Tout le monde se lève pour… Snapchat

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James Bond y fait sa publicité. Le président de la République y ouvre son compte en novembre. Et si Snapchat, l’application aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, devenait un acteur incontournable dans le paysage médiatique sur mobile? Les contenus qu’y produit CNN “font des millions de vus chaque jour”, me soufflent les équipes de CNN. Même réaction du côté de Buzzfeed, qui évoque une “plate-forme incroyablement intéressante avec une portée immense”.

On n’en saura pas plus. Ni Buzzfeed, ni CNN, ni Fusion, ni Vice, qui figurent parmi les partenaires actuels de Snapchat Discover, la page dédiée aux informations, n’ont souhaité révéler de chiffres plus précis. Il faut donc se contenter de chiffres globaux. Lancé en janvier dernier, Snapchat Discover délivre chaque jour environ 160 sujets éphémères, d’une durée de vie de 24 heures. Des contenus vus par 60 millions de personnes chaque mois.

Les médias français dans les starting-blocks

“Snapchat est un réseau encore très jeune, qui a grandi extrêmement vite en très peu de temps”, excuse Ashley Codianni, responsable des publications de CNN sur les réseaux sociaux. Résultat, la plate-forme ne dispose pas encore d’outils de suivi de l’audience. “Je n’ai pas de données démographiques en temps réel, je ne sais pas si ceux qui nous lisent sont des hommes, des femmes, s’ils vivent en ville, ni quel âge ils ont”, reprend Ashley Codianni.

Pourtant, les éditeurs français rêvent d’en être. Lorsqu’Evan Spiegel, le patron de Snapchat, est venu en France il y a quelques semaines, il a rendu visite aux équipes du Monde dans l’idée de voir sur qui compter pour la suite. A priori, il n’y aura pas de page Discover pour la France, mais peut-être l’ouverture d’une “chaîne” auprès d’un média français, comme cela a été fait avec le britannique Daily Mail. A cette différence près que le Daily Mail rédige, comme les autres partenaires actuels de Discover, en anglais.

Dans les starting blocks pour cette éventuelle place française, que Snapchat ne confirme ni n’informe, Le Monde, Le Parisien et BFM TV sont très intéressés. Sauf qu’un nouvel entrant dans le cercle égale un sortant. Car la page est composée de 15 places, pas davantage, dont l’une peut être dédiée à une chaîne temporaire de contenus publicitaires – James Bond, Halloween, etc.

Enfin des jeunes !

Ce qui attire les candidats français, c’est que l’audience de Snapchat se connecte, pour la moitié d’entre elle, depuis un autre pays que les Etats-Unis. Surtout, ils espèrent y chasser une audience plus jeune que celle qu’ils touchent d’ordinaire – aux Etats-Unis, un tiers des jeunes de 18 à 34 ans possèdent un compte Snapchat. Une nouvelle lucarne pour ces éditeurs qui non seulement ne sont pas dans le périmètre des jeunes, mais ne sont même pas identifiés comme une source d’informations par ceux-ci.

“Ce qui est sûr, c’est que les utilisateurs n’ont aucune idée de ce qu’était CNN” avant de le découvrir sur Snapchat, selon Ashley Codianni. Cela fait la blague auprès des concurrents qui, dans le petit monde médiatique new yorkais, rient à l’idée que CNN détienne plus de spectateurs sur Discover que sur sa chaîne de télévision.

Julien Mielcarek, de BFM TV, l’a bien compris: “nous avons fait part à Snapchat de notre souhait de pouvoir travailler sur Discover si le service se lance auprès de médias francophones. L’enjeu est multiple, avec l’objectif évident de parler à un public plus jeune qui a moins l’habitude de regarder la télévision.”

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Le temps de consommation

Autre donnée, très regardée par les éditeurs: le temps de consultation, et donc le fameux “engagement” des lecteurs. D’après Snapchat, les meilleurs chaînes d’informations de Discover parviennent à scotcher leurs lecteurs de 6 à 7 minutes par jour, en moyenne.

“Notre audience passe de plus en plus de temps sur mobile et sur les plates-formes sociales. Snapchat est devenu un élément clé pour nous puisque nous savons qu’elle est utilisée par une audience jeune, diversifiée, qui y consacre une grande partie de son temps”, me confie Daniel Eilemberg, de Fusion.

Retour à la sélection humaine

Sauf que Snapchat n’est pas un réseau social comme les autres. Hors de question de se contenter d’y diffuser des contenus existants comme sur les réseaux sociaux, disent en substance les équipes de l’application. “Les (autres, ndlr) réseaux sociaux nous disent quoi lire en fonction de ce qui est le plus récent et le plus populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, pas sur les clics et les taux de partage, pour déterminer ce qui est important”. En clair, chez Snapchat, haro sur les algorithmes et vive l’humain. Mais l’humain coûte cher.

Côté éditeurs, c’est un investissement humain pharaonique. Pour produire sur Snapchat, Refinery29, un site de “style”, s’appuie sur une équipe de 10 personnes. Chez Fusion, 8 personnes sont missionnées pour ce faire. A CNN, 4 personnes y travaillent à temps plein. “La production sur Snapchat est très très chronophage”, souligne Ashley Codianni, arguant qu’aucun autre réseau social ne bénéficie de telles ressources dans ses équipes.

Or la production de contenus sur Snapchat requiert des compétences en graphisme et en animation qui ne sont pas l’apanage de tous les journalistes. En clair, il ne suffit pas de distribuer les liens en l’éditant avec un bon titre et une photo comme on le fait sur Facebook et Twitter. Il faut “construire un format qui met la narration en exergue”, tente d’expliquer Snapchat. Sachant que chaque éditeur produit entre 10 et 20 sujets originaux par jour sur Snapchat Discover, on comprend vite l’ampleur du travail.

Snapchat se considère comme un éditeur

D’autant que Snapchat a sa petite idée sur qui, parmi ses partenaires médias, peut produire quoi. Au début, par exemple, CNN produisait des sujets plutôt magazines, avant d’être encouragé à se concentrer sur le “breaking news”, pour donner aux utilisateurs la liste des 10 sujets importants du jour. Bref, ce qu’ils doivent savoir. Le présupposé de Snapchat est clair: a priori, les snapchatters ne consomment pas d’informations ailleurs. Néanmoins, l’un des utilisateurs de Snapchat Discover, interrogé par Business Insider, n’est pas dupe: “de ce que je peux en dire, la plupart des actualités et des vidéos sont juste du recyclage de ce que l’on peut trouver en ligne sur Vice ou ESPN”.

A Fusion, on évite le recyclage et on mise sur du contenu original fait “exclusivement” pour Snapchat, comme la série appelée “Outpost”, composée de mini-documentaires en vidéo d’1 minute chacun, sur des territoires inexplorés, ou la série “Vergaland” réalisée en format vertical, sur la carrière du mannequin et vedette Sofia Vergara, vue par les yeux de son fils.

“Il est impératif que nous nous adressions à l’audience de Snapchat avec du contenu attrayant, fait sur mesure, pour chaque plate-forme”, explique Daniel Eilemberg, de Fusion. Même stratégie du côté de CNN qui, en plus des contenus sur Snapchat, publie des listes sur une application en vogue aux Etats-Unis, The List App.

Nouvelles narrations à étudier

Le Monde, de son côté, reste prudent et réfléchit à ce nouveau type d’écriture avant d’annoncer quoique ce soit. Chez BFM TV, l’inspiration de CNN est évidente. “Si on se lance un jour sur Discover, on retrouvera évidemment ce qu’est BFM TV et son ADN, le direct, mais aussi des aussi des thématiques et des angles qui ne sont pas traités à l’antenne, comme les coulisses de la fabrique de l’information”, développe Julien Mielcarek. “Il y a un vrai enjeu sur la forme, comme c’est notable avec CNN sur Discover: on retrouve de l’information évidemment mais dans une navigation et des codes graphiques très éloignés de ce qu’est habituellement CNN, avec un environnement carrément pop”.

