Le généraliste, le vaccin et le pognon

Seuls certains syndicalistes savent nous rappeler l’existence des mots entrant dans leur phase d’obsolescence. Ainsi cette formule de François Chérèque, patron de la CFDT au charisme discuté : « il y a toujours une question de pognon derrière ça ». Pour les plus jeunes de nos lecteurs une définition s’impose peut-être. Pognon ? Ce nom masculin vient de l’ancien français  « poigner » (saisir avec la main). De manière familière il est une forme de synonyme d’argent. Bénéficier d’un parachute doré c’est immanquablement en avoir beaucoup, c’est « avoir du pognon plein les poches » comme pouvait l’écrire Céline dont on se souvient qu’il était docteur en médecine. Or c’est bien des médecins dont parlait François Chérèque dimanche 29 novembre lors du « Grand Rendez-vous Europe1/Le Parisien-Aujourd’hui en France» ; de médecins généralistes et de vaccination.

Nous avons à plusieurs reprises évoqué ici les différents aspects de la controverse concernant les modalités de la nouvelle vaccination antigrippale et des incompréhensions multiples qu’elles génèrent. Nous sommes face à une grippe, pandémique certes, mais grippe néanmoins. Or à la différence de toutes les grippes saisonnières et depuis que les vaccins antigrippaux existent les médecins généralistes sont exclus du dispositif vaccinal. Pour de simples raisons pratiques et stratégiques répète, inlassablement sur les ondes, le Pr Didier Houssin délégué interministériel en charge de la lutte contre cette pandémie. Et inlassablement celui qui est par ailleurs Directeur général de la santé de faire œuvre de pédagogie citoyenne et politique : mieux vaut que les généralistes soignent plutôt que de vacciner ; mieux vaut, pour assurer la traçabilité et la vaccinovigilance vacciner dans des gymnases transformés en centres spécialisés ; le conditionnement « multidose » de lots vaccinaux se prête fort mal à une utilisation au cabinet libéral….

Or voici que ce dernier argument vient de tomber avec l’arrivée des premiers vaccins « unidoses » similaires à ceux des grippes saisonnières de jadis. Et la controverse de reprendre comme un feu de brousse opposant plusieurs syndicats de médecins libéraux ; un feu de brousse brutalement et fort curieusement alimenté par le leader de la CFDT qui depuis des années se refuse ostensiblement à jouer le rôle du pyromane dans le tissu social français.

Résumons les termes de l’équation. Pour MG France,  syndicat de médecins généralistes le gouvernement doit dare-dare autoriser ces derniers à vacciner puisque 3 millions de vaccins conditionnés sous forme «  monodose » ont (selon lui) été livrés à l’organisme en charge des stocks de vaccins. Pour ce syndicat médical l’heure est venue de permettre aux généralistes de compléter l’œuvre accomplie par leur confrères dans les centre spécialisés en vaccinant notamment  les personnes les plus à risques et celles les plus isolées (elles sont plus d’un million) qui ne peuvent se déplacer et qu’ils sont souvent les seuls à voir (avec parfois, du moins pour l’heure , le facteur).

Or cet autre syndicaliste qu’est François Chérèque ne l’entend pas de cette oreille. Il s’est déclaré farouchement opposé à cette perspective, dénonçant « une question de coût » et précisant : « il y a toujours une question de pognon derrière ça ». Pognon ? M. Chérèque aurait pu parler autrement pour désigner le même unique objet de son courroux. Il aurait pu parler de  monnaie, de fric, de ronds, espèces, de numéraire, de sous , de liquide et de liquidités, voire de pèse ou, dans un genre plus végétal d’oseille ou de radis. A l’attention des adhérents cinéphiles de sa laborieuse confédération il aurait même pu aller jusqu’au grisbi.

François Chérèque (qui n’est pas vacciné), dimanche 29 novembre : « Si vous allez chez votre médecin pour vous faire vacciner, vous allez payer une visite. On nous dit c’est 8 euros, mais on se  moque de nous, parce que vous allez y aller, vous allez faire voir un autre problème de santé, et ce sera 22 + 8, ce sera 30 euros. » Favorable à l’idée de mobiliser les médecins M. Chérèque a, en substance, porté le diagnostic d’ « hypocrisie » concernant Michel Chassang, président du principal syndicat de médecins libéraux (CSMF). Le Dr Chassang (qui réclame depuis plusieurs semaines l’extension de la vaccination dans les cabinets médicaux) a aussitôt fait connaître son indignation à ses contemporains.
Dans une déclaration à l’AFP il a clamé que « cette affaire
d’argent n’en est pas une ». Michel Chassang : « Ce n’est pas du tout des motivations financières qui nous poussent. Les médecins dans les centres de vaccination sont payés par les caisses d’assurance maladie et personne ne travaille gratuitement dans ces centres. Ce que nous demandons, c’est ni plus ni moins la même chose. Nous ne demandons pas aux Français de débourser de l’argent, en aucune façon. » Et puis, la perfidie syndicale pouvant être ce qu’elle est, parfois assez voisine de ce que peut être la confraternité médicale :  « Chérèque dit tout haut ce que la ministre de la Santé pense tout bas: que ce serait un problème financier. Ils nous accusent ni plus ni moins, de vouloir utiliser la grippe pour nous en mettre plein les poches, c’est une accusation inacceptable. »

Les sémiologues observeront ici le caractère potentiellement contagieux du recours à la familiarité langagière déplacée pour ne pas parler de l’argot qui a ses codes et son honneur. Le Dr Chassang, pour finir : le choix des centres « dédiés » (terme qui rencontre un succès croissant) de vaccinations a été fait selon des considérations purement idéologiques (adjectif en relative désuétude). « Si chacun d’entre nous, médecins généralistes et pédiatres, vaccinons entre 15 et 20 patients par jour (…) on est en capacité de vacciner un million de personnes tous les jours » assure-t-il. D’autres voix syndicale et plus libérales encore se lèvent pour exhorter la ministre de la Santé à ne pas laisser les généralistes vacciner au motif qu’il ne faut pas réunir dans les mêmes salles d’attentes ceux qui sont infectés et ceux qui ne le sont pas encore.

Jean-Yves Nau

Prenons les généralistes au mot : expérimentons !

En France, pays jacobin, il y a vraiment une chose que nous ne savons pas bien faire en matière de politiques publiques : expérimenter. Lorsque les scientifiques ne sont pas d’accord sur un point donné, ils  formalisent  une approche que l’on appelle « expérimentation ». En l’occurrence la démarche serait la suivante. Le  Dr Michel Chassang, président de la CSMF formule une hypothèse : « les médecins généralistes vaccineraient plus rapidement que les centres dédiés ». François  Chérèque, leader de la CFDT, est  opposé  à l’hypothèse du Dr Chassang en avançant un argument : « cela coûtera plus cher, et ce surcoût serait au bénéfice direct des médecins libéraux ».

Cette controverse naissante pourrait très bien trouver rapidement une solution sereine. Il suffirait pour cela de conduire une expérimentation dans une (ou plusieurs) région(s) de France dans où l’on autoriserait les médecins libéraux (généralistes et pédiatres) à vacciner leurs patients sous certaines conditions de sécurité et de tarifs. Et puis, il faudrait voir ce qu’il en est  au bout de quelques jours : la couverture vaccinale (proportion de la population vaccinée) serait-elle substantiellement supérieure dans les régions ayant ajouté les libéraux au dispositif préventif  ?

Quelques semaines plus tard, on aurait également la réponse pour ce qui serait de la comparaison des coûts. Bien sûr, il faudrait bien comptabiliser les coûts complets de chacun des dispositifs, notamment des centres dédiés à la vaccination (où ne travaillent pas que des médecins rémunérés à la vacation, mais aussi des infirmières et des agents municipaux). On pourrait ajouter des critères ancillaires, tels que la satisfaction des usagers, l’apaisement social, l’évolution comparée de la perception des risques, etc. Où sont les freins qui nous interdisent de tenter cette aventure expérimentale ?

Antoine Flahault

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H1N1pdm : le « sang-froid » de Nicolas Sarkozy

C’est curieusement la première fois que le président de la République française, friand de tous les sujets de société, aborde ouvertement et clairement la question pandémique. Et il l’a curieusement fait le 27 novembre depuis Port-of-Spain (Trinidad-et-Tobago) en marge du sommet du Commonwealth auquel il participait. Nicolas Sarkozy a ainsi expliqué que face à la demande vaccinale croissante dans l’Hexagone les autorités allaient  ouvrir un plus grand nombre de centres et élargir les plages d’ouverture de ces derniers, notamment le mercredi et le samedi.

Bien évidemment le message présidentiel ne se bornait pas au nombre des centres vaccinaux et à leurs jours d’ouverture. Face à la rapide évolution épidémiologique, à l’augmentation du nombre des morts, à l’émergence de mutations virales Nicolas Sarkozy a jugé que le moment était venu de souligner l’importance du phénomène et la justesse de l’action des pouvoirs publics. Mais il a aussi sifflé un rappel à l’ordre à l’adresse des responsables gouvernementaux et des acteurs des médias pour, autant que faire se peut, ajuster les discours à la réalité ; obtenir dans ce domaine un peu plus  de cohérence ou un peu moins d’incohérence.

Il faut « prendre au sérieux cette épidémie de grippe » a déclaré M. Sarkozy  ajoutant : « Si nous avons acheté des millions de vaccins, c’est parce que nous avons anticipé ce problème qui concerne d’ailleurs le monde entier (…) Dans les journaux, il y avait des sondages disant ‘’les Français ne croient pas à la grippe et ne veulent pas se faire vacciner’’. Trois jours après, il y a la queue dans les centres de vaccination ». Pour le président de la République « gouvernement comme médias, on doit garder notre sang-froid, faire en sorte de ne pas sur-réagir en permanence en disant un jour blanc, l’autre noir ».

Comment interpréter un tel message ? Faut-il voir là une critique à peine voilée de l’action gouvernementale en général et de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé (omniprésente dans tous les médias ou presque) qui n’aurait pas toujours su  garder son « sang-froid » ? Et que signifie précisément « sur-réagir » en permanence quand on mesure mal, faute de références stables, la portée de chaque nouvelle information en provenance du front pandémique ? La France, ou plus précisément le gouvernement et les médias, ont-ils été péché par sur-réaction en commentant, comme ils l’ont fait, l’émergence des souches virales mutantes et mortelles et ce au moment même où le président de la République s’exprimait depuis Port-of-Spain ?

Nous avons vu, depuis la fin avril, à quel point les autorités sanitaires (et tout particulièrement la direction générale de l’OMS) ont pu apparaître hésitantes, souffler le chaud, souffler le froid, prendre peur avant de vouloir rassurer. Nous avons vu aussi (et comme l’a plusieurs fois souligné Antoine Flahault c’est un heureux symptôme démocratique) des experts plus ou moins autoproclamés formuler des analyses radicalement différentes. Comment dans un tel contexte les « médias » auraient-ils pu tenir un discours qui ne soit pas mouvant ? Et comment, dans un tel contexte, la blogosphère aurait-elle pu ne pas amplifier à l’infini une formidable somme de rumeurs ?

