90.000 personnes, hommes et femmes, smartphones greffés à la main, badge orange autour du cou, arpentent les 100.000 mètres carrés du Mobile World Congress, logés au Fira Gran Via à Barcelone, sorte de Roissy-Charles de Gaulle doté de huit terminaux, accessibles via des tapis roulants.
“A cause de ta start-up, tu crois que le mobile, ce sont les applications. Arrivé ici, tu comprends que non: les applications, cela tient dans un demi-hall”, sourit Antoine Guénard, de Batch.com.
Les maîtres du royaume sont les opérateurs de téléphonie
Car au World Mobile Congress, les rois sont les opérateurs de téléphonie. Ceux à qui Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook et invité star de la première journée, a dit qu’il les aimait parce que, grâce à eux et aux coûteuses infrastructures qu’ils ont développées, il a pu “connecter le monde”. Il les a d’ailleurs invités ensuite à un somptueux dîner composé de douze plats accompagnés de douze vins, dans une galerie d’art, selon Challenges.
Quelques heures plus tôt, ce sont ces mêmes opérateurs qui sont montés sur la grande scène du World Mobile Congress les premiers. Objectifs: montrer leurs biceps et faire du lobbying auprès des “régulateurs”. Leur message? En substance, merci de mettre les mastodontes du Web comme Google et Facebook sur le même plan législatif que nous, les opérateurs, sinon ce n’est pas juste. “Facebook est un service de communication qui échappe aux règles de régulation”, glisse Timotheus Höttges, le président de Deutsche Telekom. Et il n’en pense sans doute pas moins de Google, qui, de surcroît, vient d’annoncer qu’il allait devenir un opérateur virtuel de téléphonie, aux Etats-Unis, dans “quelques mois”.
Un message qui fait écho aux propos déjà tenus par Stéphane Richard, le patron d’Orange, réclamant “l’égalité de traitement sur les données personnelles et la fiscalité” entre les géants américains du Net et les opérateurs. “Je trouve scandaleux et inacceptable que les trois plus grandes entreprises américaines de l’Internet payent 1% des impôts du numérique en France, quand nous, les opérateurs en payons 96%”.
La 5G en vue
Parmi les autres sujets qui mobilisent ces opérateurs au Mobile World Congress, figure la 5G, ce réseau dernière génération ultra rapide. En son honneur, la panoplie communicationnelle est de sortie: vidéos promotionnelles, présentations comparatives selon lesquelles la 5G permettrait de télécharger un film en 6 secondes, quand on met 7 minutes pour ce même film avec de la 4G, et 70 minutes avec de la 3G.
Il y en aura pour les Jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud, promet Chang-Gyu Hwang, le président de KT Corporation, le groupe coréen de communications et médias. Pour le reste, aucune date n’est avancée.
“La 5G n’est ni pour demain ni pour la semaine prochaine”, tempère Stéphane Richard, d’Orange, qui préfère expliquer ce à quoi cela pourrait servir. “La 5G va supporter l’augmentation des objets connectés – 50 milliards d’objets vont être connectés d’ici 2020, selon les estimations – et va offrir une meilleure expérience pour les utilisateurs, d’où qu’ils soient, y compris dans les transports, les TGV, les avions, ou dans les lieux bondés, comme les stades” pendant un match.
Pour Ken Hu, le vice président de Huawei, la 5G n’est rien de moins qu’une “question de vie et de mort” dans le cas des voitures connectées. Slide à l’appui, il assure que les véhicules pourraient freiner en 2,8 centimètres avec la 5G, quand il leur faut 1,4 mètre avec la 4G.
Du réseau, partout, tout le temps, et rapidement !
S’il y a bien un sujet qui ne vieillit pas avec les années, c’est la question de l’accessibilité du réseau, et, avec, la vitesse de connexion. Si Eric Schmidt, le patron de Google, prédisait lors de l’édition 2012 du Mobile World Congress que l’Internet serait comme l’électricité, invisible mais “toujours là”, le réseau est, en 2015, forcément mobile – “le mobile est devenu le coeur du Web”, dit Anne Bouverot, directrice générale de l’association mondiale des opérateurs mobiles GSMA – mais “encore trop lent”, d’après Timotheus Höttges. “Or nous devons pouvoir délivrer des services et des communications en quelques micro-secondes seulement”.
“Internet est devenu un besoin primaire pour la plupart des individus, surtout pour les plus jeunes, et la connectivité va devenir un besoin vital”, abonde à son tour Stéphane Richard.
Et Vittorio Colao, de Vodafone, d’appuyer: “les clients veulent plus de vitesse et d’ubiquité”. Comprendre: ils veulent se connecter sans surcoût démentiel selon le pays dans lequel ils se trouvent. “Les clients comprennent qu’ils ne sont pas les mêmes partout mais ne comprennent quand ils doivent payer des tarifs prohibitifs lorsqu’ils sont à l’étranger”, dit-il encore.
Entre les allées
Aux détours d’un des quelque 1.800 stands, le roi Felipe VI d’Espagne est là. La reine des Pays-Bas Maxima aussi. Plus loin, c’est Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, qui va soutenir la French tech.
Autres sujets beaucoup débattus au Mobile World Congress: le paiement sur mobile (Mastercard et Samsung ont noué un partenariat pour lancer Samsung Pay), les objets connectés (montre, manteau, bracelet, chaussures, collier pour chien), les voitures autonomes, et – c’est plutôt nouveau – les contenus. Car plus il y a de réseau, plus il faut de quoi butiner. “La priorité des clients, c’est la qualité du service. Cela inclut la vitesse, la couverture et… les contenus distribués”, détaille Vittorio Colao, citant les chiffres de The Daily Mail, un site britannique dont la majorité des internautes se connectent en dehors de l’Angleterre.
Si le Mobile World Congress fête cette année ses 10 ans, et sa “plus grosse édition”, d’après John Hoffman, l’organisateur en chef, il témoigne d’une sensibilité inédite à l’environnement. Chaque participant s’est ainsi vu remettre, avec son badge, un coupon pour utiliser à l’oeil les transports en commun de la ville pendant quatre jours.
Dimension “green”
Activité rituelle des journées de conférence, la recherche d’une prise électrique pour recharger son mobile. Cette année, les recharges de téléphones se sont via des panneaux solaires disposés dans tous les terminaux pour économiser l’énergie. Durant son discours, Stéphane Richard a lui aussi mis le sujet sur la table. “L’avènement de la 5G va fabriquer un monde plus green”, avance-t-il.
Les opérateurs, tous écolo-responsables? Vu les prévisions de croissance, avec 3.8 milliards d’utilisateurs de l’Internet mobile en 2020 dans le monde, “développer un réseau qui soit écologique est vital”, espère Stéphane Richard, qui mentionne à la fois le transport des data, les serveurs, et les mobiles eux-mêmes. “Lorsqu’ils ne sont pas en service, ces outils consomment quand même de l’énergie. Cela ne devrait pas être le cas”.
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Alice Antheaume
lire le billetComment devenir journaliste en 2015? Et faut-il le devenir? A ces questions, Félix Salmon, l’éditeur de Fusion, passé par Reuters, répond que “la vie n’est pas belle pour les journalistes”. Il déconseille même aux jeunes de s’orienter vers ce métier.
“Si vous aimez faire autre chose (que le journalisme, ndlr), si vous êtes bons dans un autre domaine, vous devriez sans doute songer à changer d’orientation.”
Pas d’accord, et même pas d’accord du tout – mais comme on aime les débats à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, on a invité Félix Salmon à donner la leçon inaugurale le 28 août prochain, et il a gentiment accepté. En attendant, voici 12 conseils destinés aux étudiants qui rêvent d’en faire leur profession. Et ils ont bien raison car c’est l’un des plus beaux métiers du monde.
C’est le principal avantage de cette profession. Aucune journée ne ressemble à une autre quand on est journaliste puisque c’est l’actualité qui dicte l’emploi du temps et le volume des contenus produits. Le matin, on part sur un sujet dont on ignore souvent tout et, à la fin de la journée, on a publié un (ou plusieurs) contenu(s) qui en explique les enjeux. Au passage, on a appris plein de choses. Magique!
En outre, le journalisme constitue un poste d’observation formidable des mutations sociétales. Un paradoxe, estime un chercheur américain dont je tairai le nom, qui balance.
“Ce qui est incroyable avec les journalistes, c’est qu’ils sont censés raconter les évolutions de la société dans leurs articles, mais qu’ils sont incapables de voir sous leur nez le changement de leur propre métier.”
Ne se sentant pas légitimes, beaucoup d’étudiants s’interdisent malheureusement de postuler à un stage en rédaction, voire à une école de journalisme. Or il ne faut rien s’empêcher, tout simplement pour ne rien avoir à regretter. Et si les aspirants journalistes n’ont pas obtenu de stage dans un média, même après les avoir demandés, ce n’est pas grave. L’expérience ne se résume pas au logo d’une organisation rédactionnelle posé sur un CV.
Ce qui compte, c’est d’expérimenter à sa mesure, de tester des petites choses en ligne, comme faire une photo par jour sur son compte Instagram avec une légende pertinente, monter un blog et apprendre à dialoguer avec les internautes, produire des vidéos sur Dailymotion ou YouTube en forme de zapping, apprendre le code, lancer un journal étudiant, une newsletter, monter une application, etc.
Tout cela a une valeur aux yeux des professionnels et prouve que vous avez déjà les mains dans le cambouis, et des idées en tête.
Non, ce n’est pas “bouché”. En 2014, il y a, sur 36.317 cartes de presse octroyées en France, 1.748 “premières demandes”. Dix ans plus tôt, en 2004, les “premières demandes” s’élèvent à 2.090, sur 36.520 carte de presse octroyées. Ces chiffres – qui ne prennent pas en compte les journalistes qui exercent leur métier sans carte de presse – montrent qu’il n’y a pas eu de réelle dégringolade. Le marché est donc toujours capable absorber des nouveaux entrants.
Les statistiques de l’insertion professionnelle des diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’une des quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, sont encourageantes: toutes promotions confondues, 95% des diplômés travaillent, soit en CDI (46%) soit en CDD (23%) soit en piges régulières (26%).
Félix Salmon évoque “un très grand nombre de journalistes au talent incroyable qui ont du mal à joindre les deux bouts” aux Etats-Unis. En France, le salaire moyen d’un journaliste en CDI est de 3.790 euros bruts par mois, d’un journaliste en CDD de 2.506 euros bruts par mois, d’un pigiste de 2.257 euros bruts par mois.