Reste une équation à deux inconnues à résoudre:

1. le temps passé sur Snapchat s’additionne-t-il au temps passé sur les réseaux sociaux? Est-ce du temps exclusif?

2. faut-il investir en temps et en ressources humaines sur Snapchat, une plate-forme dont les retombées économiques sont encore inconnues?

Si les publicités insérées sur Discover sont très chères payées par les annonceurs, faisant de cette page un spot “très désiré” selon Fortune, les revenus générés sont partagés entre le média et Snapchat: si c’est Snapchat qui vend la pub, en insérant entre les contenus de l’éditeur une page d’une seconde, c’est 50% pour Snapchat, et 50% pour le média. Si c’est l’éditeur qui commercialise la pub, c’est 70% dans sa poche et 30% pour Snapchat.

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Alice Antheaume

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Le Figaro et CCM Benchmark: un mariage qui fait grincer des dents

Crédit photo: Flickr/CC/juditk

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En France, la compétition entre les médias en ligne est stoppée nette lorsque, le 1er octobre, Le Figaro rachète CCM Benchmark, le groupe qui détient les sites L’Internaute, Comment ça marche, le Journal du Net.

Nombreux sont les dirigeants des titres concurrents à tomber de l’armoire. Laurent Guimier, le directeur de France Info, reconnaît qu’il ne s’attendait pas à un tel faire-part. «Je savais qu’il y aurait une grosse annonce» ce jour-là de la part du Figaro, confie-t-il, mais «la rumeur annonçait plutôt une innovation sur la vidéo».

Prudent, il en a même soufflé un mot à Mathieu Gallet, le président de Radio France, pour qu’il ne découvre pas le pot-aux-roses, surtout au moment où les groupes de travail se réunissent chez France Télévisions et Radio France pour réfléchir à la future chaîne d’informations en continu.

Sauf que le secret a été bien gardé, même au sein du Figaro. Enguerand Renault, chef du service médias, a pourtant mis au frais une page entière du cahier saumon de l’édition imprimée datée du 2 octobre, mais les journalistes du quotidien n’ont pas eu connaissance de l’événement qui y serait relaté.

Gros poisson

Désormais, Le Figaro et CCM Benchmark veulent nager dans le grand bain. Avec 25 millions de visiteurs uniques par mois, et la moitié sur le mobile, ils comptent devenir le premier média numérique en France. En ligne de mire, ils visent Facebook et Google. Leurs armes? «Facebook, c’est le conversationnel; Google, la recherche et nous, notre valeur ajoutée sera le contenu éditorial», explique Benoît Sillard, le président de CCM Benchmark, à Libération.

Crédit: infographie Le Figaro

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Les autres titres comprennent vite qu’il va falloir sortir les rames pour rivaliser avec un groupe pouvant toucher un internaute sur deux. Dans les coulisses des rédactions, certains ironisent : «il ne nous reste plus qu’à racheter Orange!».

A France TV Info, l’appréhension est compensée par «la créativité rédactionnelle». «Nous pouvons diffuser, pour le moment, bien plus de vidéos que cet ensemble consolidé Le Figaro/Benchmark», analyse Célia Meriguet, directrice adjointe de l’information nationale sur les médias numériques de France TV.

Au Monde, le directeur Jérôme Fenoglio ne s’inquiète pas plus que cela. «Etre un immense groupe qui suscite des amas de clics n’est pas forcément cohérent», juge-t-il, «notre stratégie n’est pas de prôner le volume mais de rester sur le positionnement de notre groupe, le journalisme de qualité et l’information vérifiée». Entre les lignes, on comprend que, pour lui, Comment ça marche et L’Internaute ne produisent pas du contenu «Le Monde compatible».

Objectif pub

Sauf qu’outre l’aspect éditorial, l’objectif du rapprochement entre Le Figaro et CCM Benchmark est avant tout publicitaire. Marc Feuillée, le directeur général du Figaro, ne s’en cache pas, il évoque «des audiences qualifiées» et des «marques fortes».

«Les médias doivent faire face aux annonceurs et aux agences qui ont des problématiques de plus en plus mondiales et multimédias (…) Le nouveau groupe pourra apporter des messages publicitaires au plus grand nombre tout en étant de plus en plus ciblés», confirme Benoît Sillard, de CCM Benchmark, cité par Le Figaro.

Il s’agit bien sûr de proposer des offres combinées sur de multiples supports, de générer davantage de revenus, et de monter en puissance sur les technologies qui permettent de suivre l’audience, pour mieux savoir qui va voir quoi et quand, tant sur les publicités que sur les informations, afin de mesurer l’impact de toutes les productions.

Ce à quoi Jérôme Fenoglio, du Monde, rétorque qu’il y a d’autres critères que le volume aujourd’hui: le confort de lecture, le temps passé sur chaque page, le respect de la ligne éditoriale. «L’effet de masse, de volume, pose des soucis dont on est obligé de tenir compte comme la gestion des données, la protection de la vie privée, la question des Adblocks».

Concentration

«La concentration est en marche et, dans le cas du Figaro, c’est impressionnant», souffle Célia Mériguet, de France TV. «Personne ne peut prétendre à une aussi forte pénétration du marché français, hormis Google et Facebook».

Une logique de concentration déjà en vigueur dans la presse et les médias audiovisuels qui mène, fustige Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart, à un «écosystème pourri»: «sept milliardaires dont le coeur d’activité n’est pas l’information mais de vendre des armes, faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque, ont entre leurs mains 95% de la production journalistique», déclare-t-il.

Pour l’instant, le rapprochement n’est pas acté dans les classements des instituts de mesure de l’audience – Médiamétrie, OJD – très regardés par les annonceurs. Et pourrait ne jamais l’être. Si Le Figaro figure à la deuxième place du classement des sites d’informations et d’actualité de l’OJD, en septembre, L’Internaute, n’étant pas considéré comme tel, n’y est pas. En outre, pour que soient additionnées les audiences des sites du Figaro et celles de CCM Benchmark, il faudrait faire un gros travail de refonte sur les URL et sur l’imbrication des logos des différentes maisons, comme cela a été fait pour Rue89 et L’Obs, non sans mal.

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Alice Antheaume

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Un tiers des vidéos en France sont bloquées par des “Adblock”

Crédit: Flickr/CC/Denis Bocquet

Crédit: Flickr/CC/Denis Bocquet

Les “Adblock”, ces bloqueurs de publicités disponibles gratuitement sur n’importe quel navigateur (Chrome, Firefox, etc.), qui empêchent les campagnes publicitaires (display, native adversiting) de s’afficher, sont les nouveaux fléaux des éditeurs.

Selon une étude réalisée par SecretMedia, une société qui vend une solution pour contrer les “Adblock”, l’impact est colossal sur la consommation de vidéos, et notamment en Europe. Revue de chiffres.

  • Aux Etats-Unis, 26% du temps passé à regarder des vidéos depuis un ordinateur est “adblocké”
  • Au Canada, 43% du temps passé devant une vidéo n’est pas monétisé
  • En Angleterre, le pourcentage est de 42%
  • En Espagne, le chiffre est de 41%
  • En France, on tourne autour de 33%
  • En Allemagne, c’est pire: 63% du temps passé devant une vidéo n’est pas monétisé
Crédit: SecretMedia

Crédit: SecretMedia

Marché saturé

“L’Allemagne est un bon exemple de ce que peut devenir un marché saturé par les bloqueurs de publicité”, peut-on lire dans cette étude. Il faut dire aussi que c’est dans ce pays qu’est né le plus connu de ces logiciels, Adblock Plus, édité par la start-up allemande Eyeo, dont l’activité est légale selon le jugement rendu par le tribunal de Munich en mai dernier.

Si SecretMedia a analysé l’impact des “Adblock” sur les vidéos, c’est bien sûr pour alerter les éditeurs sur les méfaits des “Adblock” sur leurs revenus et… en faire de futurs clients.