Le sujet qui cristallise tous ces phénomènes est bien évidemment le vaccin avec ce renversement de tendance assez surprenant dans l’Hexagone concernant la vaccination (750 000 personnes immunisées, dit-on, à ce jour). Certains y verront une nouvelle preuve du caractère décidemment bien versatile des Français. D’autres rappelleront qu’ils avaient annoncé que la bouderie initiale pourrait vite disparaître dès lors que la circulation du H1N1pdm irait s’intensifiant.
A Port-of-Spain les journalistes ne pouvaient manquer de lui poser la question traditionnelle, celle de savoir si lui-même s’était fait vacciner. Et  M. Sarkozy de laisser entendre qu’il allait le faire. « C’est difficile de dire aux gens ‘’Vous avez raison de vous faire vacciner’’ et ne pas se faire vacciner soi-même ». Ce serait, en effet difficile. Question connexe : le président de la République se fera-t-il, comme la ministre de la Santé, vacciner devant les caméras de télévision ? Et question finale : pour quelles raisons l’expression « se faire  piquer » a-t-elle progressivement depuis quelques semaines pris la place du verbe du classique « se faire vacciner » ? Réponses attendues.

Jean-Yves Nau

Trois scénarios pour cet hiver

Nous arrivons probablement dans la zone des turbulences attendues lorsque l’on dépasse un certain seuil d’une épidémie de grippe. Pendant les grippes saisonnières nous avions remarqué pratiquement chaque année (au sein du réseau Sentinelles de l’Inserm – en dehors donc de tout contexte médiatique et pandémique) un engorgement des hôpitaux, et une certaine tension sur le système de santé dès que l’on s’approchait du pic de l’épidémie ; soit  au moment où le nombre de nouveaux cas atteint des niveaux élevés dans l’ensemble du pays.

Il y a quelques années le ministre de la santé d’alors (Philippe Douste-Blazy) avait décidé de mettre en œuvre le « plan blanc » au niveau national. Il s’agit ici d’un dispositif permettant de libérer des lits dans les hôpitaux, de soulager les réanimations et les urgences de tout ce que l’on appelle « les hospitalisations programmées », celles que l’on peut remettre à plus tard le temps que la vague passe. En Italie ou au Royaume-Uni cette même tension était également perceptible et largement relayée dans les médias. Précisons que ces mini-crises sanitaires peuvent être  quelque peu instrumentalisées par les syndicats professionnels et/ou par les courants politiques d’opposition au pouvoir en place, tous  arguant que les coupures budgétaires dans les services publics ne permettent plus au système de santé de leurs pays de faire face aux épidémies saisonnières naguère encaissées sans souci.

Généralement tout rentrait dans l’ordre en une à deux semaines au grand maximum car, précisément, le pic arrivait et la décrue s’amorçait opportunément. La question qui se pose aujourd’hui, face à la pandémie (question pour laquelle on n’a pas encore de réponse) est de savoir si nous arrivons  au pic épidémique (ou au moins à « un  premier » pic épidémique), ou bien si l’incidence (le nombre de nouveaux cas de grippe) va continuer son ascension. Plusieurs scénarios se profilent, sans que l’on puisse formellement en privilégier un.

Il se pourrait (1er scénario) que tout rentre dans l’ordre rapidement, comme pour une épidémie saisonnière classique : bientôt le pic suivi de  la décrue. L’incidence (voir figure ci-dessous) n’est d’ailleurs pas exceptionnellement élevée à ce jour, mais le taux des hospitalisations est supérieur (1% des cas vus par les généralistes contre 0,3 à 0,4% durant les grippes saisonnières) ; cette situation majore certainement l’impact de la vague sur le système de soins. Mais les digues tiennent.

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Un 2ème scénario est aussi  possible : la courbe continue son ascension et la propagation géographique continue sa progression pendant plusieurs semaines encore (voir ci-dessous  les cartes du réseau Sentinelles pour les trois dernières semaines) ; la gravité de la maladie chez certains patients ne mollissant pas, voire même pouvant  être accrue par la circulation de souches mutantes qui seraient plus virulentes ou plus résistantes. Le système sanitaire serait alors sérieusement ébranlé, et c’est à ce scénario que les autorités de santé tentent de se préparer au mieux. Ce scénario n’est certes  pas, encore une fois, le plus probable, mais en l’absence de références, en l’absence d’un catalogue des pandémies passées bien fourni (comme on dispose d’un catalogue des cyclones aux Antilles par exemple), il est difficile de lui affecter une probabilité précise.

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Le 3ème scénario renvoie à une dynamique multimodale : la reprise après le déroulement du premier scénario d’une ou plusieurs nouvelles vagues épidémiques. L’hiver est encore devant nous, et la saison se prête fort  bien à une recrudescence de l’activité grippale dans les mois à venir. La figure montre l’état actuel de la courbe épidémique en référence aux saisons précédentes. Elle indique aussi que depuis que l’on surveille les épidémies de grippe via le réseau Sentinelles en France (novembre 1984), nous n’avons jamais vu deux vagues épidémiques au cours d’une même saison grippale (soit de novembre à mars). Cela ne signifie nullement que cette pandémie ne va pas faire de nouvelles vagues puisque nous ne savons rien encore du potentiel épidémique de cette souche de virus grippal. De plus nous ne comprenons pas clairement,  jusqu’à présent,  les conditions d’émergence d’une vague épidémique saisonnière ou pandémique. De ce fait quand bien même ce 3ème scénario ne s’est pas réalisé  depuis un quart de siècle  rien ne permet aujourd’hui de l’écarter. Cette hypothèse ne nous laissera pas tranquille encore pendant les longs  mois d’hiver où la vigilance sera de mise ; pour autant une dynamique étalée dans le temps sur plusieurs vagues aurait un avantage substantiel :permettre de mieux absorber le choc sur le système de santé et sur l’organisation sociale toute entière. La campagne de vaccination pourrait se poursuivre. Pour le dire autrement, les digues résisteraient mieux du fait  d’une montée des eaux modérée et répétée, toujours préférable à une vague unique et  scélérate.

C’est ainsi : entre ces trois scénarios, politiques, experts, et médias sont un peu contraints à des analyses « en yoyo », entre réassurance et appels à l’extrême vigilance.

Antoine Flahault

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Questions sur une mutation française

Ce communiqué diffusé en urgence dans la fin de l’après-midi du 27 novembre par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) : « L’InVS) signale l’identification en France par les Centres nationaux de référence de mutations dans le génome du virus de la grippe H1N1pdm 2009 et retrouvés chez deux patients qui, par la suite, sont décédés. Pour ces deux patients (sans relation entre eux et hospitalisés dans des villes différentes)  il s’agit d’une mutation récemment signalée en Norvège. Cette mutation pourrait augmenter les capacités du virus à atteindre les voies respiratoires basses, et notamment, à atteindre le tissu pulmonaire. Pour l’un de ces patients, à cette mutation s’ajoute une autre mutation connue pour conférer une résistance à l’oseltamivir [Tamiflu]  Il s’agit de la première souche résistante en France parmi les 1200 souches analysées à ce jour. »

S’inquiéter, voire trembler ? L’InVS : « La survenue de mutations du H1N1pdm 2009 n’est pas inattendue du fait des caractéristiques des virus grippaux. L’impact de ces mutations sur le caractère pathogène et la capacité de diffusion de ces virus n’est pas documenté et va faire l’objet d’investigations complémentaires à l’échelon français et international. L’efficacité des vaccins actuellement disponibles n’est pas remise en cause. » En pratique tour se passe comme si la France était d’ores et déjà confrontée à deux évènements d’importance observés ces derniers jours en Grande Bretagne et en Norvège.

Depuis l’émergence de la pandémie, il existe deux principales sources d’inquiétudes. D’une part une mutation qui confèrerait au virus H1N1pdm une plus grande virulence; une virulence de nature à réduire de manière drastique l’efficacité des vaccins qui commencent à être proposés aux populations des pays industriels. D’autre part une mutation qui rendrait l’agent pathogène résistant aux deux antiviraux (le Tamiflu et le Relenza) qui ont démontré une relative efficacité contre lui. Or voici que sur ces deux fronts une série d’alertes distinctes, puis réunies, viennent d’être lancées. S’inquiéter?

La première alerte venait de Londres où les autorités sanitaires britanniques annonçaient, vendredi 20 novembre, mener une enquête sur des cas possibles d’une première transmission interhumaine  à cette forme de résistance. Plusieurs dizaines de cas de résistance au Tamiflu avaient déjà été déjà été constatés ces derniers mois dans différents pays du monde mais aucune observation de transmission interhumaine de la souche n’avait été documentée.

La seconde des deux récentes alertes émanait de Genève et du siège de l’OMS qui, le vendredi 20 novembre, faisait  savoir que les autorités sanitaires norvégiennes avaient détecté trois cas d’une mutation génétique du H1N1pdm. L’Institut norvégien de santé publique précisait que les virus mutés avaient  étaient isolés chez les deux personnes victimes des deux premiers cas mortels (le 3 septembre et de 23 octobre) de la grippe pandémique dans le pays ainsi que chez une troisième gravement atteinte par l’infection virale.

L’OMS lançait aussitôt une alerte et diligentait des enquêtes. Pour les virologistes la question est simple : les mutations observées sont-elles hautement dangereuses (« avantage sélectif ») ou de simples « cul-de-sac » ? « Seule la surveillance virologique et épidémiologique pourra répondre aux questions posées par la mutation du virus A(H1N1)v identifiée en Norvège », expliquait il y a quelques jours au « Quotidien du médecin » le Dr Jean-Claude Manuguerra, virologue, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) de l’Institut Pasteur.

