Coupe du monde de la précaution : H1N1 contre Pétrole, 1-0

Dans un interview à la revue scientifique britannique Nature, le 10 juin dernier, Marc Lipsitch, épidémiologiste de l’école de santé publique de Harvard, à Boston, déclarait que “les avis sur la pandémie de grippe promulgués par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avaient été totalement justifiés sur le plan scientifique, en cohérence avec l’état des connaissances du moment“. Il a comparé la gestion de la pandémie avec la gestion actuelle de la catastrophe écologique de la plateforme pétrolière de Deepwater Horizon. Lipsitch a même dénoncé “l’ironie cruelle du constat pour la seconde fois en moins de cinq ans, des résultats dramatiques du choix du meilleur scénario dans le Golfe du Mexique, alors que l’on reproche à l’OMS d’avoir  annoncé le risque d’une pandémie sévère et d’avoir planifié à l’avance les mesures pour en contrer les effets. C’était bien ce que l’on attendait d’une agence de santé publique, et même c’était la seule attitude qu’on leur demandait de prendre en la circonstance.

Les Français ont voulu inscrire le principe de précaution dans leur constitution. Lorsque leur gouvernement s’est chargé de le mettre en oeuvre, au moment où l’on annonçait une tempête épidémique à l’échelle mondiale, on le lui reproche tout autant que dans les pays où ce principe n’est ni constitutionnel, ni seulement un guide pour l’action. L’application de ce principe semble aujourd’hui contestée, alors que les progrès industriels s’accélèrent à un rythme inégalé dans l’histoire de l’humanité et que l’ échelle de production de bon nombre de produits et services devient planétaire (énergie, aliments, médicaments, automobiles, aéronautique…). Nos sociétés fortement interconnectées, sont devenues plus vulnérables que jamais, mais peuvent aussi se mobiliser pour détecter précocement, prévenir et contrôler de nouveaux risques à l’ampleur et aux conséquences souvent inconnues. Les dernières crises sont autant d’alertes qui justifient le bien fondé de l’intuition précautionneuse du droit constitutionnel français et l’inspiration européenne en la matière. Cela ne fait certes pas plaisir à de nombreux secteurs de l’industrie, car les contraintes ne font jamais plaisir à ceux qui doivent les subir. Il faut sans doute parfois savoir raison garder. Et ce d’autant que la compétition mondiale fait rage et ne fait pas de cadeaux. Mais la nature non plus, lorsqu’elle reprend ses droits. Fallait-il attendre que des avions chutent pour fermer le trafic européen au moment du volcan islandais ? Fallait-il accepter la production de brut toujours plus loin dans les océans, sans les garanties préalables de savoir quoi faire en cas de fuite (prévisibles mais si peu probables…) ? Fallait-il renoncer à la production planétaire de vaccins contre la grippe H1N1pdm dès le mois de juin 2009, parce que les premières informations en provenance du Mexique étaient contradictoires ? Faut-il brocarder aujourd’hui, avec une unanimité navrante, les positions de l’Organisation Mondiale de la Santé parce que les industriels producteurs auront pu s’enrichir – et ainsi rendre suspectes toutes les décisions – en apportant sur le marché en un temps record jamais égalé dans l’histoire de l’humanité les vaccins commandés, avec toute la sécurité requise ?

Non, il est temps de défendre les principes que l’Organisation Mondiale de la Santé a mis en oeuvre, fort à propos, en temps et en heure, pour se préparer, comme elle devait le faire, au scénario du pire. En agissant de la sorte, cette Agence a montré sa maturité et sa compétence. En ne cédant pas aux sirènes de la complaisance et de la facilité, on devrait retenir que cette Agence a su indiquer la voie à suivre pour celles qui gèrent d’autres risques naturels ou d’origine humaine : inondations, cyclones, séismes, ruptures de plateformes offshore, autres risques industriels et nucléaires. Ce n’est pas le scénario le plus probable que le principe de précaution cherche à éviter, mais ce sont les scénarios du domaine du plausible, et ils sont souvent bien moins probables.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire de retour d’expérience, d’arrêt sur image, car il est utile de remettre en cause nos erreurs, de comprendre nos doutes, d’étudier les réactions de nos contemporains, de constater les rigidités des plans mis en place, tout cela pour mieux préparer encore l’avenir qui ne sera pas fait que de bouquets de violettes. C’est ce que font actuellement bon nombre de gouvernements des pays développés, l’Europe et l’OMS elle-même. On trouvera probablement ça et là des débordements, des dérapages, ou des abus, et il faudra y remédier. Mais, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, on pourrait y déceler bientôt des traces de pétrole !

Antoine Flahault

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