet Julia Beize, d’autres surprises pour l’inauguration day, le jour de la prise de fonction du 45e président des Etats-Unis, dont on a pu comprendre qu’elles seraient basées sur deux piliers: le mobile et le social.

Banco probable quand on voit les chiffres de Facebook cités par Reuters: 14% de ses revenus proviennent maintenant de publicités sur le mobile, et, sur son milliard d’inscrits, 604 millions sont des utilisateurs de l’application sur téléphone ou tablette.

Ne pas dupliquer la structure du site Web sur mobile

Les rédactions commencent à comprendre que les applications mobiles et les sites mobiles ne sont pas forcément des containers d’articles publiés tels que sur le site Web d’informations. «Il ne faut pas recréer le site dans une application», expose Fiona Spruill, l’éditrice des plates-formes du New York Times.

«Avant, nous aussi on faisait juste un flux d’articles sur mobile», se souvient Julia Beizer. Un temps désormais révolu. «On a procédé à une modification qui n’a l’air de rien, mais qui a été une décision difficile à prendre: mettre tous les articles sur une seule page» pour que les utilisateurs n’aient pas besoin de cliquer sur les pages numérotées suivantes pour lire la suite, ce qui fait moins de pages vues mais davantage de temps de consultation (dans le cas du Washington Post, 10 minutes en moyenne sur iPad). La faute à l’absence de réseau téléphonique dans le métro de la capitale politique américaine qui complique la navigation.

De fait, le principal défi, sur le mobile, c’est la versatilité de l’utilisateur, qui consulte les informations pendant qu’il fait autre chose – prendre les transports en commun, marcher, attendre son tour à la caisse du supermarché, etc. En même temps, s’il n’a plus accès au réseau via son téléphone, c’est panique à bord.

Les sujets éditoriaux les plus plébiscités sur mobile? Les histoires de nouvelles technologies, les informations locales, météo comprise, les photos, et… les longs formats journalistiques. Pas si étonnant lorsque l’on doit souvent jongler, sur son téléphone, avec un réseau qui rame, et qui oblige parfois à rester sur le contenu déjà visible sur l’écran.

Alice Antheaume

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Le code, langue vivante 2 des journalistes?

Plus de développeurs et moins de journalistes. C’est ainsi que les équipes éditoriales du Guardian vont être remaniées, a annoncé le rédacteur en chef du quotidien britannique, Alan Rusbridger. Car au Guardian comme ailleurs, le futur du journalisme passe par la compréhension du code.

Pourquoi? Parce que, derrière chaque site d’informations et chaque application mobile, il y a des lignes et des lignes de signes (lettres, chiffres, ponctuation) incompréhensibles pour le quidam mais sans qui, en ligne, il n’y aurait aucun habitacle susceptible d’accueillir des contenus journalistiques.

Il serait donc temps d’apprendre à “taper” ces “lignes” de code. Ou, du moins, à en saisir la logique. D’autant que les “codeurs” incarnent la nouvelle élite, selon le Washington Post. le A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, certains étudiants estiment que c’est LA nouvelle langue à ajouter à leurs CV. L’un d’entre eux m’a indiqué, par email, l’existence de leçons, en ligne, gratuites et en anglais, pour commencer à programmer.

Ecole de code

Un clic plus tard, me voici à la Codecademy, la Star Academy du code, un site créé en août dernier par deux compères, Zach Sims and Ryan Bubinski, issus de l’Université de la Columbia, à New York. Leur pari? Faire de l’apprentissage du code une résolution de l’année 2012.

Les journalistes, étudiants ou professionnels, ne sont pas les seuls concernés. Selon ces jeunes entrepreneurs, savoir coder sera, dans les années à venir, aussi fondamental que savoir lire ou écrire. Sims et Bubinski ont déjà convaincu plus de 280.000 “élèves” de suivre leurs cours, dont le maire de New York, Michael Bloomberg. Tous sont désormais inscrits à la Codecademy comme on s’inscrirait à une salle de sport, pour se maintenir à flot. Et les apprentis codeurs tweetent leur progression, sous le hashtag #codeyear.

Au programme, donc, des leçons pour apprendre en s’amusant des langages informatiques, à commencer par Javascript. Oui, “apprendre en s’amusant”. Car la Codecademy repose sur le même principe de “gamification” que le site de géolocalisation Foursquare: chaque exercice réussi fait gagner des points. Puis des badges, dont les participants peuvent s’enorgueillir en les affichant sur les réseaux sociaux.

Scripts, commandes, etc.