Razzia sur les vidéos en ligne

Tous les éditeurs ont en effet mis le cap sur les vidéos en ligne: parce qu’il y a une audience avide d’en consommer (en France, 33,6 millions d’internautes ont regardé au moins une vidéo sur leur écran d’ordinateur, en juillet 2015, selon Médiamétrie), parce que cette audience est jeune (les 18-34 ans regardent chaque jour 55 minutes de vidéos, sur leur ordinateur ou sur mobile) et “bankable” auprès des annonceurs, et parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) est plus élevé que sur des formats classiques.

“C’est là que l’argent est”, confirme Frédéric Filloux dans sa Monday Note. Résultat, les vidéos sont devenues des nids à publicités. Presque trop. “Trop de médias ont saturé leurs productions de vidéos payantes, qui se lancent automatiquement, souvent avec le volume au maximum”, reprend Frédéric Filloux. “Dans les vidéos aux sujets plus légitimes, souvent précédées de pré-roll publicitaire de 30 secondes, la plupart des éditeurs ont agi contre le sens commun et ont décidé ne pas permettre aux internautes de “passer” la pub après 5 secondes. Quand on ne peut pas échapper à ces publicités, le contenu devient juste insupportable”.

Bloquer les publicités et le nombre d’impressions sur une vidéo

D’après SecretMedia, non seulement les “Adblock” bloquent l’affichage des publicités, mais ils “font aussi disparaître un certain nombre d’éléments, comme les liens renvoyant sur d’autres vidéos, des widgets, et bien sûr les mesures d’impression”. C’est dont tout le système de mesure qui est remis en cause, et qui empêche l’audience d’être monétisée.

Alice Antheaume

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Le kit de survie pour partir en reportage sur des zones difficiles

Crédit: Michael Zumstein

Crédit: Michael Zumstein

“Je ne suis pas un reporter de guerre. Je suis un reporter dans la guerre”, indique Vincent Hugeux, grand reporter à L’Express, invité de l’Ecole de journalisme de Sciences Po pour une master class le mercredi 9 septembre sur le reportage en terrain hostile. Sans évoquer les blessures psychiques ni la façon dont, peu à peu, on se “blinde” face aux images d’horreur, voici son “kit de survie” en 11 points pour les premiers pas.


1. Soigner la préparation

Le reportage se joue en très grande partie avant de partir. “Tout se joue en amont”, insiste Vincent Hugeux, “il faut savoir ou l’on met les pieds” avant d’y mettre les pieds. Cela signifie se documenter au préalable, lire toutes les études, articles et livres possibles, solliciter des avis d’experts, des diplomates, et enfin des confrères partis sur la zone récemment. Autre nécessité: trouver un fixeur, “la meilleure des assurances vie”.


2. Savoir que tout change

L’autre écueil est le “supposé connu”, continue le reporter. Même après des dizaines de séjours sur le même terrain, il ne faut rien tenir pour acquis. Car le chemin protégé d’hier entre un point A et un point B est apeut-être devenu un coupe-gorge aujourd’hui. De même que l’interlocuteur autrefois fiable peut avoir retourné sa veste.


3. Connaître les enjeux des conflits

Cela va avec les deux premiers points. Or c’est d’autant plus difficile aujourd’hui qu’il “n’y a plus de guerre conventionnelle” : les ressorts ethniques, communautaires, géographiques et économiques se sont complexifiés.


4. Etre conscient de ce que le journaliste incarne en terrain hostile

Avec 71 journalistes tués en 2014, “il n’y a plus de respect pour les emblèmes, que ce soit La Croix rouge, Médecins du monde ou la presse”. En clair, “vous devenez une cible en tant que journaliste et en tant qu’humanitaire”, avertit Vincent Hugeux. Conséquence, il faut veiller à utiliser les réseaux sociaux à bon escient. C’est-à-dire pas pour signaler sa position à n’importe qui en se géolocalisant, mais en y trouvant des contacts, des informations, des interlocuteurs intéressants.


5. Considérer la peur comme une bonne conseillère

“Méfiez-vous de l’effet de groupe”, harangue le journaliste de L’Express. Dès qu’il y a plusieurs reporters sur la même zone, apparaissent des comportements “bravaches et puérils” avec des journalistes, ragaillardis par la présence de leurs confrères, qui en viennent à estimer que le port du casque n’est pas nécessaire, note Vincent Hugeux. Un comportement suicidaire.

Ceux qui disent qu’ils n’ont “peur de rien” ne sont pas de bons reporters, car “la trouille peut être une alliée” lorsqu’il s’agit de repérer les dangers. En 2010, déjà, Michael Kamber, photoreporter américain, l’avait dit aux élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po: “quand on n’a plus peur, on prend trop de risques”.


6. Aimer la vie

Vincent Hugeux fuie comme la peste les confrères qui se vantent en disant “le journalisme est toute ma vie”. L’exaltation peut conduire au péril. “C’est parfois grisant mais il faut garder l’envie de rester entier. Et avoir le même plaisir à partir qu’à rentrer”. En outre, “on écrit de meilleurs papiers quand on veut rentrer”…


7. Mieux vaut prévenir que guérir

Il faut veiller à “informer de sa position et de chacun de ses mouvements” un diplomate, les services de l’ambassade, un rédacteur en chef basé à Paris.

Si, comme me l’a raconté Alfred De Montesquiou, grand reporter à Paris Match, des chartes très précises existent à Associated Press pour encadrer les déplacements des reporters de guerre, Vincent Hugeux a construit son propre système de protection en donnant son itinéraire à l’un de ses rédacteurs en chef, qui sait que, s’il n’a pas de nouvelles à telle ou telle heure, fixée à l’avance, il doit alerter les autorités françaises.

Un système difficile à établir quand le reporter est pigiste. “La précarisation du métier pousse à prendre des risques inconsidérés dans des endroits inhospitaliers” pour satisfaire “la veulerie des rédactions”, regrette Vincent Hugeux, qui connaît sa chance. “En tant que salarié, j’ai le pouvoir de dire non, je n’y vais pas. En tant que pigiste, ce n’est pas possible”. Et ce, alors même que les rédactions ne sont pas sûres de prendre le sujet du pigiste. Ils lui disent “vas-y coco, et on verra bien ce que tu nous ramènes. En fonction, on te dira si cela nous intéresse ou non”. Cela dit, “si la vie n’a pas de prix, la sécurité a un coût incompressible, qui peut “peser lourd au moment de la décision éditoriale de laisser quelqu’un partir”.


8. Prévoir une assurance

Cela coûte très cher mais c’est indispensable pour partir dans des contrées difficiles, que ce soit pour quelques jours ou pour des semaines. Reporters sans frontières en propose, selon deux formules disponibles ici.


9. S’équiper

Gilet pare-balles ou casque? “Dans mon bureau, j’ai tout un attirail composé d’un gilet de sauvetage, d’une moustiquaire, d’une tente, d’un casque et d’un gilet pare balles”, raconte Vincent Hugeux qui assure s’être servi de chacun des éléments au cours de sa carrière. Le casque à Grozny, en Tchétchénie, que les forces russes écrasaient sous les bombes, n’est pas “une coquetterie superflue”. Le gilet de sauvetage pour atteindre Misrata, en Libye, inaccessible par la route, non plus. D’autant que les militaires n’acceptent parfois de “vous emmener que si vous êtes équipé”.

Problème de cet équipement: il instaure un rapport déséquilibré voire “parasitaire” avec les interlocuteurs, lesquels ne sont, eux, pas équipés.


10. S’interroger sur la protection rapprochée et les reportages “embed”

Plus que l’équipement, la sécurité rapprochée est une “figure de style pesante qui peut être imposée”, par exemple en Algérie, où l’on invoque “l’impératif de votre propre sécurité”, se souvient Vincent Hugeux, “alors qu’on se sent plus en sécurité seul qu’accompagné”. Là encore, la présence de ces “protecteurs”, souvent des anciens des forces spéciales, “perturbe complètement la sincérité de l’échange” avec ceux que l’on interviewe. Mais c’est une condition parfois nécessaire.