A noter, “un journaliste diplômé d’un cursus reconnu en CDI ou CDD gagne en moyenne 12% de plus qu’un journaliste diplômé d’un cursus non reconnu” selon le rapport de l’Observatoire des métiers de la presse.
Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes travaillant sur des sites de presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne.
Après, cela tient aussi à la force de proposition des journalistes. La règle est simple pour sortir, soufflent les rédacteurs en chef: il suffit de ne pas rester pas bras croisés lors des conférences de rédaction, à attendre que le “flux” tombe, et de proposer des sujets percutants. Si la proposition est bonne, c’est sûr, le journaliste peut sortir faire le sujet.
Quel point commun entre un présentateur de JT, un journaliste de PQR et un journaliste travaillant pour un pure player? Le journalisme est une “profession très éclatée”, analyse Cyril Lemieux, sociologue à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le 17 février. Une heureuse spécificité qui permet de connaître plusieurs vies professionnelles, au gré des employeurs, des réorganisations internes et, surtout, des changements de pratiques à l’ère numérique.
Guy Birenbaum, aujourd’hui à France Info, est un bon exemple: d’abord maître de conférences, il est devenu éditeur puis journaliste – sans carte de presse – et écrit toujours des livres. “Je ne suis jamais exactement ce que je suis censé être”, confie-t-il lors d’une master class. Avant d’envoyer une pique à ses confrères…
“Quand j’étais éditeur, je trouvais qu’il valait mieux déjeuner avec des journalistes que de lire leurs papiers.”
“Après 40 ans, il faut arrêter d’être journaliste”, m’avait prévenue un rédacteur en chef à mes débuts à Télérama. A l’époque, lui avait déjà la cinquantaine et, aujourd’hui, il travaille toujours.
Journaliste un jour, journaliste toujours? “Les journalistes ont le sentiment d’être liés par une culture commune et restent attachés à ce métier jusqu’à leur retraite, même s’il y a des sorties de la profession, vers la communication ou vers la politique”, observe encore Cyril Lemieux.
Et pour cause, il y a une interrogation légitime sur le rythme de vie imposé par ce métier, qui peut donner parfois le sentiment d’être comme un hamster dans une roue lancée à toute berzingue et qui peut lasser à force.
Le vrai indice du bonheur chez journalistes? Selon Cyril Lemieux, c’est lorsqu’ils sont fiers de ce qu’ils produisent collectivement. Et c’est souvent le cas dans les périodes de breaking news intenses.
Mais cela provoque en contrecoup, comme après les attentats de janvier à Paris, un épuisement général qui “laisse des traces physiquement et moralement”, reconnaît Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM TV, lors d’une conférence à Sciences Po le 12 février.
Et Céline Pigalle, la directrice de l’information de Canal+, surenchérit…
“L’extrême fatigue de ce métier est liée à l’impossible réplication de ce que l’on a appris dans une situation antérieure. On doit remettre en jeu nos choix et nos pratiques à chaque nouvelle situation.”
“Je veux être journaliste parce que j’aime voyager”, entend-t-on parfois de la bouche des étudiants. Or aimer les voyages n’est pas un argument suffisant pour faire ce métier. Contrairement à ce que vit Tintin dans ses “aventures”, le journaliste ne fait pas de tourisme. Il peut – et doit – aller sur un terrain parce qu’il y a un enjeu et une “histoire” à raconter, non pour se faire plaisir.
“Pratiquement tout le monde peut écrire. Le fait que vous puissiez écrire ne vous aidera sans doute pas à faire la différence”, note Ezra Klein, le co-fondateur de Vox Media.
En revanche, ce qui peut faire la différence, c’est la capacité à trouver des nouveaux codes narratifs, en faisant des reportages avec son smartphone, en plongeant dans des tableurs remplis de données pour réaliser des enquêtes, en jonglant entre temps réel et long format, en créant des graphiques interactifs, en sachant dialoguer avec l’audience, en collaborant avec des robots de l’information. Voire en créant sa propre start-up d’informations.
Quelle est l’actualité du jour? Quel angle proposeriez-vous sur cette actualité? Quel sujet aimeriez-vous couvrir? Ces questions sont celles que les professionnels posent souvent aux étudiants. Une façon de vérifier, notamment lors des entretiens, leur appétence pour les informations.
Pour devenir journaliste, il faut être incollable sur l’actualité et montrer que vous la butinez sous toutes ses formes et provenant d’une multitude de sources (médias traditionnels, pure-players, réseaux sociaux, etc.) – ne vous contentez pas du traditionnel triptyque trop souvent cité par les étudiants, à savoir France Inter/Rue89/France 2.
“Un journaliste est un homme qui vit d’injures, de caricatures et de calomnies”, a prévenu Delphine de Girardin, citée par Serge July dans son Dictionnaire amoureux du journalisme.
C’est en grande partie vrai, et notamment en ligne, où les journalistes font l’objet d’invectives de toute sorte, qu’ils encouragent parfois d’ailleurs, et du harcèlement des trolls.
Corollaire ou non, les journalistes ne sont pas très aimés, déplore Eric Mettout, le directeur de la rédaction adjoint de L’Express, citant un sondage “assassin” d’Ipsos pour Le Monde et France Inter selon lequel “23% des personnes interrogées font confiance (aux journalistes), 77% se méfient, dont 27% absolument”.
Certes, “le journalisme est une profession inquiète”, comme le constate le sociologue Gérald Bronner lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
Et pour cause, la responsabilité des producteurs de contenus face à des dilemmes complexes est grande: faut-il par exemple parler des rumeurs, pour les démentir, au risque de leur donner de l’écho?
“Il faut vérifier les faits mais aussi se demander en toute honnêteté: quels sont ses a priori narratifs sur l’histoire que l’on s’apprête à couvrir?”, conseille Gérald Bronner.
Pas de raison de déprimer pour autant, puisque l’ère numérique permet d’explorer des voies journalistiques inédites et accélère les carrières.
“Il n’y a jamais eu autant de possibilités de grandir rapidement”, encourage Will Oremus, de Slate.com, citant les exemples de Ben Smith, le rédacteur en chef de Buzzfeed, qui, à 38 ans, vient d’interviewer Barack Obama, ou d’Ezra Klein, de Vox Media, âgé de 30 ans. “Ceux qui sont prêts, ou juste désireux de créer, doivent être jugés sur la valeur qu’ils produisent aujourd’hui plutôt que par les noms listés sur leur CV ou le nombre d’années d’expérience”.
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Alice Antheaume
lire le billetChiffres sur les médias en ligne et les applications mobiles, formats éditoriaux innovants, bons liens, citations des acteurs du journalisme, coulisses de conférences… Ce qu’il ne fallait pas rater ces derniers jours se trouve dans “le débriefing numérique”, un nouveau rendez-vous à retrouver sur WIP, deux fois par mois.
Après Barack Obama chez les YouTubeurs, voici Barack Obama au pays des pure-players. Le président américain a accepté de se faire interviewer par Vox Média et Buzzfeed en février 2015, et ce, pour la première fois. Une étape importante dans l’histoire des ces jeunes organisations journalistiques américaines, qui leur fait franchir un cap dans la construction de leur crédibilité. “Vox et Buzzfeed sont maintenant considérés comme des rédactions sérieuses”, écrit le New York Times, jouant au grand frère.
Côté communication politique, cette initiative montre que le président américain cherche à toucher la cible de “millennials”, ces jeunes de 18 à 35 ans. Banco, puisque la vidéo où Barack Obama fait l’acteur devant la caméra de Buzzfeed a déjà atteint 3,7 millions de vues à l’heure où j’écris ces lignes. Sur Vox, le format a tapé dans l’oeil des commentateurs, mixant textes, infographies et vidéos dans un même ensemble.
En France, François Hollande avait accordé une interview à Slate.fr, deux jours avant d’être élu le 6 mai 2012 – interview qu’il avait relue et amendée le jour de l’élection “alors qu’il savait qu’il était élu”.
Dimanche 8 février 2015, Le Monde dégaine les résultats d’une enquête internationale sur les bénéficiaires du système d’évasion fiscale de la banque HSBC. Le fruit d’un travail de presque un an sur un tentaculaire tableur regroupant 60.000 fichiers, et qui a donné lieu à une série de papiers, publiés pour la partie française par Le Monde, et pour les autres pays par d’autres médias, le tout coordonné par l’ICIJ, le consortium international des journalistes d’investigation.
“En avril 2014, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont reçu une clé USB qui contenait tous les noms des clients de la filiale suisse d’HSBC”, raconte Alexandre Léchenet, journaliste du Monde.fr qui a participé à l’opération sur le plateau de “La politique c’est Net” sur Public Sénat. “Ils ont essayé d’imprimer tout ce qu’ils avaient récupéré, mais ils ont cassé l’imprimante et se sont rendu compte qu’ils ne pourraient pas travailler seuls sur les fichiers”.
C’est alors que Le Monde a décidé de “partager” son futur scoop en recourant à l’ICIJ, basé à Washington, une sorte de “hub”, selon les mots d’Alexandre Léchenet. Avant l’été dernier, les journalistes français sont donc allés aux Etats-Unis pour remettre en mains propres – car c’est encore le moyen le plus sûr – les fichiers à l’ICIJ, avec qui ils avaient déjà travaillé en avril 2013 pour une autre enquête, baptisée “Offshore Leaks”.
Travailler avec l’ICIJ, c’est démultiplier les ressources – rédactionnelles et techniques. En effet, ce consortium sait avec quel journaliste travailler dans tel ou tel pays, et a déjà mis en place des outils pour que tous les enquêteurs – 154 journalistes issus d’une cinquantaine de médias dans le cas de Swiss Leaks – puissent collaborer, dont une plate-forme de conversation chiffrée et sécurisée. C’est l’étape supérieure de la rédaction secrète que j’avais décrite dans ce WIP.
Comme Le Monde était “apporteur de l’affaire”, ils ont négocié avec l’ICIJ que le nom de leur journal soit systématiquement cité à chaque fois qu’il était question de Swiss Leaks.
La politique c’est net par publicsenat
Surprise, BFM TV et iTélé ont annoncé une offre de publicité commune, jeudi 12 février 2015, lors d’une conférence à Sciences Po. “Les marques pourront acheter une campagne hebdomadaire de 120 ou 140 spots, qui seront diffusés simultanément sur les deux chaînes (…), vendu(s) 75.000 euros les trente secondes d’images”, explique Les Echos. Quant aux revenus, ils “seront partagés entre les deux régies au prorata de l’audience”.
