L’OMS aurait-elle changé la définition de la pandémie le 4 mai 2009 pour d’obscures raisons?
L’historien Patrick Zylberman, titulaire de la Chaire d’Histoire de la Santé à l’EHESP, dont les travaux portent notamment sur l’histoire des grandes pandémies est forme :
Contrairement à ce qui est dit parfois (R. Schabas and N. Rau, janvier 2010), la définition de la « pandémie » n’a pas été modifiée en 2009. Je parle ici de la définition qui fait loi pour l’Organisation ; je ne parle pas du point de vue exprimé par tel ou tel groupe d’experts.
Le professeur Zylberman explique que la définition de la pandémie est inscrite dans les plans de préparation, qu’il nous propose de situer dans la hiérarchie des textes produits par l’OMS :
Les plans de préparation pandémique sont des documents inter-gouvernementaux engageant à la fois l’OMS et les Etats membres. Ainsi, la dernière mouture du Plan pandémie d’avril 2009 est le résultat du travail de plus de 135 experts issus de 48 pays ; les travaux ont débuté en 2007 et se sont achevés en février 2009 ; plus de 600 observations ont été déposées par les Etats.
Patrick Zylberman reconnaît cependant que la validité des pages postées sur le site Internet de l’OMS pose parfois problème, et demande à l’OMS d’éclaircir les raisons qui les ont conduit à laisser publier une définition erronée (car différente des plans intergouvernementaux) jusqu’au 4 mai 2009, pour enfin rétablir la version initiale de cette définition, conforme à celle des plans à partir de cette date.
Entrons un peu plus dans les détails de la controverse (pardonnez-nous les citations verbatim en langue anglaise du plan intergouvernemental de l’OMS, nous n’avions pas la traduction française de ces documents au moment de l’écriture de ce billet). L’OMS en 2009, peut-on lire (Stuart Paterson, nov. 2009), se contenterait d’une vague définition de la pandémie grippale comme « épidémie à l’échelle mondiale », sans plus mentionner les dérives génétiques et antigéniques du virus. “C’est carrément faux“, s’insurge Patrick Zylberman.
Ainsi, le plan Pandémie de l’OMS publié en avril 2009 (page 14) définit-il une pandémie grippale de la manière suivante :
« An influenza pandemic occurs when an animal influenza virus to which most humans have no immunity acquires the ability to cause sustained chains of human-to-human transmission leading to community-wide outbreaks. Such a virus has the potential to spread worldwide, causing a pandemic.»
Glissements et cassures sont expressément mentionnées: « The development of an influenza pandemic can be considered the result of the transformation of an animal influenza virus into a human influenza virus. At the genetic level, pandemic influenza viruses may arise through:
• Genetic reassortment: a process in which genes from animal and human influenza viruses mix together to create a human-animal influenza reassortant virus;
• Genetic mutation: a process in which genes in an animal influenza virus change allowing the virus to infect humans and transmit easily among them ».
Le plan Pandémie grippale 2009 de l’OMS ne fait d’ailleurs que reprendre en la développant la définition qui figurait dans la version de 2005 : il y a menace pandémique lorsqu’« un sous-type qui n’a pas circulé chez l’homme pendant au moins plusieurs décennies et vis-à-vis duquel la grande majorité de la population humaine n’est donc pas immunisée » vient à se répandre dans les populations humaines.
Puis survient une nouvelle controverse, à propos de la gravité. Schabas et Rau (janvier 2010, cité ci-dessus) reprochent alors à l’OMS de s’être cramponnée de manière rigide à ses définitions, ignorant le désaccord grandissant entre les faits et ses notions dès la crise mexicaine. Ainsi la définition même de la pandémie a fait l’objet d’un vif débat dans la première période de la pandémie. Patrick Zylberman nous rappelle que “certains experts suggéraient alors d’intégrer une estimation de la gravité de la maladie dans la définition de la pandémie. Le comité technique de la grippe s’est réunit à Genève le 5 juin 2009 afin de discuter de l’introduction d’un index de gravité à la phase 6 du système d’alerte (le passage à la phase 6 n’était pas à l’ordre du jour de cette réunion). Il s’agissait de diviser la phase 6 en trois sous-niveaux tenant compte du degré de gravité de la maladie (Nebehay, mai 2009). Comme eût dit Victor Hugo, c’eût été là embrouiller un problème par des éclaircissements !“.
L’OMS avait du reste répliqué en mai 2009 à ceux qui exigeaient l’introduction d’une dose de « gravité » dans la définition de la pandémie :
Mais laissons les derniers mots de ce billets à notre historien (que je remercie vivement de son éclairage sur cette épineuse question où se mêle beaucoup de mauvaise foi de la part de nombreux experts en verve contre l’organisation internationale) :
“Le caractère imprévisible et difficilement calculable de la létalité est bien illustré par les soubresauts de de l’opinion des experts en Grande Bretagne en juin et juillet où la létalité estimée a constitué un instrument de « gestion de crise ». Cette létalité estimée a connu trois phases:
La chute de la létalité estimée au cours du temps: 0,25% en juin/0,026% en décembre (Angleterre et Pays de Galles : 1918=3%; 1957 et 1968 = 0,2%).
Ce débat est d’autant plus surprenant que cela fait longtemps que l’on critique l’idée d’introduire une notion de sévérité dans la définition de la pandémie. Ainsi, dans la revue Science, en mars 1943, un épidémiologiste de l’Université du Michigan, le Dr Thomas Francis, brocardait-il « ceux qui parlent de pandémie grippale comme de quelque chose de spécial et continuent d’employer ce terme dans l’acception non fondée de sévérité au lieu de distribution », c’est-à-dire de répartition géographique des cas. Le 11 juin, Chan s’en tenait donc à la définition initiale : extension de la propagation à plus d’une région de l’OMS (S Connor, 12 juin 2009, The Independent).”
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Antoine Flahault, citant de larges extraits des travaux de Patrick Zylberman, titulaire de la Chaire d’Histoire de la Santé de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique.
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