De même pour les reportages “embed” (embarqué, en VF). Si l’on a le choix entre pouvoir y aller seul ou suivre des troupes militaires, on prend la première option. Si on n’a pas le choix et que c’est la seule façon de se rendre sur une zone, on regarde, tout en sachant qu’être “embed” signifie adhérer aux règles de l’armée, à leurs sorties, leur itinéraire, etc. Pour l’Irak, en 2003, le reportage “embed” était la seule solution. Mais cela veut dire rester cloîtré dans la zone verte, un quartier fortifié où se trouvent gouvernement provisoire irakien et ambassades. “C’est comme si j’étais moi-même prisonnier de la guerre”, se souvient le photographe américain Michael Kamber. “Je ne sortais que lorsque l’armée l’a décidé, dans un véhicule blindé”. Sans liberté de mouvement. Mais pas sans liberté de penser.


11. Ecrire sobre

Au moment de passer à l’écriture, il y a deux règles d’or à respecter.

1. Ne surtout pas devenir le sujet de son sujet. “Le reportage doit être une ascèce, et non un métier altruiste pratiqué par des égocentriques”, lâche Vincent Hugeux.

2. Faire sobre en racontant “les creux” de la guerre et non “le boum boum”. Certaines scènes sont insupportables, à vivre et à lire. Il n’est pas question de les adoucir, mais de veiller à ce que le lecteur puisse aller jusqu’au bout sans haut le coeur.

Alice Antheaume

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Petits, petits… Venez vous informer par ici

Crédit: Flickr/CC/mgoulet

Crédit: Flickr/CC/mgoulet

Aux Etats-Unis, NBC a investi 200 millions de dollars dans le groupe Vox Media et la même somme dans Buzzfeed, dont la moitié de l’audience est composée de 18-34 ans, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels. En France, RTL a lancé Girls, «le site qui parle à toutes les filles connectées». Les Echos s’apprêtent à mettre en ligne un projet baptisé Les Echos Start à destination des 20-30 ans. France 24 projete de lancer Mashable en français auprès d’une audience de jeunes actifs. Enfin, Prisma Media travaille à l’entrée de Business Insider sur le marché français, une «marque puissante attirant un public jeune», selon son éditeur Martin Trautmann.

Autant d’exemples de médias traditionnels, confrontés à des audiences vieillissantes, qui se positionnent sur une offre parallèle pour séduire une foule rajeunie. Mirage?

Avec Mashable France, qui devrait voir le jour en janvier 2016, France 24 pourrait s’inspirer de ce que Le Monde a fait avec Le Huffington Post afin de toucher une audience qui n’est aujourd’hui pas du tout dans ses radars.

L’ambition est la même pour Les Echos Start, dont le lancement est prévu mi-septembre: «c’est un nouveau média qui aide les jeunes à réussir leur entrée dans la vie active», m’explique son éditrice Julie Ranty. Comment intégrer une grande entreprise? Comment rejoindre ou monter une start-up? Faut-il s’expatrier? Voilà quelques unes des questions qui seront traitées dans les grandes largeurs. Un positionnement qui, estime Julie Ranty, «correspond au besoin numéro 1 des jeunes tout en capitalisant sur l’expertise des Echos du monde des entreprises».

Etre vieux et s’adresser à des jeunes

Voici donc le coeur du problème. Il y a un divorce – ou plutôt une non rencontre – entre Les Echos, qui souffre auprès des jeunes d’une réputation de quotidien très spécialisé en finance réservé aux patrons du CAC 40 et autres «costards cravates», et les nouvelles générations. Comment modifier l’image de dinosaure que se traînent des titres historiques? Comment faire pour devenir «plus accessible»?

Lorsque NBC prend part à l’aventure d’un pure player comme Vox ou Buzzfeed, il devient tout de suite beaucoup plus sexy et regagne de l’attrait auprès des nouvelles générations, salue le Los Angeles Times.

Faut-il parler le jeune? Surtout pas!, sourit Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. Interrogée dans L’interview numérique, diffusée sur lemonde.fr, elle encourage les rédacteurs à écrire «de façon pédagogique» et à «évite(r) toute condescendance (…) On essaie d’écrire pour donner envie, avec des formats innovants» et des sujets qui entrent «en résonance avec le quotidien» des lecteurs.

Question de ton et de formats

«Parler le jeune? Ce serait une énorme erreur», surenchérit Alexandre Malsch, le fondateur de Melty, dont l’audience a 24 ans en moyenne. «C’est une question de sincérité, il faut écrire simplement et s’adresser à ton lecteur comme si tu t’adressais à ton pote». Ecrire simplement ne veut pas dire écrire à la va-vite. Car l’audience de Melty, si elle est juvénile, n’en est pas moins exigeante. «Si tu écris qu’une série télévisée a 28 épisodes au lieu de 31, tu prends cher. On doit être hyper sérieux, même sur du divertissement».

Jean-Bernard Schmidt, le co-fondateur de Spicee, prône un «ton plus direct, parfois plus insolent, davantage d’incarnation» et des codes qui correspondent à ceux de l’audience visée, en utilisant par exemple, pour des mini fictions qui racontent l’actualité, les canons des dessins animés. Sur ce nouveau site qui propose des «vidéos qui piquent», des cocardes «gratos» aux couleurs fluo aident à repérer les contenus disponibles gratuitement, surfant sur les ressorts marketing d’un site de rencontres comme Adopteunmec.com.

Il y a «un public qui cherche de plus en plus à s’informer en vidéo sur le digital mais qui ne trouve pas encore ce qui lui convient dans la jungle du Net», continue Jean-Bernard Schmidt. Celui-ci a bien compris que si nos cadets désertent les médias traditionnels, c’est qu’ils n’y trouvent pas leur compte. Place, donc, aux vidéos et aux contenus visuels forts, lesquels se partagent à l’envi sur les réseaux sociaux – aux Etats-Unis, 83% des jeunes ont un compte Facebook, en France, ils sont 78% – et s’affichent à merveille sur les écrans des téléphones.

Allez directement à la case mobile sans passer par la case ordinateur

Car pour toucher cette génération, mieux vaut sauter la case ordinateur et passer directement au mobile. C’est de leur smartphone dont les 16-24 ans ne peuvent pas se passer pour s’informer, rappelle Henry Blodget, le rédacteur en chef de Business Insider, lors de la conférence DLD organisée à Munich, en Allemagne, en janvier. Loin, très loin, de la télévision qui demeure le réflexe des populations plus âgées.

Or des formats adaptés au mobile ne reposent pas sur les mêmes codes que ceux fabriqués pour un site d’informations vu depuis un ordinateur. Pour Evan Spiegel, le président de Snapchat, les adolescents ne rêvent ni de Facebook ni de télévision. Ils s’informent à la vitesse d’un swipe et apprécient les notifications et autres pushs sur leur mobile. Aux Etats-Unis, 85% des jeunes ont un smartphone, en France, près de 68%.

La cible rêvée des annonceurs

L’objectif est clair: drainer du trafic sur une cible qualifiée, qui a souvent suivi des études supérieures, au pouvoir d’achat en devenir, pour plaire aux annonceurs. Une cible qui est loin de constituer une niche. Selon NPR, la génération des millennials constitue la plus importante part de la population américaine (plus de 28%), devant les baby-boomers, la plus éduquée aussi (34% d’entre eux ont au moins un BAC+3) et la plus indépendante au regard de l’âge moyen du premier mariage (27 ans pour les femmes, 29 ans pour les hommes). Tellement indépendante d’ailleurs que, malgré un temps considérable passé en ligne, elle recourt volontiers à des Adblocks pour empêcher les publicités de s’afficher.

N’est pas jeune qui veut

Sauf que tous les médias du monde veulent savoir comment s’adresser aux adolescents. Le vouloir ne suffit pas. Et il y a parfois de beaux ratages. Au lancement du Post.fr, en septembre 2007, tout avait été conçu pour toucher un public jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher.

Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «on faisait des opérations marketing visant les spectateurs de la Star Academy, mais quand, quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. Il n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Ici, des retraités, là des fans de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle de 2007…

Question de timing

Plus que le ton ou les formats, pour Alexandre Malsch, le secret réside avant tout dans la temporalité. De fait, l’algorithme de Melty aide les rédacteurs du site à produire des contenus correspondant aux envies des internautes au bon moment en scannant les mots clés cherchés en ligne (sur les moteurs de recherche, sur les réseaux sociaux) à l’instant T.

Même topo chez Spicee qui veille à caler sa production sur les usages de son audience. «L’idée est de proposer des programmes qui s’adaptent à la façon de vivre, aux temps de disponibilité et au moment de consommation», me confie Jean-Bernard Schmidt, qui tient à séquencer les contenus. «Chaque document vidéo est proposé en version complète mais aussi découpé par épisodes, avec des bonus».

Qui dit jeune public dit audience volatile. A Melty, dont le coeur de cible est âgé de 18 à 30 ans, les équipes savent que leur audience décroche un jour. Ou plutôt, elle se connecte «le temps d’un cycle qui correspond au temps de vie d’un produit culturel», reprend Alexandre Malsch, sachant que lorsque le produit culturel s’appelle Justin Bieber ou Grey’s Anatomy, le cycle peut durer plusieurs années. Mais ensuite, l’audience grandit et part vers d’autres horizons…

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Alice Antheaume

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Tout ce que vous ne savez pas sur le consommateur d’informations français

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Crédit: Flickr/CC/joeshlabotnik

Pour s’informer, le Français reste fidèle à sa télévision, tout en utilisant beaucoup les alertes envoyées sur son smartphone. Tels sont les résultats de l’enquête “Digital News Report” réalisée chaque année par le Reuters Institute for the Study of Journalism. Voici ce qu’il faut en retenir si vous avez la flemme de le lire.

>> Le portrait 2014 du consommateur d’informations français >>

>> Le portrait 2013 du consommateur d’informations français >>

>> Le portrait 2012 du consommateur d’informations français >>

Il utilise la télévision comme principale source d’informations. C’est le cas pour 58% des sondés. 29% se servent des médias numériques comme source prioritaire, quand seulement 3% passent par des journaux imprimés.

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015

Avec l’Italie, le Japon et l’Allemagne, la France figure parmi les pays qui témoignent de “la plus grande allégeance aux médias traditionnels”, note le rapport, bien qu’il y ait des différences tranchées dans les usages selon les générations. Tous pays confondus, plus on est jeune plus on se tourne vers les sources d’informations en ligne quand plus on est vieux plus on allume sa télévision.

Il se sert beaucoup de son smartphone pour s’informer, mais guère plus que l’année dernière. En 2014, 35% des sondés en France déclaraient recourir à leur téléphone pour obtenir des informations chaque semaine, quand, en 2015, ils sont 37%. Au Danemark, ils sont 57% à s’informer via leur smartphone.

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015

La tablette n’est pas vraiment entrée dans ses moeurs. 18% des Français sondés utilisent la tablette pour s’informer. C’est exactement le même pourcentage que l’année dernière, ce qui laisse penser que cet outil, à la fois onéreux et qui ne bénéficie pas d’un taux de renouvellement très fréquent, a stoppé son expansion.

Sa confiance dans l’information est très modérée. 38% des Français déclarent avoir confiance en “l’information en général”, un pourcentage qui augmente dès que les sources sont connues des utilisateurs. En effet, 49% ont confiance lorsqu’il s’agit de “leurs sources d’informations”. En l’occurence, la télévision est le pourvoyeur d’informations les “plus justes et les plus fiables” selon 43% des sondés, quand 26% estime que les sources numériques sont plus sûres. En termes de cote de confiance, l’Italie, l’Espagne et les Etats-Unis ont des taux encore inférieurs à ceux de la France, alors que la Finlande, le Brésil et l’Allemagne bénéficient des meilleurs scores.

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015


Facebook joue un rôle de plus en plus important pour s’informer.
35% des interrogés en France utilisent Facebook pour trouver, lire, regarder, partager ou discuter des informations. Ils étaient 27% l’année dernière, ce qui montre l’essor du réseau social de Mark Zuckerberg dans l’information. En revanche, Whatsapp n’apparaît pas dans les radars français, tandis qu’il constitue un réseau de distribution des infos essentiel au Brésil, en Espagne ou en Italie.

 

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015


Pour trouver des informations en ligne, le Français passe le plus souvent par les moteurs de recherche (40%).
Sinon, il va directement sur la page d’accueil (27%), ou passe par les réseaux sociaux (21%) ou par l’email (21%).

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015

Il est un gros consommateur de pushs et de notifications sur mobile. 14% des sondés utilisent les alertes envoyées sur leurs écrans de smartphone comme un moyen d’accéder aux informations publiées en ligne. Fait notable, la France est le pays qui témoigne de la plus forte utilisation des pushs pour l’information. “C’est un moyen clé de rappeler au bon souvenir des lecteurs la pertinence de son titre dans un marché extrêmement compétitif”, relève le rapport.

Crédit: Digital News Report 2015

Crédit: Digital News Report 2015


S’il recourt à des médias anglo-saxons pour s’informer, ce sont surtout des pure-players anglo-saxons.
Et non des médias traditionnels. Quand le New York Times a été visité par 1% des sondés, BBC 3% et CNN 2%, le Huffington Post, Buzzfeed, Vice, MSN et Yahoo! récoltent plus de voix (25% en tout). Parmi ces pure-players, il y a une prime aux anciens sur les nouveaux: Buzzfeed et Vice font chacun 1%, tandis que MSN monte à 7% et Yahoo! à 8% en France.

Il ne paie guère pour de l’information en ligne. Qu’il s’agisse d’un abonnement, ou d’un paiement à l’article, seuls 10% des Français disent avoir sorti leur carte bleue pour accéder à des informations. L’année dernière, ils étaient 12%.

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Alice Antheaume

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The Value of News

Crédit: Flickr/CC/jakerust

Crédit: Flickr/CC/jakerust

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Michael Shapiro, professeur à l’Ecole de journalisme de Columbia, à New York, qui vient d’écrire un livre intitulé “Tales from the great disruption”, fait le point sur la “valeur” des informations à l’heure des paywalls. En anglais.

In March of 2011, the New York Times took the considerable risk of altering the unwritten compact with its readers and charge them for access. The Times was by no means the first news organization to do this, but because it remained the nation’s premier newspaper, the implications were enormous.

The Wall Street Journal, had been charging for access since 1996. Still, it was one thing for the Journal to charge because the Journal, great as it was, was regarded as a special interest publication whose core readership — the business and political elite — could afford the subscription (and put it on an expense account). The Times, elite as many of its readers were, was still an omnibus, all-purpose newspaper. Besides, the Times had experimented with and ultimately abandoned a paid premium service – Times Select.

Were paywalls a losing proposition?

Many people believed that charging for content was a very bad idea. Readers, they argued, would not pay for something that by now they could get for free. But there were others who insisted that this was not necessarily the case, among them Time’s former managing editor, Walter Isaacson, who in 2009 had argued in an essay for the magazine in favor of instituting fees for access. While the advocates of free and open information insisted that paywalls were a losing proposition, and that the print newspaper was doomed, there was growing evidence that while a hard paywall was not necessarily wise, a hybrid model might work — say, give away 80 percent, and charge for 20 percent; or perhaps institute a “metered model,” where readers could read, say, twenty stories a month at no cost but would be charged for each subsequent piece.

The metered model was built on an intriguing conceit: that readers would so enjoy or admire those free-of-charge stories that they’d willingly hand over their credit card information and allow themselves to be charged for more. The paradigm, after all, had worked at, among others, Netflix and Hulu, to say nothing of premium cable TV.

Consumers’ irrationality

This suggested a certain irrationality on the part of consumers, an argument endorsed by Peter Fader, a professor of marketing at the Wharton School at the University of Pennsylvania. Economists, Fader believed, often make the mistake of building projections upon the supposition that people are rational beings. But people, he explained, will commit the irrational act of paying for all kinds of things that they can otherwise get for nothing. This brought to mind people choosing iTunes, in favor of a bootleg, free download. Why? Because for 99 cents Apple made the experience a nice one, easy and convenient (and yes, legal). Such qualities, Fader argued, can supercede price.

