Sur l’antenne de RTL, dimanche soir à 19h, une auditrice affirme avoir “vu de ses yeux un homme charger son arme” à Paris. Un témoignage sincère, mais erroné, qui s’inscrit dans un contexte de psychose collective au lendemain des attentats survenus à Paris et à Saint Denis vendredi 13 novembre. “Lors de la seule soirée de dimanche dernier, plus de 7.000 tweets ont annoncé des fusillades à Paris”, fustige Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, lors de sa chronique sur la mécanique médiatique de vendredi matin. Des messages écrits à la va-vite indiquant des tirs, ici au Trocadéro, là place de la République ou encore aux Halles.
Résidant aux abords de la place de la République, près de la “war zone” comme la surnomment maintenant mes voisins, j’ai assisté dimanche soir au mouvement de panique de la foule. J’ai vu des jeunes courir ventre à terre se réfugier sous la porte cochère de mon immeuble. Larmes aux yeux, souffle court, ils hurlent: “on a vu les tueurs, on a entendu les tirs, cela a sifflé dans nos oreilles”. Ils sont cinq. Ils pleurent. Ils crient d’effroi. Ils répètent ces mêmes phrases à l’unisson, paniqués, sincèrement paniqués. Ce sont des témoins qui, en toute bonne foi, croient avoir VRAIMENT vu ces tueurs et avoir VRAIMENT entendu des tirs.
J’aurais pu les filmer avec mon smartphone. J’aurais pu publier leurs témoignages sur les réseaux sociaux. D’autant que j’avais moi-même entendu ce qui semblait être une explosion. En outre, j’avais là cinq témoins différents racontant la même histoire, donc l’information pouvait être ainsi recoupée.
Sauf que, quelques secondes plus tard, je recevais des SMS d’amis journalistes m’ordonnant de rester chez moi parce qu’une ampoule ou des pétards avaient claqué place de la République, que des policiers sur les dents avaient mis en joue leurs armes, déclenchant le mouvement de foule qui s’en est suivi.
Colère et grosse fatigue
Dans les rédactions, prises dans le tambour de la machine à laver depuis plusieurs jours, certains confrères s’en prennent aux réseaux sociaux. Y “circulent beaucoup plus de rumeurs infondées que d’informations vérifiées”, continue Jean-Marc Four, sur France Inter.
Je comprends bien sûr leur colère, dans la fébrilité de cette tragédie, mais je ne comprends pas pourquoi, cette fois-ci, elle porte sur les réseaux sociaux. Car, dans l’ensemble, il y a beaucoup moins d’errements en ligne, beaucoup moins de théories de complot que, par exemple, lors des attentats de Charlie Hebdo, il y a dix mois.
Leur agacement provient en fait de ces témoignages aussi sincères que faux, qu’ils craignent de relayer. Brice Dugénie, reporter à RTL, confie à l’antenne sa perplexité lors de la panique dans les rues de Paris de dimanche soir. “Je ne comprends pas exactement ce qu’il se passe (…) Je n’ai entendu aucun coup de feu, j’ai eu deux témoignages de personnes qui m’ont dit en avoir entendu”.
La rumeur est comme la panique: irrationnelle
En ligne, dans le climat de psychose actuelle, “la moindre rumeur, guettée avec avidité, a un impact immédiat et considérable”, écrit Grégoire Lemarchand, responsable des réseaux sociaux à l’AFP.
Méfiance, donc. “Dans ce genre de mouvement, la rumeur est un peu comme la panique, elle est irrationnelle, déraisonnable, tout le monde dit un peu n’importe quoi”, continue Brice Dugénie, au micro de RTL.
En France, le code pénal prévoit la condamnation des fausses informations – jusqu’à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende lorsqu’”une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise”. Mais seulement s’il y a une intention de manifeste de “faire croire”. Ce qui n’est pas le cas ici.
Derrière le tweet de ces citoyens, leur statut Facebook, leur SMS, ou même leur interview, nulle volonté de désinformer, mais le réflexe de protéger amis en particulier et followers en général d’éventuelles répliques au carnage qui a déjà provoqué la mort de 129 personnes.