Ce  point de vue était alors  partagé par le Pr Bruno Lina, directeur du Centre national de référence de la grippe à Lyon. « Toute la question est de savoir si ce virus mutant est plus pathogène et s’il va supplanter l’autre virus, ajoutait-il. Personne n’est capable aujourd’hui de répondre à cette question. Cette mutation a déjà été identifiée par le passé au Brésil et en Ukraine, dans des formes graves mais aussi non graves. S’il s’avérait que le virus présente effectivement une pathogénicité exacerbée, ça ne signifie pas forcément qu’il soit plus transmissible d’une personne à l’autre. Il faut continuer à observer ce qui se passe. Pour le moment, on n’a pas l’impression que ce virus prenne la main. »

Avec la série des nouvelles données épidémiologiques françaises (et dans l’attente des informations que possèderont bientôt les autorités sanitaires)  la problématique prend une nouvelle –et potentiellement inquiétante- dimension. « La découverte de ces mutations entraîne chez nous une très grande  vigilance, mais on ne peut pas encore parler d’inquiétude particulière, estimait dans la soirée du 27 novembre  le Dr Françoise Weber, directrice générale de l’InVS. La mutation pourrait accroître les capacités du virus à atteindre le tissu pulmonaire. »En écho le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé : « Cette mutation est susceptible d’être à l’origine de formes pulmonaires  plus sévères, mais ce n’est pas une certitude ». « C’est un facteur de risque, oui il est plus dangereux, mais pour qu’il soit  vraiment dangereux, il faudrait qu’il soit capable de passer d’un sujet à un  autre, a pour sa part souligné Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur, sur RTL. Le virus a subi une mutation qui change la façon dont il entre dans les cellules, qui change la façon dont il réagit aux médicaments, donc il ne lui  manque qu’une propriété pour qu’il soit vraiment dangereux, c’est de devenir  transmissible de façon plus importante que ses cousins, qui n’ont pas muté. »

Pour l’heure tous les spécialistes assurent que ces mutations ne changent rien, pour l’heure, à l’efficacité des vaccins proposés à des fractions croissantes de la population française.

Jean-Yves Nau

Anecdote attendue ou tournant décisif ?

L’un des problèmes auxquels on est confrontés avec cette pandémie est la quantité de projecteurs braqués en permanence sur elle, en de nombreux points de la planète. On perd ainsi progressivement notre habituel système de références. Pour savoir si il y a lieu de s’inquiéter d’une mutation observée il y a quelques semaines en Ukraine, puis en Norvège, puis peut-être en Russie et en Chine, et ce soir en France, on voudrait savoir si le phénomène est inédit ou non. Or ce qui est inédit, c’est que l’on sache cela en temps quasi-réel. L’an dernier, avec les souches saisonnières prédominantes (H1N1 saisonnier ou H3N2) aurait-on été tenu informés de telles mutations ? La réponse est non, évidemment. Aurait-on seulement recherché de telles mutations ? Sans doute oui, mais avec une fréquence bien moindre. Certes, il n’était pas habituel de voir des jeunes adultes hospitalisés en réanimation pour les grippes saisonnières, et si cela avait été le cas, en France tout du moins, on aurait probablement procédé à une analyse approfondie de la souche virale en cause. Donc, la sévérité de certaines formes cliniques aussi est inédite. Par ailleurs, on ne sait pas grand-chose de ces mutations. On sait qu’expérimentalement, elles semblent associées à de plus grandes capacités d’infecter l’étage inférieur de l’arbre respiratoire et d’un risque accru de pneumonies virales graves. On espère que le vaccin restera efficace, mais on ne peut l’affirmer. On peut craindre que, lorsqu’une autre mutation est associée – ce qui est la situation retrouvée chez l’un des cas Français- le Tamiflu peut s’avérer inefficace. On ne sait pas si ces souches mutantes sont plus ou moins transmissibles que les non mutantes.

Ce ne sont pas des informations très réjouissantes en cette fin de semaine.

En fait, ce qui n’est pas réjouissant, c’est surtout de constater (une fois de plus) que l’on ne sait pas grand-chose sur cette maladie si banale qu’est la grippe. On n’a pas d’expériences passées nous permettant de recaler les informations qui nous parviennent dans un cadre logique et connu. On n’est incapable de savoir si l’on est dans l’anecdotique attendu car survenant à chaque épidémie de grippe, ou bien si l’on aborde un tournant décisif de cette pandémie. On est en train de découvrir à quel point la faiblesse des investissements en recherche sur les virus banaux finit par peser lourd dans la décision publique qui devient rapidement démunie car entourée de trop d’incertitudes. La méconnaissance du coronavirus, virus des rhinopharyngites les plus banales avait lourdement ébranlé en 2003 la communauté internationale et mis à pied plusieurs compagnies aériennes, notamment nord-américaines pendant la crise du SRAS, ces pneumonies atypiques dues à un coronavirus particulièrement virulent et inconnu de la famille. La méconnaissance du virus du chikungunya en 2005, avait conduit à longtemps négliger les alertes nous parvenant de l’île de La Réunion en 2005, à considérer à tort qu’il n’y avait rien à redouter de ce virus banal transmis par un moustique, alors qu’aucun vaccin n’existait, et qu’aucun traitement n’était disponible (et d’ailleurs, quatre ans plus tard, on n’a toujours pas beaucoup progressé sur ce front). Aujourd’hui, l’absence quasi-totale de résultats de recherches passées conduites de manière systématique et approfondie sur le virus de la grippe, sur ses conditions d’émergences et sur son impact, semble nous plonger dans cet abîme qu’est l’ignorance.

Antoine Flahault

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H1N1pdm : complexités

Au  grand bazar vaccinal et démocratique

Sept mois déjà que la pandémie a émergé ; sept mois pour se préparer, affiner les plans élaborés contre la menace du A(H5N1), peaufiner les messages préventifs destinés à la population, organiser la constitution de stocks vaccinaux et programmer leur utilisation. Sept mois pour, collectivement, apprendre en France à faire face au mieux à la déferlante virale annoncée. La déferlante n’est pas encore véritablement là mais le niveau des eaux comme leur turbulence ne cessent d’inquiéter. Tout comme ne peut qu’inquiéter le désordre grandissant observé dans l’Hexagone.

Aucun bouton de guêtre ne devait manquer et, de fait, aucun bouton de guêtre ne manque ou ne manquera. L’intendance militaire n’avait seulement pas prévu qu’une fraction massive des troupes allait se méfier des guêtres vaccinales et des boutons-adjuvants ; et ce alors que l’appel sous les drapeaux n’a plus rien d’obligatoire…. Tout ceci génère une pagaille que l’on ne qualifiera certes pas de joyeuse ; une pagaille qui met en lumière l’étrangeté des temps que nous vivons de même que le caractère décidemment bien versatile d’une population française que l’on pousse  dare-dare –qui nous dira jamais pourquoi  ?- à s’interroger sur son identité.

Quelques échos parmi les plus récents. Dans la France de cette fin novembre une nouvelle étape est franchie avec le lancement de la proposition/incitation de la vaccination de 5,3 millions élèves, collégiens et lycéens. . Les enfants du primaire et des maternelles seront concernés à partir du 1er décembre. Quant aux enseignants ils ne font curieusement pas partie du dispositif. Pourquoi ?

Comme toujours sur le pont, à la manœuvre médiatique et pédagogique, c’est Roselyne Bachelot qui a donné le baptême  de cette campagne comme elle avait baptisé les précédentes. Il faudrait vivre dans un monastère sans WiFi pour  ignorer qu’elle était, férule à la main, dès l’aube du 24 novembre, dans un collège du 7ème arrondissement de Paris (pourquoi le 7ème ?) ; une ministre de la Santé qui, interrogée sur les réticences des jeunes à bénéficier de l’immunisation a déclaré qu’elle aimerait pouvoir conduire les récalcitrants dans des services de réanimation intensive afin qu’ils puissent voir (nous citons en substance et de mémoire) des-jeunes-de leur-âge-avec-des-poumons-définitivement-détruits-ce-qui-ne-se-produit-jamais-avec-la-grippe-saisonnière.

« Transparence » oblige les citoyens français sauront peut-être un jour qui, depuis plus d’un semestre, conseille (ou ne conseille) pas la ministre de la santé dans ses pluriquotidiennes interventions médiatiques. Et dans l’ombre portée de cette dernière réflexion pourquoi ne pas diffuser au plus vite des messages sanitaires télévisés relatant les dernières souffrances, floutées bien sûr, de jeunes infectés par le H1N1pdm aux derniers stades d’un syndrome de détresse respiratoire aigu ? Qui s’en offusquerait ? Et à quel titre ?

Au lendemain de la prestation ministérielle et sanitaire les médias généralistes  radiophoniques et télévisuels (pour ne pas parler des « sites d’information » de la Toile et de leurs blogs …) ont répercuté les discours et les angoisses collégiennes et lycéennes. Nous découvrons ainsi que les jeunes ont pleinement capté les ondes ambiantes, ne parlent que d’ « effets secondaires graves », d’ « adjuvants », de « mutations ». Ils rapportent tous plus ou moins les échos des discussions familiales. « On en a parlé. Maman n’est pas chaude pour que je me fasse piquer. Papa est plutôt pour. » Et en l’espèce l’opinion maternelle, comme souvent (comme toujours ?), de l’emporter.

Pour l’heure les mêmes médias généralistes ne cesse de tambouriner : la proposition de vaccination rencontre un succès croissant, et donc sans doute bientôt considérable. Ici ou là des préfets s’inquiètent, des médecins libéraux refusent d’être « réquisitionnés ».  On commence à filmer les files d’attentes, les impatiences des volontaires. Des témoignages qui ne correspondent guère aux derniers décomptes nationaux. Mais comment savoir ? Comment retrouver ici un fil d’Ariane, un cadre rationnel, dans les brouillards de cette fin novembre ?

L’inquiétude vient aussi d’ailleurs. Elle résulte du fossé croissant autant que paradoxal qui –semble-t-il – se creuse ces derniers jours entre « experts » et « citoyens ». Les premiers martèlent –  « pilonnent »  serait mieux adapté – leurs messages issus des forges et des cornées scientifiques. Les seconds écoutent et soupèsent sur d’autres trébuchets, personnels ceux-là. Ils bavardent, s’interrogent, et ne cachent pas au total leur plaisir de pouvoir, enfin, prendre la parole pour dire leurs doutes corporels dans un espace démocratique. On pourrait sans grand mal y voir une résurgence assez moderne des échanges tricolores entre les deux vieilles plaques tectoniques : la jacobine et la girondine.

Jean-Yves Nau

Complexité

Force est de reconnaître que l’on est assez désarmé  devant ce genre de crise sanitaire. Les « relativistes » refusent aujourd’hui de voir le moindre problème dès lors qu’ils ne sont pas en face d’une hécatombe ; les « catastrophistes » évoquent le phénomène comme si l’hécatombe allait se produire, et donc cherchent à la prévenir, à tout prix. Entre ces deux lignes, il y a tous les « indécis », tantôt emportés par les arguments des uns, tantôt ralliés à ceux des autres. Les connaissances avancent et diffusent au rythme des informations. Elles rejoignent  tantôt le panier des relativistes (l’épidémie semble régresser aux USA et au Canada),  tantôt dans celui des catastrophistes  (une mutation du virus a été identifiée en Norvège chez deux patients décédés).

Entre ces deux paniers, il y a tous ceux qui ont recours au fléau (en construction permanente) d’une balance personnelle qui leur permet de soupeser chaque nouvelle. Parmi eux il y a, bien sûr, les experts eux-mêmes. Mais il faut aussi compter avec ceux que la complexité agace, rebute peut-être. Pour ces derniers la question est réglée depuis le début : on cherche à les tromper, à les manipuler, il est clair que c’est un cache-misère pour éviter de parler de la crise économique mondiale, et que tout  cela arrange les grands de ce monde. Ou, pour d’autres sans complexes, cette question est réglée aussi, mais dans l’autre sens : un vaccin est disponible, on va avoir soi-même recours au principe de précaution, au diable les effets secondaires, écoutons la Faculté ou la ministre.