L’initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Si les régies des médias en ligne peuvent offrir des “packs” publicitaires couplés (par exemple sur lemonde.fr, le Huffington Post et nouvelobs.com, qui ont les mêmes actionnaires), c’est très rare lorsque ces médias sont des télévisions – imaginez que TF1 et France 2 s’allient – et encore plus rare lorsque ces médias n’appartiennent pas au même groupe – iTélé appartient au groupe Canal+, BFM TV au groupe NextRadioTV).
Cette conférence a aussi été l’occasion d’un débriefing sur la couverture éditoriale des deux chaînes d’information continues françaises après les attentats de janvier 2015. Pour Céline Pigalle, directrice de l’information de Canal+, il y a un “avant” et un “après” ces événements. “Avant nous brassions des informations produites par les autres, désormais nous sommes aux avant-postes (…) Même les JT des 20 heures ont repris les codes des chaînes d’information en continu”.
En cause: la cascade infernale d’informations, de théories du complot, en ligne, pendant les attentats. “Nous avons tous été très troublés par cette immédiateté. Le digital nous emporte. Alors que n’importe qui peut distribuer des informations, il faut plus que jamais de la responsabilité et du professionnalisme dans le tamis des journalistes”, a continué Céline Pigalle.
Pour son homologue Hervé Béroud, de BFM TV, ces journées de janvier ont été une “sortie de crash test, inédit en termes de gravité et d’ampleur. Avec 70h de direct en continu, nos rédactions ont été mises à l’épreuve comme jamais”.
Quelle tristesse que d’apprendre que David Carr est mort à 58 ans à la rédaction du New York Times jeudi 12 février 2015. Ce journaliste spécialiste des médias, aux allure du professeur Tournesol, a été le héros du film A la une du New York Times. Revenu de loin après des années d’addiction à la cocaïne, il avait confié vivre “aujourd’hui une vie que je n’ai pas méritée. Mais nous passons tous sur cette terre avec le sentiment que nous sommes des imposteurs.”
Pour ma part, je l’avais rencontré lors de plusieurs conférences aux Etats-Unis où il animait de façon à la fois désinvolte et hilarante des discussions sur la “curation” ou sur les algorithmes, qu’il surnommait “ces bêtes-là”, laissant ses interlocuteurs totalement perplexes.
Une diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Léa Khayata, a eu le chance de l’interviewer en vidéo pour lui demander ce qu’il portait dans son sac à dos. “Il y a plus de matériel dans ce sac que dans toute une rédaction”, commence-t-il, avant de montrer son iPad, “l’ami du reporter”, ouvert sur la série Downton Abbey, une clé pour connecter son ordinateur à la 3G, des carnets de note, une grande feuille de papier, des stylos – “on n’a jamais assez de stylos”, confie-t-il -, un dictaphone, un téléphone sur lequel est écrit son nom, un portefeuille pour recueillir les cartes professionnelles, un livre qu’il ne lira jamais et un roman pour montrer qu’il n’est pas un “nerd”, des lunettes, une casquette pour ne pas avoir froid et un parapluie.
Si vous avez des bons liens, des informations sur le journalisme numérique qui pourraient figurer dans le prochain débriefing numérique, n’hésitez pas à m’interpeller sur Twitter…
Alice Antheaume
lire le billetJournalisme après les attentats de Charlie Hebdo, nouvelle génération consommant des informations autrement, sociétés de nouvelles technologies dirigées par les data qu’elles récoltent, modèles économiques des plates-formes d’information, et robots… Voici quelques uns des mots qui ont occupé le devant de la scène à Munich, en Allemagne, lors de la conférence annuelle DLD consacrée à l’innovation, qui a accueilli près de 1.000 participants avant le forum économique de Davos. Compte-rendu.
Deux semaines après que la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée à Paris, le 7 janvier 2015, nombreux sont les intervenants de DLD à en avoir parlé. Un panel intitulé “Post Paris Journalism” a même été “improvisé”, selon les mots de Steffi Czerny, la fondatrice de la conférence, pour évoquer le choc immense des attentats survenus en France et la façon dont les journalistes, en France et à l’international, ont couvert ces événements.
Avec, toujours, cette interrogation: pourquoi des rédactions aux Etats-Unis comme CNN, Associated Press, le New York Times, ou en Angleterre Sky News, ont-elles refusé de publier les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo? Pour Bruno Patino, le directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1) invité à cette table ronde, “vu le contexte, il n’y a pas de question à se poser: il faut publier les caricatures”.
Ce à quoi Jeff Jarvis, qui s’était fendu d’un billet assassin à l’encontre du New York Times sur son blog, surenchérit: “ce qui est en danger, c’est la liberté d’expression. Or celle-ci fonctionne comme un muscle: il faut l’exercer sinon il risque de se ramollir”.
De son côté, Ulrich Reitz, de Focus, est plus réservé: “c’est évident qu’en France, la publication de ces dessins est liée au choc et à l’émotion. Mais au fond, je pense que le rôle du journalisme est davantage de décrire que de montrer”.
En coulisses, le débat continue en convoquant le philosophe allemand Max Weber et sa double éthique, celle de conviction et celle de responsabilité. La première suppose d’”agir en fonction de principes supérieurs auxquels on croit” quand la seconde pense aux conséquences et aux “effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir” d’une action, rappelle Didier Frassin, professeur à l’Université américaine de Princeton, dans une tribune à Libération. Donc pour résumer, les rédactions qui publient les caricatures sont dans l’éthique de conviction, tandis que celles qui s’y refusent sont dans l’éthique de responsabilité. Bien sûr, les premières ne sont pas pour autant irresponsables et les secondes sans idéal.
Autre sujet débattu après la tuerie de Charlie Hebdo: la tentation des gouvernements de surveiller davantage le Net pour traquer des potentiels terroriste. Les Etats-Unis ont adopté après le 11 septembre 2001 un “Patriot act” qui donne accès aux conversations des internautes sans autre démarche, et notamment sans passer par un juge.
En France, alors que le gouvernement vient d’annoncer ce mercredi une série de “mesures exceptionnelles” dont la “surveillance renforcée des communications et de l’Internet des djihadistes”, David Marcus, le vice-président de Facebook, a reconnu à DLD que “c’est toute la question après les attentats à Paris: comment trouver l’équilibre entre la protection de la vie privée de nos utilisateurs et l’impératif de sécurité?” Il répond que “c’est très difficile” tout en précisant que sa société retire en permanence des contenus qui font l’apologie du terrorisme ou des messages visant à embrigader des recrues, jusque dans la propre messagerie instantanée de Facebook. “Tout ce qui a trait à ces sujets est le plus souvent supprimé de notre plate-forme à la minute-même où on le voit”.
Les “millennials” sont comme ci, les “millennials” sont comme ça… Ce n’est pas la première fois que les 18-34 ans sont au centre de tous les discours – voir ce précédent WIP écrit en 2014 lors d’une conférence à Londres.
“Youtube atteint plus de millennials que la télévision (…). Facebook s’adresse à plus de 18-24 ans que n’importe quelle chaîne de télévision gratuite” aux Etats-Unis, annonce Henry Blodget, le rédacteur en chef de Business Insider, lors d’une présentation percutante. Pour lui, le changement à venir est “générationnel” et “ce n’est que le début”. En effet, lorsqu’on demande aux 16-24 ans ce qui leur manquerait le plus, ils répondent leur smartphone, suivi de leur ordinateur, quand tous les adultes confondus disent que ce serait regarder la télévision qui leur manquerait le plus.
C’est vrai que ces jeunes regardent moins la télévision au sens classique du terme mais, “en réalité, c’est plus compliqué que cela car ils consomment des vidéos sur diverses plates-formes”, analyse Linda Abraham, co-fondatrice de l’institut de mesure Comscore.
Pour les médias, savoir comment s’adresser à cette nouvelle génération, synonyme de “disruption” à tous les étages (il existe même un “Millennial disruption index”, de son petit nom MDI), est clé. Au regard des chiffres cités ci-dessus, le mobile est devenu le cordon ombilical entre les informations et l’audience, d’autant qu’il a permis d’allonger le nombre d’heures quotidiennes de consommation à 18h par jour, contre 9h avant lorsqu’il n’y avait que l’ordinateur. “Plus il y a d’écrans, plus on passe de temps sur chaque support”, conclut Linda Abraham.
En outre, selon une étude du cabinet Deloitte, ces “millennials” vont, en Amérique du Nord, dépenser 62 milliards de dollars en 2015 pour acheter des contenus, soit 750 dollars par personne, ce qui représente une “contribution significative” de la part d’une génération accusée de ne pas payer en ligne, note l’institut.
Jamais les sociétés de nouvelles technologies n’ont autant été dirigées par les données qu’elles récoltent. Au point qu’elles peuvent presque tout anticiper. Amazon sait ce dont vous avez besoin avant que vous l’achetiez. Facebook sait qui vous comptez draguer. Google sait, parfois avant les intéressées elles-mêmes, qu’elles sont enceintes.
Chez Uber, il y a un département dédié à l’analyse des data. Et quand ils recrutent leurs analystes, ils dégainent l’artillerie lourde pour les séduire: plus de 400.000 dollars bruts annuels, et des vacances illimitées… du moins quand le travail est fait (“travaillez dur et prenez du temps pour vous quand vous en avez besoin”, est-il écrit sur cette offre d’emploi).
A DLD, Travis Kalanick, le patron d’Uber, n’a pas révélé tout ce qu’il sait de notre façon de circuler dans les grandes villes, de nos horaires, de nos lieux de vie, même s’il a proposé de partager ces données comme il le fait déjà avec la ville de Boston. Un outil pour éviter les embouteillages? Travis Kalanick dit “arriver à connaître, 15 minutes à l’avance, les zones où il va y avoir de fortes demandes”, des données qui sont envoyées illico aux chauffeurs afin qu’ils se positionnent. Il sait aussi que la plupart des 500.000 utilisateurs d’Uber en France montent ou descendent d’une de leurs voitures à environ 1 kilomètre d’une station de métro. Un argument dont il use pour assurer que son service est un “complément des transports en commun existants”.
Surtout, c’est “armé de données”, comme le note ce blog du Financial Times, que Travis Kalanick a délivré sa stratégie pour l’Europe le temps d’un discours très “médiatrainé”, comme le relèvent plusieurs observateurs. Il compte créer 50.000 nouveaux emplois en Europe – pour l’instant, il en recense 3.750 à Paris et 10.000 à Londres.