Passionate as was the argument for free content, there was growing evidence to support the idea that people not only would pay, but already did. They paid for the Journal. But they also paid a lot of money — as much as $10,000 a year — for access to Congressional Quarterly’s bill tracking databases. The other examples of walled-off destinations had one of two things in common: Either they were the only source of information around — for instance, the Arizona Republic, that state’s dominant news source — or they were built to satisfy the needs of an engaged and specific community, be they investors, amateur chefs, lobbyists, or college football fans.

Not only would people pay, but already did

In reversing the decision it had made four years earlier when it ended its paid digital service, TimesSelect, the Times was essentially telling its readers, and advertisers: We believe what we produce is valuable; if you value it, too, it is yours at a cost. Publishers held their breath, wondering what this would mean for everyone else? What if the plan failed and readers so used to free balked at paying? What might this portend for the future of a business desperate to find new ways to support itself?

The news business had never been forced to confront so directly the question of its value. American journalism had long enjoyed Founding Father Thomas Jefferson’s blessings and the Constitution’s First Amendment’s protection. The industry, once populated by men who had not graduated from high school, had become a discipline taught in graduate programs. Journalists saved lives, gave voice to the voiceless, and toppled heads of state, and though people may not necessarily have liked how reporters nosily went about their business, they nonetheless found them useful when problems arose and were reminded, once again, of journalism’s societal value.

Of course, there had always been a lot of bad journalism — sleazy, conniving, dishonest, manipulative, tawdry journalism. And while those sorts of publications were deemed of little social or journalistic value they nonetheless possessed what in business school is called a “value proposition.” People paid for them.

The advertisers’ bill

As disruption unmoored the basic operating tenet of the news business — simply put: that advertising, not readers, pays most of the bills — editors and publishers were confronted with a question that few, if any, of their predecessors had ever felt compelled to ask, let alone answer: Is what we produce and sell still valuable? Not “important.” Not “worthy.” Valuable.

The Daily News lives on as a diminished version of its once big, proud self. Its world, like the world of so many of its competitors has been upended. As it was for the News almost one hundred years ago, new publications have discovered new markets where people see value in what’s being produced. There are still newspaper men and women of a certain generation— read: mine — who see nothing less than the devil in Craig Newmark for having created a business that eviscerated newspaper’s monopoly on classified ads. They decry the rise of Buzzfeed, and all its many cat photos and “listicles.” They forget that in 1990 the behemoth that would become Bloomberg News consisted of six employees who thought that there might well be a business in selling exclusive financial news to wealthy clients through $20,000 terminals.

The technology is the means, not the end

The mistake in trying to make sense of the seemingly relentless waves of disruption is in looking only at the technology itself. The technology is the means, not the end. The end, now as it ever was, is understanding that which never changes, and never will: appreciating the subtleties of human nature. The Great Disruption did not change people. It gave them new ways to do what they had always done. To read faster. To learn things more quickly. To tell their friends. To speak their minds. Before it was said that Apple produced products that people did not know they needed, the same was said of Sony. It might well have been said of IBM and before that General Electric.

To that end, I can think of no better distillation of what exists at the heart of the relationship between journalism and its audiences than the phrase that Lisa Gubernick, a wonderful journalist at Forbes and at the Journal, used to open every single conversation, professional and personal. She would ask, “What’s new and interesting?”

In a way, it really is that simple. We, the readers, listeners, and viewers, want both. We will settle for one: new for what we need to know right now; interesting for the delight we experience in surprise, in discovery, in knowing. The question that Bill Hanna is forever trying to answer, and which, at its core, every news organization is trying to resolve most every day is: What can we offer our audience that they will value because it is new and/or interesting?

A cataclysmic change

The Great Disruption has not created a new species. It simply allows people to act in ways they may not have thought possible, but which, when presented with the opportunity, make all the sense in the world.

In the spring of 2015, four years after it imposed its “metered model” paywall, The New York Times had more than 900,000 digital subscribers, and seemed on the road to a million of them. The Los Angeles Times has a paywall now. So, too, do The Dallas Morning News, Newsday, the Houston Chronicle, the Orange County Register, the Star Tribune of Minneapolis, the Philadelphia Inquirer, and hundreds more.

This is not to conclude that paywalls are the answer to what ails the still ailing and reeling news business. They are, however, a way of thinking in the face of cataclysmic change. They are a statement, a marker thrown. They say: We are committed to producing a publication of value and if you value it, it comes at a cost.

Sadly, but perhaps inevitably, it took the pain of The Great Disruption to see that. Or, perhaps, to be reminded.

Michael Shapiro

This essay is adapted from Tales from the Great Disruption: Insights and Lessons from Journalism’s Technological Transformation, by Michael Shapiro, Anna Hiatt, and Mike Hoyt. It’s a look how new and old journalistic institutions are dealing with the digital revolution, published by The Big Roundtable, a platform for nonfiction narrative stories. Shapiro, Hiatt, and Hoyt are, respectively, its founder, publisher, and editor.

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Newsgeist: Google et les journalistes en Finlande

Crédit: AA

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Au beau milieu d’un campus en banlieue d’Helsinki s’est tenu pendant trois jours le Newsgeist, une réunion informelle avec 150 journalistes européens invités par Google.

Au programme: des sessions à bâtons rompus, des présentations dont les “slides” défilent toutes les 15 secondes, bousculant l’orateur qui, sur l’estrade, tente de suivre le rythme, du saumon à gogo et des jeux de rôle type le loup-garou jusqu’à la nuit tombée – elle tombe très tard en Finlande à cette période de l’année… Zoom sur les 4 questions les plus débattues au cours de ce séjour chez les Lapons.

NB: les citations ne sont pas attribuées, conformément à la “Chatham House Rule” qui prévaut dans cette conférence.

Faut-il publier ses articles sur Facebook?

La question est sur toutes les lèvres, quelques jours après l’apparition des premiers “instant articles” du New York Times, du Guardian, de Bild, de Buzzfeed et de National Geographic sur Facebook.

Au Newsgeist, la moitié des journalistes présents applaudit l’initiative, considérant qu’il n’y a pas d’autre levier de croissance possible sur mobile que les réseaux sociaux, où l’audience se trouve déjà – Facebook compte 798 millions d’utilisateurs sur mobile.

Dans le camp adverse, on estime que publier des contenus directement sur Facebook, accusé de se prendre pour “le kiosque de l’humanité”, n’a aucun intérêt puisque cela ne donne même pas de prépondérance à ces articles dans le “newsfeed”.

L’un des participants ironise: “parler des articles publiés sur Facebook en étant journaliste me donne l’impression d’être sur le Titanic et de discuter de la décoration intérieure des bateaux”.

Du point de vue utilisateur, l’expérience, immersive, vaut le coup d’oeil – ces articles sont visibles uniquement depuis l’application Facebook sur iPhone. L’ensemble des contenus s’affichent à une rapidité remarquable. Un argument qui suscite à la fois l’admiration et les sarcasmes au Newsgeist: ”à quoi bon investir des forces dans le développement de notre CMS si Facebook devient notre plate-forme de publication, pour ne pas dire l’Internet en général?”, peste un professionnel.

Côté publicité, les médias récupèrent 100% des revenus publicitaires générés par les campagnes qu’ils ont insérées dans leurs “instant articles”, tandis que Facebook prend 30% des publicités commercialisées par ses soins – les 70% restant reviennent aux médias. Un “accord incroyablement généreux”, selon Will Oremus de Slate.com, et beaucoup plus avantageux pour les éditeurs que le modèle Discover de Snapchat.

Reste les données récoltées sur les lecteurs, le nerf de la guerre. Même si Facebook a prévu que les médias puissent embarquer des outils de suivi statistique sur leurs “instant articles”, le comportement des utilisateurs, avant et après avoir lu un tel contenu, et notamment sur les publicités auxquelles ils sont exposées, sont des indicateurs précieux qui demeurent a priori dans le giron de Facebook.