Je présente ici d’emblée mes excuses à ceux qui  trouveront mes catégories d’autant plus désagréables que l’on peut vraisemblablement passer d’une catégorie à l’autre au cours d’une même journée. Disons néanmoins que chez les « sans complexes» prévaut parfois un mécontentement, vis-à-vis des autorités, parfois de la ministre de la Santé, des experts ou des journalistes. Parfois même  vis-à-vis de la Nature elle-même qui pourrait enfin sortir du bois : elle arrive ou non cette pandémie ? Elle déferle un bon coup et on n’en parle plus, ou bien elle continue à jouer au chat et à la souris avec nous tous ?

Puis il y a tous ceux qui entendent la complexité, ceux qui cherchent coûte que coûte à mieux comprendre dans ce fatras d’informations parfois contradictoires. Il ya tous ceux qui écoutent les arguments des uns et ceux des autres. Ils sont un peu comme les scientifiques dans le fond, mais à leur manière. Ils n’ont pas encore d’opinion très tranchée mais la succession des faits façonne leur opinion de manière progressive. La vague pandémique va-t-elle déferler ? A quelle vitesse, à quelle force ? Quelles conséquences pour mes proches et pour moi ? Puis-je l’éviter ? Limiter les dégâts ? Ne pas créer des problèmes en en faisant trop puisque le mieux est souvent l’ennemi du bien.

Au fond, pourquoi  déteste-t-on donc tant la complexité ?

Antoine Flahault

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H1N1pdm : Mutatis mutandis

Cette information que nous livre Jean-Yves Nau dans son billet du 21 novembre 2009 fait clairement partie des sujets difficiles à traiter lorsque l’on a le nez dans le guidon comme nous acceptons de le faire en tenant ce blog. Les virus de la grippe, dont le matériel génétique est constitué de segments d’ARN, sont enclins à muter fréquemment. C’est la raison pour laquelle le vaccin contre la grippe change chaque année ou presque : les virus saisonniers de la grippe mutent en permanence. Il y a deux rendez-vous annuels à l’OMS qui réunissent à Genève les quatre centres collaborateurs mondiaux pour la grippe, et qui fixent les recommandations pour la composition du vaccin saisonnier. Elles ont lieu pour l’une en février, et vise à la préparation vaccinale concernant l’hémisphère nord pour le mois de septembre suivant, et l’autre en septembre pour le vaccin de l’hémisphère nord destiné à l’hiver austral suivant. Ces réunions permettent de faire le point sur l’ensemble des mutations du virus de la grippe détectées durant la saison passée, et de faire le choix du prochain vaccin sur la base des souches qui semblent aux experts avoir la plus grande probabilité de circuler l’année suivante. Comme quoi les virologues et les épidémiologistes de la grippe sont habitués à faire des recommandations basées sur des prévisions. Comme quoi surtout, les mutations, sont-elles le lot quotidien des spécialistes des virus de la grippe. On n’en fait pas tout un fromage, lorsque trois mutations sont détectées pour un virus de grippe saisonnier. Mais, là la noblesse et peut-être l’inquiétude suscitées par ce virus pandémique encore mal connu donne un coup de projecteur inattendu sur ce phénomène somme toute qui n’est pas pour nous surprendre. Que ces mutations soient associées à des conséquences significatives est une question d’une autre difficulté. Il y a trois impacts potentiellement préoccupants de ces mutations qui sont aujourd’hui envisageables. Le premier, c’est la mutation qui permettrait au virus de devenir résistant aux antiviraux (Tamiflu ou Relenza, voire contre les deux, ce qui ne s’est pas encore produit avec le H1N1pdm). Le second impact serait une mutation qui s’associerait à un regain de virulence de la souche. On redoute souvent cela, mais ce n’est pas l’expérience que l’on a habituellement des mutations observées pour les souches saisonnières. Mais cela a déjà été observé dans le passé. Ainsi, une souche de sous-type H3N2, identifiée en juin 1997 à Sydney avait causé des épidémies particulièrement meurtrières à la fois dans l’hémisphère sud puis dans l’hémisphère nord. Ce ne fut pas l’hécatombe non plus. La troisième conséquence serait l’absence de protection vis-à-vis de la souche mutée apportée par le vaccin en cours de distribution. On parle alors de « mismatch » (discordance). La souche saisonnière de 1997 que je viens de citer cumulait les deux derniers impacts possibles qu’une mutation peut générer. Cette souche australienne était plus virulente, et de plus avait émergé – en juin 1997 – c’est-à-dire après la reccommandation émise par l’OMS en février pour la fabrication du vaccin saisonnier de l’année en cours dans l’hémisphère nord (et totalement hors de portée d’une adaptation du vaccin de l’hiver austral qui débutait alors). Le vaccin 1997 s’est révélé ne pas conférer une immunité protectrice satisfaisante cette année là, sans que ce fut à l’époque fortement médiatisé, Internet en était à ses début et ce n’était qu’une grippe saisonnière… Dans les cas récents de mutations décrits par Jean-Yves Nau à la suite des dépêches reçues ces derniers jours, il est encore trop tôt pour savoir si les mutations s’accompagneront ou non d’un regain de virulence. Il semble dores et déjà acquis que le vaccin actuellement fabriqué resterait protecteur contre ces souches mutantes, même si cela mérite probablement d’être confirmé avec le temps et l’expérience (il n’y a pas un corrélat très clairement établi entre les taux d’anticorps détectés et la protection clinique effective). Si ces souches mutées circulaient en grand nombre et que l’on se mettait à constater des formes sévères hospitalisées chez des patients vaccinés mais infectés par ces souches mutées, alors on aurait des doutes sur la protection conférée par le vaccin sur ces souches. Il semble par ailleurs acquis que les mutations (observées au Royaume Uni) concernent l’acquisition de résistance au Tamiflu. Ces résistances sont d’autant plus préoccupantes que nous ne disposons malheureusement pas d’études publiées sur l’efficacité et la sécurité de l’utilisation de combinaison entre le Tamiflu avec d’autres antiviraux, et de peu de recherche en cours sur ce sujet. Nous ne disposons pas d’un arsenal thérapeutique très étendu contre le virus de la grippe, nous n’avons pas d’expérience de bi ou tri-thérapie comme dans le cas du traitement du Sida. On pourrait rapidement se retrouver devant des impasses thérapeutiques si les antiviraux traditionnels de la grippe se révélaient inéfficaces en raison de l’émergence de souches résistantes.

Antoine Flahault

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Verts de grippe

On ne les avait jusqu’ici guère entendu sur le front de la pandémie. Il suffisait d’attendre. Au moment où Roselyne Bachelot, optimisme radieux chevillé au corps se félicitait du fait que le cap des 200 000 vaccinés soit dépassé les Verts ont, mercredi 18 novembre, instruit le procès du plan de lutte gouvernemental.

Force est bien d’observer que jusqu’ici la pandémie n’a guère donné matière à de véritables joutes politiques, les seuls affrontements véritables concernant les spécialistes de la question ; spécialistes véritables ou autoproclamés. Seul peut-être Jean-Marie Le Guen, député (PS, Paris) et président du Conseil d’administration de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris avait tenté une lecture critique de la politique gouvernementale dans ce domaine (Slate.fr du ….).

Comme souvent avec les Verts on change de registre et de ton. Les militants de ce parti que l’on dit hétérogène dénoncent désormais le « fiasco de la vaccination générale » face à la grippe H1N1pdm qualifiant dans un même élan de tribune le plan du gouvernement de « disproportionné » et la communication gouvernementale « ratée ».

« L’excès de zèle des autorités françaises a produit un plan délirant de
vaccination générale contre la grippe H1N1 qui, au final, pourrait avoir des conséquences sanitaires négatives »  écrit dans un communiqué Jean-Louis Roumégas, porte-parole des Verts qui s’émeut  du « coût exorbitant » de ce plan : « 1,5  milliard d’euros, deux fois le plan cancer, au moment où le personnel dénonce le manque de moyens chronique dont souffre l’hôpital ».

« La France est le seul pays à avoir choisi la vaccination générale de toute
la population et a commandé pour cela 94 millions de doses, soit deux fois plus que les Etats Unis, et 10% du stock mondial. Bravo pour la solidarité avec le reste de la planète… » ajoute M. Roumégas.  Il selon lui est grand temps de revenir à des mesures de bon sens et de rétablir la
confiance, de renoncer à la vaccination générale pour se concentrer d’abord sur les populations à risque, réintroduire les généralistes dans le dispositif, suspendre les centres de vaccination et ne les rouvrir qu’en cas de nécessité.

Les Verts déplorent encore une « une dramatisation à outrance au départ » ainsi que des « risques liés à la vaccination niés bêtement alors qu’ils sont probables ». Sur ce point les Verts souhaitent la création d’un « comité d’experts indépendants pour surveiller les effets secondaires du vaccin de façon transparente ».

Ainsi donc à peine l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) commence-t-elle à œuvrer en temps réel (avec publication de communiqués détaillés) dans le champ de la vigilance vaccinale qu’elle est déjà –tout comme le gouvernement- accusée de ne pas faire la nécessaire « transparence ».

Attendra-ton le printemps avant d’apprendre que la création d’une  commission d’enquête parlementaire est demandée ?

Jean-Yves Nau


Démocrathermomètre

Ainsi donc cette pandémie nous offre-t-elle, aussi, l’occasion de prendre la mesure des niveaux de démocratie sanitaire dans différents pays. Et j’espère que (si ce n’est déjà fait) des spécialistes de sciences politiques s’empareront du sujet et nous livreront au plus vite des analyses comparatives, notamment entre les grandes nations démocratiques de niveau de développement similaire.

Items : Quel a été le niveau du débat ? Sur quelles questions a-t-il porté ? A quel moment de la pandémie ? Qui a-t-il impliqué : les parlementaires (députés, sénateurs), les maires, les conseillers généraux, régionaux, les syndicats, les associations ? Comment le débat s’est-il organisé ? Comment les autorités de santé, les gouvernements ont-ils – ou non- accueilli ces questionnements en forme de remise en cause ? Comment ont-ils pris en compte les demandes formulées ?

A mes yeux il est sain que le débat prenne aussi, désormais, une tournure politique. Et au risque de me répéter : les experts n’ont pas à dicter des choix qui concernent la population ; ils peuvent apporter des éléments de compréhension au débat, tout au plus ; ces décisions sont principalement d’ordre politique.