Comment fonctionnent les modèles des contenus numériques? Tel est l’intitulé d’un autre panel à DLD, dont les intervenants n’ont pas manqué de s’écharper. “De nouvelles marques de contenus émergent auxquelles se connecte une nouvelle génération d’utilisateurs”, s’enthousiasme Lockhart Steele, le directeur éditorial de Vox Media. “Vous devez être un gros poisson ou bien rentrer chez vous”, lui répond Martin Clarke, le directeur de publication du Mail Online, le plus gros site d’actualités du monde en anglais, dont les compétiteurs, assène-t-il, s’appellent Buzzfeed, Yahoo! et AOL. Du lourd, donc.
“Si vous avez besoin de chercher votre audience sur Internet, vous êtes mort”, continue-t-il. “Vous devez avoir une marque que les gens connaissent et visitent” via la page d’accueil (par laquelle passe 60% de l’audience du Mail Online en Angleterre, 40% de l’audience aux Etats-Unis), une entrée qui a moins la cote pourtant, comme le relève notre enquête. “Plus on met des articles sur la page d’accueil, plus on récolte de clics”, tranche Martin Clarke.
Les moteurs de recherche n’ont pas dit leur dernier mot. D’autant qu’une récente étude les sacre comme des sources d’actualités plus fiables que les sources d’informations qu’ils agrègent, notamment auprès des jeunes. “10 millions de clics en un mois octroient aux médias 9 millions de dollars par an”, assure Peter Barron, le directeur de la communication de Google en Europe, Moyen-Orient et Afrique.
“Il ne faut pas compter sur une seule source de revenus”, ajoute le patron du Mail Online, mais “proposer un package aux annonceurs, avec du native advertising, du display, des vidéos”.
Quant aux réseaux sociaux, Facebook en tête, ils sont à la fois vus comme un vivier d’audience féminine et un pourvoyeur de trafic de plus en plus important. “Pour l’instant, Mark Zuckerberg (le patron de Facebook, ndlr) met du bon contenu dans le newsfeed de Facebook, tant mieux pour nous. Mais si, en se levant demain, il décide du contraire, mieux vaut ne pas en dépendre”, conclut Lockhart Steele.
Je vous bassine souvent avec les robots, c’est vrai. Lors de la conférence DLD, j’ai rencontré Arthur, un humanoïde plus vrai que nature. Fabriqué par la société Hanson Robotics, il est doté d’une multitude de micro-processeurs capables de faire bouger ses joues, ses yeux, son nez, ses lèvres, ses sourcils pour avoir les expressions du visage les plus “naturelles” possibles, le tout sur simple commande, via smartphone.
Le résultat est bluffant. Même la caméra de mon smartphone a été leurrée et a identifié le visage d’Arthur comme celui d’une vraie personne lorsque je l’ai pris en photo.
La mission d’Arthur? Aider les personnages âgées et les enfants autistes au quotidien. “Pour que des machines deviennent nos compagnons de vie, il faut que l’on ait l’impression qu’elles puissent nous comprendre”, expliquent David Hanson et Jong Lee, de Hanson Robotics, qui feignent de s’interroger: “qui aurait la patience de sourire et de surveiller la pression artérielle de nos aînés non stop, 24h/24, 7 jours sur 7?”.
Pour Chris Boos, un spécialiste de l’automatisation, l’apparition de telles machines dans la vie quotidienne est la suite logique d’une mutation déjà en oeuvre. “Cela fait longtemps que l’on fait travailler les gens comme des machines avec des process en tout genre. Les métiers se prêtant au remplacement des hommes par des robots (ici, des assistants médicaux, ndlr) sont le plus souvent déjà automatisés dans les pays occidentaux”.
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Alice Antheaume
(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
lire le billetAprès l’attentat à Paris contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, qui a fait 12 morts, dont les dessinateurs Charb, Cabu, Georges Wolinski, Tignous, le chroniqueur économique Bernard Maris et des blessés très graves, les rédactions du monde entier ont manifesté leur soutien et prôné la liberté de parole et de pensée.
Mais certaines, notamment aux Etats-Unis, ont choisi de “décrire” avec des mots – plutôt que de les montrer – les caricatures de l’hebdomadaire, comme CNN, Associated Press, MSNBC ou le New York Times. Pour quelle raison? Peur des représailles? Entrave à la liberté d’expression? Ou prudence?
La sécurité des journalistes sur le terrain pour CNN
Ne pas publier ces dessins est une décision qui vient du haut chez CNN. “En tant que patron, la protection et la sécurité de nos correspondants dans le monde est ce qui me préoccupe plus que tout le reste aujourd’hui”, explique Jeff Zucker, le président de CNN.
“Ce sont pour des questions de sécurité pour les reporters sur le terrain que cette décision a été prise”, me confirme via Facebook Samantha Barry, la responsable des réseaux sociaux de CNN qui confirme qu’aucune caricature polémique n’est diffusée sur les plates-formes en ligne de CNN, pas plus qu’à l’antenne. Représenter le prophète est interdit par le Coran, un “tabou très strict dans l’Islam”, se justifie CNN.
Pourtant, en France, quand Mathieu Dehlinger, journaliste à France TV Info, relève le floutage de CNN, les commentateurs sur Twitter condamnent cette pratique. L’un ironise sur leur absence de courage, l’autre estime que les équipes de CNN “n’ont rien compris donc”.
Et @CNN diffuse un reportage sur l’histoire de #CharlieHebdo en floutant toutes les couvertures sur Mahomet pic.twitter.com/8uuPRQuQ8R
— Mathieu Dehlinger (@mdehlinger) 8 Janvier 2015
Ne pas offenser les lecteurs pour le New York Times
Faut-il publier – ou non – les caricatures? Pour Associated Press, The Daily News, ou au Canada The Globe and Mail, c’est non. Répondre à cette question a pris une demi-journée de réflexion à Dean Baquet, le directeur exécutif du New York Times, qui reconnaît avoir changé deux fois d’avis avant de statuer: aucune caricature de Mahomet signée Charlie Hebdo ne sera publiée. Pas pour des raisons de sécurité, cette fois, mais pour préserver la sensibilité des lecteurs du journal, notamment les musulmans pour qui la publication de ces dessins aurait pu sembler “sacrilège”.
“Nous avons depuis longtemps une règle, qui dit qu’il y a une différence entre l’insulte gratuite et la satire”, estime Dean Banquet, avant d’asséner que la plupart des représentations de Mahomet par Charlie Hebdo font partie de la première catégorie.
Critiques acerbes
Un postulat difficile à comprendre vu le contexte tragique en France et la vague d’unité qui s’ensuit. Jeff Jarvis, professeur à l’Ecole de journalisme de Cuny à New York, n’en revient pas. Sur son blog, il estime que les justifications du New York Times sont du gros “bullshit”.
“Comment cela, ce n’est pas la mission du New York Times de montrer les caricatures?”, s’étouffe-t-il. “Je n’achète pas du journalisme qui ne gêne personne. Je n’achète pas l’idée que décrire ces dessins avec des mots serait suffisant. (…) Si vous êtes le journal de référence, si vous incarnez l’excellence du journalisme américain, si vous attendez des autres qu’ils se lèvent lorsque vos journalistes sont menacés, si vous faites confiance à votre audience pour se faire son opinion, alors bon sang, soutenez Charlie Hebdo et informez les gens. Publiez ces caricatures.”
C’est ce qu’a fait le Washington Post, dans sa version imprimée. Mais c’est l’un des rares médias installés depuis des décennies aux Etats-Unis à avoir osé.
Différences culturelles
Il y a peut-être là une fraction entre, d’un côté, la posture des médias traditionnels et, de l’autre, la culture transversale des rédactions numériques qui ont, elles, publié les caricatures, comme The Daily Beast, Buzzfeed, Politico, Slate.com, The Huffington Post, et Vox. Mais est-ce pour “afficher leur solidarité envers des camarades abattus” ou pour faire monter le nombre de pages vues, s’interroge la Columbia Journalism Review? Ambiance.
AA
lire le billetEn 2014, on a appris à cohabiter avec les algorithmes, cherché de nouveaux leviers économiques, on a été horrifié par les décapitations de journalistes, on a déprimé en suivant la situation de LCI et celle de Libération, et on a vu le “brand content” s’inviter sur les sites d’informations et les applications.
Quel est le programme pour 2015? Voici, nouvelle année oblige, 8 prédictions qui pourraient avoir de l’impact sur les journalistes et la vie des rédactions.
“Sur le Web, le marché de l’information est arrivé à maturité, alors que sur mobile, les usages explosent”, constate Antoine Clément, ex directeur général adjoint de Next Interactive, lors des Assises du journalisme organisées à Metz en octobre 2014. Les chiffres lui donnent raison. Car en France, 75% des applications voient leur trafic progresser tandis que 60% des sites Web enregistrent une baisse de fréquentation, selon une étude d’AT Internet citée par Frenchweb.fr.
A L’Equipe, 50% du trafic se fait désormais sur mobile, et 50% provient encore du site, me confie Fabrice Jouhaud, le directeur de la rédaction. Au Monde, cela fait deux ans et demi que les pages vues sur mobile supplantent celles réalisées sur le site lemonde.fr.
Quant aux réseaux sociaux, ils misent tout sur le mobile. Si la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, “Facebook aurait été une application mobile”, et non un site pensé pour l’ordinateur, avait déjà lâché en 2012 Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook.
Moralité: en 2015, pas la peine de s’échiner sur les sites Web, mieux vaut se concentrer sur la stratégie sur mobile, à la fois des smartphones et des tablettes. Avec 43% de la population française qui se sert de téléphones pour naviguer sur le Web, c’est là que se trouve la réserve d’audience pour les rédactions.
Lundi 22 décembre: j’ai reçu sur mon smartphone 9 alertes de BFM TV, 8 du Point, 8 du Figaro, 4 du Monde, 4 de France TV Info, 5 d’Europe 1, 8 de L’Express, 7 de France Info. Cette journée n’a rien de spécial – si ce n’est, tout de même, la mort de Joe Cocker. Elle est le reflet de la bataille du push qui se joue, depuis quelques années déjà, entre les médias pour squatter les écrans de téléphone à l’aide de notifications visant à alpaguer le chaland avec une information importante, lui faire vivre un événement en “live”, lui faire un résumé de la journée ou du week-end écoulé, ou se rappeler à son bon souvenir.