Crédit: AA

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Comment lutter contre les bloqueurs de publicité?

Selon les estimations, entre 25% et 30% des consommateurs d’information recourent à des bloqueurs de publicité (“Adblock”), ces petits logiciels disponibles gratuitement sur n’importe quel navigateur (Chrome, Firefox, etc.) qui empêchent les publicités (display, native adversiting) de s’afficher sur les sites d’informations. Parce que cette audience ne voit plus s’afficher de bannières et autres encarts publicitaires, elle n’est plus “monétisable” auprès des annonceurs. De quoi causer de sérieux maux de tête aux responsables des rédactions.

Au Newsgeist, ceux-ci fustigent ces Adblock, qui tuent le modèle économique des médias financés par la publicité.

“Amazon et Google ont fait un gros chèque pour que leurs publicités s’affichent toujours”, s’avance l’un, faisant allusion à l’accord passé entre quelques géants du Web et le logiciel Adblock Plus. Le montant du chèque? Secret défense. “C’est du racket!”, soupire un autre.

Et de poursuivre, faisant sien l’un des arguments de ces empêcheurs de publicités: “il faut dire que les bannières sont tellement pénibles et intrusives, à te sauter aux yeux dans tous les sens, au-dessus de ton article, dedans, en dessous de ta fenêtre… Même les commerciaux qui travaillent dans notre régie publicitaire ont des Adblocks, c’est dire!”.

Si les bloqueurs parviennent très bien à empêcher l’affichage du display et même de la publicité native, ils sont moins efficaces sur les pré-rolls des vidéos.

Résultat, les annonceurs s’arc-boutent et misent tout sur le scénario suivant: puisque le pré-roll est pour l’instant mieux préservé, il va compenser le manque-à-gagner des autres formats publicitaires dont l’affichage est empêché. Sur les vidéos éditées par les médias, éviter les premières secondes de publicité, via le bouton “vous pourrez voir votre vidéo dans 5 secondes”, relève du miracle. De même, quand l’utilisateur change d’onglet, le pré-roll de sa vidéo s’arrête, le forçant à rester sur l’onglet initial s’il veut voir la suite.

Le pire, c’est que personne, au Newsgeist, ne sait comment sortir de cette situation. Pour l’instant, les annonceurs multiplient les campagnes sur le mobile, où il n’y a pas encore d’Adblock très opérant – mais cela ne va pas durer. Quant aux éditeurs, ils voient avec circonspection émerger des start-up comme “Secret media” qui leur promettent de contourner le blocage en re-encodant leurs publicités dans un format indétectable. Sauf que ces start-up se rémunèrent bien sûr au passage. “Encore du racket”, siffle l’un des journalistes dans la salle.

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Comment faire du bon journalisme sur mobile? 

“Nous passons trop de temps à toiletter les contenus vus sur les sites d’information pour qu’ils aillent sur nos applications”, déplore un participant. Une erreur qui n’est que la reproduction d’un mécanisme d’antan. Déjà, il y a vingt ans, les journalistes nettoyaient les articles issus du “print” pour qu’ils aillent sur le Web.

“Si vous voulez produire des informations adaptées au mobile, c’est simple: vous arrêtez de faire des contenus pour le site, d’autres pour Facebook, d’autres pour Twitter”, conseille un éditeur au Newsgeist. “Et vous ne produisez que pour le mobile, exclusivement”. OK, sauf que, dans la salle, il y a certes des rédactions qui sont “mobile first”, mais une seule seulement a fait le pari du “mobile only”. Et avec un succès relatif. “Les applications Circa ou Yahoo! News Digest sont belles, mais elles ne drainent pas des masses d’audience”, précise un informateur.

Un autre raconte les tests qu’il a effectués auprès des lecteurs sur les formats éditoriaux spécifiques au mobile: “Les gens se contrefichent d’avoir un article séquencé en divers éléments indépendants”, les fameux atomes de Circa, “ils cherchent juste à obtenir des informations… Et le texte, même très long, leur va très bien”.

A condition, comme dit plus haut à propos des “instant articles” de Facebook, que les contenus s’affichent vite sur l’écran du smartphone. C’est la condition sine qua non d’un bon contenu sur mobile: son accessibilité, fissa s’il vous plaît.

Comment mesurer l’impact du journalisme?

J’ai écrit à ce sujet un WIP la semaine dernière, à partir du nouvel outil de Buzzfeed, Pound, pour suivre l’itinéraire d’un contenu sur le Web.

Au Newsgeist, The Guardian n’est pas en reste et a développé son propre baromètre, baptisé Ophan. Un outil qui permet de visualiser, pour chaque contenu publié sur le site du Guardian, une série d’indicateurs s’affichés sous la forme de graphiques: où le contenu est-il lu? Comment est-il lu (depuis un navigateur? Sur Facebook?)? Comment les lecteurs ont-ils trouvé ce contenu (via moteur de recherche? Via les réseaux sociaux? Par l’entremise d’un blog?)? Combien de temps sont-ils restés sur ce contenu? Où sont-ils allés après?

Surtout, Ophan permet de mesurer l’attention des lecteurs. Pour les équipes, c’est l’indice le plus opérant aujourd’hui. Bien plus que les pages vues et les visiteurs uniques, même si ceux-ci restent pour l’instant le mètre étalon.

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Alice Antheaume

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Le “pound”, le nouveau pèse-contenu de Buzzfeed

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Comment savoir si un article fait le tour du Web? Comment suivre son parcours et mesurer son effet sur l’audience? Pour répondre à ces questions, Buzzfeed vient de dégainer un outil de mesure, baptisé “pound“, l’acronyme de Process for Optimizing and Understanding Network Diffusion – processus d’optimisation et de compréhension de la diffusion en ligne, en VF.

“Le pound est une nouvelle technologie développée par Buzzfeed qui va nous permettre de suivre l’itinéraire d’un article partout”, m’explique Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. “Supposons que nous publions un article, que quelqu’un partage ensuite sur Facebook. Vous le voyez, vous likez, vous vous dites “j’ai envie d’écrire un truc dessus”, vous faites un post de blog à ce sujet, quelqu’un le voit, tweete l’article…”

L’itinéraire d’un contenu

Toutes les “propagations” d’un contenu vont ainsi être mesurées, y compris l’échange de liens dans les messageries instantanées et les emails.


Et c’est bigrement complexe. Car ces propagations ne sont pas linéaires. Elles suivent des chemins sinueux, qui ressemblent à des “forêts” sur le Web, décrit Dao Nguyen, la directrice de publication de Buzzfeed. L’itinéraire de chaque contenu est ainsi représenté par une forêt composée d’arbres de toutes formes et de toutes tailles – ils peuvent être grands, petits, gros, fins, etc. “La structure de la forêt et de ses arbres nous apprend de façon très détaillée comment chaque contenu se diffuse en ligne”.

Crédit: Buzzfeed

Crédit: Buzzfeed

Bien sûr, le pound correspond aux spécificités de l’audience de Buzzfeed, dont 75% du trafic provient des réseaux sociaux. Mais cet indice a surtout deux intérêts :

1. en analysant la radiation des contenus en ligne, les équipes vont engranger de l’expertise pour savoir comment toucher des cercles au-delà du cercle des “premiers lecteurs évidents”, sourit Cécile Dehesdin. Et donc déployer une toile encore plus étendue d’influence.

2. les statistiques recueillies vont aussi servir aux annonceurs, très preneurs de données de diffusion de leurs campagnes publicitaires, et de données sur la façon dont les utilisateurs consomment les contenus, notamment dans le cadre du “native advertising”.

Bref, pas de données, pas de chocolat. “Un média sans données pour les publicités ciblées n’a aucune chance de survie”, prévient Jeff Sonderman, le directeur adjoint de l’American Press Institute.

