Il y a les titres «Google friendly». Maintenant, il y a les contenus «facebookables». Encore un mot anglais que j’aurais pu ajouter au jargon des journalistes en ligne. Selon le dictionnaire urbain, cet adjectif signifie que le contenu vaut la peine d’être publié sur Facebook et peut générer de l’intérêt auprès des 500 millions de membres et quelques du réseau social.
Alors que le réseau social de Mark Zuckerberg vient de lancer une page intitulée Journalists on Facebook, de la même façon que Twitter répertorie les meilleures pratiques journalistiques, il faut croire qu’il y a une audience, sur Facebook, intéressée par la consommation d’informations. «Depuis début 2010, les médias ont vu, en moyenne, une hausse de plus de 300% de leur trafic en provenance de Facebook», assure l’entreprise de Palo Alto.
«Qui vous dit d’aller voir cet article?», feint d’interroger Christian Hernandez, directeur du développement international de Facebook, lors d’une conférence organisée par The Guardian, à Londres. Réponse: «Ce n’est ni un éditeur ni un algorithme (pique à Google au passage, ndlr), c’est votre ami. Facebook engendre du trafic.»
Sauf que, d’après les expériences menées ici et là, les contenus d’informations ne vont pas tous de pair avec Facebook. Lesquels «trouvent leur public»? Lesquels échouent? Quels sont les critères d’un contenu «facebookable»?
Le newsfeed, c’est le fil d’actualités de Facebook, présent dans la colonne centrale de la page d’accueil, là où sont visibles les liens qu’aiment vos amis, les photos sur lesquelles ils figurent, les commentaires qu’ils ont posté, etc. Or tous les contenus ne remontent pas de la même façon dans le newsfeed. Leur visibilité – et la durée de leur visibilité – dépend de leur popularité, déterminée par l’algorithme de Facebook.
Comme Google a son algorithme (le page rank) pour indexer les pages Web, Facebook a le sien (le edge rank) pour indexer les contenus dans le fil d’actualités. «Contrairement au super secret Google, Facebook a partagé le fonctionnement de son algorithme pour classer et filtrer ce qui apparaît dans le newsfeed», indique la société de marketing Hubspot sur son blog.
Le edge rank repose sur trois éléments: 1. L’affinité de la personne/l’organisation qui partage le contenu avec l’utilisateur (plus ces deux-là ont déjà interagi ensemble, via des commentaires, des likes, des partages de liens, plus le contenu produit par l’un remontera dans le newsfeed de l’autre) 2. La popularité (le nombre de commentaires et de likes recueilli par le contenu) 3. La fraîcheur (la date du contenu, sachant qu’un contenu partagé il y a plus de 24 heures n’apparaîtra probablement plus dans le fil).
«L’interaction fait remonter le contenu dans le ranking», me confirme Matthieu Stefani, co-fondateur de Citizenside, et consultant sur les réseaux sociaux. Dans mon newsfeed, je ne vois pas forcément les articles produits par les pages que j’ai likées. Pourtant, ces pages ont bien produit des contenus. Cela veut dire qu’elles ne sont pas en affinité avec moi, mes goûts, mes commentaires, mes likes. Donc Facebook considère que c’est du spam, et ne l’affiche pas – ou très peu – dans mon newsfeed.»
Dans ce cas, difficile de renverser la vapeur. «Si le contenu partagé par une personne ou une organisation fait 0 like et 0 commentaire, cela fait baisser la visibilité» de cette personne ou cette organisation dans le newsfeed, y compris pour les prochains contenus qu’elle aura à partager. Problème, soulève Matthieu Stefani, «comment faire pour remonter dans le newsfeed quand vos contenus ne s’affichent plus dans le fil d’actualités?»
«Nous avons remarqué que lorsque nous mettons des points d’interrogation et/ou des points d’exclamation en nombre sur Facebook, notre communauté réagit davantage, décrit Sarah Herz, directrice des activités digitales de Condénast, qui détient notamment Vogue et Glamour. Nous n’hésitons pas à nous servir du registre de l’émotion».
Du côté de L’Express, Thomas Bronnec, rédacteur en chef adjoint, précise que si les titres sont les mêmes sur lexpress.fr et sur Facebook, le «lancement» (les quelques lignes qui accompagnent le contenu) est travaillé sur Facebook de façon à «interpeller la communauté et l’inciter à débattre». Ainsi, pour aller avec l’article intitulé Rama Yade doit “se taire ou quitter son poste”, les quelques lignes qui vont avec, ce dimanche, s’adressent à la communauté sur le mode interrogatif: «Rama Yade devrait-elle être condamnée à ne pas parler politique, parce qu’elle est ambassadrice à l’Unesco? Etes-vous d’accord avec Gérard Larcher, le président du Sénat, qui lui demande d’observer un devoir de réserve?»
Plus vous employez des verbes d’action, plus vos fans y répondront, promet le site Mashable, pour qui la conduite à tenir est simple. «Vous voulez que vos fans expriment leur opinion sur un sujet? Demandez leur. Vous voulez qu’ils partagent leurs contenus favoris avec vous? Demandez leur. Vous voulez qu’ils partagent vos contenus? Demandez leur. Maintenant, vous avez compris.»
C’est ce que l’on appelle le «call to action», reprend Matthieu Stefani. «Ecrire “Et vous?”, “Qu’en pensez-vous?”, “Donnez une légende à cette photo”, bref demandez aux gens de faire quelque chose, cela marche, ils le font. Avec cette incitation, ils seront deux fois plus nombreux à interagir avec le contenu», ce qui favorise la visibilité de celui-ci (cf critère numéro 1). Parfois même, note Fabrice Pelosi, éditeur de Yahoo! Finance en France, les membres de Facebook «ne cliquent pas sur le contenu, mais le commentent quand même».