A un degré plus fin (plus subtil, et donc plus difficile aussi) l’analyse pourrait chercher à évaluer l’impact de la préemption démocratique du débat sur l’évolution de la pandémie elle-même. Des retards ont-ils été engendrés ? Ou au contraire, les mesures ont-elles été mieux acceptées après débat et discussion ? Le cas d’école que représente cette pandémie est, de ce point de vue, tout particulièrement intéressant, éclairant, enseignant.

Aujourd’hui (comme nous l’avions observé et rapporté dans notre « Journal de la pandémie » couvrant les quatre premiers mois de ce phénomène)  le débat n’est pas fermé. Les contradicteurs ne sont pas pris au piège de la pensée unique. Et c’est heureux ! On peut être pour ou contre la vaccination. On peut trouver qu’on en fait « trop » ou « pas assez ». On peut vouloir « revendre » les stocks vaccinaux en surplus ou vouloir les « donner » aux pays les plus pauvres, voire … les garder encore un peu, au cas où.

Aucun tabou ! Pas d’anathèmes ! Un peu de cacophonie, certes. Mais les dissonances ont aussi leurs vertus. Verts et Oranges ;  Roses, Bleus, Blancs et Rouges partageons nos avis, nos incertitudes, nos croyances,nos inquiétudes, nos points de vue.

Antoine Flahault

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La pandémie des quatre jeudi ?

Fermer les écoles ou vacciner les écoliers ?

Il y a peu, sur ce blog, un commentaire signé Cathy : « Ce soir 51 établissements scolaires ont fermé pour cause de grippe A possibles ou avérés. J’hallucine un peu… POSSIBLES ou AVERES. D’autant que nos moufflets, qui ont bien compris l’”intérêt” de 3 malades dans la classe, se roulent des pelles à tour de bras pour se refiler la dernière angine, le dernier rhume…sans parler du thermomètre collé au radiateur. Novembre est un mois parfait pour jouer à ça. Ajouter à cela que les parents dans le contexte actuel sont bien plus enclin à garder chérubin à la maison.et hop… Vive les chiffres. Un modèle mathématique qui inclut ça ? »

Judicieuses observations et dérangeante question puisque l’épidémie progresse à grande vitesse et commence, ici ou là, à gripper le système scolaire. Selon le Dr Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS) plus d’un million et demi de personnes ont déjà été infectées par, du moins peut-on le penser, le H1N1pdm. Et dans le même temps, chiffres donnés par Roselyne Bachelot, 160.000 personnes (seulement ?) ont été vaccinées dans des centres ou dans des établissements de santé. Rappelons que cette vaccination est aujourd’hui proposée à 7 millions de personnes.

L’actuelle flambée épidémique concerne notamment le sud de la France et correspond, comme on pouvait le craindre, à une augmentation du nombre d’hospitalisations pour cas graves : 25 cas en réanimation ou soins intensifs durant la deuxième semaine de novembre. Point important, selon le Dr Weber 21% des cas graves concernent des moins de 15 ans ce qui est plus que ce que l’on observe lors des grippes saisonnières. La France métropolitaine compte désormais 46 mort dont 14 on été recensé durant les sept derniers jours. Deux adolescents de 15 et 16 ans et une jeune femme de 27 ans sont morts sans que l’on retrouve chez eux de facteurs de risque.

Pour ce qui est de l’intensification de la circulation virale en milieu scolaire aucun doute n’est plus permis : le nombre de nouveaux cas de grippe H1N1 « avérés » ou « probables » a environ quintuplé en cinq jours et aujourd’hui 122 classes de 60 établissements dans 17 académies sont fermées. Luc Chatel, ministre de l’Education nationale postule que  les « personnels sont prêts » à faire face à l’épidémie. Il rappelle aussi que le plan de lutte contre la grippe H1N1 prévoit que les préfets peuvent décider de fermer une classe, voire un établissement, à partir de trois cas apparus dans la même semaine dans une même classe, ou dans des classes différentes ayant des activités partagées, comme la cantine. En théorie la fermeture est alors d’au moins six jours consécutifs, le temps « du traitement et de l’assainissement des locaux ». Selon le ministère l’organisation des cours à distance relève « de la compétence habituelle et de l’initiative des équipes pédagogiques » : travaux de recherche, exercices d’entraînement, distribution de supports de cours par internet.
La diffusion de programmes radiotélévisés (déjà préparés) n’est envisagée que dans l’hypothèse d’une fermeture durable et d’ampleur des établissements d’enseignement.

A ce stade une série de questions ne peuvent pas ne pas être soulevées. Qui est à l’origine de ce dispositif de décision de fermeture des classes et des établissements scolaires ? Sur quels modèles mathématiques  statistiques et virologiques a-t-il été bâti ? A-t-on la preuve de son efficacité en matière de réduction de la circulation virale dans les populations enfantines et adolescentes dès lors que cette circulation s’intensifie ? Qu’en a-t-il été dans l’hémisphère Sud et notamment à La Réunion ? Qu’en est-il aujourd’hui dans les pays de l’hémisphère Nord confronté à la pandémie ? Ayant beaucoup travaillé sur ces questions Antoine Flahault apportera ici même toutes les réponses nécessaires.

Mais d’ores et déjà une autre question se pose. La vaccination ayant été proposée à 7 millions de Français et n’ayant rencontré que 160 000 volontaires pourquoi ne pas songer à la proposer aux enfants dont les écoles ne sont pas encore fermées ? Dans « A(H1N1) Journal de la pandémie » (Editions Plon) nous rapportons à la date du mercredi 12 août, sous le titre « A la rentrée les écoles seront-elles fermées » les propos de Luc Chatel qui venait alors d’être nommé ministre de l’Education nationale. Traitant de la future pandémie il expliquait qu’il ne fallait « ni minimiser, ni dramatiser » ajoutant : « une vaccination généralisée des enfants n’est pas d’actualité ». A la mi-août certes. Mais à la fin novembre ?

Dernier point d’actualité : la vaccination des 400 000 femmes enceintes (arrivées au deuxième ou troisième trimestre de leur grossesse)  qui le souhaitent sera proposée à compter du vendredi 20 novembre. Cette proposition concerne aussi les bébés âgés de 6 à 23 mois dont le nombre est d’environ 1,1 millions. Pour ces futures mères comme pour les tout-petits le vaccin proposé sera, au titre du principe de précaution, sans adjuvant. Sera-t-il, à ce titre, mieux accepté ?

Jean-Yves Nau

(1) Pour l’InVS un cas « probable » se définit ainsi : «  forme clinique grave sans autre étiologie identifiée, dont le tableau clinique et l’ensemble des renseignements fournis au médecin évoquent le diagnostic de grippe même si la confirmation biologique n’a pu être obtenue ».

La culture française des vacances scolaires a éclairé le monde pandémique

Plus la pandémie progresse dans le temps et dans le monde mieux l’on perçoit l’un des indicateurs les plus pertinents de sa pénétration durable dans un territoire : la survenue de cas sévères et de décès. Mi-septembre, le démarrage d’une activité épidémiologique élevée et inhabituelle de syndromes respiratoires bénins observés par les médecins Sentinelles s’accompagnait sporadiquement de cas sévères hospitalisés : c’était la signature de  la présence du virus H1N1pdm, mais pas encore son déferlement massif.

Pendant ce temps, aux USA, au Canada, les urgences s’engorgeaient progressivement, les unités de soins intensifs aussi. Avec environ un mois de décalage, nous sommes en train de voir émerger le même type de phénomène en Europe, comme s’il était implacable, ressemblant à ce qui a été constaté durant l’hiver austral dans l’hémisphère Sud. De quelle  ampleur la vague sera la vague ? On ne peut pas le dire encore, sauf, sans prendre de risque, qu’elle sera au moins du niveau de celle observée dans l’hémisphère Sud. L’ « avance » nord-américaine en la matière nous offrira quelques semaines de précieux retour d’expérience sur ce qui devrait se passer en Europe. Il va donc falloir être très vigilant sur ce qui se passe outre-Atlantique et très réactif.

Je suis actuellement à Genève en réunion de travail à l’Organisation Mondiale de la Santé, côtoyant des experts de nombreux pays. Personne ici ne pense (ni ne dit) que la vague aurait atteint son pic en Amérique du Nord, ou que l’affaire serait réglée. Personne ne mentionne non plus l’attitude de la France comme différente de celle des autres pays européens. Ne nous flagellons pas inutilement à ce sujet ! J’ai appris, dans les discussions de couloir, que même dans la noble institution en charge de la coordination de la surveillance européenne de la grippe (ECDC), la campagne de vaccination contre H1N1pdm avait été de modeste réussite (moins de 30% des personnels s’étant portés volontaires pour la vaccination à ce jour…). Il y a du chemin à parcourir pour voir les Européens convaincus de l’intérêt de la vaccination pandémique.

Les Nord-Américains se comportent différemment. Peut-être, a-t-on avancé à Genève, parce que la vague épidémique – et donc l’annonce progressive dans les médias des formes sévères – est survenue plus tôt dans la saison, et à une époque où l’on n’avait pas l’habitude de voir circuler ces virus traditionnellement hivernaux.

Concernant la France et ses écoles, l’un de nos plus fidèles blogueurs (Loom) a répondu de manière fort appropriée à Cathy que le préfet fermait les écoles sur la base d’un regroupement de cas confirmés H1N1pdm, pas sur de simples rumeurs, laissant ainsi peu de place aux fermetures pour de fausses alertes. Nous avons en effet beaucoup étudié cette question de la fermeture des écoles (in Nature, résumé en anglais en ligne), et la France est sans doute assez pionnière en la matière, grâce à l’organisation des… vacances de février ! En effet, il s’agit quasiment d’un essai randomisé : nos chères têtes blondes sont réparties sur des zones académiques et leurs vacances se déroulent entre début février et début mars et permutent chaque année. Si – « par chance », allait dire l’épidémiologiste, pardonnez-le– une épidémie de grippe saisonnière survient durant cette période de l’année (ce qui est fréquent), alors on peut étudier l’impact sur l’épidémie des fermetures d’école pour vacances scolaires dans la zone où elle a lieu et le comparer aux zones où les écoles n’ont pas fermé.

Le résultat est édifiant : la fermeture pendant 15 jours des écoles en février ralentit l’épidémie, diminue son ampleur de façon significative et répétée, et même, elle diminue significativement la mortalité des personnes âgées (celles qui paient toujours le plus lourd tribut à la grippe saisonnière). Ensuite, nous avons intégré ces résultats dans des modèles mathématiques simulant sur ordinateur une vague pandémique et évaluant l’impact qu’auraient des fermetures de classe systématiques et planifiées. Eh bien, ce n’est pas la panacée. Ce n’est pas l’efficacité qu’aurait une vaccination massive de 30 à 50% de la population, mais c’est quand même une mesure d’une efficacité notable. Peut-on faire reposer une stratégie d’intervention sur des modèles mathématiques ? Ici, oui, peut-être, car les données épidémiologiques dont je viens de vous parler (et qui plus est provenant de France) alimentent les modèles et donc les complètent. On n’est pas dans une réflexion théorique pure (ce qui est le cas par exemple de la discussion sur la vaccination de masse contre la grippe que propose Jean-Yves Nau chez les enfants, mais qui n’a jamais été testée malheureusement à ce jour, sauf au Japon il y a trente ans avec des résultats mal évalués et controversés).

