Corée, terre d’accueil

Les conditions dans lesquelles un pays accueille ses immigrés sont autant révélatrices du regard que ce pays porte sur les autres que sur lui-même. En la matière les Coréens ont longtemps été frileux pour ne pas dire réfractaires à l’idée d’accueillir l’influence étrangère. Ca n’est pas pour rien que le Royaume de Jeoson était déjà appelé royaume ermite par ses voisins au 17ème siècle, titre dont hérite aujourd’hui la Corée du Nord.

Ce réflexe d’isolement tire son origine de l’histoire tumultueuse que la Corée entretient avec ses puissants voisins qui à tour de rôle ont jeté leur dévolu sur la péninsule: Japonais, Chinois, et plus récemment Soviétiques et Américains. Si bien que jusqu’au début des années 80, “l’étranger” au contact duquel le Coréen pouvait se retrouver le plus facilement était soit un GI américain, soit l’ex-occupant japonais venu pour affaires.

Aujourd’hui encore, de nombreux Coréens pensent que leur pays doit sa survie au milieu de ses puissants voisins impérialistes à la cohésion de son peuple, à sa pureté ethnique et à son refus de l’influence étrangère, ce qui est évidemment faux, car c’est à cause de son réflexe d’isolement que le pays a lentement décliné jusqu’à la première moitié du 20ème siècle. Le pays s’est considérablement ouvert depuis mais aujourd’hui encore, Seoul est une ville étonnamment mono-ethnique pour une mégalopole de 12 millions d’habitants. Et la confrontation entre les conceptions du droit du sang et du sol n’a pas lieu d’être ici tout simplement parce que jusqu’à récemment, pratiquement tous les enfants nés sur le sol coréen étaient de parents coréens. Beaucoup d’ailleurs entendent faire perdurer cette tradition, y compris la génération des parents dont les enfants sont en âge de se marier aujourd’hui, et dont la plupart seront hostiles aux mariages internationaux: il ne faudrait pas souiller le sang pur de la famille.

Mais la réalité a vite fait de rattraper cette conception raciale de l’identité coréenne. Si la Corée moderne était depuis longtemps dépendante des marchés étrangers pour sa prospérité économique elle devient également dépendante de l’extérieur pour son dynamisme démographique. Car le pays vieillit très rapidement: son indice de fécondité de 1,15 en 2010 est le plus bas au monde, mettant en péril la société prospère que les Coréens ont durement bâti depuis 50 ans. Et comme il est difficile d’inciter les Coréens à procréer davantage, surtout dans une société sans politique de la maternité réelle et où l’éducation des enfants est la plus chère au monde, le pays commence à découvrir les vertus de l’immigration.

Ce changement des mentalités ne découlent pas uniquement de considérations cyniques, ni ne se fait à contre-coeur, sous la contrainte du péril démographique. Il illustre également un vrai changement d’état d’esprit des Coréens, plus confiants sur la scène internationale, forts de leurs réussites économiques et d’un début d’influence culturelle. Plus sûrs de leur capacité à intégrer les influences étrangères sans mettre en péril leur propre identité. Plus sereins en quelque sorte, et donc plus ouverts aux autres.

C’est l’impression que m’a laissé ma dernière visite à l’office d’immigration afin de faire renouveler mon permis de séjour. Dans la salle d’attente avec moi se trouvaient quelques occidentaux expatriés, mais surtout des Chinois, Cambodgiens, Malais, Philippins, ou Indonésiens venus chercher un avenir prospère en Corée et patientant dans une atmosphère apaisée, bon enfant presque, jusqu’à ce qu’un fonctionnaire (souriant) s’occupe de leurs dossiers. Pour aider les immigrants ne parlant pas forcément le Coréen, des membres d’une ONG officiaient sur place, guidant dans leurs langues les nouveaux venus dans leurs démarches, remplissant avec eux les formulaires, gardant leurs enfants lorsque les parents étaient appelés par les fonctionnaires, ou tout simplement discutant avec eux des plaisirs ou tracas de ce pays, la Corée, longtemps royaume ermite et devenue subitement terre d’accueil.

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