Mécanique de psychose
Pour les journalistes, il est difficile de garder cette mesure dans la sidération, mêlée de fatigue et de chagrin après ces derniers jours. Difficile aussi de questionner la véracité des paroles de tous ces gens, ébranlés comme jamais, traumatisés par l’ampleur des attentats.
Les réseaux sociaux ne sont que le miroir d’une mécanique bien connue en cas de drame collectif. La fébrilité provoque des erreurs de perception qui provoquent des témoignages erronés qui provoquent la rumeur, laquelle est partagée comme une traînée de poudre et génère encore plus de fébrilité.
C’est ce que le professeur de sociologie Gérald Bronner appelle “l’effet Esope” dans son livre La démocratie des crédules. On alimente ses angoisses par des recherches sur le Web qui confirment “l’obsédante intuition du pire”. Résultat, le “marché cognitif est biaisé”, parce que l’on veut savoir si l’on a raison d’avoir peur en allant chercher des informations qui font peur, et parce qu’il y a une surreprésentation d’alertes au détriment des témoignages rassurants. Or, pour Gérald Bronner, ces alertes instillent un “poison d’inquiétude” qui “épuise notre capacité collective à réagir en cas de dangers avérés”.
Alice Antheaume
lire le billetEn 2014, on a appris à cohabiter avec les algorithmes, cherché de nouveaux leviers économiques, on a été horrifié par les décapitations de journalistes, on a déprimé en suivant la situation de LCI et celle de Libération, et on a vu le “brand content” s’inviter sur les sites d’informations et les applications.
Quel est le programme pour 2015? Voici, nouvelle année oblige, 8 prédictions qui pourraient avoir de l’impact sur les journalistes et la vie des rédactions.
“Sur le Web, le marché de l’information est arrivé à maturité, alors que sur mobile, les usages explosent”, constate Antoine Clément, ex directeur général adjoint de Next Interactive, lors des Assises du journalisme organisées à Metz en octobre 2014. Les chiffres lui donnent raison. Car en France, 75% des applications voient leur trafic progresser tandis que 60% des sites Web enregistrent une baisse de fréquentation, selon une étude d’AT Internet citée par Frenchweb.fr.
A L’Equipe, 50% du trafic se fait désormais sur mobile, et 50% provient encore du site, me confie Fabrice Jouhaud, le directeur de la rédaction. Au Monde, cela fait deux ans et demi que les pages vues sur mobile supplantent celles réalisées sur le site lemonde.fr.
Quant aux réseaux sociaux, ils misent tout sur le mobile. Si la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, “Facebook aurait été une application mobile”, et non un site pensé pour l’ordinateur, avait déjà lâché en 2012 Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook.
Moralité: en 2015, pas la peine de s’échiner sur les sites Web, mieux vaut se concentrer sur la stratégie sur mobile, à la fois des smartphones et des tablettes. Avec 43% de la population française qui se sert de téléphones pour naviguer sur le Web, c’est là que se trouve la réserve d’audience pour les rédactions.
Lundi 22 décembre: j’ai reçu sur mon smartphone 9 alertes de BFM TV, 8 du Point, 8 du Figaro, 4 du Monde, 4 de France TV Info, 5 d’Europe 1, 8 de L’Express, 7 de France Info. Cette journée n’a rien de spécial – si ce n’est, tout de même, la mort de Joe Cocker. Elle est le reflet de la bataille du push qui se joue, depuis quelques années déjà, entre les médias pour squatter les écrans de téléphone à l’aide de notifications visant à alpaguer le chaland avec une information importante, lui faire vivre un événement en “live”, lui faire un résumé de la journée ou du week-end écoulé, ou se rappeler à son bon souvenir.
Une stratégie qui a déjà fait ses preuves. En 2014, les utilisateurs ayant accepté de recevoir des notifications push sur leur smartphone passent trois fois plus de temps sur les applications émettrices de ces alertes, selon l’étude de la société américaine Localytics.
En effet, d’après nos estimations, un seul push peut générer 20.000 à 30.000 visites sur une application française d’informations généralistes.