La vie est complexe, comme notre blog (notamment) en témoigne. Et de nombreuses questions subsistent encore : combien de temps faudrait-il fermer les écoles pour être véritablement efficace ? A quel moment de la vague pandémique faut-il les fermer ? Quels coûts auraient ces mesures appliquées systématiquement, en arrêtant le travail des parents pour qu’ils puissent garder leurs enfants ? Face à ces interrogations (et faute d’évaluation conduites en ce sens en période d’épidémies saisonnières) les décideurs sont en situation de semi-incertitude. Ils  sont contraints de naviguer à vue, un peu à tâtons, d’où les fermetures d’écoles de-ci, de-là et l’impression parfois que tout cela ne répond pas à une stratégie très bien définie. Et pourtant une stratégie qui marche !

Antoine Flahault

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Vaccination de proximité

Vaccins : les généralistes retournent leur veste !

Fin octobre on découvrait que près de la moitié des médecins généralistes français déclarent ne pas souhaiter se faire vacciner contre l’infection par le nouveau virus grippal H1N1 (Slate du 28 octobre). Mi novembre les Français apprennent que ces mêmes généralistes réclament de pouvoir vacciner leurs patients non pas dans les dispensaires publics prévus à cet effet mais bien dans le cadre de l’exercice libéral de leur cabinet. Une volte-face en deux semaines. Comment comprendre ?

On nous fera remarquer, non sans raisons, les failles d’un tel raccourci ; des failles de nature méthodologique et statistique. Les chiffres de la fin octobre émanaient d’un sondage  conduit sous l’égide de trois organisations qui ne sont en rien (bien au contraire!) contre la nouvelle vaccination anti grippale (1). Quant aux velléités vaccinales aujourd’hui exprimées par le corps des généralistes elles émanent de divers responsables syndicaux dont la représentativité, comme souvent en France, pose certes question. Il n’en reste pas moins vrai que l’on est bien ici confronté à une série de questions sanitaires stratégiques et fondamentales ; des questions qui dépassent de loin l’actuelle menace pandémique. De ce point de vue l’équation est éclairante, pour ne pas dire passionnante.

Résumons. Le sondage dont Slate.fr avait donné en avant-première, les résultats semblaient sans équivoque. Cette étude nationale avait été menée à partir de  3.530 réponses  de praticiens recueillies entre le 17 et le 27 octobre. Reprenons-en ici les principales conclusions :

  • En France aujourd’hui plus d’un médecin sur trois (36,8%) déclare ne pas vouloir se faire vacciner (33,4% chez les hospitaliers, 41,8% chez les libéraux).
  • Chez les opposants à la vaccination, ils sont 70,3% à redouter les possibles effets des «adjuvants» présents dans les vaccins.
  • 60% critiquent le principe de la double injection vaccinale devant être pratiquée à trois semaines d’intervalle.
  • Ils sont 71% de ce tiers de médecins à redouter les possibles complications vaccinales.

Ces mêmes résultats indiquaient en outre que près d’un quart des médecins volontaires pour se faire vacciner n’étaient pas décidés à prêcher la bonne parole immunisante.

En quelques jours le paysage a radicalement changé Au fur et à mesure que l’on prenait la mesure de la faible réponse collective aux propositions gouvernementales de vaccination (on pourra peut-être bientôt parler de fiasco) les organisations syndicales médicales sont montées en ligne.

L’affaire est aujourd’hui bien résumée par notre consoeur Sandrine Cabut dans les colonnes « Sciences-Médecine » du Figaro.

Extraits : « Exclus jusqu’ici du dispositif, les médecins de ville montent au créneau pour être autorisés à réaliser les injections dans leurs cabinets. ‘’Prétendre vacciner à large échelle en court-circuitant ceux qui connaissent le mieux les Français, les généralistes et les pédiatres, c’est prendre tous les risques d’un échec’’, s’insurge le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le principal syndicat de médecine libérale. Associée à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), la CSMF demande instamment au gouvernement de rectifier le tir, en adaptant l’organisation de la vaccination. ‘’C’est une aberration que le protocole soit si compliqué. Plus il y a de réticences, plus il faudrait le simplifier, note pour sa part le Dr José Clavero, porte-parole de l’Union régionale des médecins libéraux d’Ile-de-France. Nos patients ont envie d’être vaccinés par quelqu’un qui les connaît, pas par un anonyme. Avec la proximité, il est plus facile de discuter et de convaincre’’. Le principal syndicat des médecins généralistes, MG France, est sur la même ligne. »

En substance : pourquoi ne pas nous nous avoir demandé de participer à l’effort vaccinal et national ? Solidarité véritable ? Corporatisme libéral intéressé ? Urgence sanitaire ou opportunisme ? Comment trancher ? Nous reviendrons bientôt (avec ou sans son aide) sur les propos que vient de tenir, ce 16 novembre sur RTL, le Pr Didier Houssin directeur général de la santé. L’organisation de la vaccination ? « Un enfer logistique !»

Jean-Yves Nau

(1) Il s’agissait de la Coordination médicale hospitalière (CMH) , du syndicat MG France, et du syndicat national des médecins, chirurgiens, spécialistes et biologistes des hôpitaux publics  (SNAM HP) Parmi les responsables de cette initiative figurent les Dr François Aubart (Président de la CMH), Robert Cohen (professeur de pédiatrie), Olivier Goeau Brissonière (président de la FSM), Bruno Housset (professeur de pneumologie), Martial Olivier Koerhet (président de MG France), Bernard Régnier (professeur de réanimation médicale) et Roland Rymer (président du SNAM HP).

Réconcilier les Français avec la vaccination

Il y a quelques semaines, j’ai été invité par une dynamique Amicale de médecins libéraux d’une ville de banlieue parisienne pour échanger avec eux durant toute une soirée au sujet de cette pandémie. Il y avait aussi quelques pharmaciens. C’était précisément au moment où paraissaient les résultats de divers sondages concernant les réticences sur les professions de santé vis-à-vis de la vaccination en France. Les témoignages que j’ai pu recueillir m’ont conduit à des conclusions moins à l’emporte-pièce que ces résultats ne le suggéraient.

Ainsi, les médecins généralistes que j’ai rencontrés, dont on pourra toujours penser qu’ils n’étaient pas représentatifs de leur profession (ils étaient cependant presque tous présents, m’a assuré le président de l’Amicale), n’étaient pas particulièrement hostiles à la vaccination. En revanche, ils étaient unanimement mécontents de la façon dont elle avait été mise en place. Sans eux. Enfin, pas vraiment sans eux. Ils avaient été récemment convoqués par la mairie pour indiquer les heures de permanence qu’ils étaient prêts à assurer volontairement. Presque tous avaient répondu présent à l’appel civique. Mais en posant certaines conditions : ils souhaitaient notamment dans leur grande majorité que ces permanences s’effectuent après leur travail, entre 18h et 22h, entre midi et deux heures, ou le samedi après-midi. Ils pensaient d’ailleurs offrir des plages horaires de nature à satisfaire les personnes qui travaillaient elles-mêmes. Mais c’était sans compter sur les horaires des personnels de la mairie qui a unilatéralement décidé d’ouvrir aux strictes heures ouvrables les gymnases pour ces vaccinations : du lundi au vendredi de 9h à 12 et de 14h à 16h. Eh hop, réglé d’un coup. Ca ne s’invente pas.

Les médecins ont alors boudé, c’est vrai. Si ce sont eux que vous sondez, peu après, pour connaître leur sentiment sur le dispositif national mis en place, vous imaginez leur réaction. Ces médecins étaient plutôt civiques au départ, prêts à participer à l’effort collectif, à fermer un peu plus tôt leur cabinet pour aller vacciner puisque l’on refuse qu’ils fassent les mêmes gestes dans leurs cabinets. En revanche, ils étaient devenus très déterminés à attendre les réquisitions du préfet pour fermer leurs cabinets aux heures ouvrables compte-tenu du refus de toute écoute municipale.

Alors retournent-ils leurs vestes aujourd’hui ? Pas sûr. Peut-être disent-ils plus haut, ce qu’ils disaient entre eux dans leurs Amicales : « confiez-nous cette mission, et nous la ferons mieux que vous, vous verrez ! » Chiche ? Et si c’était vrai ? Si l’on confiait aux pharmaciens une partie de ces stocks si difficiles à écouler dans les gymnases municipaux et aux médecins généralistes la possibilité d’injecter ces vaccins, sereinement, dans leurs cabinets, peut-être inverserions-nous la tendance actuelle ? Peut-être pourrions-nous réconcilier les Français avec cette vaccination dont on a la chance qu’elle ait pu être disponible en un délai record ?

Antoine Flahault

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Réveil sanitaire à Atlanta

Ce que nous voyons en 2009 est inédit…

Changement de programme. Jean-Yves Nau me suggère aujourd’hui d’inverser nos deux rôles. Pourquoi pas ? Il sera ainsi un moment « l’expert » tandis que je serai dans le même temps le « journaliste ». Espérons que l’expérience sera  provisoire et que nous pourrons au total et autant que faire se peut bénéficier de votre indulgence, plénière ou partielle.

« Nous surveillons la grippe depuis plusieurs décennies. Ce que nous voyons en 2009 est totalement inédit. La grippe H1N1 est actuellement le motif de consultation de 8% des médecins nord-américains, soit le taux le plus élevé rapporté depuis 40 ans de surveillance continue » ; ce sont les mots prononcés avant-hier (12 novembre 2009, verbatim en anglais, en ligne) par Mme Schuchat, la responsable du centre des maladies respiratoires et des vaccinations des célèbres Centers for Disease Control and Prevention (CDC) basés à Atlanta et véritable temple de la veille sanitaire nord-américaine ; CDC qui emploient 12 000 personnes à plein temps.

Mme Schuchat ajoute : « les autorités de santé nord-américaines sont à la recherche d’un modèle plus fiable pour évaluer les effets de cette pandémie de grippe H1N1. Le système actuel a potentiellement transmis une image imparfaite du film de cette pandémie. Nous sommes vraiment en train de tenter de donner une image plus conforme à la réalité ». Ainsi dans cet effort – et cet aveu – les CDC nous révèlent qu’ils viennent de revoir à la hausse leurs précédentes estimations, et que désormais, il faut évaluer à 22 millions le nombre de cas de cette grippe pandémique survenus sur le territoire US, 98 000 le nombre d’hospitalisations et 3600 décès. Soit des chiffres… quatre fois supérieurs à ceux rapportés avec les précédents instruments de mesure.