Une stratégie qui a déjà fait ses preuves. En 2014, les utilisateurs ayant accepté de recevoir des notifications push sur leur smartphone passent trois fois plus de temps sur les applications émettrices de ces alertes, selon l’étude de la société américaine Localytics.
En effet, d’après nos estimations, un seul push peut générer 20.000 à 30.000 visites sur une application française d’informations généralistes.
A condition de ne pas l’envoyer à tort et à travers. C’est là tout l’enjeu pour les rédactions en 2015: comprendre les besoins de leurs lecteurs, afin de leur envoyer des pushs personnalisés, ciblés et adéquats, pouvant même intégrer des images, au bon moment de leur journée. Cela nécessite de savoir répondre aux questions suivantes avant l’envoi d’une alerte, conseille cet instructif guide des notifications:
• Qui doit recevoir ce push? Il y a a minima trois catégories d’utilisateurs dont les besoins ne sont pas les mêmes: les nouveaux arrivants, les utilisateurs assidus, et ceux qui ont téléchargé l’application mais s’en servent rarement. Ce à quoi s’ajoutent des utilisateurs géolocalisés selon leur lieu de vie – à qui on peut envoyer des informations concernant leur région ou leur pays.
• Quel message doit comporter ce push? Comment peut-il être personnalisé?
• A quelle heure chaque utilisateur doit-il recevoir ce push? Histoire d’éviter de bombarder les expatriés d’alertes lorsque c’est la nuit pour eux.
• Que se passe-t-il une fois que le push est envoyé? Quelle est l’action requise par l’utilisateur – qu’il lance l’application? Qu’il envoie un SMS? Qu’il conserve le message de l’alerte pour un usage ultérieur?
Gagner la bataille du push, c’est faire monter le taux d’engagement des lecteurs, rallonger le temps qu’ils passent sur l’application, et tisser un lien de confiance avec l’audience, prédit Localytics dans son rapport de fin d’année sur l’état des applications mobile.
Va-t-on enfin voir un programme capable de marier la culture numérique et le “formatage” télévisuel? Il y a bien des programmes à la télévision qui sont des déclinaisons de formats et de talents nés sur le Web – la pastille Le Gorafi, sur Canal+, M. Poulpe à la météo du Grand Journal sur la même chaîne, Le Point quotidien de Vice News, sur France 4 -, il y a aussi des séries télévisées qui jouent à fond la carte de l’interaction sur le Web avec les fans – Fais pas ci, fais pas ça sur France 2 – mais jusque là, beaucoup se sont cassé les dents à vouloir mélanger ces univers.
Cyrille de Lasteyrie, alias Vinvin, a plusieurs fois tenté ce numéro d’équilibriste en lançant Le Grand Webzé puis Le Vinvinteur sur France 5, des expériences foldingues comme on les aime mais qui n’ont, comme on dit à la télévision, “pas trouvé leur public”. “Le Web est gratuit, libre, insouciant, insoumis. La télé, c’est l’inverse: calibrée, rigoureuse, institutionnelle. L’une est un format, l’autre un anti-format. Il faut cesser de vouloir à tout prix marier la carpe et le lapin”, analyse Cyrille de Lasteyrie dans Télérama.
En attendant que quelqu’un trouve la recette, les producteurs de télévision sont amenés à (re)penser leurs émissions pour qu’elles soient disponibles depuis n’importe quel écran. Et ce, même si, la France est un pays où le téléviseur “reste l’équipement privilégié pour regarder les programmes en direct (93 % des Français l’utilisent comme tel)”, selon un rapport du Crédoc (le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
L’urgence, en 2015, c’est donc d’offrir une continuité dans la consultation des contenus selon qu’on est sur un téléviseur, une tablette, un ordinateur, un téléphone, en reprenant l’émission exactement où on l’avait laissée. “Pour l’instant, le mot télévision désigne toujours ce truc qui trône dans votre salon et les émissions qu’on a pris l’habitude de voir depuis presque 60 ans – même si ces émissions vous parviennent maintenant via Internet. Mais on a clairement besoin de créer une nouvelle nomenclature qui convienne au monde multi écrans et multi plates-formes dans lequel on vit”, prévient Roy Sekoff, le président du Huffington Post Live, cité par Mashable.
C’est le “come back” d’un format que l’on croyait obsolète: la newsletter. “Elle n’est plus tout à fait comme la cassette que l’on faisait par amour au collège, mais elle est une compilation du meilleur qui peut procurer le même type de sentiments” qu’à l’époque, explique Katie Zhu, développeuse chez Medium, dans ses prédictions 2015 au Nieman Lab.
De Time To Sign Off (il est temps de conclure, en VF) à Brief.me, le projet lancé par Laurent Mauriac, en passant par Mondadori, les informations se distribuent plus que jamais par email. Et pour cause, ces newsletters offrent un “temps calme”, comme disent les instituteurs, aux lecteurs éreintés par ce flux incessant d’informations qui les assaille, en leur présentant ce qu’ils doivent savoir, rien de plus, rien de moins. Et ce, à un moment qu’ils ont choisi, c’est-à-dire le moment où ils où ouvrent l’email contenant la newsletter.
“Une des raisons pour lesquelles les newsletters fonctionnent, c’est parce qu’elles agissent comme un filtre intelligent”, écrit Mathew Ingram sur le site Gigaom. En un sens, elles court-circuitent le torrent d’informations que l’on lit sur Twitter, Facebook, sur les blogs, sur les sites d’informations, pour trouver ce qui compte vraiment. Et c’est quelque chose dont on a probablement plus besoin que jamais.”
En 2015, les rédactions vont activer ou ré-activer leurs offres de newsletters. Mais quelle newsletter va rester? Et comment se distinguer des autres quand on est un média généraliste? “Plus vous êtes générique, moins vous avez de valeur pour les lecteurs”, conseille Mathew Ingram. “Alors pensez à toutes les niches et les micro-marchés dans lesquels vous pourriez segmenter votre offre de contenus, et trouvez une façon de les incarner” avec un ton, un style, une sélection qui témoigne de votre patte.
La décapitation du journaliste américain James Foley filmée dans une vidéo diffusée sur YouTube – elle a, depuis, été retirée de la plate-forme -, celle ensuite d’un autre journaliste américain, Steven Sotloff….
Ces images de l’actualité, effroyables, témoignent de la la violence innommable des événements et des risques que prennent les journalistes sur le terrain. En 2014, selon le bilan de Reporters sans frontières, 66 journalistes ont été assassinés, 119 enlevés, 1846 menacés et/ou agressés, et 40 toujours otages.
Cette année, il y a eu une escalade dans l’imagerie de l’horreur, diffusée sans filtre et à des fins de propagande, via les plates-formes de distribution accessibles à tous. Les journalistes sont devenus des instruments au service de l’Etat islamique, déplore Jon Lee Anderson, grand reporter au New Yorker, invité à donner la leçon inaugurale de rentrée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. “Cliquer sur ces vidéos chorégraphiées et présentées comme un message à l’Amérique, c’est ce que souhaitent ces bourreaux. Or je ne vais certainement pas leur donner ce plaisir”.
Impossible de prédire ce qu’il adviendra en 2015 sur ce plan. Espérons néanmoins que les médias refuseront encore de relayer de telles horreurs en ligne. Même si, avant de décider de diffuser ou non une image dans un média, il faut bien les examiner dans les rédactions et les authentifier. C’est le travail des journalistes qui, pour tenir au quotidien, ont peu à peu appris à se blinder.
Robots lisant des informations à haute voix comme un présentateur de journal télévisé, vidéos avec voix off compilées en 5 secondes – quand il faut une vingtaine de minutes à un humain, même expérimenté, pour ce faire -, algorithmes capables de trier les contenus et d’en produire à leur tour… Désormais, l’information doit compter avec l’intelligence artificielle, et les journalistes s’habituer à l’idée d’avoir des robots comme collègues.
Si, aux Etats-Unis, Forbes et le Los Angeles Times ont succombé aux sirènes de robots sachant écrire des articles de A à Z, les rédactions françaises n’ont pas encore recours à de tels services. En 2014, elles se sont contenté de mettre en place des “social media bots”, des robots actifs sur les réseaux sociaux.
C’est qu’a fait France TV Info lors des municipales avec un robot sur Twitter à qui les utilisateurs pouvaient demander de les alerter des résultats obtenus dans leur circonscription dès que ceux-ci étaient disponibles. Même système avec L’Equipe et son “automatic score”. Pour savoir où en est le score de votre équipe de foot préférée sans allumer la télé, vous interpelez le compte Twitter de l’Equipe en mentionnant le nom de l’équipe qui vous intéresse. Instantanément, vous recevez la réponse sur Twitter de la part de l’Equipe avec un lien qui renvoie sur le score du dernier match.
Le système, mis en place début novembre, a deux objectifs, me renseigne Emmanuel Montecer, community manager de L’Equipe:
1. générer du trafic sur les supports de L’Equipe en provenance des réseaux sociaux (au moment du lancement, alors que lequipe.fr récolte entre 50 et 70 millions de visites mensuelles, seuls 1 à 2 millions proviennent de Twitter)
2. soulager l’équipe humaine, qui croule sous près de 10.000 interpellations du compte Twitter de l’Equipe par mois, avec 70% de demandes sur le foot.
Et en 2015? L’Equipe réfléchit bien sûr à élargir l’”automatic score” au rugby, et notamment le top 14. Et d’autres rédactions vont intégrer des robots à la fabrication de leurs informations. Imaginez par exemple France 2 ou TF1 travailler avec l’application Wibbitz pour produire des commentaires sur images en presque temps réel dans leurs JT…
A votre avis, à quoi les rédacteurs en chef et directeurs de rédaction passent le plus de temps? Réponse: à organiser les équipes, leur rotation, à faire des plannings, et à s’arracher les cheveux pour que les différents services parviennent à travailler ensemble.
Or dans bon nombre de rédactions, et c’est ce qu’a révélé le mémo “Innovation” du New York Times, il y a toujours un vrai mur entre l’Eglise et l’Etat, entre la rédaction et les autres services, comme si travailler à autre chose qu’à l’information était une tare. Développeurs, chefs de projet, graphistes bouent de ne pas connaître les requêtes des journalistes pour remplir leur mission, et la rédaction nourrit une peur viscérale de se faire “manipuler” par des intérêts marketing quand elle n’est pas débordée par le quotidien.