A condition de ne pas l’envoyer à tort et à travers. C’est là tout l’enjeu pour les rédactions en 2015: comprendre les besoins de leurs lecteurs, afin de leur envoyer des pushs personnalisés, ciblés et adéquats, pouvant même intégrer des images, au bon moment de leur journée. Cela nécessite de savoir répondre aux questions suivantes avant l’envoi d’une alerte, conseille cet instructif guide des notifications:
• Qui doit recevoir ce push? Il y a a minima trois catégories d’utilisateurs dont les besoins ne sont pas les mêmes: les nouveaux arrivants, les utilisateurs assidus, et ceux qui ont téléchargé l’application mais s’en servent rarement. Ce à quoi s’ajoutent des utilisateurs géolocalisés selon leur lieu de vie – à qui on peut envoyer des informations concernant leur région ou leur pays.
• Quel message doit comporter ce push? Comment peut-il être personnalisé?
• A quelle heure chaque utilisateur doit-il recevoir ce push? Histoire d’éviter de bombarder les expatriés d’alertes lorsque c’est la nuit pour eux.
• Que se passe-t-il une fois que le push est envoyé? Quelle est l’action requise par l’utilisateur – qu’il lance l’application? Qu’il envoie un SMS? Qu’il conserve le message de l’alerte pour un usage ultérieur?
Gagner la bataille du push, c’est faire monter le taux d’engagement des lecteurs, rallonger le temps qu’ils passent sur l’application, et tisser un lien de confiance avec l’audience, prédit Localytics dans son rapport de fin d’année sur l’état des applications mobile.
Va-t-on enfin voir un programme capable de marier la culture numérique et le “formatage” télévisuel? Il y a bien des programmes à la télévision qui sont des déclinaisons de formats et de talents nés sur le Web – la pastille Le Gorafi, sur Canal+, M. Poulpe à la météo du Grand Journal sur la même chaîne, Le Point quotidien de Vice News, sur France 4 -, il y a aussi des séries télévisées qui jouent à fond la carte de l’interaction sur le Web avec les fans – Fais pas ci, fais pas ça sur France 2 – mais jusque là, beaucoup se sont cassé les dents à vouloir mélanger ces univers.
Cyrille de Lasteyrie, alias Vinvin, a plusieurs fois tenté ce numéro d’équilibriste en lançant Le Grand Webzé puis Le Vinvinteur sur France 5, des expériences foldingues comme on les aime mais qui n’ont, comme on dit à la télévision, “pas trouvé leur public”. “Le Web est gratuit, libre, insouciant, insoumis. La télé, c’est l’inverse: calibrée, rigoureuse, institutionnelle. L’une est un format, l’autre un anti-format. Il faut cesser de vouloir à tout prix marier la carpe et le lapin”, analyse Cyrille de Lasteyrie dans Télérama.
En attendant que quelqu’un trouve la recette, les producteurs de télévision sont amenés à (re)penser leurs émissions pour qu’elles soient disponibles depuis n’importe quel écran. Et ce, même si, la France est un pays où le téléviseur “reste l’équipement privilégié pour regarder les programmes en direct (93 % des Français l’utilisent comme tel)”, selon un rapport du Crédoc (le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
L’urgence, en 2015, c’est donc d’offrir une continuité dans la consultation des contenus selon qu’on est sur un téléviseur, une tablette, un ordinateur, un téléphone, en reprenant l’émission exactement où on l’avait laissée. “Pour l’instant, le mot télévision désigne toujours ce truc qui trône dans votre salon et les émissions qu’on a pris l’habitude de voir depuis presque 60 ans – même si ces émissions vous parviennent maintenant via Internet. Mais on a clairement besoin de créer une nouvelle nomenclature qui convienne au monde multi écrans et multi plates-formes dans lequel on vit”, prévient Roy Sekoff, le président du Huffington Post Live, cité par Mashable.
C’est le “come back” d’un format que l’on croyait obsolète: la newsletter. “Elle n’est plus tout à fait comme la cassette que l’on faisait par amour au collège, mais elle est une compilation du meilleur qui peut procurer le même type de sentiments” qu’à l’époque, explique Katie Zhu, développeuse chez Medium, dans ses prédictions 2015 au Nieman Lab.