En vrai, c’est ultra simple et bien pensé. Même pour des littéraires. “Tout se fait sur Internet et c’est interactif”, décrit Zach Sims, interrogé par CNN Money. “Vous n’aurez jamais besoin de lire un livre sur la programmation puis de vous exercer sur un ordinateur, vous faites juste à ce que vous montre notre programme”.

“Comment vous appelez-vous?”, interroge le programme, en indiquant qu’au moment de taper la réponse, dans un espace ressemblant à un chat de messagerie instantanée, vous devez mettre votre prénom entre guillemets – obligatoire dans Javascript pour les mots, mais pas pour les chiffres. Puis il vous demande de retaper votre prénom entre guillemets et de compléter par .length (longueur, en français) – ce qui donne, dans mon cas, “alice”.length – puis de taper “entrée”. Le programme vous indique alors combien de lettres composent votre prénom. Vous avez ainsi réalisé votre premier “script”.

Ensuite, cela se complique pour passer en revue d’autres commandes, comme envoyer un message d’alerte qui s’afficherait en pop-up depuis un navigateur, ou définir des variables qui correspondent chacun à un jour de la semaine.

26 exercices plus tard, 230 points et 3 badges obtenus au prix d’heures d’acharnement déraisonnable, j’ai arrêté de croire que cela suffirait à me transformer en développeuse accomplie. D’après les fondateurs de Codecademy, rien n’est impossible à condition de suivre le programme pendant un an, à raison d’une leçon par semaine au minimum. Pour l’instant, s’il y a une leçon à retenir, c’est qu’en tapant du code, le seul oubli d’un point virgule à la fin d’une ligne peut ruiner toute velléité de programmation.

Je l’ai déjà écrit dans un précédent WIP intitulé “Premières leçons de code”. S’initier aux rudiments du code, ça sert, pour un journaliste, à «penser» selon deux approches: la forme ET le fond, les interfaces ET les contenus.

En effet, comment, en ligne ou sur mobile, concevoir le meilleur format éditorial possible si l’on ne sait pas ce qu’il est possible de faire ou pas, techniquement parlant? Et comment, dans les rédactions, travailler avec des robots sans comprendre comment ceux-ci sont programmés?

Avez-vous testé Codecademy? N’hésitez pas à écrire vos impressions ci-dessous.

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Alice Antheaume

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La mécanique d’Orange

Gardiens à l’entrée du parking, double barrière, panneaux indiquant “accès réservé”. Pour entrer dans le laboratoire d’Orange, situé au milieu de la zone industrielle de Lannion, en Bretagne, il faut montrer patte blanche.

Sur place, on dirait une petite Silicon Valley sur… 33 hectares. Bâtiments à la devanture bleu vif, enfilade de couloirs transparents, jardin et terrasse attenants… Il n’y pas de piscine comme au siège de Google, en Californie, mais c’est (presque) tout comme. A l’Orange Labs de Lannion, l’un des centres de recherche et développement de l’opérateur, travaillent plus de 1.050 personnes, dont 900 ingénieurs. Ils cherchent, cogitent, trouvent, conçoivent dans tous les sens et à toute vitesse. «Lannion, c’est l’histoire et surtout l’avenir», a dit leur patron, Stéphane Richard, au début de l’été. De fait, c’est ici que la fibre optique a fait ses débuts, en 1971, et qu’a été imaginé le mur de téléprésence, en 2002.

Crédit : DR

Discussions au débotté

A la cantine ou par messagerie instantanée, les salariés lannionais parlent de «métadonnées», de «clustering», d’«espace vectoriel», et de «divergence humain/machine». Des termes un peu abstraits qui donnent cependant lieu à des outils très concrets. Ici, un résumeur de texte, capable en un clic de faire la synthèse d’un projet de loi de 120 pages comme d’un article de 3 pages, sans faute d’orthographe ni de syntaxe; là, une télé connectée au Net avec un flux de vidéos d’actu près de la machine à café; plus loin, un outil – issu des travaux menés par des collègues de Rennes- qui permet de séquencer des vidéos ou des sons en plusieurs parties.

«La vidéo est très difficile à analyser, raconte Laurent Frisch, directeur des contenus médias et entertainment chez Orange. Au début, dans les JT, on ne parvenait qu’à différencier les génériques de début et de fin du corps de la vidéo. Maintenant, on sait reconnaître – et chapitrer en conséquence – les changements de décors, de présentateurs, les reportages à l’extérieur, les interviews en plateau.» Plus fort encore, dans une émission de radio, les technologies développées à Lannion permettent de repérer quand cela change de voix, quand il s’agit d’une question, ou bien d’une réponse, et de visualiser toutes les occurrences d’un mot dans le fichier son.