Désormais, les données chiffrées seront basés sur un échantillon de cas confirmés provenant de 10 Etats (des USA) avant d’être extrapolés au niveau national. Ces estimations seront mises à jour toutes les trois ou quatre semaines. Que nous apprennent encore les responsables sanitaires américains ? Que 90% de ces décès rapportés avaient moins de 64 ans, les jeunes, les femmes enceintes et les personnes atteintes d’asthme et de diabète étant les plus à risque de décès ; que la grippe saisonnière fauche, en moyenne chaque année, 36 000 vies aux USA.

Mais ces chiffres, rappellent de nombreux expert(voir site Health Sentinel, billet du 3 novembre 2009, en anglais, en ligne), ne sont pas des nombres exacts non plus, ils sont déduits de modèles statistiques forgés à partir des statistiques de décès. « Car les Etats n’ont pas l’obligation de notifier les cas et les décès par grippe chez l’adulte ; et la grippe est rarement rapportée dans les certificats de décès des personnes qui meurent de ses complications, rendant la mortalité très difficile à tracer ». Par ailleurs, et dans ce contexte, on se plaint aux USA des retards de livraison des vaccins. « Seulement » 41,6 millions de doses ont pu être distribuées aux Etats-Unis à ce jour, moins de la moitié de ce qui était prévu , des chiffres qui laisseront songeurs les autorités sanitaires françaises qui ne savent comment écouler leurs stocks. Elle est compliquée cette grippe pandémique à appréhender, n’est-ce pas ?

Antoine Flahault

Vade retro

Avant toute chose, parvenir à résister à la tentation. Proposer ici, un instant, le jeu du changement des rôles ; mais pour tenter aussitôt d’expliquer que tout ceci n’est pas un jeu. Du moins pas dans les deux sens. Car il est sans doute moins dangereux que  l’ « expert » prenne la place du « journaliste » que l’inverse.

Car de quoi s’agit-il sur le fond en matière de journalisme ? De savoir lire et écrire, observer et écouter ; souvent d’oser  prendre la parole sur un sujet que l’on connaît, non pas dans les infinis détails, mais bien dans les grandes lignes raisonnables et citoyennes ; de hiérarchiser autant que faire se peut les questionnements sous-jacents aux faits ; puis parfois, si on en a le talent, de faire en sorte que rien en soit plus beau que la vérité sinon une histoire joliment racontée  – pour reprendre la belle formule de Jean-Pierre Quélin, qui fut journaliste au Monde et qui sut enseigner ce que, papier journal ou pas, pouvait et devait être l’écriture. On voit bien que l’expertise est d’un autre ordre, qu’elle renvoie à d’autres considérants professionnels.

Et l’on pourrait se cantonner à ces évidences; cesser là ce billet. On pourrait mais ce serait cacher qu’une tentation, parfois, émerge : celle de profiter de sa plume pour monter en chaire. Donner des leçons. Dire où est, dans l’instant, le vrai et le faux quitte à changer de registre quand les vents commenceront à tourner. La tentation est grande et parfois contagieuse. On peut ainsi ne pas toujours fréquenter sans risque ceux qui détiennent un fragment de pouvoirs (le maire, le préfet, le capitaine d’industrie, l’évêque, le ministre, le président…) sans être atteint par une forme momentanée de griserie ; celle inhérente à un spectacle dans lequel on est sur la scène tout en pouvant raconter (une partie de) ce qui se passe dans les coulisses.

Pour revenir à notre sujet et à la pandémie c’est dire toute l’importance –disons démocratique – qu’il y a à maintenir les frontières  entre les « journalistes » et les « experts ». Ce qui n’interdit nullement aux premiers de se coltiner avec les seconds quand ils l’estiment nécessaire (avouera-t-on ici que l’on aimerait que la chose puisse exister publiquement dans l’autre sens ?). Et a fortiori (faudrait-il le rappeler) l’importance qu’il y a à maintenir les frontières entre « journaliste », « expert » et « décideur».

En rapportant les nouveaux chiffres américains des CDC concernant la pandémie grippale Antoine Flahault joue le jeu sans tricher. Il rapporte au mieux les faits comme le font les reporters. La gamme journalistique est certes plus large. L’analyste (qu’il est aussi) pourrait tenter de comprendre pourquoi les Etats-Unis sont, en 2009, à ce point impuissants quand il s’agit des statistiques concernant la vie et de la mort de leur peuple ; sans même parler des incuries de leur système d’assurance maladie. Le commentateur pourrait commenter les failles  américaines dans ce domaine et l’éditorialiste prodiguer les leçons qui lui semblent urgentes et indispensables.

Mais en aucun cas, nous semble-t-il, l’éventail journalistique ne saurait intégrer le travail et les prérogatives des « experts », et ce quel que soit les domaines d’exercice de ces derniers. Les entendre, certes, leur donner la parole, confronter leurs conclusions, aider aux débats, faire la lumière sur l’articulation ingrate, difficile, parfois douloureuse entre l’expert et le décideur, le scientifique et le politique. L’expérience nous a appris que ceci était tout particulièrement indispensable lors des crises sanitaires. Angélisme ?

Jean-Yves Nau

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Vaccin contre la grippe : brouillard en novembre

Effets secondaires ou effet de loupe ?

On avait annoncé la mis en place d’un dispositif sans précédent de surveillance de la campagne nationale de vaccination. Et force est bien aujourd’hui de constater que ce dispositif fonctionne ; avec toutes les conséquences que l’on peut désormais imaginer sur la poursuite de la campagne. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, bulletin n°2 du 13 novembre 2009, accessible en ligne, pdf gratuit) vient ainsi de publier son dernier bilan. Nous apprenons ainsi qu’entre le 21 octobre et le 10 novembre 2009, environ 100 000 doses du vaccin antigrippal administré sous la marque Pandremix. Cette vaccination a concerné les personnes volontaires membres des personnels de santé, médico-sociaux et de secours des établissements hospitaliers.

L’’Afssaps explique avoir eu connaissance de 91 signalements d’ « effets indésirables » adressés par les professionnels de santé. Cette agence prend soin de rappeler  que tout événement indésirable observé après l’administration du vaccin peut être lié à une autre cause (comme certaines affections de la personne vaccinée…). « Par conséquent, l’analyse de la causalité nécessite d’avoir toutes les informations disponibles afin de permettre d’évaluer le rôle propre du vaccin lui-même » ajoute-t-elle.

Détaillons. La majorité des cas rapportés (91.0%) a été « d’intensité bénigne à modérée ». Toutefois quatre d’entre eux ont nécessité une hospitalisation. Les cinq cas restants jugés médicalement significatifs n’ont nécessité qu’une simple surveillance, et leur évolution a été rapidement favorable (3 cas de malaise associé à une augmentation de la pression sanguine, 1 cas de sensation vertigineuse et 1 cas de douleur intense au site d’injection)

Au total l’Afssaps a recensé 82 signalements d’effets indésirables « non graves », correspondant à un total de 230 réactions indésirables survenues dans les heures suivant la vaccination. Elles sont classées en trois groupes. Tout d’abord les

« réactions au site d’injection » (douleur, induration, œdème). Ensuite les « réactions allergiques » (érythème, urticaire général ou urticaire localisé). Enfin les « réactions générales » (fièvre, maux de tête, fatigue, syndrome grippal). Signalons encore un cas de conjonctivite bilatérale, un cas d’hématome au niveau de la cheville et un cas de saignement du nez, tous d’évolution favorable, ont été signalés. « L’imputabilité de ces cas au vaccin est douteuse » souligne l’Afssaps.

Les quatre notifications d’effets « graves » 1 concernent : deux affections neurologiques, une réaction allergique et une affection respiratoire. Citons l’Afssaps.

Il s’agit :

.  d’un homme de 34 ans avec des antécédents de troubles neurologiques à type de paresthésies notamment engourdissement des membres inférieurs ; douze années avant la vaccination par Pandemrix, a présenté des signes cliniques comparables trois jours après l’injection du vaccin. Les résultats préliminaires issus des examens neurologiques suggèrent une deuxième poussée de démyélinisation centrale. Cependant, les résultats des examens en cours sont nécessaires pour établir la cause. A l’heure actuelle, l’état du patient toujours hospitalisé s’améliore.

.  d’une  femme de 37 ans sans antécédents médicaux particuliers a présenté des paresthésies (fourmillements, troubles de sensibilité), ascendantes des pieds jusqu’au cou et irradiant vers les membres supérieurs, 6 jours après la vaccination par Pandemrix. Une régression des signes cliniques après échanges plasmatiques en hôpital de jour a permis son retour à domicile. Un diagnostic de syndrome de Guillain-Barré de forme modérée est suspecté. Cependant, les résultats des examens en cours sont nécessaires pour établir la cause. Il s’agit d’une maladie rare dont l’incidence annuelle est d’environ 2,8 cas pour 100 000 habitants par an. On estime qu’en France 1 700 patients sont hospitalisés chaque année pour un syndrome de Guillain-Barré. Ce risque augmente lorsqu’on est atteint de la grippe.

. d’une réaction allergique à type d’oedème de Quincke est survenue dans les minutes suivant la vaccination chez une femme de 26 ans sans aucun antécédent personnel ou familial d’allergie. Son état s’améliore sans aucune séquelle sous traitement adapté.

. d’une femme de 30 ans, avec des antécédents médicaux d’allergie aux poils de chat, a présenté un tableau clinique associant bronchospasme (spasme des bronches), dyspnée (essoufflement), fièvre et urticaire le soir même de la vaccination par Pandemrix. Son état s’améliore sous traitement adapté.

Pour l’Afssaps la plupart des cas déclarés au système de pharmacovigilance correspondent à des effets attendus de ce vaccin. « Deux des quatre cas graves, concernant des affections neurologiques, font partie des catégories d’effets indésirables identifiés dans le plan de gestion des risques européen et national des vaccins H1N1. Aussi, les effets  indésirables portés à la connaissance de l’Afssaps à la date du 10 novembre 2009 ne remettent pas en cause la balance bénéfice-risque du Pandemrix ».