De Time To Sign Off (il est temps de conclure, en VF) à Brief.me, le projet lancé par Laurent Mauriac, en passant par Mondadori, les informations se distribuent plus que jamais par email. Et pour cause, ces newsletters offrent un “temps calme”, comme disent les instituteurs, aux lecteurs éreintés par ce flux incessant d’informations qui les assaille, en leur présentant ce qu’ils doivent savoir, rien de plus, rien de moins. Et ce, à un moment qu’ils ont choisi, c’est-à-dire le moment où ils où ouvrent l’email contenant la newsletter.
“Une des raisons pour lesquelles les newsletters fonctionnent, c’est parce qu’elles agissent comme un filtre intelligent”, écrit Mathew Ingram sur le site Gigaom. En un sens, elles court-circuitent le torrent d’informations que l’on lit sur Twitter, Facebook, sur les blogs, sur les sites d’informations, pour trouver ce qui compte vraiment. Et c’est quelque chose dont on a probablement plus besoin que jamais.”
En 2015, les rédactions vont activer ou ré-activer leurs offres de newsletters. Mais quelle newsletter va rester? Et comment se distinguer des autres quand on est un média généraliste? “Plus vous êtes générique, moins vous avez de valeur pour les lecteurs”, conseille Mathew Ingram. “Alors pensez à toutes les niches et les micro-marchés dans lesquels vous pourriez segmenter votre offre de contenus, et trouvez une façon de les incarner” avec un ton, un style, une sélection qui témoigne de votre patte.
La décapitation du journaliste américain James Foley filmée dans une vidéo diffusée sur YouTube – elle a, depuis, été retirée de la plate-forme -, celle ensuite d’un autre journaliste américain, Steven Sotloff….
Ces images de l’actualité, effroyables, témoignent de la la violence innommable des événements et des risques que prennent les journalistes sur le terrain. En 2014, selon le bilan de Reporters sans frontières, 66 journalistes ont été assassinés, 119 enlevés, 1846 menacés et/ou agressés, et 40 toujours otages.
Cette année, il y a eu une escalade dans l’imagerie de l’horreur, diffusée sans filtre et à des fins de propagande, via les plates-formes de distribution accessibles à tous. Les journalistes sont devenus des instruments au service de l’Etat islamique, déplore Jon Lee Anderson, grand reporter au New Yorker, invité à donner la leçon inaugurale de rentrée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. “Cliquer sur ces vidéos chorégraphiées et présentées comme un message à l’Amérique, c’est ce que souhaitent ces bourreaux. Or je ne vais certainement pas leur donner ce plaisir”.
Impossible de prédire ce qu’il adviendra en 2015 sur ce plan. Espérons néanmoins que les médias refuseront encore de relayer de telles horreurs en ligne. Même si, avant de décider de diffuser ou non une image dans un média, il faut bien les examiner dans les rédactions et les authentifier. C’est le travail des journalistes qui, pour tenir au quotidien, ont peu à peu appris à se blinder.
Robots lisant des informations à haute voix comme un présentateur de journal télévisé, vidéos avec voix off compilées en 5 secondes – quand il faut une vingtaine de minutes à un humain, même expérimenté, pour ce faire -, algorithmes capables de trier les contenus et d’en produire à leur tour… Désormais, l’information doit compter avec l’intelligence artificielle, et les journalistes s’habituer à l’idée d’avoir des robots comme collègues.
Si, aux Etats-Unis, Forbes et le Los Angeles Times ont succombé aux sirènes de robots sachant écrire des articles de A à Z, les rédactions françaises n’ont pas encore recours à de tels services. En 2014, elles se sont contenté de mettre en place des “social media bots”, des robots actifs sur les réseaux sociaux.
C’est qu’a fait France TV Info lors des municipales avec un robot sur Twitter à qui les utilisateurs pouvaient demander de les alerter des résultats obtenus dans leur circonscription dès que ceux-ci étaient disponibles. Même système avec L’Equipe et son “automatic score”. Pour savoir où en est le score de votre équipe de foot préférée sans allumer la télé, vous interpelez le compte Twitter de l’Equipe en mentionnant le nom de l’équipe qui vous intéresse. Instantanément, vous recevez la réponse sur Twitter de la part de l’Equipe avec un lien qui renvoie sur le score du dernier match.