Parlez-vous et s’il vous plaît devenez les meilleurs amis du monde, implore Alisha Ramos, une graphiste de Vox Media. “Chers journalistes, les développeurs et les graphistes ne sont pas des aliens. Ils peuvent ne pas comprendre votre jargon mais ils peuvent avoir une idée intelligente pour rendre digestes toutes les données que vous regardez. Chers développeurs, les journalistes ne sont pas des extra-terrestres. Ils peuvent avoir des idées qui pourraient déboucher sur la créations d’applications dans lesquelles vous pourriez tester ce nouveau code Javascript qui vous tente.”
“Améliorer les passerelles et les collaborations avec les ingénieurs, les graphistes, ceux qui s’occupent des statistiques et des données, et ceux qui font de la recherche et du développement, ne représente aucune menace pour nos valeurs journalistiques”, insistent les auteurs du mémo du New York Times pour évangéliser leurs collègues. Et si la notion de “rédactions intégrées” passait de l’état de mirage à la réalité? Le message devrait enfin passer en 2015.
Regardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.
Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.f, tous accueillent ces publicités d’un nouveau genre, cherchant par là à maximiser leurs revenus publicitaires. En France, les rédactions se cassent la tête pour réussir à les produire, à les insérer dans des espaces autrefois réservés aux informations, et à en assurer la distribution en fournissant au besoin des statistiques sur leur consultation aux annonceurs. De quoi provoquer quelques débats agités sur la ligne jaune entre contenus sponsorisés et journalistiques.
Le grand flou a commencé dès 2014, quand le native advertising, promesse de nouveaux revenus bienvenus, s’est invité à la table, avant que les règles ne soient gravées dans le marbre. En 2015, l’étiquetage des contenus, qu’ils soient payés par des marques ou écrits par des journalistes de la rédaction, va devoir être affiché.
Excellentes fêtes à tous et très bonne année 2015!
Alice Antheaume
lire le billetTélévision du futur, programmes olfactifs, replay basé sur des émotions, robots lisant des informations, vidéos compilées en 5 secondes… A la conférence Le Web, organisée à Paris du 9 au 11 décembre 2014, France TV (*) a sorti le grand jeu avec un stand-atelier dédié aux innovations numériques, histoire de prouver que le paquebot “est là où on ne l’attend pas” et “est capable de réfléchir à l’avenir, à la croisée de l’information et de l’intelligence artificielle”, m’explique Bernard Fontaine, directeur des technologies de l’innovation du groupe. Zoom sur quelques uns des prototypes qui pourraient avoir de l’impact sur la production de contenus journalistiques et leur diffusion.
Quoi? Il mesure 84 centimètres, pèse 3,5 kilos et porte des baskets rouges aux pieds. Ce robot, baptisé Poppy, est capable de lire à haute voix les cinq dernières informations publiées sur France TV Info, la plate-forme de live permanent de France TV fondée en 2011.
Comment cela marche? Ce robot présentateur d’informations est le fruit d’un travail de groupe. Le squelette open source de Poppy est élaboré par l’INRIA, un laboratoire de recherche numérique qu’Eric Scherer, le directeur de la prospective de France TV, surnomme le “MIT français”; le résumé des informations prises sur France TV Info et destinées à être lues est l’oeuvre de l’algorithme d’une start up appelée News’Innov; et enfin, la mise en voix passe par une autre start up, Voxygen. Une voix qui n’a rien de mécanique et qui “met le ton”.
Qu’est-ce que cela apporte au journalisme? C’est un pas de plus vers la robotisation de l’information, dont j’ai déjà parlé ici et là. “Poppy n’est pas destiné à remplacer nos journalistes”, et encore moins les présentateurs vedettes de France TV installés aux différents JT, rassure Bernard Fontaine, directeur des technologies de l’innovation du groupe. Mais il fait office de radio d’informations continu à dimension plus “humaine” qui peut par exemple intéresser un public d’enfants.
Autre élément intéressant: la voix du robot. Ce peut être la voix de David Pujadas, de Laurent Delahousse ou celle de Marie Drucker si ceux-ci enregistrent au préalable, lors d’une demi-journée dans un studio, un échantillon de 3.000 bouts de phrases dans lesquels Poppy peut ensuite puiser au moment de lire son texte.
Quoi? Sur son écran, le téléspectateur voit une vache brouter dans un pré. Aussitôt l’odeur de l’herbe fraîche vient lui titiller les narines. Car, à côté du téléviseur, une enceinte parsemée de capsules olfactives diffuse des senteurs adaptées à ce qui est diffusé, en l’occurrence des programmes de France 3.
Comment cela marche? La technologie, signée Odoravision, est comparable à celle d’une cafetière à capsules. Pour vivre l’expérience, il faut acheter la machine – ici l’enceinte olfactive -, avoir un programme télé avec lequel les odeurs peuvent être synchronisées – ici, ce sont les programmes de France 3 -, et bien sûr disposer des capsules contenant les odeurs, valables pendant un an à peu près.
Qu’est-ce que cela apporte au journalisme? “Nos programmes ont enfin une odeur”, clame la présentation. Sur le papier, c’est l’innovation la plus “gadget” présentée sur le stand de France TV. Mais elle répond à une difficulté que connaissent bien les reporters: comment raconter l’odeur sur place? Comment la mettre en images ou en mots?
Pour décrire celle du crash du vol MH17 en Ukraine à l’été 2014, Alfred de Montesquiou, grand reporter à Paris Match, a parlé de “boucherie” et d’odeur de “charogne”. Autre exemple: en 2011, en Libye, “70 corps ont été retrouvés là où l’escorte de Mouammar Kadhafi a été stoppée”. Christophe Ayad, journaliste au Monde et envoyé spécial à Syrte, commence son papier en disant que “l’odeur est insoutenable”. Au-delà de ces scènes, l’odeur des explosions de volcan, des tremblements de terre, des prisons où sont enfermés les détenus, ou même dans les fermes françaises, constituent des éléments de reportage essentiels qui permettent une immersion immédiate.
Quoi? L’utilisateur choisit un article de presse, qui sera presque aussitôt transformé en une vidéo de moins de 2 minutes intégrant clips animés, infographies, photos avec une voix off en guise de commentaire.
Comment cela marche? La technologie provient de Wibbitz, l’application israélienne fondée par Zohar Dayan et Yotam Cohen qui fait partie des “bite sized news”, c’est-à-dire les applications qui permettent de mieux digérer l’actualité via des résumés.
Qu’est-ce que cela apporte au journalisme? Non seulement les sites d’informations et applications mobiles pourraient proposer un bouton “play” sur chaque article “de sorte que les lecteurs puissent choisir entre lire l’information ou la visualiser à travers nos mini-vidéos”, espèrent les fondateurs, cités par le blog techno du Monde.fr, mais cela pourrait aussi avoir de l’impact sur la fabrication des journaux télévisés. Car un commentaire sur images prend avec Wibbitz 5 secondes à réaliser, tandis qu’un humain expérimenté a besoin de 45 minutes pour le faire. La rapidité d’exécution de Wibbitz est vertigineuse, souligne Bernard Fontaine: 10.000 vidéos peuvent être ainsi créées par jour. De quoi alimenter des journaux télévisés à toute heure du jour et de la nuit.
Quoi? Impossible de savoir aujourd’hui avec certitude quel est le nombre exact de manifestants ayant défilé pour telle ou telle cause. Il y a toujours un nombre X annoncé par les organisateurs et un nombre Y – généralement bien moindre que X – donné par la police. Le logiciel Golaem, qui a été à l’origine développé pour créer des figurants (humains ou animaux) pour des scènes de cinéma ou des publicités, peut aussi servir à comptabiliser le nombre exact de personnes agglutinées dans une manifestation ou sur un lieu donné.
Comment cela marche? Un journaliste filme Les Invalides à Paris envahis par le collectif La Manif pour tous en 2013, s’opposant au mariage homosexuel. Les images sont alors analysées avec le logiciel Golaem qui détermine ainsi si les rangs sont serrés ou lâches, le nombre de mètres carrés de l’esplanade, et parvient, via une modélisation, à obtenir le chiffre précis d’occupation des sols: “on arrive à un comptage de 165.000 personnes là où la police avançait le chiffre de 150.000 personnes et les organisateurs 1 million”, tranche Stéphane Donikian, interrogé par Méta Media.
Qu’est-ce que cela apporte au journalisme? Enfin un outil fiable dans le comptage des manifestants. Et l’arrêt de cette bataille de chiffres systématique entre la police et les manifestants.
Quoi? Un algorithme de “brain recommandation” suggère des émissions en replay adaptées à son humeur du moment.
Comment cela marche? A l’aide d’électrodes déposées sur le crâne, la start-up française Mensia Technologies capte si l’on est serein, nerveux, fatigué ou alerte. Et suggère, en étant branché sur Pluzz, la plate-forme de rattrapage des programmes de France TV, des émissions ad hoc, par exemple “Des chiffres et des lettres” en cas de sérénité.
Qu’est-ce que cela apporte au journalisme? L’appareillage (un casque doté d’électrodes) est assez contraignant mais le système, qui n’est pas encore mis en service, pousse plus loin la personnalisation de l’information. Il ne repose pas sur les goûts déclarés par l’utilisateur – contrairement à l’algorithme de Netflix – mais sur ce que l’utilisateur ne sait pas forcément diagnostiquer tout seul, à savoir son état de fatigue, son anxiété, bref tout ce que l’on a pour habitude de relativiser.
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(*) NB : Je collabore chaque semaine à l’émission Médias Le Mag diffusée sur France 5, une chaîne qui fait partie du groupe France TV.
Alice Antheaume
lire le billetSi vous n’étiez pas au Web Summit, la conférence sur les nouvelles technologies qui s’est tenue à Dublin, en Irlande, du 4 au 6 novembre 2014, voici un rattrapage en 7 points et autant de tendances en vigueur dans la sphère numérique.
Signe du dynamisme de la place irlandaise dans le monde numérique, le Web Summit, créé il y a quatre ans par Paddy Cosgrave, un trentenaire irlandais, a réuni 22.000 participants, 614 speakers et 1.324 journalistes à Dublin. Autant dire une foule impressionnante. Oubliez la Silicon Valley, regardez l’Irlande, clament les entrepreneurs présents au Web Summit.
“Il n’y a pas de pays plus favorable aux entreprises en Europe”, prétend le premier ministre irlandais Enda Kenny, en s’offrant le luxe de sonner la cloche à l’ouverture du Nasdaq à New York. C’est aussi en Irlande que se situent les plus importants bureaux en Europe de Google et Facebook, qui révèle vouloir passer de 500 à 1.000 employés à Dublin.