Que conclure ? Que c’est sans aucun doute ici un remarquable travail de transparence en matière de politique sanitaire ; un travail qui, s’il avait été mené en son temps aurait peut-être permis de prévenir la bien triste affaire du vaccin contre l’hépatite virale B (en France ou celle de la vaccination contre la rougeole en Grande Bretagne). Mais comment ne pas penser que cette même transparence aura immanquablement des effets potentiellement négatifs en termes d’ « adhésion » de la population au dispositif d’immunisation gratuit et non obligatoire qu’on lui propose ? Et on a parfois le sentiment que cette même transparence peut prendre une sorte de dimension contagieuse, s’apparenter à une forme de puits sans fond. De ce point de vue le traitement de l’affaire, désormais célèbre du premier cas observé ici de syndrome de Guillain et Barré (qui nous aidera à faire un jour l’historique et le descriptif de ce syndrome entré en quelques jours dans le langage commun ? ) est exemplaire. Les autorités sanitaires annoncent dans la soirée du jeudi 12 novembre l’existence de ce cas. Le lendemain plusieurs médias radiophoniques reprochent à Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de « sembler faire marche arrière » en indiquant au Sénat que le lien de causalité n’est pas établi, que la relation entre vaccin et syndrome était même contestée et que ce syndrome était sans doute dû à un état grippal que la personne avait avant la vaccination. Ainsi ce vaccin protègerait même contre le syndrome de Guillain et Barré. Où est donc la « marche arrière » ? Et les autorités sanitaires d’être cette fois accusée d’avoir annoncé beaucoup trop vite l’existence de ce syndrome avant d’avoir fait la pleine lumière… Et les mêmes autorités d’être accusées de se tirer une balle dans le pied en péchant par excès de transparence…

Interrogé sur le grill des ondes, le Pr Didier Houssin directeur général de la santé : « Il est très important dans ce domaine de dire tout ce que l’on sait en sachant que bien souvent on a pas mal d’ignorance. Un cas de ce type était déjà public puisqu’il est survenu dans un établissement de santé. L’information était déjà connue et il était bien préférable de dire ce que l’on savait plutôt que de donner le sentiment que l’on cachait quelque chose. Le lien avec la vaccination n’est pas démontré mais il était important de donner connaissance de cet événement à l’ensemble des Français. Survenir « après » cela ne veut pas dire survenir « à cause de ». Vous allez avoir bientôt des gens qui vont mourir brutalement de mort subite, des femmes qui vont avorter, des grossesses qui ne vont pas aller à terme …. Et un certain nombre de ces personnes auront eu quelques jours ou quelques semaines avant une vaccination. La question bien évidemment ne manquera pas de se poser d’un possible lien. C’est tout le travail de l’Afssaps que d’analyser tous ces cas. »

Oui mais revenons sur le cas du syndrome de Guillain et Barré. La journaliste : « Oui mais si ce syndrome est dû au fait que la personne avait un syndrome grippal pourquoi l’a-t-on vaccinée alors que l’on ne doit pas vacciner les personnes présentant les symptômes d’un syndrome grippal ? » Le Pr Didier Houssin : « Oui vous avez raison, c’est un point qui mérite d’être souligné. Mais il peut y avoir parfois des syndromes grippaux qui débutent sans manifestations cliniques très importantes et que la vaccination soit faite alors que les signes ne se sont pas manifestés. Mais là encore ce n’est qu’une explication car la grippe n’est pas la seule en cause. » Pout finir le directeur général de la santé dira que l’on estime, avec le recul, que probablement « un cas de ce type de syndrome sur un million » peut être dû à la vaccination.

Jean-Yves Nau

(1) D’une manière générale le suivi national de pharmacovigilance renforcé repose sur la notification des événements indésirables médicamenteux par les professionnels de santé au réseau national des 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et aux laboratoires pharmaceutiques. Ainsi tout médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien ou sage-femme ayant constaté un effet indésirable grave ou inattendu susceptible d’être dû à un médicament, qu’il l’ait ou non prescrit, doit en faire la déclaration immédiate au CRPV. Tout autre professionnel de santé (personnel soignant) peut aussi signaler de tels événements. Dans le contexte particulier de la pandémie, l’Afssaps a également prévu que les patients, s’ils le souhaitaient, puissent déclarer eux-mêmes des événements indésirables qu’ils suspectent d’être liés à la vaccination H1N1 au moyen d’un formulaire de déclaration téléchargeable, disponible sur son site (pdf en ligne).

Doutes sur le bénéfice et Bénéfices du doute

Les dispositifs de vigilance sanitaires ont toujours été mis en place à la suite de crises sanitaires. Et c’est après la survenue de phocomélies (absence ou raccourcissement de la racine des membres) chez les nouveaux nés de femmes ayant pris de la thalidomide que le concept de pharmacovigilance s’est progressivement mis en place dans les différents pays développés (recommandation de l’OMS, dès 1962, un an après l’identification du drame). Ajoutons ici que c’est après l’affaire dite des syndromes de Guillain et Barré (en 1976 aux Etats-Unis) que le concept de vaccinovigilance a complété le dispositif de sécurité sanitaire ; ou encore que c’est après l’affaire du sang contaminé que les dispositifs d’hémovigilance ont été installés en France. De la même manière en 2003 la crise de canicule en France a contribué à renforcer la veille sanitaire.

Tous  ces dispositifs de vigilance reposent principalement sur la déclaration spontanée d’événements indésirables. La première difficulté est de déterminer la relation causale entre l’événement et la prise du produit de santé (médicaments, vaccins, produits dérivés du sang, etc…). Nous y reviendrons plus bas.

La deuxième  difficulté est de déterminer la fréquence de survenue de ces événements, car le degré de sous-notification n’est jamais connu avec précision. Un exemple (réel) : je me suis fait vacciner récemment contre la grippe H1N1pdm au sein de l’hôpital qui m’emploie. La vérité est qu’au bout de quelques heures j’ai eu sacrément mal au point d’injection (le muscle deltoïde de l’épaule gauche) ; au point que la douleur m’a empêché de bien dormir deux nuits de suite. Mais je ne l’ai déclaré à personne. On ne peut donc pas mesurer la fréquence des phénomènes sur les registres de déclarations d’effets indésirables, notamment les phénomènes bénins. On peut en revanche penser qu’on sait mieux approcher la réalité pour les phénomènes plus graves et plus rares comme les bronchospasmes, les œdèmes de Quincke ou les syndromes de Guillain et Barré.

La troisième difficulté, la plus importante, est la réévaluation du rapport entre les bénéfices et les risques du vaccin. En effet, ce rapport n’en est pas un, au sens mathématique du terme (notre co-auteur-blogueur, Jean Rabat en sera fort marri). On ne sait pas dire par exemple « lorsque ce rapport est supérieur à 2,5 alors le produit mérite sa place dans la pharmacopée ». On ne sait seulement même pas calculer ce « rapport ». D’une part on ignore ce qui est au numérateur (comment quantifier les bénéfices de la vaccination pour le patient ?), et d’autre part comment décider du dénominateur (comment additionner les douleurs au point d’injection avec les bronchospasmes et les syndromes de Guillain et Barré ?).

Le plus simple que l’on pourrait tenter de faire serait de mettre dans les deux termes du rapport des fréquences de décès (décès évités par la vaccination versus décès suspectés d’être dus à la vaccination). Encore faudrait-il les connaître, et ce n’est pas le cas (aujourd’hui), ni pour le numérateur, ni pour le dénominateur.  Et puis, nous ne fonctionnons pas avec un rationnel purement mathématique ou épidémiologique. Fort heureusement peut-être, d’ailleurs. Ainsi, quand bien même nous expliquerait-on avec précision que l’on a 100 fois moins de risque de mourir en se faisant vacciner que sans vaccin, le seul fait de savoir que l’on risque, avec le vaccin, une maladie neurologique inconnue et un peu mythique comme le syndrome de Guillain et Barré peut suffire à nous en détourner.

Il faut en outre  compter ici avec de nombreux autres paramètres : peur de la piqûre (cela n’a rien d’insultant de dire que certains de nos concitoyens ont peur de la piqûre ; on m’a reproché un jour d’avoir dit que bon nombre de personnels soignants avaient peur de la piqûre : or c’est un fait, ce n’est pas un jugement) ; refus quasi « militant » d’un vaccin dont on nous aurait trop rabattu les oreilles ; ou encore je ne sais quels motifs conscients ou inconscients (qui ne sont pas moins ou plus nobles, mais qui sont). La mathématique fournit un éclairage. Elle n’est pas la Lumière de toutes nos actions, loin de là. D’autres déterminants entrent en jeu dans notre processus complexe de décision. Ils mériteraient d’ailleurs d’être davantage explorés par les sciences sociales.

Revenons un instant à la détermination du lien causal. Lorsqu’une réaction allergique (urticaire, bronchospasme, œdème de Quincke, crise d’asthme, choc anaphylactique) survient dans les heures après l’injection vaccinale, la relation causale prête peu à discussion. S’il n’y a pas eu absorption concurrente d’une substance allergisante connue, on peut dire avec une forte probabilité de certitude que le vaccin est en « cause ». Lorsqu’il s’agit d’une douleur au point d’injection, d’une réaction locale, si aucune piqûre de moustique ne vient interférer dans l’histoire, sous nos latitudes et à pareille époque de l’année, on peut aussi signer la relation de « cause à effet ». Pour toutes les autres notifications d’effets indésirables on entre dans les brouillards de la causalité incertaine. Un cancer du poumon qui serait détecté le lendemain de l’injection verrait bien sûr rejeter le lien de causalité par tous les cancérologues qui diraient qu’il faut du temps pour une tumeur de se développer et qu’une nuit n’y suffit pas. Que dire d’une maladie neurologique survenant trois jours après l’injection vaccinale ? Une maladie dont on ignore tout des mécanismes de survenue, de l’origine, y compris en dehors de toute vaccination ? Une maladie qui n’a rien de spécifique de la vaccination, car aucune maladie n’est « spécifique » de la vaccination anti-grippale. C’est alors formidablement difficile.

Attention cependant. Dire qu’il est difficile de déterminer le lien de cause à effet, ne doit pas laisser sous-entendre, d’un revers de main, que toutes ces réactions ne sont pas d’origine vaccinale. Elles peuvent l’être.  Ce sont des médecins français qui les premiers ont signalé des tendinites liées à un antibiotique (de la famille des fluoroquinolones). Qui aurait pu croire qu’un antibiotique aurait pu causer des dommages à l’un des endroits les moins vascularisé du corps humain (les tendons), et selon un processus qui s’apparente davantage aux traumatismes des sportifs qu’à une réaction indésirable médicamenteuse ? Eh bien, aujourd’hui, plus personne ne doute, dans la communauté médicale internationale que les fluoroquinolones sont des antibiotiques qui peuvent entraîner des tendinites ; voire mêmes des ruptures du tendon d’Achille, tout à fait spectaculaires et invalidantes. Donc, si le plus souvent les dispositifs de  pharmacovigilance, ou de vaccinovigilance ne permettent pas à coup sûr de déterminer que tel événement est lié à tel produit, ce sont néanmoins des éléments concourant à la sécurité sanitaire destinés le cas échéant à tirer précocemment la sonnette d’alarme. Ils permettent la détection de cas graves et inattendus. Lorsque les effets rapportés sont graves mais attendus, ils permettent éventuellement la détection de leur augmentation, bien que ce soit là un exercice plus difficile encore. Ils contribuent à un meilleur pilotage de la politique vaccinale à l’échelon national et  international.

Antoine Flahault

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