Le nouvel or noir des annonceurs

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. Pour les contenus publicitaires, “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici et qui fait appel à 15 collaborateurs pour produire des contenus sponsorisés. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

C’est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France. Si L’Express et La Croix se dotent de leurs propres plates-formes d’analyse des données (DMP, Data management platform), toutes deux financées en partie par le fonds Google de l’innovation pour la presse, c’est pour se créer des “opportunités” commerciales, non seulement pour la publicité mais aussi pour des abonnements.

A terme, le risque est de voir cohabiter deux catégories de médias en ligne: les gros poissons, qui ont la technologie pour développer leurs propres indices de suivi de l’audience, comme le fait Buzzfeed, et les petits calibres qui devront se contenter des indices déjà existants et moins ciblés.

La mesure de l’impact

Outre Atlantique, ce type de journalisme porte même un nom, le “journalisme d’impact”. Un concept plus large que la simple mesure d’audience et du trafic, précise Dick Tofel, le président de Pro Publica, car elle recoupe aussi la notion d’engagement des lecteurs et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société.

C’est ce qu’a expérimenté, à son échelle, un étudiant en journalisme de CUNY (City University of New York), après avoir écrit un article sur Pedro Rivera, 48 ans, à la fois père et grand père, habitant dans le Missouri, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d’origine, le Mexique, par les autorités américaines.

“Avant”, confie cet apprenti journaliste, “je mesurais le succès de mon travail en fonction du nombre de partages que j’obtenais sur les réseaux sociaux, du nombre de célébrités qui tweetaient mon article, et du trafic que cela drainait (…) J’ai découvert que l’on pouvait obtenir un bien meilleur résultat, un résultat qui n’a rien à voir avec les statistiques”. En l’occurrence, les services d’immigration américains ont décidé de laisser Pedro Rivera tranquille, sans doute parce que son histoire, publiée sur Quartz avec le titre “Obama avait promis d’expulser les traîtres, pas les familles – ce n’est pas ce qu’il se passe”, a été lue. Et entendue.

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Alice Antheaume

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Les 4 prédictions du festival de journalisme de Pérouse

Crédit: Arièle Bonte

Crédit: Arièle Bonte

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Arièle Bonte, étudiante à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, et lauréate de la bourse Amazon, partie en exploration au festival international de journalisme de Pérouse, en Italie. 

1. La fin des médias de masse?

“Nous devons considérer notre public comme une communauté et non pas comme une masse”, a martelé Jeff Jarvis, le professeur et journaliste américain, lors de sa keynote au coeur du Palazzo dei Priori. S’adressant aux journalistes et professionnels des médias présents en nombre dans la salle, il a insisté sur la nécessité d’une spécialisation des médias pour ne plus “parler de tout à tout le monde”.

“Les journalistes doivent repenser leur rôle. Ils doivent devenir des organisateurs de communautés. Aujourd’hui, le problème avec les médias c’est que nous définissions une communauté de l’extérieur. Nous devons demander aux communautés de se définir elles-mêmes et de développer des services autour d’elles.” Des propos qui ont suscité de nombreux applaudissements de la sala de Notari.

2. La fin de la publicité?

Le pure player hollandais “De Correspondent” est basé sur un modèle simple: zéro publicité et un contenu 100% payant (60 euros par an). “Ce nouveau média se focalise sur les besoins de nos membres”, raconte Ernst-Jan Pfauth, son jeune éditeur. Pour lui, les abonnés de De Correspondent ne sont pas de simples lecteurs. “Ils ont une expertise et peuvent donc contribuer à notre contenu”.

Alexander Klöpping, fondateur de Blendle, s’étonne quant à lui du succès de la VOD ou des abonnements de musique en streaming, alors que le journalisme payant en ligne peine à exister. Le contenu de Blendle est lui-aussi entièrement payant. Mais les articles viennent de différents médias, et sont tous recommandés par des amis inscrits sur le site. La lecture d’un article coût environ 60 centimes. Si celle-ci n’a pas satisfait le lecteur, il peut demander un remboursement. Un système inédit, et qui fonctionne. Seuls 2,25% des articles achetés sont remboursés.

Pour Mathew Ingram, de Fortune Magazine, l’équation peut être résumée de la façon suivante: un média offre un service payant à ses membres. En échange, la publicité est bannie du contenu. Cette relation privilégiée de “membership” est importante et en pleine expérimentation selon Raju Narisetti, vice-président de News Corp. Plus qu’un chèque ambulant, un membre est considéré comme un collaborateur, comme quelqu’un qui a une valeur à apporter au contenu du média.

Dans les médias français, ce modèle existe déjà. C’est ce que propose notamment La Revue Dessinée. David Servenay, son confondateur, insiste sur l’importance d’un contrat de lecture pour garantir une indépendance et un contenu de qualité: “On vend une revue à un prix coûteux – 15 euros – mais la contre-partie, c’est une revue sans publicité, et de longs reportages ou sujets d’enquête.” David Eloy, rédacteur en chef d’Altermondes, dénonce la course aux annonceurs de certains médias: “l’information perd en qualité et l’opinion publique n’est pas très confiante dans les médias. Choisir un contenu payant, c’est être très clair sur sa ligne éditoriale.”

 3. Technologie mon amie

Avoir du contenu exclusif et de qualité est un gros avantage pour un média. Mais une bonne histoire, une fois en ligne, peut être récupérée par tous, reprend Raju Narisetti dans la salle Rafaello de l’Hotel Brufani. Pour lui, les rédactions doivent se focaliser sur la création de nouveaux contenus, mais aussi sur l’expérience pour les utilisateurs. Bref, il faut combiner journalisme et technologie.

Au festival international du journalisme, les workshops et ateliers consacrés aux nouvelles technologies n’ont d’ailleurs pas manqué. Cours de data journalisme, présentations de centaines d’outils en ligne ou d’applications pour réaliser une carte, une iconographie, localiser des témoins et même générer des idées d’articles, impossible de quitter l’Italie sans sa liste de nouveaux outils de journaliste connecté. Mais pour le journaliste belge Tim Verheyden, “si les gens parlent, les chiffres non”. Saluant ces nouveaux outils qui sont “formidables”, il encourage à les utiliser “dans le but de se dépasser en tant que journaliste”.

Pour permettre aux journaliste d’embrasser les nouvelles technologies, le contact entre développeurs doit être permanent. Vivian Shiller (Vocativ) raconte que, lorsqu’elle était au New York Times, les développeurs n’étaient pas intégrés physiquement à la rédaction des journalistes – une remarque qui figure dans le mémo sur l’innovation du New York Times. Les contacts entre les deux parties s’en trouvent donc entravés: or, sans communication entre journalistes et développeurs, pas de cohésion, ni de création de projets innovants.

 4. Vive les jeunes

Facebook, Twitter, Instagram, Youtube, Snapchat… Les médias sont présents sur de plus en plus de réseaux sociaux. Et pour cause, c’est là que se trouve l’audience, laquelle ne prend plus forcément la peine de passer par les pages d’accueil des sites d’information.

“Nous avons dû mettre notre contenu vidéo sur Youtube, parce que c’est là qu’on peut toucher une audience plus jeune”, raconte Ben de Pear de Channel 4 News. “La stratégie, c’est de publier le contenu là où vont les gens. Mais c’est aussi pour pousser les plus jeunes à se rendre sur notre site Web.”

Les médias prennent de plus en plus en compte cette nouvelle génération qui a grandi avec un smartphone entre les doigts. Channel 4 News a par exemple lancé son Newswall, un site qui reprend les codes des jeunes sur Internet: beaucoup d’images, des gifs, du contenu interactif et une touche d’humour pour expliquer l’actualité et les enjeux de la société.

La partie Le Plus de L’Obs revendique le même public : avec son contenu participatif, et ses nouveaux formats vidéos. Quant à BBCNews, son compte Instagram est suivi par 177.000 utilisateurs. Des vidéos de 15 secondes qui expérimentent, parfois avec humour, de nouvelles manières de transmettre l’information. Le site anglais s’est même mis à l’interview emojis pour raconter des histoires adaptées aux nouveaux modes de communication.

Arièle Bonte

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