In Kim Yuna We Trust

Kim Yuna, est sans aucun conteste la reine de Corée. Jamais personnalité n’aura été autant adulée, soutenue, louée, encouragée et s’il le faut, consolée, que cette frêle patineuse artistique de 23 ans.

Pour s’en rendre compte, il suffit de voire comment la Présidence de la République de Corée, pays où toute autre place que la première est symbole d’échec plus que de réussite, a choisi de rendre hommage sur son compte Twitter, à la contre-performance de celle qui était championne olympique en titre depuis Vancouver en 2010, mais qui n’a pu monter que sur la 2ème marche du podium de Sotchi cette année:


En accompagnement de cette magnifique fresque de la gracieuse Kim Yuna, la Présidence offre “ses sincères félicitations et applaudissements à Kim Yuna, pour sa belle performance qui a fait battre le coeur de tant de gens.

Il faut dire que Kim Yuna accumule les qualités dont raffolent les Sud-coréens : elle offre en 2010 à une Corée en mal de reconnaissance mondiale, sa première médaille d’or dans l’une des disciplines reines des Jeux olympiques d’hiver, alors qu’avant elle, le pays devait ses classements flatteurs dans le tableau des médailles au short-track, discipline relativement peu connue du grand public ; elle sort pratiquement toujours victorieuse de sa grande rivale japonaise Asada Mao et soulage les rancoeurs d’une Corée autrefois victime, mais qui au travers des victoires de Yuna, se voit aujourd’hui victorieuse de son puissant voisin japonais ; enfin, elle montre une maturité impressionnante et un comportement exemplaire pour son âge, face à un succès immense qui fait d’elle l’idole absolue de tout un peuple.

Je suis moi-même admiratif des performances de Kim Yuna, surtout de sa capacité de résistance à la pression inimaginable que constitue les attentes de 50 millions de Coréens, dont les regards anxieux se fixent sur sa frêle silhouette à chaque fois qu’elle entre en piste. Mais je suis également intrigué par l’adulation sans borne qu’elle suscite ; par le soutien fervent et inconditionnel qu’elle reçoit de chaque Coréen sans qu’un seul ne manque à l’appel.

Ne vous risquez pas, comme je l’ai fait il y a quelques jours lors d’un dîner sous le coup de l’agacement face au matraquage publicitaire et médiatique autour de Kim Yuna auquel les habitants de Corée sont soumis, à émettre la moindre critique à son égard. Mon tort fut de suggérer que la perte éventuelle de son titre aux JO aurait au moins l’avantage de voir un peu autre chose que sa tête en une des journaux et des affiches publicitaires. Le réaction choquée de mes convives ainsi que le regard hostile des quelques voisins de table ayant l’oreille baladeuse suffirent à ce que je réalise le caractère profondément blasphématoire de mes propos.

S’il semble donc impossible de trouver un seul Sud-coréen hostile, voire même insensible au succès de Yuna c’est parce qu’au delà de la fierté nationale qu’elle suscite, son parcours est un modèle de réussite dépassant tous les clivages sociaux et ne laissant personne indifférent ici.

Pour les Coréens de la masse, le parcours de Kim Yuna représente l’espoir qu’il est possible de réussir avec pour seuls atouts leurs talents, leurs volontés et la sueur de leurs fronts, sans soutien de puissants, ni privilège ou favoritisme particulier. C’est en effet, un peu le résumé du parcours de Kim Yuna qui à ses débuts devait composer avec des instances sportives coréennes indifférentes au patinage artistique, discipline jugée non prioritaire car peu susceptible de remporter des médailles olympiques. C’est donc uniquement à son talent, son courage, son abnégation et à l’obstination des siens que Yuna doit son succès.

Et c’est ce parcours solitaire et triomphant qui résonne particulièrement au sein d’une société coréenne impitoyable envers les millions de Coréens sans diplôme prestigieux, sans patrimoine significatif, ni soutien familial particulier et qui donc, ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Pour cette majorité de Coréens qui luttent au quotidien sans filet de sécurité, dans un environnement ultra-concurrentiel, Kim Yuna apparaît un peu comme l’une des leurs, un modèle auquel ils peuvent prétendre, un espoir d’ascension même permis pour les moins privilégiés d’une société pourtant impitoyable envers les faibles.

Mais les privilégiés ne sont pas non plus en reste pour louer Kim Yuna. Parce que son parcours constitue un argument de poids face à ceux qui voudraient réformer la société coréenne et remettre en cause leurs privilèges en faveur des plus faibles. Surtout pas, peuvent-ils rétorquer. Car la trajectoire de Yuna, partie de rien et ne comptant que sur ses forces et sa volonté pour parvenir au sommet, est la preuve même que le système coréen permet à quiconque de réussir, même en partant de très bas, à force de courage et de volonté. Ca n’est certainement pas en rejetant la faute de ses échecs sur le dos des autres mais en ne s’en prenant qu’à soi-même que Yuna a dû parvenir au sommet, peuvent-ils asséner.

Voilà comment Kim Yuna emporte l’adhésion fervente et unanime de tout un peuple. Bien sûr elle fait la fierté de ses concitoyens en symbolisant une Corée jeune, belle et victorieuse. Mais son parcours porte une signification plus profonde que l’ascension fulgurante et éphémère de Psy sur YouTube. Parce que ce parcours répond aux aspirations intimes de chacun, porteur d’espoir pour les uns et preuve incontestable d’un système économique et social auquel ils adhèrent pour les autres.

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