Séquencer, découper, recouper

Cela n’a l’air de rien, mais pour les journalistes qui passent beaucoup de temps à traquer les petites phrases de personnalités, politiques ou autres, dans des vidéos ou des sons, c’est potentiellement beaucoup. Si de tels outils se démocratisaient dans les rédactions, ce serait 40% de temps gagné dans la journée d’un journaliste de desk. «La question revient sans cesse entre nous: doit-on ouvrir nos applications à nos partenaires, et plus loin, aux utilisateurs? La réponse n’est pas tranchée», sourit l’équipe.

Lannion, c’est aussi le seul endroit où, à ma connaissance, on peut croiser des spécialistes de la sémantique qui ne sont pas professeurs en faculté de Lettres, ou des psychologues ergonomes (cela ne s’invente pas). Certains ont fait Polytechnique, certains des écoles d’ingénieurs des télécoms, d’autres les deux. Tous cherchent à «découper automatiquement» l’actu, qu’elle soit sous la forme de texte, de vidéo, ou de son. Objectif affiché: «fluidifier la propagation des contenus pour les journalistes, blogueurs, et tous ceux qui diffusent l’info», reprend Laurent Eskenazi, responsable marketing pour le pôle médias/entertainment. Et créer des technologies qui fassent le travail.

Au fond, ils se posent la même question que les journalistes: «Comment repérer un sujet d’actu cohérent?», résume Tanguy Urvoy, ingénieur. S’il veut répondre à cette question, ce n’est pas pour produire de l’info. Mais pour en tirer le meilleur algorithme possible afin d’indexer en «sujets d’actu cohérents» une grande quantité d’infos, issues de plusieurs médias. C’est le principe de fonctionnement de l’agrégateur d’Orange, 2424actu.fr, comme celui de Google News.

Algorithme mon ami

En coulisses, ce serait presque simple, à écouter les explications. «Cet algorithme, c’est juste une grosse calculette», renseigne Tanguy Urvoy. En gros, il passe à la moulinette des articles, retire de ceux-ci la ponctuation, les pluriels des noms, les majuscules. Ce qui donne un «sac de mots». Puis «pondère» le résultat pour savoir quels mots sont importants dans ce «sac», eu égard à la place de ce mot à la fois dans l’article analysé (le mot est-il répété? Est-il présent dans le titre?) et dans le corpus créé par toutes les infos scannées à un instant T. «Plus un mot est rare, plus il remonte, reprend Tanguy Urvoy. Cela explique que l’algorithme soit très bon (comprendre: ne fait pas d’erreur, ndlr) sur les faits divers (dans lesquels vont apparaître un nom de ville ou de victime inédit, ndlr) et moins sur les débats, les rebondissements ou les événements plus diffus.»

Exemple pour mieux comprendre: le contenu intitulé au départ «Le père Arthur invite Sarkozy à Lille pour voir les roms» va créer un sac de mots dans lequel on trouvera les termes «arthur», «president», «republique», «commande», «roms», etc. Après pondération et projection de l’article dans un espace vectoriel, l’algorithme détermine qu’il va aller dans l’ensemble «roms». Et hop, le voici indexé dans un «sujet d’actualité».

«L’algorithme ne peut être parfait, veulent rassurer les ingénieurs, s’adressant à des journalistes, il y a encore quelques imperfections. Dans l’idéal, on voudrait tout automatiser à 80% et on garderait une main humaine pour effectuer les choix réellement importants et corriger les erreurs.»

A venir: un W.I.P. sur les algorithmes, nos confrères journalistes…

La collaboration avec les algorithmes vous fait-elle peur? Si oui, si non, dites moi pourquoi dans les commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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Les applications du Monde et de Libé sur l’iPhone

L’application du Monde

Date de création: novembre 2008
Coût: gratuit
Nombre de téléchargements: 1,3 million de fois
Taux d’ouverture: entre 200.000 et 250.000 consultations quotidiennes.

L’application de Libération

Date de création: novembre 2009
Coût: gratuit pour l’application mais payant pour avoir le journal en PDF sur mobile (0,79 euro pour 24h, et 3,99 euros pour une semaine)
Nombre de téléchargements: 400.000 fois
Taux d’ouverture: 30.000 consultations quotidiennes.

>> Lu dans Les Echos, le 5 février 2010, sous le titre «Les Français commencent à lire leurs journaux sur l’iPhone»

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Liens du jour #1

– Et si les journalistes apprenaient le code? Pour construire des pages des sites Web et des applications, comme les développeurs (Gawker)

– Quand les agences de photos trouvent sur Twitter les premières photos sur le tremblement de terre d’Haïti (20minutes.fr)

– Comment copier-coller texte, numéro et url de son ordi à son iPhone? Une appli intitulée Pastfire tente de faire la manip’… sans câble (Iphon.fr)

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