Le système, mis en place début novembre, a deux objectifs, me renseigne Emmanuel Montecer, community manager de L’Equipe:
1. générer du trafic sur les supports de L’Equipe en provenance des réseaux sociaux (au moment du lancement, alors que lequipe.fr récolte entre 50 et 70 millions de visites mensuelles, seuls 1 à 2 millions proviennent de Twitter)
2. soulager l’équipe humaine, qui croule sous près de 10.000 interpellations du compte Twitter de l’Equipe par mois, avec 70% de demandes sur le foot.
Et en 2015? L’Equipe réfléchit bien sûr à élargir l’”automatic score” au rugby, et notamment le top 14. Et d’autres rédactions vont intégrer des robots à la fabrication de leurs informations. Imaginez par exemple France 2 ou TF1 travailler avec l’application Wibbitz pour produire des commentaires sur images en presque temps réel dans leurs JT…
A votre avis, à quoi les rédacteurs en chef et directeurs de rédaction passent le plus de temps? Réponse: à organiser les équipes, leur rotation, à faire des plannings, et à s’arracher les cheveux pour que les différents services parviennent à travailler ensemble.
Or dans bon nombre de rédactions, et c’est ce qu’a révélé le mémo “Innovation” du New York Times, il y a toujours un vrai mur entre l’Eglise et l’Etat, entre la rédaction et les autres services, comme si travailler à autre chose qu’à l’information était une tare. Développeurs, chefs de projet, graphistes bouent de ne pas connaître les requêtes des journalistes pour remplir leur mission, et la rédaction nourrit une peur viscérale de se faire “manipuler” par des intérêts marketing quand elle n’est pas débordée par le quotidien.
Parlez-vous et s’il vous plaît devenez les meilleurs amis du monde, implore Alisha Ramos, une graphiste de Vox Media. “Chers journalistes, les développeurs et les graphistes ne sont pas des aliens. Ils peuvent ne pas comprendre votre jargon mais ils peuvent avoir une idée intelligente pour rendre digestes toutes les données que vous regardez. Chers développeurs, les journalistes ne sont pas des extra-terrestres. Ils peuvent avoir des idées qui pourraient déboucher sur la créations d’applications dans lesquelles vous pourriez tester ce nouveau code Javascript qui vous tente.”
“Améliorer les passerelles et les collaborations avec les ingénieurs, les graphistes, ceux qui s’occupent des statistiques et des données, et ceux qui font de la recherche et du développement, ne représente aucune menace pour nos valeurs journalistiques”, insistent les auteurs du mémo du New York Times pour évangéliser leurs collègues. Et si la notion de “rédactions intégrées” passait de l’état de mirage à la réalité? Le message devrait enfin passer en 2015.
Regardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.
Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.f, tous accueillent ces publicités d’un nouveau genre, cherchant par là à maximiser leurs revenus publicitaires. En France, les rédactions se cassent la tête pour réussir à les produire, à les insérer dans des espaces autrefois réservés aux informations, et à en assurer la distribution en fournissant au besoin des statistiques sur leur consultation aux annonceurs. De quoi provoquer quelques débats agités sur la ligne jaune entre contenus sponsorisés et journalistiques.
Le grand flou a commencé dès 2014, quand le native advertising, promesse de nouveaux revenus bienvenus, s’est invité à la table, avant que les règles ne soient gravées dans le marbre. En 2015, l’étiquetage des contenus, qu’ils soient payés par des marques ou écrits par des journalistes de la rédaction, va devoir être affiché.
Excellentes fêtes à tous et très bonne année 2015!
Alice Antheaume
lire le billetFin d’année scolaire oblige, une nouvelle salve d’étudiants sortent diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et commencent leur vie professionnelle en tant que journalistes. Après deux ans de travail intense, de veille acharnée à la recherche d’informations inédites, de revues de presse, d’enregistrements de flashs, d’écriture de reportages, d’enquêtes, d’animation de “lives”, de travail d’équipe, et d’interactions avec l’audience, une foule de petits détails trahissent maintenant leur profession.
Une fois n’est pas coutume sur ce blog, voici une note humoristique pour leur faire un clin d’oeil de fin d’année.
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Alice Antheaume
lire le billetC’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.
Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.
Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.
D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.
Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.
“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.
Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.
Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.
A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.
“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.
Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.
Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.
Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”
(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.
Alice Antheaume
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