La politique du “double irish”, cette technique d’optimisation fiscale qui permet à des entreprises d’échapper au fisc europeén en profitant d’une dérogation, n’y est pas pour rien. Même si le gouvernement irlandais a présenté un projet de loi qui veut y mettre un terme, Twitter, qui emploie 200 personnes à Dublin, assure que cela ne remet pas en question ses projets d’expansion en Irlande. Les panélistes du Web Summit l’ont martelé: le dynamisme irlandais en matière de numérique n’est pas qu’affaire de fiscalité, c’est aussi une question de talents.
Quelle sera la prochaine grande révolution numérique? Bien malin qui peut le savoir. Brendan Iribe, le patron d’Oculus Rift, la société rachetée 2 milliards de dollars par Facebook en mars, parie sur la réalité virtuelle pour métamorphoser la façon dont on communique. “La plupart des gens voyagent, prennent l’avion ou la voiture, pour rencontrer leurs interlocuteurs. Imaginez que l’on puisse, dans le futur, mettre des lunettes de soleil pour rencontrer les gens en ayant l’impression d’être dans la même pièce, en pouvant regarder de près leurs yeux, voir bouger leur bouche, cela aurait un énorme impact” sur nos vies à long terme.
En attendant, le casque de réalité virtuelle d’Oculus, qui a fait l’événement à Austin, lors du festival South by South West, sera commercialisé dans quelques mois, sans que Brendan Iribe ne donne de date précise. “Nous sommes très impatients. Nous sommes très très près du but. C’est une histoire de mois, pas d’année. Mais de plusieurs mois quand même”.
Eva Longoria, Lily Cole, Bono… Ils ont tous défilé au Web Summit. A qui profite leur venue? A la conférence d’abord qui voit son influence et son rayonnement démultipliés lorsque ces célébrités promeuvent l’événement – l’intervention d’Eva Longoria est celle qui a recueilli le plus de tweets (plus de 3.000) à l’occasion du Web Summit, loin devant celle de Tony Fadell, le président de Nest, cette entreprise de thermostats intelligents rachetée par Google 3,2 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) en janvier. Pour ces stars, c’est une formidable opportunité aussi. Car elles investissent désormais dans des projets numériques et/ou des fondations. Or accéder au Web Summit à un public d’investisseurs de cette trempe peut leur permettre de lever des fonds.
Steve Jobs est mort il y a trois ans, et pourtant, son nom a été cité par pas moins de trois intervenants du Web Summit. D’abord par John Sculley, ex-patron d’Apple, responsable de l’éviction de Jobs en 1985 avant que ce dernier ne revienne en fanfare en 1997. Sculley est «célèbre par association», remarque Techcrunch, et «c’est une étrange dynamique».
«Tout le monde veut savoir comment était Steve Jobs, et dans quelle mesure Sculley l’a poussé au départ. 30 ans après, nous voulons toujours en parler, disséquer les tenants et les aboutissants de la situation d’alors, en demandant à Sculley ce qu’il s’est passé.» On ne saura rien ou si peu des activités de Sculley en dehors d’Apple, qu’il a quitté en 1993.
Le patron de Dropbox, Drew Houston, qui n’a rencontré Steve Jobs qu’une fois en 2009, a aussi été interrogé sur la personnalité du gourou d’Apple. Même chose lorsque le chanteur Bono est arrivé au Web Summit, lui qui s’est autrefois ému auprès de Steve Jobs du look immonde d’iTunes, indigne d’un esthète du design comme il l’a été. Autant d’occurrences qui prouvent que l’ex-patron d’Apple garde une influence remarquable sur le monde de la technologie, même en 2014, même si, parmi d’autres figures titulaires ont été mentionnées lors des interventions du Web Summit, notamment Larry Page, de Google, et Mark Zuckerberg, de Facebook.
A la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, était apparu, célébré comme un prodige, Nick d’Aloisio, 18 ans, venu présenter son bébé, l’application News Digest.
Au Web Summit, au rayon jeunes pousses prometteuses et déjà riches, figure John Collison, un Irlandais de 24 ans qui a co-fondé Stripe, une start-up de paiement en ligne basée à San Francisco et estimée à… 1,5 milliard d’euros. Sur la grande scène, le jeune homme aux visage encore joufflu, en chemise jean brut et chausses bateaux, rappelle qu’aujourd’hui “la plupart de nos achats s’effectuent hors ligne mais cela va s’inverser au profit des paiements en ligne, un marché immense”. Stripe teste un bouton “buy now” sur Twitter. Quant à l’Apple Pay, c’est aussi signé Stripe.
“Plus l’interface pour payer est simple, et intégrée, plus vous allez acheter des choses en ligne”, prévoit John Collison, plus à l’aise pour parler de sa société que de lui-même. “Quel genre de parents vous laissent lancer votre start-up alors que vous n’aviez pas fini vos études?”, interroge le journaliste David Rowan, de Wired, après avoir présenté Collison comme une “icône”. “C’est vrai que j’ai un parcours peu commun. Mes parents ont tous les deux lancé leur business, et comme on était à la campagne, l’Internet était très lent, ils ont donc pris une connexion par satellite”, répond John Collison qui, à l’époque, était en train d’apprendre la programmation informatique.
Autre star remarquée du Web Summit, Nao, un robot de 58 centimètre. Il a beau avoir été créé en 2006, il a fait une sortie remarquée à Dublin, à la fois sur la grande scène, et sur le stand, où se sont agglutinées les équipes de télévision, dont Médias Le Mag et CNN International.
“Il peut parler, danser – il fait partie d’une chorégraphie de Blanca Li, ndlr -, éviter les objets, sentir quand vous le touchez sur ses capteurs, et vous aider à apprendre”, m’explique Laura Bokobza, la directrice marketing d’Aldebaran, la société française qui a, cocorico, conçu cet humanoïde pour qu’il “accompagne des élèves dans leur apprentissage”, par exemple lors de cours dans des universités. Il peut même tweeter.
Nao, alias Jean-Mi, participe chaque semaine à l’émission Salut les Terriens avec Thierry Ardisson. Profitant du boom des robots de l’information, va-t-il remplacer les journalistes? Non, répond Laura Bokobza: “il n’est pas là pour remplacer les gens mais les assister”.
D’ailleurs, il a besoin de la programmation d’un technicien ad hoc avant de pouvoir réagir à ce qu’il se passe. Le temps réel de l’information est une donnée qui lui est difficile, pour ne pas dire impossible, à intégrer pour le moment.
A noter: il n’est pas encore à vendre pour les particuliers, même si Laura Bokobza pense qu’il pourrait être bientôt commercialisé au prix de 4.500 euros avec un an de maintenance garantie.
Le futur est au streaming, pas au téléchargement. La preuve, le succès de Spotify, une start-up suédoise créée en 2008, avec 12,5 millions d’abonnés payants, dont les revenus titillent ceux diTunes au dernier trimestre en Europe. Une étape importante pour l’avancée streaming, se félicite Willart Ahdritz, de la société Kobalt. Pas de surprise, puisqu’en 2012, Sean Parker le fondateur de Napster a prédit que les revenus de Spotify dépasseraient ceux d’iTunes d’ici deux ans, rappelle The Independent.
L’expansion de Netflix en Europe va dans le même sens même si aucun chiffre officiel n’a été communiqué depuis son arrivée en France.
Comment embarquer la technologie à bord des moyens de transport? C’est l’une des questions sur laquelle planchent de nombreuses marques, de Google avec ses voitures connectées à Audi qui prévoit un tableau de bord incluant Google Earth et Google Maps ainsi qu’une sorte de Siri permettant aux conducteurs de garder les mains sur le volant et les yeux sur la route tout en dictant leurs SMS à voix haute – un système qui ne serait pas sans danger, selon cette étude réalisée par l’Université d’Utah.
Aer Lingus, la compagnie aérienne irlandaise, a même installé sa nouvelle classe affaires avec écrans HD au milieu des stands dédiés aux start-up du Web Summit. C’est pourtant bien moins impressionnant que l’avion sans hublot que propose le Centre for Process Innovation (CPI), et dont la vidéo de démonstration a beaucoup circulé en ligne ces dernières semaines. Dans 10 ans, l’habitacle de la cabine serait alors recouvert intégralement d’écrans sur lesquels les voyageurs pourront voir des films, une vue panoramique du ciel, consulter leurs emails ou surfer sur Internet.
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Alice Antheaume
Grumpy Cat a été la star – à quatre pattes – du festival South by South West à Austin, aux Etats-Unis. Au Web Summit, organisé à Dublin, en Irlande, du 4 au 6 novembre 2014, la tête d’affiche s’appelle Eva Longoria. Invitée à converser avec une journaliste de Vanity Fair, l’actrice de la série Desperate Housewives s’est mis dans la poche les quelque 22.000 participants venus d’abord pour «réseauter», parler nouvelles technologies et trouver des investisseurs pour lancer leur start-up.
«Je n’étais jamais venue en Irlande»
A la question «qu’est-ce qui vous amène au Web Summit?», Eva Longoria a répondu par un éclat de rire décomplexé: «je n’étais jamais venue en Irlande». Avant de préciser: «on m’a invitée à parler de mes investissements qui, dans un monde global, nécessitent différents modèles selon le pays. Une bonne façon de partager ces modèles, c’est de recourir à la technologie».
L’actrice, présentée comme productrice/entrepreneuse/philanthrope, a préféré axer son intervention sur les femmes, une denrée plutôt rare dans les conférences sur les technologies. «J’aimerais encourager toutes les femmes présentes ici à aider leurs jeunes congénères, à devenir leur mentor, à leur montrer la voie. Parce que, sans mentor, le système ne fonctionne pas.» Un discours salué par une salve nourrie d’applaudissements et les flashs des photographes agglutinés près de la grande scène.
Le tollé Kardashian
Pourtant, les geeks ne sont pas public facile. Lors d’une autre conférence dédiée au mobile qui s’est tenue en Californie le 27 octobre, la venue de Kim Kardashian a provoqué une levée de boucliers sur Twitter, avant même qu’elle ne monte sur la scène, sur le thème «que peut-elle nous apprendre sur la technologie?». «C’est une star du mobile», a justifié la journaliste qui l’a invitée, Kara Swisher, arguant que son jeu sur Iphone, Kim Kardashian: Hollywood, génère 200 millions de dollars de revenus. Bien plus, donc, que ce qu’obtiennent la plupart des créateurs de start-up, continue Techcrunch. Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle n’est pas prise au sérieux, Kim Kardashian a confié qu’elle ne le sait «pas très bien». «Peut-être parce que mon succès provient d’une télé-réalité, ce qui peut être négatif pour certains»…
Qui tire la couverture sur qui?