Les contenus les plus partagés? Ceux qui sont «positifs», rigolos et pédagogiques. Comme ailleurs, les contenus parlant de sexualité bénéficient du plus fort taux de partage, selon l’enquête de l’expert américain des médias Dan Zarella. Les contenus les moins partagés? Ceux qui provoquent la colère, l’anxiété ou la tristesse, selon une autre étude sur la viralité, produite à l’Université de Pennsylvanie par Jonah Berger and Katherine L. Milkman à propos des articles les plus envoyés du New York Times.
L’insolite et le LOL sont ainsi très prisés sur Facebook, comprend Fabrice Pelosi. Ce qu’il faut, ce sont des contenus qui racontent des «histoires extraordinaires qui ne nécessitent pas de prendre position, ni de défendre une opinion, mais dont le récit se suffit à lui-même». L’équation quasi parfaite pour un contenu viral sur Facebook, c’est, selon cet éditeur, l’alliance entre LOL et politique. L’un des articles de Yahoo! Finance les plus partagés sur Facebook est celui-ci, qui raconte comment Nicolas Sarkozy n’a pas su répondre à une question d’un journaliste italien sur… la tentative d’OPA de Lactalis sur Parmalat. «Cet article a été partagé plus de 3.000 fois, une réussite».
A l’inverse, l’information parue ce week-end sur la découverte du tronc de Laëtitia Perrais est peu «facebookable», estime Matthieu Stefani, «parce que ce contenu est difficile à liker». Un cas de conscience déjà relevé par les éditeurs au moment de l’apparition du bouton «like» en 2010. Comme le soulignait Jennifer Martin, directrice des relations publiques pour CNN Worldwide, il est très compliqué de voir des utilisateurs dire qu’ils «aiment» un article relatant un fait tragique.
Pour Christian Hernandez, de Facebook, les utilisateurs «likent» surtout ce qui les passionnent. «Les utilisateurs viennent sur Facebook, gratuitement, parlent de leurs passions, et veulent voir leurs passions en photos, qu’il s’agisse de leur anniversaire, leur bébé ou leur joueur de foot préféré».
Les raccourcisseurs d’URL, c’est pratique mais cela ne permet pas de savoir sur quel site vous allez atterrir si vous cliquez dessus. Voilà pourquoi, selon la recherche Buddy Media publiée en avril sur les stratégies de publication efficaces, le taux de clic est trois fois plus fort sur Facebook si vous utilisez une URL compréhensible, avec des mots clés repérables par les utilisateurs.
De même, et toujours selon l’étude Buddy Media, les statuts de moins de 80 caractères sur Facebook ont plus de chances de récolter l’interaction des utilisateurs que les longs calibres. Du court, donc, mais moins court que les 140 signes de Twitter.
Sans surprise, les contenus comportant une photo ou une vidéo ont plus de succès sur Facebook qu’un simple texte. «Pourquoi? Parce qu’on repère mieux dans le newsfeed les contenus dotés d’une image impactante», m’explique Matthieu Stefani, en citant l’exemple de l’AFP qui, sur sa page Facebook et grâce à son réseau de photographes, met en avant des contenus avec des photos étonnantes, colorées, qui attirent l’oeil. «Un outil marketing», donc.
Selon la récente étude The Science of timing publiée par Hubspot, les week-ends sont le meilleur moment pour poster des contenus. «J’ai observé comment faisaient les rédactions américaines comme CNN, New York Times et le Washington Post, Mashable, sur leurs pages Facebook, analyse Dan Zarella, qui a mené l’étude The Science of timing. Le volume de contenus postés sur Facebook est plus important en semaine que le week-end, or sur le réseau social, les utilisateurs partagent le plus de contenus les samedi et dimanche».
Et pour Dan Zarella, cela s’explique. «51% des sociétés américaines bloquent l’accès à Facebook pour leurs salariés», donc ceux-ci se rattrapent le week-end, lorsque leur accès au Web n’est plus limité. En outre, «il y a moins de bruit» les samedi et dimanche, ce qui permet aux utilisateurs de porter davantage d’attention aux plus rares contenus visibles à ce moment-là.
Autre donnée issue de l’étude The Science of timing: sur Facebook, les articles partagés très tôt le matin, vers 8 heures, voire la nuit, sont plus partagés que ceux publiés l’après-midi. Un phénomène également noté par Fabrice Pelosi, qui ajouterait au spectre le moment de l’après déjeuner, également propice au partage d’informations sur Facebook. Au final, l’étude The Science of timing porte davantage sur «quand ne pas» plutôt que sur «quand», écrit le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard, qui le martèle: mieux vaut s’adresser au public quand il est mesure d’écouter.
«Au 21e siècle, la clé pour un média est sans doute de détenir toutes les connaissances possibles sur le comportement de l’audience, et non de produire le plus de contenus populaires, écrit Tom Rosenstiel, le directeur du centre du Pew Research Center’s Project for Excellence in Journalism, en démontant cinq mythes à propos du futur du journalisme. Savoir quels sites les gens visitent, quels sont les contenus qu’ils regardent, les produits qu’ils achètent, et leur localisation géographique permet aux annonceurs de mieux cibler des particuliers. Et ces connaissances, ce sont les entreprises de nouvelles technologies qui les ont, pas les producteurs de contenus.»
Entre les lignes, ce média qui détiendrait «toutes les connaissances possibles sur le comportement de l’audience», c’est bien sûr Facebook. Le réseau social connaît mieux les «lecteurs» que les éditeurs – de presse et de contenus – eux-mêmes. Bien mieux, en effet, car Facebook sait quels sont leurs goûts, leur réseau d’amis, leur comportement, leur consommation de liens et de contenus.
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Alice Antheaume
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