A qui profite la présence de telles célébrités à ces événements arpentés par des entrepreneurs du Web? A la renommée de la conférence? Ou à la star qui accède ainsi à un autre public que son terreau de fans habituels? Sans doute les deux.
Faire venir une star à une conférence numérique, c’est profiter de son influence. Une Kim Kardashian, avec plus de 25 millions d’abonnés sur Twitter, 20 millions sur Instagram, représente une chambre d’écho extraordinaire quand elle évoque un événement en ligne. Et, au delà, cela peut avoir des retombées pour l’économie locale, comme lorsqu’Eva Longoria visite les trésors du pays – le petit déjeuner irlandais, la cathédrale Saint Patrick, un bar de Dublin – dont elle parle sur les réseaux sociaux. A un jour d’intervalle, elle fait ainsi la couverture de deux journaux, le «Irish Independent» puis le «Irish Time».
Des stars qui rayonnent via le réseau
Pour les stars qui investissent dans le numérique, c’est aussi un coup de projecteur sur leurs activités. C’est le cas de Lily Cole, le mannequin au visage en forme de lune. Invitée au Web Summit, elle a présenté sa start-up, impossible.com, une plate-forme de trocs qui permet par exemple d’échanger des cours de tricot contre le design d’un site Web.
Reconversion en vue? «J’ai plus d’amis dans la technologie (dont Jimmy Walles, le co-fondateur de Wikipédia, qui a investi dans impossible.com et la conseille, ndlr) que dans la mode», a-t-elle expliqué. «Je passe un à deux mois par an à jouer des rôles et à faire du mannequinat, pour payer les factures et mettre de la lumière sur mes projets. Le reste du temps, je travaille à cette start-up avec ma petite équipe qui, comme dans toutes les start-up, analyse les data et pense à son développement».
Le partage comme compétence
Ces stars peuvent même avoir des compétences numériques inédites. Kim Kardashian est une championne du partage en ligne. «Toute ma carrière est basée sur les réseaux sociaux», et notamment «dans un environnement mobile», a-t-elle clamé. Flairant le filon, des entreprises de technologie ont même embauché des célébrités pour profiter de leur expérience. «La chanteuse Alicia Keys a travaillé pendant un an au sein du fabricant Blackberry en tant que directrice créative. Une position qu’a également occupé la chanteuse Lady Gaga chez Polaroid», répertorie Lefigaro.fr.
Enfin, la présence d’Eva Longoria et Lily Cole féminine quelque peu le casting. Au Web Summit, seuls 15% des orateurs sont des femmes, regrette l’équipe. Quant au public, il n’est pas non plus très féminin même si l’organisation a offert des billets gratuits à des femmes triées sur le volet – pour un montant total de 250.000 euros, ce qui, si l’on se réfère au prix d’un billet à 800 euros, fait 312 billets.
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Alice Antheaume
lire le billetRegardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.
Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, The Guardian US – qui vient de remodeler son design pour y intégrer des “native advertisings” – mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.fr… Aux Etats-Unis comme en France, ces médias accueillent ces publicités d’un nouveau genre. Pourquoi font-elles saliver les éditeurs de presse? Quels revenus promettent-elles? Comment brouillent-elles la frontière entre contenu éditorial et contenu publicitaire?
Critères
Les “native advertisings” sont protéiformes, si protéiformes qu’un oeil non aguerri peut avoir du mal à les discerner. Rubrique sponsorisée comme “Le Rendez-Vous IT” de la marque HP sur lexpress.fr, infographie réalisée par Suez sur la page d’accueil du Huffington Post, encart intégré dans le déroulé d’un article comme sur lemonde.fr… Plusieurs critères aident à les distinguer d’une publicité classique, détaille le rapport rédigé par l’IAB (International Advertising Bureau) en France.
1. les “native advertisings” entrent “en adéquation avec la ligne éditoriale du site”
2. elles n’occupent pas d’emplacement publicitaires traditionnels – comme la têtière ou la colonne de droite – mais s’invitent dans les pages du média
3. elles ne clament pas “achetez tel ou tel produit, vous vous sentirez mieux après” mais offrent un discours divertissant ou informatif sur des valeurs correspondant à l’univers de la marque.
Il faut croire que cela marche. Je l’avoue: non seulement j’ai passé de longues minutes à lire les “native advertisings” du New York Times, mais j’ai en plus appris des choses sur le sujet traité. Pourtant, je savais, pour avoir repéré dans l’URL la mention “paidpost.nytimes.com” et la signature de la marque mise en tête de gondole, que j’étais en train de consommer une publicité. Or c’est exactement ce que cherche une “native advertising”: à susciter l’engagement du lecteur, via un temps de consultation rallongé, ou des recommandations sur les réseaux sociaux.
Plus de qualité, plus d’engagement
L’année dernière déjà, 74% des sondés interrogés par une étude Ifop/Adyoulike estimaient qu’en ligne, une publicité doit d’abord être informative et 73% plaidaient pour que le contenu affiché soit de qualité.
“Les annonceurs veulent être associés à des contenus de qualité, parfois signés par des journalistes, pour qu’un lecteur puisse y trouver son compte”, m’explique Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express. Sacrilège pour Le Monde, qui vient de mettre à jour sa charte publicitaire pour y préciser que les journalistes permanents ne peuvent pas écrire, directement ou indirectement, sous pseudonyme ou non, pour des marques, ni même participer à la diffusion ni la mise en ligne de publicités. “Il y a déjà une immense défiance du lectorat vis-à-vis de la presse, ce n’est pas la peine d’en rajouter” en amenuisant la frontière entre information et communication, me confie Alexandre Léchenet, journaliste et président de la société des rédacteurs du Monde.fr.
Au New York Times, c’est le T Brand studio, un pôle composé de neuf personnes, journalistes, graphistes, photographes, qui produit des “native advertisings” sur mesure pour les annonceurs. Chez Buzzfeed, c’est la “creative team”, installée au même étage que la rédaction dans les bureaux new yorkais, qui s’y colle. Quant au site américain Gawker, il a aussi son studio ad hoc. Une organisation qui fait rêver Eric Mettout, lequel aimerait que son groupe se dote d’une agence de production de publicités avec des rédacteurs et non des journalistes. Pour l’instant, il reconnaît qu’il a parfois recours à des pigistes de L’Express pour ce faire.
Identifier les publicités
Sauf que le flou provient de là. Les régies et les annonceurs plaident pour de plus en plus d’intégration, pour pallier la baisse du display, tandis que les rédactions ont le poil qui se hérissent de voir leur identité éditoriale ainsi cannibalisée. Pour Alexandre Léchenet, du Monde.fr, il est crucial de :
> préciser si le contenu est écrit par la rédaction ou “conçu et proposé” par une marque
> nommer la marque plutôt que de se contenter d’écrire “contenu de marque”
> éviter que les publicités s’installent dans des formats éditoriaux clairement identifiés comme étant ceux qui ont fait la crédibilité journalistique du média – dans le cas du Monde.fr, ce sont les portfolios, les posts de blogs, les chats
> ne pas préciser de date de publication, un code qui relève de l’information, et non des publicités
> utiliser un fond de couleur différent, voire une police différente, pour une publicité de celle usitée pour les informations
Si le changement de police rassure les rédactions, il n’est sans doute pas identifiable par les lecteurs. Mais “dans la course à la publicité, il faut que les médias se différencient des monstres (Google, Facebook, etc.) donc on leur vend plus aux annonceurs un espace publicitaire, on leur vend un environnement”, continue Eric Mettout. Mieux, “on leur vend un service”, surenchérit Christine Turk, directrice commerciale de la régie mobile Ad Moove qui alimente en publicités géo-localisées les applications du Monde, du Figaro, de l’Equipe et de 20 Minutes.
Tarifs
A savoir la production de contenus, à laquelle se greffe la facturation de frais techniques ou frais de développement – en général on facture à l’annonceur jusqu’à 10 fois le prix réel de la fabrication. Les prix circulent sous le manteau et varient d’un média à l’autre, d’un annonceur à l’autre, d’un “package à l’autre”. Mais il faut compter environ 50.000 à 100.000 euros pour avoir du native advertising pendant cinq jours sur un média généraliste en ligne. Le phénomène promet de s’étendre même s’il ne représente pour l’instant qu’une partie des revenus publicitaires des médias.
“Les annonceurs deviennent des médias à leur tour et s’inquiètent d’avoir de l’audience sur leurs contenus”, dit encore Christine Turk. La distribution et la mesure de l’impact sont désormais des éléments clés du “native advertising”. Aux Etats-Unis, Quartz utilise son système de publication pour y produire des publicités et traquer les visites, les likes, les vidéos vues, et le temps passé sur chaque contenu, des données qui sont ensuite données aux annonceurs. Dans le même esprit se prépare à L’Express une plate-forme de gestion de données (data management platform) qui “permettra de qualifier notre lectorat et savoir qui va voir quoi et quand, tant sur les publicités que sur les informations, afin de mesurer l’impact de toutes les productions”, détaille Eric Mettout.
De quoi améliorer les “performances” des contenus auprès de cibles choisies par les annonceurs. Sur Elle.fr et l’application mobile de ELLE, on peut lire “A quelle tribu mode appartenez-vous?”, écrit par la rédaction de ELLE mais sponsorisé par Peugeot pour le lancement de sa voiture Peugeot 108. Même si le taux de partage de l’article est faible (6 partages sur Facebook, 10 tweets), les équipes de Peugeot, citées par le rapport de l’IAB, se disent satisfaites d’avoir obtenu 27.600 visites sur la page article en cinq jours.
La reine distribution
“Le contenu est roi, mais la distribution est reine”, rappelle Anthony Demaio, directeur associé de Slate.com.
A Buzzfeed, par exemple, les “native advertisings” ne sont pas partagées sur le compte Twitter @buzzfeed mais sur @buzzfeedpartner. L’idée, c’est que le contenu soit suffisamment bon pour être partagé par les internautes sans que la rédaction les diffuse. Au New York Times, idem, même si rien n’est encore gravé dans le marbre. “On ne dit pas qu’on ne diffusera jamais des contenus sponsorisés via les comptes du New York Times sur les réseaux sociaux”, prévient Sebastian Tomich, co-fondateur du T Brand Studio.
Ce contenu n’est pas du native advertising. N’hésitez pas à le partager sur Twitter et Facebook.
Alice Antheaume
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